Remarques générales en forme de conclusion

Intervention de François Alabrune, Directeur des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères, au colloque « Les enjeux maritimes du monde et de la France » du 20 mars 2017.

Je voudrais vous remercier, Monsieur le ministre ainsi que l’ambassadeur Alain Dejammet pour l’honneur qui m’est fait d’intervenir ce soir.

Je souhaiterais revenir sur un certain nombre des points évoqués lors de ce colloque, touchant aux enjeux maritimes, au cadre juridique applicable à ce domaine et enfin à la position de la France.

1. Les interventions précédentes ont montré la grande diversité des enjeux maritimes.
Monsieur le ministre vient d’évoquer les enjeux économiques. Les enjeux environnementaux ont été abordés par plusieurs intervenants.

Il faut y ajouter les enjeux de sécurité : dans le domaine militaire, la lutte contre le terrorisme, les enjeux liés aux flux migratoires… Ces enjeux concernent des espaces sous juridiction française mais aussi des espaces internationaux ou des espaces sous juridiction d’États étrangers. Nos intérêts sont liés à ce qui se passe dans ces divers espaces. Pour ne prendre qu’un exemple, la mer territoriale libyenne est aujourd’hui un espace sur lequel nous avons, avec nos partenaires de l’Union européenne, un certain nombre de préoccupations liées au départ de migrants et de flux clandestins de migrants.

Les enjeux sont ainsi à la fois des opportunités, des avantages, qu’il faut saisir par une politique adaptée, et des risques, des menaces, auxquels il faut faire face dans un espace maritime où les activités humaines se développent, où un certain nombre de ressources – notamment les ressources halieutiques – se raréfient et où des tensions de plus en plus fortes apparaissent. Le cas de la mer de Chine du sud illustre cette réalité.

2. Le cadre juridique, qui a été présenté par le professeur Pancracio, est lui-même développé, avec une forme de « constitution », qui serait la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (CNUDM), complétée par un certain nombre d’instruments plus sectoriels.

La presque totalité des États sont partie à la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer. Seuls quelques États n’y sont pas partie :
Certains sont des États enclavés qui n’ont pas de façade maritime. Certains n’y sont pas partie pour d’autres raisons. C’est le cas de la Turquie, compte tenu notamment de la situation en mer Égée. Les États-Unis ne sont pas partie à la CNUDM, mais ils se présentent eux-mêmes comme les gardiens très attentifs du droit de la mer !

Ce cadre juridique repose sur un équilibre entre des logiques différentes :
– logique de souveraineté nationale, qui a conduit à l’attribution aux États côtiers d’espaces sous leur juridiction, avec des degrés divers selon le type d’espace concerné,
– logique de liberté dans la haute mer, liberté de navigation en particulier, laquelle peut aussi s’exercer dans la zone économique et même dans la mer territoriale, à travers le droit de passage inoffensif,
– logique d’appropriation internationale et de gestion commune internationale qui recouvre les ressources minérales du fond de la haute mer (la Zone), et la notion de patrimoine commun de l’humanité,
– logique de coopération internationale, y compris dans des zones de liberté, comme la haute mer, et parfois même dans des zones sous juridiction des États côtiers.
Ce cadre juridique fait face aujourd’hui face à des difficultés pour diverses raisons :
– le fait de la poursuite active par des certains États ou certaines entreprises de leurs intérêts, qui se traduisent par des conflits et qui conduisent certains États à faire du cadre juridique une interprétation parfois contestable et à s’écarter du cadre de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer.
– la manière dont certaines juridictions internationales interprètent le droit de la mer peut susciter des interrogations. Il n’y a pas en effet une unité absolue de contrôle juridictionnel sur ce sujet puisque plusieurs juridictions internationales peuvent être saisies. La CNUDM accorde une certaine liberté de choix aux États parties pour régler leurs différends sur son application. Outre la Cour internationale de justice et le Tribunal international du droit de la mer, des tribunaux d’arbitrage peuvent être saisis. La jurisprudence de ces derniers peut parfois surprendre, comme ce fut le cas pour la sentence arbitrale sur la situation en mer de Chine du sud et le statut des îles.
– l’articulation entre le droit de la mer et d’autres branches du droit peut également soulever des questions. En réalité, bien des questions qui se posent dans l’espace maritime ne sont pas résolues uniquement par le droit de la mer. Il peut y avoir par exemple des questions d’articulation entre le droit de la mer et le droit international des droits de l’homme. La Cour européenne des droits de l’homme a pu ainsi se prononcer sur la manière dont des personnes accusées de piraterie avaient été appréhendées et jugées.
– Enfin, il peut y avoir un défi touchant à la gouvernance de cet espace du fait de la variété et la multiplicité des commissions et institutions compétentes.

3. Que peut-on dire sur la manière dont ces enjeux se présentent pour la France ?
La présence de la France dans un nombre de régions du monde aussi varié, les espaces maritimes qu’elle contrôle, confortent la dimension mondiale de la puissance de notre pays et représentent certainement de ce point de vue un atout politique réel, et un atout économique au moins potentiel.

Ces espaces, ces enjeux, représentent aussi des contraintes et des défis. D’abord parce qu’il faut exercer nos droits, assurer notre présence par des moyens humains, militaires, techniques, scientifiques, financiers, juridiques. Cela demande aussi une négociation permanente, notamment avec les nombreux des États voisins de la France dans le monde. C’est d’ailleurs une des tâches de la Direction des Affaires juridiques que de mener ces négociations de délimitation. Elles se déroulent parfois de façon aisée et rapide. D’autres sont plus complexes, plus conflictuelles. Cela a expliqué, dans le passé, le recours à des tribunaux internationaux. Ce fut le cas, avec le Royaume-Uni ou avec le Canada. Aujourd’hui, la négociation avec l’Espagne, en Méditerranée, avance lentement, la configuration des côtes françaises et espagnoles rendant complexe la négociation et difficile son aboutissement. La souveraineté française est parfois contestée. C’est le cas dans l’océan Indien pour les îles Éparses [1], pour Tromelin, c’est le cas de Mayotte, c’est le cas de Matthew Hunter dans le Pacifique.

Face à ces défis, nous menons une politique volontariste dont l’objectif est bien sûr de défendre nos intérêts nationaux, de valoriser nos savoir-faire, de valoriser nos entreprises, nos territoires, en particulier nos territoires d’Outre-mer, de valoriser nos intérêts de pêche, notre recherche, en ayant bien sûr le souci de préserver l’environnement. Nous devons par ailleurs être très présents dans les négociations internationales. Du fait de notre appartenance à l’Union Européenne nous ne sommes pas dans la situation où nous étions lors de la négociation de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer. Nous devons aujourd’hui davantage participer à l’élaboration de positions européennes dans les enceintes internationales. C’est le cas notamment dans la négociation d’un accord sur la préservation de la diversité biologique en haute mer. Ce grand chantier qui s’ouvre et fait renaître un certain nombre de thématiques de la négociation sur la Convention du droit de la mer avec, par exemple, la revendication de certains États en développement du statut de patrimoine commun de l’humanité pour les ressources génétiques de la haute mer.

Jean-Pierre Chevènement
Merci, Monsieur le directeur.

Un sujet n’a pas été traité, c’est la mer comme espace géostratégique : les fonds marins pour nos sous-marins nucléaires lanceurs d’engins et, d’une manière générale, les flux de trafic maritime pour nous prioritaires, vers le Golfe, à travers la Méditerranée et Suez, ou bien le golfe de Guinée. On pourrait en citer d’autres mais ils me paraissent être les plus vulnérables, par exemple à la piraterie.

—–
[1] Les îles Éparses, cinq petites îles et atolls de l’océan Indien (Bassas da India, Europa, Glorieuses, Juan de Nova et Tromelin), constituent depuis la loi du 21 février 2007 le cinquième district des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF).

Le cahier imprimé du colloque « Les enjeux maritimes du monde et de la France » est disponible à la vente dans la boutique en ligne de la Fondation.

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