Intervention de Michel Onfray, Écrivain, philosophe, auteur de « Décadence » (Flammarion, 2017), au colloque « Civilisation, avec ou sans ‘s’? » du 22 mai 2017.
Si on veut remonter jusqu’à un amont plus lointain, sans aller jusqu’à l’australopithèque, on en vient à se demander si une civilisation peut exister sans être adossée à une religion qui peut ensuite se dégrader ou s’effacer mais dont l’empreinte reste puissante et structure cette civilisation.
Ne faudrait-il pas interroger la notion de civilisation à la lumière des grandes religions ?
Deux religions se veulent universelles : le christianisme et l’islam. Le judaïsme ne se prétend pas universel, c’est la religion d’un peuple. Ni l’hindouisme ni le confucianisme ne sont des religions universelles. Peut-on parler de civilisation japonaise quand on sait que depuis 1946 l’empereur du Japon a renoncé à sa divinité en parlant simplement derrière un micro ? Dans le même temps les gratte-ciel ont poussé : on ne trouve pas de ville au monde comptant autant de gratte-ciel que Tokyo. New York est battue à plate couture quand on regarde Tokyo qui offre vraiment aujourd’hui l’image de la civilisation planétaire. Mais existe-t-il encore une civilisation japonaise ?
Peut-on imaginer une civilisation qui ne soit pas adossée à une religion ? Je pose cette question à Michel Onfray.
Comment voyez-vous le problème des civilisations ?
Adhérez-vous aux définitions qu’a données Régis ?
Nous proposez-vous une autre grille de lecture ?
Michel Onfray
Avant de répondre à vos questions, je voudrais vous remercier. Je suis très heureux et très fier d’avoir été convié à cette table prestigieuse, auprès de deux grands hommes qui s’illustrent sur le plan politique et sur le plan des idées.
Sur la question des civilisations, je ne partage pas votre point de vue car je pense qu’une civilisation n’est jamais que la cristallisation d’une spiritualité. Il n’y a pas de civilisation qui ne soit adossée à une spiritualité, à une religion même, forme historique prise par une spiritualité.
Régis Debray a parlé de questions essentielles et fondamentales. La question qui les résume toutes (la question du signe, la question de l’amour, la question du sexe…) est celle de la mort : Un jour, des hommes qui ont regardé le ciel ont constaté l’alternance du jour et de la nuit, puis l’alternance des saisons. Ils ont commencé à graver des calendriers lunaires qui ont permis à qui savait lire le ciel de prévoir le moment propice pour semer, récolter. L’agriculture est à l’origine de la culture. L’une et l’autre, pendant des siècles, étaient confondues. La culture est le savoir agricole, le savoir qui rend la vie possible, qui conjure la mort : La récolte permet de faire la farine, donc le pain qui assure la survie de la tribu. Dès lors qu’on connaît la marche du soleil et de la lune, la succession les saisons, on est le maître du temps, le maître de la nourriture, donc le maître de la vie et de la mort. On a la possibilité de prévoir, pour sa tribu, pour sa famille. On sollicite des dieux divers et multiples.
On a trop tendance à penser à partir du monothéisme, dont on fait l’alpha de notre aventure, comme si rien, ou pratiquement rien, ne l’avait précédé. Il faut faire une « histoire historique » de la religion et de la spiritualité qui, assez probablement, commence par quelque chose qui relève de ce qu’on appelle aujourd’hui l’animisme.
Bien avant Descartes, on n’est pas capable de penser un « je » qui s’opposerait au monde (le monde serait d’une certaine manière ma créature parce que je le penserais). Il y a la nature, je suis un élément de la nature…, doit penser le premier des hommes, parce qu’il n’y a pas de scission entre le « moi », le « je », le sujet, le réel, le monde. C’est une seule et même aventure.
Un véritable sentiment cosmique imprégnait sans doute cette époque et ce sentiment cosmique appelait une réponse à la question de la mort. Quand on a découvert les lois de la nature, ce que nous appellerons plus tard les solstices, les équinoxes…, quand on a été capable de faire une carte du ciel – les calendriers lunaires en témoignent –, on s’est posé la question de la mort : Que devient celui qui était chaud, que je pouvais toucher, qui me parlait, qui me répondait, qui me regardait, qui souriait, et qui est là, raide mort, qui ne me parle plus, qui est froid comme les pierres ? La réponse à cette question est la généalogie de la religion, de la spiritualité.
À des vérités qui les inquiètent (le néant après la mort), les gens préfèrent toujours des illusions qui les sécurisent (la vie qui continue après la mort). C’est pourquoi on crée du religieux, on crée de la transcendance. Au-delà du monde il y a un arrière-monde qui donne son sens à ce monde-ci. C’est pour moi la définition de la religion : une vision selon laquelle le sens de ce monde-ci n’est explicable que par un au-delà qui suppose une transcendance (au-delà du monde un monde donne son sens à notre monde). Il y a des dieux, des esprits, des divinités… Quand on est mort on n’est pas mort, l’esprit, notre part immatérielle, continue, ailleurs… Il y a le sublunaire… Et cela dure pendant des siècles.
On peut donc, dès cette époque, parler de civilisation. En effet, une civilisation est une vision du monde adossée sur une spiritualité. Simplement, on ne connaît la nature de la spiritualité que quand elle est écrite. Hegel dit une bêtise en imaginant que les peuples sans écriture n’ont pas d’histoire [1]. Ils ont évidemment une histoire, ne serait-ce que parce que l’archéologie nous renseigne et qu’on n’a pas besoin de retrouver des traces écrites de la civilisation gauloise pour savoir qu’il y a eu une civilisation gauloise. L’archéologie fait la démonstration qu’un amphithéâtre ou des égouts peuvent nous en apprendre beaucoup plus que d’obscures écritures.
Il y a donc autant de civilisations qu’il y a de spiritualités. Les spiritualités prennent des formes particulières et elles évoluent.
La culture est, selon moi, l’instrument de la civilisation. La civilisation est la proposition faite à partir d’un corpus spirituel, religieux, et la culture est ce qui la rend possible. Il y a des dieux. Pour s’adresser aux dieux et obtenir d’eux un certain nombre de bénéfices, on use d’invocations, de prières. Le prêtre transmet ces savoirs religieux. La culture est donc à la fois sacrée et agricole parce qu’il s’agit de savoir parler à ce qui fait la fécondité du monde : la déesse de la fécondité et, plus tard, dans le polythéisme, des déesses de la force, de l’orage, de la pluie… On sollicite la déesse de la pluie parce qu’on a besoin que les terres soient arrosées. L’agriculture et la culture sont intimement liées pendant des siècles jusqu’à l’invention de l’écriture, jusqu’aux textes du monothéisme.
Selon les trois textes du monothéisme la vérité du monde n’est pas dans le monde mais dans les livres qui disent le monde. Il n’est plus nécessaire de regarder le ciel, la terre, les animaux, de prendre des leçons du monde, la vérité du monde est à chercher dans le Pentateuque, dans les Evangiles, dans le Coran. Dès lors, l’agriculture qui rendait possible la culture disparaît comme généalogie et la culture cesse d’être rurale et devient urbaine. Elle n’est plus une affaire de paysans dont l’étymologie (paganus) dit qu’ils étaient des païens, des gens qui croyaient dans des divinités de la nature. L’interprétation des textes religieux, des textes sacrés, exige des gens qui sachent lire, écrire. D’où le pouvoir des prêtres, le pouvoir du livre, de l’herméneutique. C’est alors que se constituent des civilisations particulières : civilisation juive, civilisation judéo-chrétienne puis civilisation musulmane s’agissant des trois monothéismes.
Pourquoi parler de civilisation judéo-chrétienne et non d’une civilisation chrétienne ?
Le judaïsme annonce la venue d’un messie. Pour certains juifs, ce messie est déjà venu, c’est Jésus. C’est pourquoi je dis que Jésus n’a pas historiquement existé. Conceptuellement annoncé dans les textes juifs, ce messie serait déjà venu pour certains juifs qui attestent son existence. Or aucun témoignage historique ne prouve l’existence de Jésus. Les témoignages de Tacite, Suétone, Tite-Live ou Flavius Josèphe sont tardifs. On ne dispose pas de textes contemporains du Christ. Les plus anciens, qui datent du VIIIème ou IXème siècle, ont été plusieurs fois réécrits par des moines et peuvent avoir fait l’objet d’ajouts. Ils ne constituent donc pas des preuves historiques. Nous ne travaillons pas sur des textes originaux mais sur des manuscrits tardifs venus corriger les versions précédentes qui omettaient le fait majeur que constituait la présence du Christ. C’est ainsi que ce personnage conceptuel devient un personnage réel. Au départ, les judéo-chrétiens se contentent d’affirmer : Il est venu, Il existe. C’est au fil du temps que ce personnage conceptuel va prendre une consistance historique. Où l’on voit que la culture est l’instrument dont use la civilisation pour donner force et puissance à sa spiritualité. Régis Debray a parlé d’Élie Faure. Il faut effectivement parler de ce formidable historien d’art [2] : Ce Jésus, qui n’a pas d’existence historique, va acquérir une existence historique au travers des œuvres d’art sacré. Un peu comme aujourd’hui existe celui qui est « vu à la télé », il sera « vu à l’église », vu sur un vitrail, représenté par une sculpture, une peinture. Qui pourrait douter de l’existence de Jésus quand on a vu tant de crucifixions, tant de nativités, tant de descentes de croix ! Il y a donc au départ un texte sacré auquel croient un certain nombre de gens. « Toute religion est une secte qui a réussi » : Il a suffi d’un personnage conceptuel, d’une bande de douze copains, puis, plus tard, de la conversion d’un empereur (Constantin [3]) pour que cette religion devienne la Vérité. Constantin envoie sa mère, Hélène, du côté de la Palestine où, heureux hasard, elle retrouve des traces historiques de Jésus : d’importants morceaux d’une croix, des clous, la couronne d’épines, le manteau, le prépuce et le nombril de Jésus… toutes preuves que Jésus a bien existé. On a même retrouvé l’endroit où il a été crucifié, on a vu le trou dans lequel on avait fiché cette croix et tout le monde finit par le croire. Si Jésus avait existé historiquement il aurait eu la tête d’un Palestinien d’aujourd’hui. Or, il est souvent représenté comme un aryen blond aux yeux bleus : les Européens ont fait Dieu à leur image avec cette figure de Jésus, créature conceptuelle rendue possible par les œuvres d’art. Où l’on voit que la culture est l’instrument d’une civilisation qui se structure et se constitue autour d’un texte sacré qui nous dit : « Vous allez mourir mais, n’ayez crainte, vous ne mourrez pas ». Et on invente par la suite les enfers, le paradis, le purgatoire (Le Goff a montré comment s’est créé le purgatoire [4]). L’art y a contribué. On lit aujourd’hui « La Divine comédie » (L’enfer, le Purgatoire, le Paradis) de Dante comme un chef d’œuvre de l’Occident mais c’est un ouvrage d’édification religieuse. La Chapelle Sixtine est une autre illustration d’une fiction matérialisée, présentisée, réalisée par des œuvres d’art.
Je pense, en bergsonien, qu’il y a là une sorte d’« élan vital ». J’ai dit que je réhabilitais les longues durées et je démarre avec le Big Bang. Toute philosophie de l’histoire se constitue à partir de la présence de l’homme, je prétends quant à moi que c’est à partir de la présence de ce qui est qu’on doit démarrer une philosophie de l’histoire. Au moment où une étoile s’effondre sur elle-même pour produire notre univers, se produit une espèce d’« élan vital ». Bergson en a parlé, pas autant qu’on veut bien le dire (quand on cherche les occurrences de l’ « élan vital » chez Bergson, on voit que ce n’est ni très détaillé ni très précis). Mais on voit bien qu’il y a une force à l’œuvre dans l’histoire et que cette force suppose des individus qui en soient les instruments.
C’est, pour le coup, en hégélien que je placerai cette lecture de la civilisation dans un schéma qui me paraît être un schéma chrétien. Si nous parlons de « Civilisation » et si nous pouvons parler de « Décadence », c’est parce qu’il y a deux schémas possibles à opposer :
Le premier, le schéma chrétien, a une abscisse (une durée) et une ordonnée (une intensité dans la durée) : le prophète, le millénarisme, la parousie… Nous allons vers la parousie. Nous verrons un jour le règne millénariste du retour de Dieu sur terre. C’est un schéma judéo-chrétien, ce n’est pas un schéma oriental, ce n’est pas un schéma hindouiste ou bouddhiste où la lecture du temps est complètement cyclique. C’est le schéma progressiste dans lequel nous sommes encore englués. Le lieu intellectuel dont nous parlons tous les trois, d’un point de vue épistémologique, est un lieu chrétien. Nous sommes chrétiens en tant que nous pensons la question de la civilisation à partir de ce schéma abscisse-ordonnée, avec une courbe qui grimpe. Ce schéma a son théoricien, héros de la Révolution française, c’est Condorcet qui, dans sa fameuse « Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain » (1795), énonce le catéchisme des progressistes : Demain sera toujours mieux qu’hier. Parce que nous allons vers la parousie, immanquablement, tout ce qui advient ne peut qu’aller vers le meilleur. Hegel souscrit à ce schéma en montrant que la négativité elle-même s’inscrit dans la dialectique qui rend possible la positivité. Si l’on suit son analyse de la négativité dans l’histoire, Le camp de concentration soviétique n’invalide pas le schéma de parousie marxiste-léniniste puisque justement c’est une négativité qui va rendre possible la positivité. Et le goulag est là pour le triomphe de l’homme nouveau que se proposait le marxisme-léninisme. Il s’agit de fabriquer un homme nouveau et l’homme nouveau du fascisme, l’homme nouveau du marxisme-léninisme, l’homme nouveau de Robespierre, c’est l’homme nouveau de Saint Paul !
Nous restons prisonniers de ce schéma. Le libéralisme rentre tout à fait dans cette logique : Une main invisible rend possible cette espèce d’homéostasie de la société et si les riches sont de plus en plus riches et de moins en moins nombreux, si les pauvres sont de plus en plus pauvres et de plus en plus nombreux, c’est parce qu’il n’y a pas assez de libéralisme ! Même raisonnement pour le goulag : Plus de marxisme aurait permis l’avènement encore plus rapide de l’homme nouveau.
Le deuxième schéma n’est pas linéaire. On a parlé de Spengler, de Toynbee… je suis d’une certaine manière hégélien et spenglerien (j’ai fait une partie de ma thèse sur Spengler). Beaucoup de gens sont opposés à Spengler sans l’avoir lu. Du seul titre de son ouvrage, « Le déclin de l’Occident » [5], ils déduisent que Spengler a été partisan du national-socialisme, dont il était contemporain. En réalité, Spengler propose ce qu’il appelle une « morphologie » inspirée de Hegel.
Hegel reste chrétien. Quand on a enlevé les fioritures, l’Idée, le Concept, la Raison, l’Esprit, c’est Dieu. Hegel, c’est Bossuet dans le langage de l’idéalisme allemand. La réalisation de l’Idée dans l’Histoire, c’est, en gros, la réalisation de la Providence chez les catholiques. Luthérien, il reste chrétien dans son schéma. Dans « La Raison dans l’histoire » [6], il va même au-delà du schéma progressiste selon lequel, quoi que nous fassions, hier était moins bien que demain et le progrès nous mène vers un avenir radieux. Une culture de carte postale suffit pour savoir que les civilisations sont diverses et multiples : Assur, Sumer, Babylone, les Égyptiens, Rome, Athènes, les cathédrales… les Stonehenge, les tipis polynésiens, l’île de Pâques, les alignements de Carnac…, tous ces lieux témoignent de civilisations perdues, de spiritualités perdues. Selon Hegel, les civilisations naissent, croissent, connaissent un moment d’acmé avant la descente, la chute, la décadence et la disparition. Et une autre civilisation prend la place de celle qui s’efface. Quand une civilisation a donné ce qu’elle avait à donner elle ne donnera plus rien [7]. L’Égypte, la Grèce, Rome ont, tout à tour, donné ce qu’elles avaient à donner et ne donneront plus rien.
Spengler conçoit une « morphologie », sorte de grille de d’analyse qui doit pouvoir s’appliquer à n’importe quelle civilisation. Par exemple, les mathématiques, selon lui, sont associées à la phase ascendante d’une civilisation… et il le montre pour Sumer et Babylone. Ses connaissances encyclopédiques et l’habileté avec laquelle il « jongle » avec elles sont assez impressionnantes, au point qu’on en sort un peu « bluffé ».
On peut ne pas rester prisonnier de ce schéma et se contenter de ce que l’histoire et l’archéologie nous enseignent : il y a eu des civilisations. Jean-Pierre Chevènement a dit fort justement que très peu de religions avaient prétention à l’universel. Selon Régis Debray toutes les religions ont prétention à la « mondialité ». Certains individus meurent dès l’enfance tandis que d’autres deviennent des vieillards, connaissent de longues agonies, il en est de même pour les civilisations qui sont soumises à de multiples aléas et « accidents ». On peut imaginer que les civilisations précolombiennes s’effondrent non pas parce qu’elles obéiraient à une espèce d’horloge interne mais parce que font irruption de l’extérieur des gens décidés à tout massacrer, tout détruire, qui disposent de la puissance d’armes à feu, face à des civilisations qui ignorent même le métal. Il faut faire des histoires singulières de chacune des civilisations tout en faisant l’hypothèse que des lois particulières peuvent permettre de penser des civilisations.
Je crois que les civilisations sont soutenues par des spiritualités. Je les crois dans une puissance que leur permet cette spiritualité, une espèce de force et de vitalité qui fait que, tant que la civilisation est suffisamment forte pour répondre à ce qui s’oppose à elle (les attaques diverses et multiples), elle dure, elle continue. Quand arrive le moment où cette puissance s’épuise, la moindre agression venant de l’extérieur suffit pour faire tomber un édifice déjà ébranlé.
« Décadentiste » comme on le dit aujourd’hui, je fais démarrer la décadence, non à mai 68 mais à 1417 [8], date de la découverte de De rerum natura (De la nature des choses), grand poème de Lucrèce (qui vécut au premier siècle avant notre ère). En effet, on découvre soudain qu’il y a un autre monde possible, qu’avant notre civilisation il y en a eu d’autres : les Grecs, les Romains…
Peu après on découvre le Nouveau monde et les fameux « Brésiliens » de Montaigne [9] et on s’aperçoit qu’il y a aussi une civilisation ailleurs, une civilisation radicalement différente, contemporaine de la nôtre. Avec Montaigne naît l’idée du « sauvage » qui nous permet de savoir ce qu’est notre propre civilisation. Montaigne dit avoir rencontré à Rouen trois Brésiliens, trois indigènes, trois barbares, trois chefs Tupinamba avec lesquels il s’entretient par l’entremise d’un interprète. Interrogés sur ce qui les a le plus étonnés, ils vont lui répondre trouver fort étrange « que tant de grands hommes portant barbe, forts et armés, … se soubmissent à obéir à un enfant… [le Dauphin, futur Charles IX (1550-1574), venait de fêter ses 12 ans] … secondement qu’ils avaient aperçu qu’il y avait parmi nous des hommes pleins et gorgés de toutes sortes de commodités, et que leurs moitiés étaient mendiants à leurs portes, décharnés de faim et de pauvreté ». Le sauvage n’était pas qui l’on croyait !
C’est à partir de ce moment-là que le mot « civilisation » peut s’écrire au pluriel et qu’on peut concevoir que notre civilisation ne peut prétendre à être la seule, l’ultime civilisation. C’est ‘une’ civilisation, elle est mortelle et viendra le moment où on pourra constater qu’elle est peut être mourante.
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[1] « La véritable histoire objective d’un peuple commence lorsqu’elle devient aussi une histoire écrite » (« La Raison dans l’histoire », Hegel, 1830).
[2] « Histoire de l’art », Élie Faure, 5 volumes illustrés (1919-1921) retraçant l’évolution de l’architecture, de la sculpture, de la peinture et des arts domestiques de la préhistoire au début du XXème siècle.
[3] L’Édit de Milan (313), lié à la conversion de l’empereur Constantin (337 ?), mit fin aux persécutions des chrétiens sous l’Empire Romain.
[4] Jacques Le Goff a étudié la naissance du concept de purgatoire en tant que lieu au Moyen Âge, à travers l’évolution du mot purgatoire : l’épithète purgatorius puis le nom neutre purgatorium
[5] « Le déclin de l’Occident » (Der Untergang des Abendlandes – Umrisse einer Morphologie der Weltgeschichte), Oswald Spengler (éd. Verlag C. H. Beck, 1918-1923). En français (trad. Mohand Tazerout), 2 vol. : 1. Forme et vérité / 2. Perspectives de l’histoire mondiale (éd. Gallimard 1948).
[6] « La Raison dans l’histoire. Introduction à la philosophie de l’histoire » (Die Vernunft in der Geschichte, 1822-1830), Hegel.
[7] Extrait de « Déclin de l’Occident » : « Une culture naît au moment où une grande âme se réveille, se détache de l’état psychique primaire d’éternelle enfance humaine, forme issue de l’informe, limite et caducité sorties de l’infini et de la durée. Elle croît sur le sol d’un paysage exactement délimitable, auquel elle reste liée comme la plante. Une culture meurt quand l’âme a réalisé la somme entière de ses possibilités, sous la forme de peuples, de langues, de doctrines religieuses, d’arts, d’États, de sciences, et qu’elle retourne ainsi à l’état psychique primaire ».
[8] Date à laquelle De rerum natura, le grand poème de Lucrèce, complètement tombé dans l’oubli au cours du Moyen Âge, fut découvert par l’humaniste italien Le Pogge, sous la forme d’un manuscrit du IXe siècle, lors de fouilles dans la bibliothèque d’un monastère.
[9] Dans Les cannibales, chapitre des « Essais » réservé à cette question Montaigne rompt avec une conception théologique de l’histoire pour placer l’Europe de l’âge moderne devant ses responsabilités et ses crimes.
Le cahier imprimé du colloque « Civilisation, avec ou sans ‘s’? » est disponible à la vente dans la boutique en ligne de la Fondation.
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