Intervention de Philippe Meyer, journaliste, producteur de l’émission radiophonique du Nouvel esprit public, au colloque « Max Gallo, la fierté d’être français » du 21 novembre 2017.
Je l’ai connu alors que je débutais dans le métier de journaliste à L’Express. Il avait, comme Jean-François Revel, cette faculté de vous mettre de plain-pied avec lui quel que soit votre âge, quels que soient vos antécédents, quels que soient vos titres, et ce goût de postuler la confraternité qui, pour lui, devait être non pas comme le disait Mauriac « une forme de haine vigilante » mais au contraire une antichambre de la fraternité.
Je le vois entrant dans mon bureau, déplaçant un volume d’air considérable, me disant : « Dis donc, Meyer, j’ai un copain du lycée de Nice qui a fait un film pour la télévision sur Jaurès. Il m’embête pour que j’en parle mais je ne suis pas sûr que ce soit très bon. Peux-tu me rendre un service : je vais dire que c’est toi qui en parles et que tu t’es fâché parce que je voulais en parler ». Ainsi fut fait et il dit à l’auteur de ce film – qui, en effet n’était pas très bon – qu’il aurait bien voulu en parler mais qu’un petit journaleux qui venait d’arriver montait sur ses ergots et empêchait qu’il en parlât.
Cette référence à Nice a été très souvent présente dans les conversations que j’ai eues avec lui, d’abord parce que ma mère en est originaire, ce qui me permettait de comprendre l’attachement très particulier à Nice des Niçois d’origine. Je ne connais pas de ville dont les originaires aient ce sentiment de fraternité qui postule qu’on va faire une place tout de suite à celui qui en vient, quel qu’il soit. J’ai eu avec Simone Veil des conversations sur Nice qu’elle aimait énormément (et Dieu sait qu’elle aurait eu quelques raisons d’en garder de mauvais souvenir). Elle se plaignait très souvent devant son mari Antoine que celui-ci eût préféré acheter une maison d’été du côté du Golfe de Saint-Tropez, à Beauvallon, plutôt qu’un appartement dans cette ville qui n’est certes plus tout à fait ce qu’elle était maintenant que les KGBistes se sont transformés en milliardaires et que les Russes et leur cortège – pour rester dans la litote – l’ont envahie. Il y a dans l’appartenance à Nice quelque chose de fondamental et ce qu’a dit Gilles Képel, rappelant le goût de Max pour la cuisine d’abord niçoise puis italienne, est un témoignage de cet attachement de Max à sa ville. C’est aussi pour moi le témoignage de quelque chose de très fort chez Max, qui est et qui était très présent dans toutes les circulaires des ministres de l’Instruction publique. On n’aime pas sa patrie si on ne connaît pas et si on n’aime pas sa « petite patrie » et la « petite patrie » de Max était toujours présente pour lui et, j’en suis sûr, lui a donné ce goût de la patrie grande.
Max et l’amitié.
Amitié qu’il rendait possible spontanément et qu’il cherchait à souligner dès que nous trouvions un point commun. En ce qui me concerne c’était un peu Nice, un peu beaucoup l’Italie et la cuisine italienne… et aussi chanter. J’entends encore Max chantant, de préférence en italien … faux, je dois dire ! J’ai connu peu de gens capables de passer d’autant de tons à autant de tons en une seule chanson, aussi simple fût-elle, comme Bella ciao. Mais entonner Bella ciao, c’était être sûr qu’à la troisième syllabe Max vous rejoindrait dans les paroles (et vers la fin dans la musique). Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que Max s’est intéressé activement, en dehors de nos activités communes, à tout ce qui pouvait toucher à la chanson.
Max et les femmes.
Il a mis du temps. Il a procédé par essais et par erreurs, comme on dit dans les laboratoires, jusqu’à ce qu’il trouve la bonne et qu’un beau jour il nous annonce qu’il s’était marié. Nous avions une vague idée d’avec qui. Mais quand on savait les épopées conjugales qui avaient été les siennes on était très admiratif que non seulement il ait trouvé Marielle mais qu’ils aient trouvé ensemble, à quelques dizaines de mètres l’un de l’autre, le mode de vie qui leur convenait à tous les deux : la liberté dans l’engagement et l’engagement dans la liberté.
Max et son fils.
Max arrivait toujours une demi-heure ou trois-quarts d’heure en avance pour enregistrer L’Esprit public. Pendant un temps il arrivait à vélo. Il crevait une fois sur deux. « As-tu gonflé le vélo ? », lui disais-je, « Gonflé ?… ». J’ai fini par lui offrir une pompe à bras dont il s’est servi quelques temps. Il adorait ces descentes à vélo vers la Maison de la radio. Il attendait dans un café où j’étais sûr de le trouver. Un jour je l’y trouve avec la main bandée. « Ne me dis pas que tu as bricolé », lui dis-je. « Non, me dit-il, c’est David. Ce petit con ne veut pas passer son bac (il avait quatorze ans). Je me suis mis dans une rogne ! », « Tu ne l’as quand même pas frappé ? », « Non, mais j’ai frappé contre la table ». Il s’était blessé la main. « Tu as raison, lui répondis-je, il faut le faire enfermer : à quatorze ans, ne pas vouloir passer son bac, il n’y a guère qu’un centre de redressement qui puisse régler cette question ». Il a mis une seconde pour se rendre compte que j’étais en train de le charrier et pour convenir qu’il avait peut-être eu une réaction un peu excessive.
Mais qu’aurait été Max sans les excès ?
Les excès de travail. Je ne connais personne qui ait travaillé autant. Que ce soit pour ses livres ou pour préparer L’Esprit public où il arrivait avec des notes, des papiers, des paperolles, des fiches et où il se serait senti déshonoré s’il n’avait pas passé tout le temps nécessaire à la préparation de ses sujets. Et on sait à quel point les micros sont ouverts à des gens qui se contentent de venir dire : « Je suis oiseau, voyez mes ailes » ! Max, comme Jean-Claude Casanova (qui nous accompagna pendant de longues années dans cet Esprit public), a contribué à donner le ton de cette émission, le ton du travail et le ton de la conversation, un art essentiellement français que Max appréciait par-dessus tout.
Mais c’est aussi l’amour des gens. Max aimait les gens en gros. Et il avait raison. Quiconque est monté sur une scène sait que le public est un être abstrait, imaginaire, auquel nous devons tout en gros et rien en détail. Il faut toujours éviter de rencontrer son public raisin par raisin, il vaut mieux le voir par grappes. Cet amour du public, le fait qu’il écrivait parce qu’il avait quelque chose à dire à des gens a été profondément ressenti par le public qui l’a manifesté. Un jour nous étions descendus dans l’Aveyron et le tenancier de la maison de la presse d’Espalion (ancien chef-lieu d’arrondissement et sous-préfecture supprimée par Poincaré) m’avait supplié de convaincre Max de signer ses livres au moins pendant une heure. Celui-ci n’en avait aucune envie. Nous passions ensemble, avec vous, Marielle et Jean-Claude, un moment agréable dans l’Aveyron avant d’enregistrer le lendemain une émission à Rodez. Il avait fini par accepter. Il y avait une telle file d’attente devant la maison de la presse qu’il n’avait pas pu lever la tête pendant l’heure qu’il avait accepté de consacrer à cette signature. Et la satisfaction des gens qui avaient pu lui dire un mot, le remercier, glisser leur prénom pour que Max l’écrivît comme il est de coutume était extraordinairement palpable. La popularité de Max était le retour sur ce goût qu’il avait du peuple, pas dans le sens que les bourgeois utilisent pour parler de ceux qui ne leur sont pas égaux mais de l’ensemble de la population pour laquelle il écrivait.
Nous avons passé plus de quinze ans ensemble tous les dimanches derrière les micros de L’Esprit public et j’ai toujours eu l’impression que cette activité était pour lui quelque chose qui le nourrissait et qu’il considérait lui devoir le meilleur de lui-même. Il pouvait y être excessif, il était rarement bref, il essayait toujours de m’arracher un peu plus de temps de parole, au point que je lui avais dit : « Le jour où tu écris tes mémoires, tu devrais les intituler : Un dernier mot ». De dernier mot en dernier mot il arrivait à tenir un tiers de plus que le temps qui lui avait été normalement imparti.
Max et la politique. Max et le journalisme.
Sans aucun doute, son expérience de Secrétaire d’État, porte-parole du gouvernement avait été pour lui plus qu’un choc, presque un traumatisme. Max avait eu du courage de s’engager en politique, sachant ce à quoi il devait renoncer, et même un courage physique : Je rappelle qu’il avait été élu député de Nice au moment où la ville était sous la férule du dernier des Médecin et on avait un jour saboté sa voiture au point qu’ il s’en était fallu de peu qu’il finît dans le décor… Max, qui avait eu ce courage physique et moral, fut traumatisé par la lâcheté, la servilité d’une très grande partie du personnel politique et du personnel journalistique. Je pense à cet épisode datant du moment où Mitterrand avait fait réhabiliter les gens de l’OAS et fait réintégrer les généraux et officiers félons dans leurs droits, décorations et pensions avec effet rétroactif. Au cours d’une réunion à l’Élysée, Max avait été stupéfait d’entendre les journalistes présents se moquer de Pierre Joxe et de ceux qui s’étaient opposés à l’Assemblée à cette réintégration des généraux félons (Mitterrand avait dû utiliser l’article 49-3 pour faire passer cette mesure). Max avait alors pris la parole : « A Nice, les postiers qui avaient fait la grève en 1953, me disent qu’eux n’ont jamais été rétablis dans leurs droits ». Et il racontait avoir découvert, à ce moment de la conversation, la force avec laquelle Mitterrand était capable, d’un simple regard, d’expulser quelqu’un de l’endroit où il allait pourtant rester assis. De cette expérience traumatisante Max a tiré plusieurs livres dont l’un, assez saignant, sous un pseudonyme et les autres sous la forme d’un ensemble de romans. Max était profondément secoué par cette expérience de la servilité ou de la servitude volontaire, comme de l’absence de vision chez beaucoup de ceux qu’il rencontrait et qui prétendaient en avoir une.
Sa vision était, disait-il, celle d’un « patriote républicain ». Un patriote républicain, expliquait-il, c’est par exemple Jaurès en 1899, en pleine affaire Dreyfus, au moment où on a toutes les raisons de penser qu’un coup d’État militaire est possible, quand Waldeck-Rousseau forme un gouvernement d’union nationale à laquelle toute la gauche parlementaire participe, avec, comme ministre de la Guerre, un général de Galliffet taché du sang de la « Semaine sanglante » (au cours de laquelle, du 21 au 28 mai 1871, les membres de la Commune de Paris avaient été massacrés). Jaurès avait voté pour le gouvernement de Waldeck-Rousseau. C’était pour Max l’exemple de quelqu’un qui, le moment venu, sait qu’il ne s’agit plus de « faire cuire sa petite soupe dans ses petites marmites » comme disait le général de Gaulle mais de sauver la République.
Je voudrais terminer en citant Max évoquant les très nombreuses biographies dont il était l’auteur :
« Ce qui m’intéresse chez eux, Vallès, Jaurès, comme ce qui m’intéresse chez Bernard de Clairvaux par exemple, c’est l’authenticité de la personne et la construction de son unité. Pour moi, ça doit être cela le but d’une vie, atteindre en fin de parcours une sorte d’unité, de cohérence. Vallès comme Jaurès y sont parvenus. » Toi aussi, Max.
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Le cahier imprimé du colloque « Max Gallo, la fierté d’être français » est disponible à la vente dans la boutique en ligne de la Fondation.
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