Décryptage des relations germano-américaines sous l’angle économique
Intervention de Rémi Bourgeot, économiste, chercheur associé à l’IRIS, au colloque « L’avenir des relations germano-américaines » du 18 septembre 2017.
Je rebondirai sur cette conclusion économique.
On a parfois l’impression, depuis l’élection de Donald Trump, que la question des relations germano-américaines aurait complètement changé, que l’approche américaine, sur le plan commercial en général et surtout vis-à-vis de l’Allemagne et de l’Europe, serait radicalement nouvelle. Pour peu qu’on ait suivi les débats germano-américains ne serait-ce que depuis cinq ou dix ans, on est surpris par cette approche éditoriale en contradiction avec l’évolution des débats économiques américains qui, en particulier depuis la crise de 2008, portent assez largement sur le problème du modèle excédentaire allemand. La vision selon laquelle Barack Obama se serait parfaitement entendu avec Angela Merkel, en une sorte de duo politique idéal des deux côtés de l’Atlantique, est surprenante, en contradiction avec ce qu’on a vu des débats pendant toute la première partie de la décennie. De la même façon, il n’est pas juste d’ignorer que Barack Obama, malgré la mise en avant de nouveaux accords de libre-échange, a réagi du point de vue concret de la politique commerciale américaine, en particulier sur la question du dumping lié à l’effondrement de certains prix industriels sur les marchés mondiaux. En effet, aux États-Unis, une véritable prise de conscience de la question commerciale dépasse les clivages partisans : au cours de la campagne de 2016 et des primaires qui l’ont précédée, Donald Trump du côté républicain comme Bernie Sanders du côté démocrate ont développé une approche de type protectionniste, certes différente. Dès la présidence Obama, l’attention des autorités américaines s’était portée sur la question du déséquilibre commercial. Évidemment, le sujet numéro un est la Chine qui représente environ les deux tiers (360 milliards de dollars) du déficit commercial américain (530 milliards de dollars). Mais l’Allemagne est aussi centrale dans le débat. C’est un déficit bilatéral bien moins important d’un point de vue quantitatif même si, comme le disait Jean-Michel Quatrepoint, il a énormément crû ces dernières années pour s’établir autour de 65 milliards de dollars l’an passé. Cette réorientation de l’économie allemande s’est amplifiée depuis la crise alors que les excédents commerciaux allemands s’étaient creusés au cours des années 2000, essentiellement au sein de la zone euro, du fait de la stratégie de compression salariale et de révision des relations avec les syndicats initiée par Gerhard Schröder. C’est lorsque ces excédents se sont étendus au sein de la zone euro que la construction de l’euro a véritablement déraillé (et aussi du fait de questions intrinsèques à une union monétaire présentant des différences d’inflation, mais c’est un autre sujet).
C’est à partir de la crise de 2008 que se développe en Allemagne le thème du pari chinois, de l’investissement massif et de la réorientation des exportations vers la Chine et, plus généralement, vers les pays émergents. Mais ce mouvement à l’extérieur de la zone euro se fait aussi vers des pays développés : Ne serait-ce qu’au cours des cinq dernières années, on a vu l’importance croissante du Royaume-Uni et des États-Unis dans l’excédent commercial allemand. Les États-Unis représentaient 18 % de l’excédent commercial allemand il y a cinq ans, aujourd’hui c’est 22 %. Pour le Royaume-Uni on est à presque 21 % de l’excédent commercial allemand alors qu’il avoisinait 15 % cinq ans plus tôt. Cette amplification de l’excédent commercial allemand, qui vise notamment les États-Unis et le Royaume-Uni, a été suivie de très près à Washington où, lors de mon dernier voyage, il y a exactement un an, quelques semaines avant la tenue de la présidentielle américaine, je n’ai rencontré aucun économiste qui fût vraiment favorable à Donald Trump, mais tous étaient préoccupés par la question du déséquilibre allemand. Il y a donc un consensus très large qui dépasse les divisions partisanes, non seulement sur l’Allemagne mais plus généralement sur la question commerciale, en dépit des positions contrastées sur la question des grands traités de libre-échange. Dans les grands médias s’expriment un certain nombre de personnes qui, si elles n’osent plus utiliser l’expression de « mondialisation heureuse », en reprennent les principaux arguments. Mais je ne pense pas qu’elles représentent aujourd’hui une majorité au sein de l’establishment américain. En tout cas, ce n’est pas la tendance qui est en train de se déployer actuellement : une prise de conscience importante des déséquilibres commerciaux, notamment avec l’Allemagne et la Chine. Barack Obama avait quand même introduit un tarif douanier de plus de 500 % pour une certaine catégorie d’aciers chinois… Il ne s’agissait donc pas d’une politique protectionniste généralisée mais on est très loin en Europe de pouvoir mettre en œuvre ce genre de mesures de rétorsion. Face à l’effondrement des prix de l’acier en Chine et confrontés à un dumping qui s’aggravait mois après mois, les administrations américaine et canadienne avaient réagi très fortement pour protéger différentes industries ; cela dépassait la simple question de l’acier. L’arrivée de Donald Trump s’inscrit dans cet environnement de remise en cause.
L’expression des relations bilatérales a changé de façon assez radicale. Il y a deux ans l’image de l’Allemagne s’était brutalement dégradée dans les débats politico-économiques en raison, notamment, de la prise de conscience assez généralisée du fiasco grec. Les débats, les négociations, avaient véritablement dégénéré. On avait vu dans l’establishment économique européen et américain un début de levée de boucliers sur cette question.
D’une certaine façon, on pourrait dire que l’élection de Donald Trump, avec sa rhétorique xénophobe, a œuvré comme un repoussoir et indirectement aidé à redorer l’image de l’Allemagne dans les débats éditoriaux mondiaux, par un étonnant jeu de balancier : on a vu en effet se développer simultanément le thème d’une Allemagne absolument vertueuse, du point de vue des valeurs politiques et même – presque – du point de vue du modèle économique, face à une Amérique isolationniste qui aurait sombré dans le protectionnisme. Les choses sont évidemment plus compliquées. Si on se base sur la rhétorique économique de Donald Trump, évidemment, on ne va pas très loin puisque, visant à une compréhension immédiate de la part d’une frange de l’électorat, elle est en général fausse d’un point de vue littéral (je sous-entends qu’elle peut dans certains cas particuliers avoir un sens non littéral). Par exemple, Trump a récemment menacé de cesser de commercer avec toute nation qui commercerait avec la Corée du nord… ce qui voudrait dire arrêter de commercer avec la Chine. Cela n’a évidemment pas de sens et ce n’est probablement pas ce qu’il a à l’esprit au moment où il le dit. Je pense que cette approche est valable aussi dans le cas allemand, en particulier en ce qui concerne l’industrie automobile qu’évoquait Jean-Michel Quatrepoint. Quand Trump parle de bloquer la vente de voitures de marques allemandes aux États-Unis, ça n’a évidemment pas de sens, du fait en particulier des investissements massifs de l’industrie automobile aux États-Unis, de l’investissement productif, notamment dans le cas de BMW – ciblé en particulier par Donald Trump. BMW a des sites d’assemblage extrêmement importants dans le sud des États-Unis, qui contribuent aux exportations américaines d’automobiles (75 % de la production de l’usine de Caroline du sud vise des exportations depuis les États-Unis). Dire que les États-Unis mettraient des barrières importantes à la vente d’automobiles de marque allemande aux États-Unis n’a donc pas de sens puisque cela nuirait très directement à l’économie américaine.
Mais derrière ces rodomontades se pose une véritable question : quand on cite les chiffres de la production d’automobiles de marque allemande aux États-Unis on ne prend pas en compte la question des pièces détachées importées d’Allemagne. Cela renvoie une nouvelle fois à la question du modèle allemand qui, en plus de sa force intrinsèque, est devenu une gigantesque machine d’importation, transformation, réexportation. On le voit à l’échelle de l’Europe, avec l’intégration manufacturière dans la machine productive allemande de ses voisins d’Europe centrale, une logique qui s’étend à l’échelle mondiale depuis la crise. Cela vise aussi les États-Unis. En fait le développement de capacités manufacturières d’entreprises allemandes aux États-Unis s’inscrit dans ce cadre. On voit les chiffres importants des exportations de ces marques allemandes depuis les États-Unis vers le reste du monde mais il y a un vrai sujet sur la part de la valeur ajoutée, d’un point de vue comptable mais aussi d’un point de vue technologique puisqu’on ne peut pas se focaliser sur la production sans se soucier de la conception, de l’histoire de la conception, des compétences et de la technologie qu’elle mobilise. Il y a dans le monde des pays extrêmement compétents pour assembler des voitures de marque étrangère. C’est le cas de la Turquie, entre autres, qui n’a pas de marque nationale de voitures. Produire des voitures de marque étrangère conçues à l’étranger nécessite un niveau de compétence certain mais c’est une autre chose que de s’inscrire dans un processus de conception et de production, les deux étant en fait liées. Beaucoup d’économistes dans le monde recommencent à comprendre qu’on ne peut pas séparer de façon comptable, comme on gèrerait un portefeuille boursier, ces différents aspects du processus productif. C’est un point extrêmement important du point de vue des États-Unis que feint d’ignorer Donald Trump quand, s’adressant aux classes appauvries par la mondialisation qui voient des voitures de marque allemande conduites par des gens aisés, il parle d’empêcher les ventes d’automobiles allemandes. Cela fait partie d’une rhétorique simpliste et trompeuse qui a montré son efficacité d’un point de vue électoral, mais cela renvoie aussi à la question stratégique plus lourde d’un redéploiement technologique des États-Unis.
On peut s’étonner que les États-Unis aient une rhétorique agressive vis-à-vis de l’Allemagne alors que le déficit bilatéral de 65 milliards de dollars n’est pas du même ordre que le déficit bilatéral que les États-Unis ont avec la Chine (370 milliards de dollars). Mais on ne parle pas des mêmes produits. Dans le cas de la Chine le modèle de base était la conception aux États-Unis, la production en Chine, même s’il a évolué avec la montée en gamme technologique de la Chine, la montée éducative notamment (l’exemple d’Apple vient parmi d’autres à l’esprit pour ce modèle de dissociation entre conception américaine et production chinoise). La relation manufacturière avec l’Allemagne est différente car les Allemands n’ont pas de problème pour concevoir des produits avancés qui ont un véritable succès aux États-Unis et jouissent d’une image de marque très positive. Une éventuelle défaite de Donald Trump aux prochaines élections ne changerait pas l’équation germano-américaine du tout au tout.
Ces tendances à la remise en cause de l’ordre commercial, déjà observées sous Barack Obama de façon plus feutrée et en parallèle au développement de grands accords de libre-échange, dépassent la question des partis. Donald Trump a certes une approche anti-globaliste revendiquée, qui tranche avec les décennies passées. Il a nommé des gens qui, pour la plupart, sont clairement sur la même ligne que lui, d’autres un peu moins, et lors des réunions à la Maison blanche, quand il accuse certains de ses proches conseillers d’être des « globalistes », c’est une insulte et une accusation grave dans sa bouche. « I want tariffs!» (« Je veux des tarifs douaniers ! ») aurait-il exigé récemment lors d’une réunion dans le bureau ovale. C’est un enjeu majeur dans sa politique et dans la perception de sa politique par l’électorat américain, mais la question douanière s’inscrit en réalité dans une équation à la fois commerciale et technologique, plus complexe, dont la prise de conscience progressive touche l’ensemble du spectre politique américain.
Face à la remise en cause de leur modèle économique, les autorités allemandes ont tendance à récuser la critique en invoquant la qualité des produits allemands et en rejetant toute idée de biais dans le jeu commercial. Il est évident que l’Allemagne n’entre pas dans la catégorie de la manipulation monétaire telle qu’elle est définie par la législation américaine. La politique de la BCE n’est pas fixée par l’Allemagne, qui a d’ailleurs tendance à s’en plaindre depuis que Mario Draghi a remplacé Jean-Claude Trichet, et qui, non seulement souhaiterait des taux d’intérêt plus élevés pour ses retraités et ses compagnies d’assurance, mais ne verrait pas d’un mauvais œil un taux de change également plus élevé. Donc les outils qui ont été développés par les autorités américaines avec à l’esprit le Japon des années 1980 ou la Chine des années 2000 ne sont pas adaptés au cas allemand, et leur invocation dessert plutôt l’argumentation américaine du fait de ce décalage. Et il est plus complexe d’expliquer que l’excédent commercial allemand résulte notamment de la politique nationale de compression salariale dans le cadre de la zone euro, qui a un effet supplémentaire sur le reste du monde par le nivellement par le bas qu’elle a induit en Europe… L’évolution du modèle européen vers une compression généralisée de la demande et le développement d’un excédent commercial majeur à l’échelle de la zone euro est pourtant un véritable sujet de préoccupation. L’inscription de l’économie allemande dans la zone euro immunise le pays contre les critiques monétaires/commerciales traditionnelles, d’autant plus lorsqu’elles sont formulées sans prendre en compte cette relative complexité. Dans le même temps, la réplication de certains aspects du modèle allemand à l’échelle européenne rend le problème d’autant plus pressant.
En parallèle de leur réponse, souvent évasive, sur la question commerciale, les dirigeants allemands ont tendance à orienter le débat davantage sur la question des valeurs, sur l’image d’un pouvoir politique différent ; thématique qui trouve un écho important au sein de l’opinion allemande. La perception des États-Unis dans les débats allemands a pris un tournant avec le scandale de la NSA et on a vu, au cours des dernières années, croître un scepticisme important vis-à-vis des États-Unis.
D’un point de vue plus économique, la question des sanctions est très importante et, couplée aux scandales d’espionnage, nourrit l’idée en Allemagne que les États-Unis biaisent le jeu économique mondial, en une sorte de réponse symétrique aux accusations américaines sur l’excédent commercial allemand. Les sanctions contre la Russie évitaient le secteur énergétique bien que les Européens, l’Allemagne, les États-Unis n’aient pas la même perception de cette question. En effet, le lien entre l’Union européenne et la Russie est incomparablement plus fort que celui, très faible d’un point de vue économique, qui existe entre les États-Unis et la Russie. Inclure le secteur énergétique dans les sanctions contre la Russie affecterait les entreprises européennes du secteur énergétique, les entreprises allemandes notamment, mais surtout cela ciblerait directement la stratégie énergétique allemande. Jean-Pierre Chevènement évoquait la question du gazoduc Nord Stream 2 qui non seulement aura pour fonction d’accroître l’approvisionnement de l’Allemagne en gaz russe mais fait partie d’une nouvelle stratégie de réexportation de gaz depuis l’Allemagne, une stratégie de hub énergétique. Les autorités allemandes parlent seulement de la sécurisation de leur approvisionnement, du fait entre autres des mauvaises relations entre l’Europe centrale et la Russie, mais il s’agit en réalité d’une stratégie qui ne s’inscrit pas véritablement dans ce qui était prévu dans le cadre de la coopération européenne. Les projets européens se focalisaient, avant d’être segmentés et fortement revus à la baisse, sur la question de la diversification vis-à-vis de la Russie et l’idée d’emprunter à cette fin le corridor sud pour amener du gaz de la Mer Caspienne, de l’Azerbaïdjan jusqu’à l’Europe du sud pour ensuite le diffuser en Europe. Les sanctions américaines viennent directement menacer l’accroissement des importations de gaz russe vers l’Allemagne, pour une rediffusion en partie vers le reste de l’Europe.
La menace qui pèse sur les entreprises énergétiques européennes dans leurs liens avec la Russie s’inscrit dans une question plus large, l’extraterritorialité du droit américain, des sanctions américaines. La Deutsche Bank a été lourdement condamnée par la justice américaine dans le cas des subprimes, à la suite de la crise financière, mais aussi dans le cas des sanctions pour des financements liés à la Syrie et à l’Iran et pour le financement de projets avec la Russie. Cela fait écho au sort infligé à BNP Paribas. Mais, d’un certain point de vue, les tensions actuelles sont plus graves car il s’agit davantage d’une forme de guerre économique qui s’enclenche sur le terrain énergétique.
Donald Trump veut des tarifs douaniers et évoque des chiffres de l’ordre de 35 % à l’encontre de BMW dans le cas où cette firme produirait davantage au Mexique. Cela entre évidemment dans le cadre de la renégociation de l’accord de libre-échange nord-américain plus encore que des relations avec l’Allemagne. La direction que prendrait une détérioration des relations économiques germano-américaines, une sorte de guerre économique, pourrait se concentrer en réalité sur des choses, d’une certaine façon, plus subtiles qu’une véritable guerre commerciale à coups de tarifs douaniers sur les flux commerciaux bilatéraux. Il s’agirait de mettre en œuvre des tracasseries réglementaires plus importantes. La question des sanctions, en particulier dans le secteur énergétique, est directement liée à cette équation, sous une forme exacerbée. On observe ainsi une sorte de symétrie entre la question de l’excédent commercial allemand, qui va durer et qu’il est de plus en plus difficile pour les dirigeants allemands de récuser, et l’instrumentalisation des sanctions.
Jean-Pierre Chevènement
Merci, M. Bourgeot de cet éclairage qui dépasse en effet la vision économique pure.
J’aimerais qu’on traite le problème sur un plan plus politique, c’est pourquoi je me tourne vers M. l’ambassadeur de Montferrand pour lui poser un certain nombre de questions.
D’abord, historiquement, il ne me semble pas évident que les États-Unis et l’Allemagne aient toujours été des partenaires énamourés. Certes les Américains sont arrivés tard lors des deux guerres mondiales – on peut même dire que Hitler leur a déclaré la guerre en 1941 – et ils sont repartis très vite après 1918 puisque, comme chacun sait, ils ont rejeté le Traité de Versailles et ils n’ont pas été membres de la SDN, ce qui a ruiné l’équilibre du Traité de Versailles tel que Clémenceau l’avait un moment accepté en arrêtant l’offensive des armées alliées en novembre 1911. Je dirai que la rivalité du capitalisme américain et du capitalisme européen s’est traduite à divers moments par des tensions. Mais je ne veux pas simplifier les choses ou opposer les États-Unis et l’Allemagne.
La dimension géopolitique me semble importante. La plupart des intellectuels médiatiques américains, des journalistes, des écrivains, ne voient pas d’un très bon œil ni la monnaie unique ni le leadership que l’Allemagne exerce de facto sur l’Union européenne. Par rapport à l’époque où ils soutenaient l’unification européenne, les États-Unis sont aujourd’hui dans une attitude plus réservée, notamment sur le chapitre de la monnaie unique, et ils font grand reproche à la politique allemande du rôle déflationniste qu’elle exerce en Europe et qui se traduit par un déséquilibre commercial assez conséquent entre l’Europe et les États-Unis (132 milliards d’euros en 2016). Des études très complètes ont été faites par la Fondation Res publica sur les déséquilibres du commerce extérieur, notamment par produits, peut-être pas assez par pays mais cet arrière-plan existe. Au-delà de l’élément économique il y a un élément, me semble-t-il, plus profond. Je crois percevoir une certaine méfiance des États-Unis vis-à-vis du leadership de fait que l’Allemagne exerce sur l’Europe depuis qu’elle a imposé sa règle d’or en 2012. Stiglitz et Krugman ont exprimé cela d’une manière plus approfondie que je ne peux le faire ici.
L’affaire ukrainienne pose la question de la relation avec la Russie. Les sanctions américaines s’appliquent à l’énergie mais aussi à d’autres domaines : aux technologies duales, à la finance et, depuis le mois de juillet dernier, aux entreprises qui participent à la construction du gazoduc entre Saint-Pétersbourg et l’est de l’Allemagne, à travers la Baltique. Ces sanctions ont été qualifiées d’intrusions dans la politique énergétique européenne par le ministre allemand des Affaires étrangères, M. Sigmar Gabriel et le Quai d’Orsay lui-même a déclaré qu’elles étaient illicites au regard du droit international, comme d’ailleurs l’extraterritorialité du droit américain. Il y a donc une dimension géopolitique qui s’est cristallisée sur le conflit ukrainien, lequel doit être vu dans un contexte plus vaste. Et je me demande s’il n’y a pas une relation entre la montée des BRICS et une réaction qui se serait manifestée à travers cette crise ukrainienne que, selon moi, on aurait pu éviter mais que l’on n’a pas cherché à éviter.
Elle s’est produite et elle pose le problème de la sécurité européenne, donc de la défense, donc de la participation des Européens, et de l’Allemagne en particulier, à la défense de l’Europe. Il ne faut quand même pas oublier que l’article 5 de l’Alliance atlantique a été mis en cause par le Président Trump et, même si M. Tillerson, son secrétaire d’État, a ensuite nuancé le propos, celui-ci a été tenu et cela veut dire quelque chose… ou alors je ne comprends rien. Il y a cet aspect défense, sécurité européenne, et, évidemment, un déséquilibre au cœur de l’Europe. Comment sera-t-il réduit ? Comment arrivera-t-on à restaurer un équilibre ? Les accords de Minsk ne peuvent pas aujourd’hui s’appliquer. Pourront-ils s’appliquer demain ? Tous ces enjeux ne sont guère traités dans les élections allemandes. Il faut dire que la campagne allemande, relativement atone, oppose (ou tente d’opposer) Mme Merkel et M. Schultz qui appartiennent à la même coalition. Les élections allemandes recèlent néanmoins un potentiel de surprises possibles : le score de l’AfD, le score du FDP. Historiquement, le FDP a eu des positions très différentes sur la question des relations germano-russes. M. Genscher était partisan d’un rapprochement avec la Russie parce qu’il était la clef de la réunification allemande… et alors qu’on a pu voir que M. Westerwelle, alors ministre des Affaires étrangères, manifestait beaucoup moins de sensibilité à cette question à Kiev au moment de Maïdan. On observe que les positions prises du côté allemand par rapport à la Russie évoluent à partir de 2011-2012 : à partir de la réélection du Président Poutine on voit une certaine prise de distance dans les résolutions votées par le Bundestag, qui mettent l’accent sur l’importance d’une relation avec la société civile russe plutôt qu’avec le gouvernement.
Enfin, une question plus politique : que peut-on attendre des élections allemandes ?
Le cahier imprimé du colloque « L’avenir des relations germano-américaines » est disponible à la vente dans la boutique en ligne de la Fondation.
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