Accueil d’Alain Dejammet, président du conseil scientifique de la Fondation Res Publica, au colloque « Les enjeux maritimes du monde et de la France » du 20 mars 2017.
Pourtant, ces questions ont suscité un extraordinaire engouement il y a cinquante ans. En novembre 1967, aux Nations Unies, le Conseil de sécurité s’occupe du règlement de paix au Proche-Orient. Les autres pays qui composent l’Assemblée générale des Nations Unies s’intéressent davantage aux questions économiques. Ils vont se passionner pour un événement insolite aux Nations Unies.
Un jour, devant la Première Commission, qui traite en général du désarmement et de questions politiques et rassemble à l’époque, comme l’Assemblée générale des Nations Unies, les délégations de plus de 130 pays, un diplomate, Arvid Pardo, premier Représentant permanent de Malte auprès des Nations Unies mais d’origine suédoise, a traité d’un sujet original, l’affectation d’un régime faisant des fonds marins le « patrimoine commun » de l’humanité. Il va parler pendant trois heures [1], développant une vue singulière. En effet, le droit de la mer, à cette époque, ne connaissait que la souveraineté sur les eaux territoriales ou la liberté de la haute mer. Et voilà quelqu’un qui arrive en disant qu’au-delà de la mer territoriale – et de ce qui pourrait être une zone économique, lorsque le projet va exister – il va falloir établir un régime qui ne sera ni celui de la liberté totale de la haute mer ni celui d’un partage de souveraineté entre pays mais quelque chose d’original qui fera des fonds marins le patrimoine commun de l’humanité. Une nouvelle institution devra être créée qui règlera l’exploitation, pour l’ensemble de l’humanité, de ces ressources considérables du fond des mers et des océans.
L’idée a pris. Un comité ad hoc a été créé. Je voudrais souligner l’étonnant intérêt qu’a suscité, à l’époque, cette proposition. D’abord c’est le signe qu’un diplomate seul peut révolutionner le droit, peut avoir un poids considérable sur le cours des choses. Prodigieusement intéressés, tous ces délégués, qui étaient tenus un peu à l’écart des débats du Conseil de sécurité, se sont passionnés pour le droit de la mer.
Les Latino-américains notamment, qui avaient des convictions très arrêtées sur le souverainisme, l’extension de la mer territoriale, la revendication du plateau continental. Des diplomates de talent, dont beaucoup, francophones, étaient de formation juridique française (tels les remarquables Evaldo Cabral de Mello et Alvaro de Soto, actuellement ambassadeur du Pérou à Paris), se sont passionnés pour ce sujet.
Puis des Européens, et la France y a cru à ce moment-là. Nous avions le sentiment qu’outre notre expertise dans le domaine de l’aviation nous avions des compétences sur les questions maritimes : C’étaient Cousteau, la Comex (Compagnie maritime d’expertise), le Cnexo et bientôt l’Ifremer [2], dont Pierre Papon a été le président.
Tous ces gens pensaient véritablement qu’une nouvelle frontière s’ouvrait (c’était aussi un peu l’héritage de Kennedy). Enfin on allait s’occuper du droit de la mer.
On s’en est occupé beaucoup. Le Comité des fonds marins a été créé. Composé d’abord de diplomates, il s’est heureusement étoffé de juristes et a élargi son champ d’action. Il a voulu réformer les conventions de Genève sur le droit de la mer [3] et cela a abouti, après des années de travail, à un nouveau traité du droit de la mer, signé à Montego Bay en Jamaïque, le 10 décembre 1982. Cette Convention sur le droit de la mer (comprenant 320 articles et 7 annexes), qui n’est pas signée par les États-Unis, n’entre en application qu’en novembre 1994.
Ces dernières années, on avait l’impression que tout ceci était oublié. Qui pouvait dire ce qu’avaient été la Comex, Le Cnexo et même l’Ifremer ? Je crois qu’aujourd’hui encore, si, dans la rue, vous interrogez un passant sur l’Autorité internationale des fonds marins, fondée en 1994 à Kingston en Jamaïque sous l’égide des Nations unies, vous serez surpris de voir l’absence de réaction. Quid du Tribunal international du droit de la mer [4] dont le siège est à Hambourg, auquel nous représente un ancien ministre français, Jean-Pierre Cot ? Cette question vous vaudra aussi des regards ou des jugements assez désabusés.
Mais les choses peuvent changer. Vous avez pu lire depuis quelques mois, dans les journaux, dans les magazines (Le Point, Le Monde, Le Figaro…), une succession d’articles sur le droit de la mer, l’exploitation des fonds marins, rappelant des chiffres qui vous seront très certainement donnés par les orateurs ici présents. L’un des candidats à l’élection présidentielle est d’ailleurs très ardent sur ce sujet.
La mer, ça compte, ça peut compter pour la France, une nation de terriens qui peuvent quand même de nouveau s’intéresser à leur domaine maritime, à l’enjeu maritime.
Pour faire le point sur ce sujet, nous avons réuni des personnalités tout à fait compétentes :
M. Jean-Paul Pancracio, professeur de droit public, est membre de l’Association française du droit maritime et responsable de la rubrique « Questions maritimes et navales » de l’Annuaire Français de Relations Internationales dont le directeur, présent ce soir, est le professeur Serge Sur.
M. Elie Jarmache, chargé de mission au Secrétariat général de la mer, dirige la délégation française à la Commission des limites du plateau continental à New York. Il est membre de la commission juridique et technique de l’Autorité internationale des fonds marins, cette fameuse autorité chargée de réguler la gestion des fonds marins, à Kingston (Jamaïque).
M. Antoine Frémont, géographe, est directeur de recherches à l’Institut français des sciences et technologies des transports, de l’aménagement et des réseaux, auteur de « Géographie des espaces maritimes » (La documentation française, mars-avril 2015).
Nous avons le bonheur d’accueillir parmi nous rien moins que le Directeur des Affaires juridiques du Quai d’Orsay, successeur de Guy Ladreit de Lacharrière et de Gilbert Guillaume. Il commentera ce qui aura été dit par les différents orateurs et pourra porter le jugement non seulement d’un théoricien mais d’un praticien du droit.
Le capitaine de vaisseau Hervé Hamelin, responsable du bureau Stratégie et politique auprès du Chef d’état-major de la Marine nous fera part de ses observations sur les aspects stratégiques du sujet.
Ensuite, Jean-Pierre Chevènement essaiera de tirer une conclusion qu’on espère positive car on aimerait beaucoup que de ce débat sorte un intérêt ranimé pour ces questions du droit de la mer, un réveil, chez nous, de la fibre maritime et une meilleure connaissance de ce qui se passe, et la découverte, pour certains d’entre vous, de l’existence de cette Autorité internationale des fonds marins.
Je donne la parole à M. le professeur Pancracio qui va nous parler de l’évolution du droit de la mer.
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[1] Le texte peut être consulté ici : http://www.un.org/depts/los/convention_agreements/texts/pardo_ga1967.pdf
[2] Né après la Seconde Guerre Mondiale, le Comité d’exploitation des océans (Comexo) est remplacé par le Centre national pour l’exploitation des océans (Cnexo), créé par la loi 67-7 du 3 janvier 1967 et devient l’organisme spécialisé en charge de l’exploration des océans, incluant une forte composante technologique.
L’Ifremer nait le 5 juin 1984 de la fusion du Cnexo et de l’ISTPM (d’Institut scientifique et technique des pêches maritimes).
[3] En 1958, la conférence des Nations Unies sur les droits de la mer adopte 4 conventions: sur la mer territoriale, sur la haute mer, sur la pêche et ressources de la haute mer et sur le plateau continental. Il n’y a pas accord sur la largeur de la mer territoriale ni sur l’idée de zone de pêche.
[4] Le Tribunal international du droit de la mer (TIDM) est un organe juridictionnel indépendant créé par la Convention des Nations unies sur le Droit de la Mer en 1982, officiellement entré en fonction en octobre 1996. Il siège à Hambourg et comprend 21 juges, élus au scrutin secret par les États parties à la Convention.
Le cahier imprimé du colloque « Les enjeux maritimes du monde et de la France » est disponible à la vente dans la boutique en ligne de la Fondation.
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