Max Gallo et l’Académie Française

Intervention d’Hélène Carrère d’Encausse, secrétaire perpétuel de l’Académie française, au colloque « Max Gallo, la fierté d’être français » du 21 novembre 2017.

« L’Académie est une famille d’esprit et de cœur » aimait à dire le Père Carré, notre inoubliable pasteur, lorsque ses membres étaient rassemblés comme nous le sommes aujourd’hui dans le souvenir de l’un des siens. Nous lui devons, ajoutait-il, le privilège d’avoir rencontré et aimé des êtres d’exception mais aussi d’être un jour confrontés à l’épreuve de la séparation. Nous mesurons alors ce que l’ami, le confrère, le frère disparu nous aura apporté et le vide que son absence laisse dans nos cœurs. C’est le drame perpétuel, la face tragique de notre famille académique.

Aujourd’hui, c’est Max Gallo qui nous réunit ici. Il est mort le 18 juillet dernier et il est difficile d’imaginer l’Académie sans lui. Sa vie académique aura été tout à la fois brève – dix ans à peine – mais tellement dense. Nous savions en l’élisant quel historien, quel romancier fécond et passionnant nous appelions à siéger parmi nous. Nous admirions aussi l’intégrité, le courage de cet homme qui jamais n’aura reculé dans le combat pour la liberté, sa passion. Alain Decaux qui le reçut sous la Coupole aura remarquablement présenté l’homme et l’œuvre. Et dans l’Église Saint-Étienne du Mont il y a trois mois, notre confrère Frédéric Vitoux et Gilles Kepel y auront ajouté un portrait chaleureux et précis de Max Gallo.

Qu’il me soit permis d’évoquer ici une face moins connue, mais combien importante, de sa vie académique et de notre amitié.

Max Gallo avait eu la chance exceptionnelle de succéder dans notre Compagnie à son plus proche ami, Jean-François Revel. Ils avaient partagé les mêmes combats, les mêmes idées et qui mieux que Max aurait pu rendre vie à Jean-François Revel, le jour où il fut reçu sous la Coupole ? Mais aussi, il avait appris de son ami le fonctionnement, parfois mystérieux, de l’Académie. Et il demanda d’emblée à prendre place dans ce petit cénacle de la Compagnie que Maurice Druon nommait « le Saint des Saints » et Revel « le Politburo », c’est-à-dire la Commission du Dictionnaire. Ce cénacle réunit les jeudis matin un groupe restreint d’académiciens qui font avancer le Dictionnaire à grand pas. Ces séances qui sont longues – trois heures – sont tout à la fois austères et joyeuses, marquées par un climat de complicité quasi juvénile. Max Gallo y apportait la rigueur de l’historien et un souci presque maladif de la langue. Le fils d’immigrés, amoureux de la France comme le sont souvent les enfants venus d’ailleurs – et l’Académie en compte un certain nombre – était acharné à préserver le français des empiètements de la langue anglaise, à le faire vivre dans le monde d’aujourd’hui en s’adaptant à ses évolutions scientifiques et techniques. Max était passionné par ce défi. Il savait aussi les dangers des dérives idéologiques qui pouvaient détruire la langue, le XXème siècle nous l’aura appris, et il dénonçait ce péril en se revendiquant d’Orwell.

Dans cette Commission nous étions, Max et moi, assis côte à côte, complices toujours et très souvent complémentaires. Chaque jeudi je contemple la chaise vide à ma droite et les larmes me montent aux yeux. Involontairement mon regard se tourne vers la porte, la haute et si élégante silhouette de Max ne va-t-elle pas y apparaître, effaçant le mauvais rêve de l’absence ?

Espoir vain, Max Gallo aura quitté la Commission et l’Académie dès qu’il sut que Miss P., comme François Nourissier nommait leur mal commun, s’empara de lui. Il ne voulait pas offrir un jour à ses confrères une image amoindrie, déformée, me dit-il, quand il vint m’annoncer sa décision de se retirer de tout. Suprême élégance qui nous laissa orphelins bien avant ce fatal 18 juillet 2017. Nous avons depuis lors tous reçu, bouleversés, chacun de ses livres qui témoignaient de sa fabuleuse capacité de travail et de l’échec de Miss P. à le dominer. En le lisant, on l’imaginait devant sa machine à écrire, face au Panthéon, mettant toute sa volonté à poursuivre son œuvre. Le récit que fit Marielle du dernier combat de Max contre la maladie, s’il m’étonna sur le moment, aura probablement eu le mérite de compléter notre familiarité avec ce confrère tant aimé. Et la foi qui l’aura aidé à faire face à la pire des tragédies, le suicide de sa fille, l’aura aussi accompagné dans ce dernier combat.

Il est désormais en paix, mais pour nous, ses compagnons fraternels de l’Académie, l’absence nous laisse inconsolables. Le souvenir de ceux qui ont partagé notre destin académique ne s’efface jamais. Dans nos salles de travail, leurs visages, leurs voix sont toujours présents. Et nous les évoquons sans cesse comme s’ils étaient encore parmi nous.

Cher Max, mon ami, mon frère, dont j’admire tant – impossible d’employer le passé – le courage, l’intégrité, le savoir et la bonté, au revoir.

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Le cahier imprimé du colloque « Max Gallo, la fierté d’être français » est disponible à la vente dans la boutique en ligne de la Fondation.

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