La mondialisation. S’y adapter? S’en protéger? La corriger? La question des leviers

Accueil de Hubert Védrine, Ancien secrétaire général de l’Élysée, ancien ministre des Affaires étrangères, au colloque « Vers la fin de la globalisation, mythe ou réalité? quelle stratégie pour la France? » du 6 mars 2017.

Chers amis bonsoir. Je voudrais remercier Jean-Pierre de m’avoir invité.

J’ai coutume de m’exprimer sur la géopolitique mais je me concentrerai ce soir sur le sujet de la « déglobalisation ».

Tout ce que nous vivons depuis vingt ou trente ans est l’histoire de l’adaptation douloureuse des Occidentaux à la perte de leur monopole historique. Pendant trois ou quatre siècles, les Occidentaux ont eu le monopole de la conduite de l’Histoire (supériorité militaire et économique, normes, hiérarchie des valeurs, langues etc.) dont ils ont fait bon ou mauvais usage. Nous vivons la remise en cause de tout cela et la perte, non pas de la puissance mais de ce monopole.

C’est vécu de façon extrêmement douloureuse, comme on le voit aux États-Unis qui oscillent d’un extrême à l’autre : après Clinton ils ont élu George W. Bush ; après George W. Bush, ils ont choisi Obama… puis Trump ! C’est un bateau qui n’a plus de quille.

Quant aux Européens, ils vivent douloureusement l’effondrement de toutes les illusions, attentes et espérances qu’ils avaient projetées sur l’idée européenne.

Ce n’est pas tellement le monde qui est en train de changer pour la énième fois mais ce sont des illusions spécifiquement occidentales qui s’effondrent (on rêvait d’une « communauté internationale » et on se retrouve dans Jurassic Park). Mais si nous étions Chinois, nous ne réagirions pas de la même manière.

Sur la mondialisation, je risquerai deux ou trois remarques :

Jean-Pierre Chevènement est remonté à des mondialisations antérieures. On pourrait en citer d’autres (ibérique etc.). Mais on n’insiste pas assez dans la période récente sur la distinction très importante entre mondialisateurs et mondialisés.

La mondialisation systématique, sans limites et sans règles, est présentée par ses partisans comme une évidence incontestable, sauf par des esprits complètement abrutis. Mais le porte-conteneurs et le portable n’expliquent pas tout. Bien sûr, il y a eu des percées technologiques qui ont marqué l’histoire (le gouvernail d’Étambot, la boussole…), mais ce n’est pas suffisant.

Il y a eu des forces mondialisatrices, des pays, des entités économiques, des groupes politiques, des penseurs, des philosophies, des théoriciens qui ont contribué à discréditer et à ridiculiser tout ce qui s’opposait à ce mouvement. Tout ce qui constituait un ralentissement, un frein à la mondialisation, tout ce qui relevait de l’identité, de l’enracinement de la culture, devait être éradiqué.

Les mondialisés, ce sont tous les autres, qui n’avaient rien demandé et qui doivent s’adapter. Ils en tirent parfois des profits, surtout en tant que consommateurs mais avec des perturbations.

On ne peut pas dire qu’un pays soit globalement mondialisateur, même les États-Unis. C’est plus compliqué. En 2007, rédigeant à la demande du Président un rapport sur « la France et la mondialisation » [1], j’avais étudié l’état de l’opinion dans les autres pays occidentaux car à l’époque, l’ambiance était à décrire les Français comme des attardés (tout le monde était censé être pour la mondialisation sauf les Français qui sont indécrottables…). J’ai donc vérifié et constaté qu’en 2007 une légère majorité d’Américains et de Britanniques considéraient que la mondialisation était plus nuisible que bénéfique ! D’ailleurs, pendant que j’écrivais, cet été-là, les éditoriaux du Financial Times accusaient les Américains, les Britanniques d’être des nuls qui n’avaient rien compris ! Depuis, cela a changé plusieurs fois.

La distinction entre mondialisateurs et mondialisés est importante pour analyser cette longue période de vingt à trente ans et ses effets dans les opinions.

Quand on parle de mondialisation, au-delà de l’élargissement de l’économie de marché, entraîné par les choix faits par Deng Xiaoping en Chine et l’effondrement de l’URSS etc., on observe une période où l’économie n’a pas été simplement un peu déréglementée, comme c’était souhaitable au début, mais totalement dérégulée, puis financiarisée, jusqu’à l’« enfer de Macao » des trente dernières années.

Face à cette mondialisation telle qu’elle a évolué, plusieurs attitudes sont possibles :

La première consiste à dire : On n’y peut rien, il faut « s’adapter ». C’est le langage d’une partie des forces économiques, politiques, sociales et bien sûr des leaders d’opinions du monde financier.

D’autres réclament plus de protection. Mais il n’y a aucun cas où la mondialisation soit exclusivement négative. Ceux-là même qui la contestent, en occident, voudraient en garder certains éléments. Comment, à quel niveau, par quels moyens et jusqu’à quels points se protège-t-on ?

Les plus ambitieux prétendent la « corriger ». Une interrogation simple s’impose immédiatement : Quels moyens d’influence avons-nous sur le reste du monde ? Nous vivons dans un pays historiquement prétentieux, pénétré de l’idée qu’il a un rôle spécial, extraordinaire. C’est plus vrai sur le plan politique et culturel que sur le plan économique. Nous chérissons l’idée que nous avons les moyens de concevoir un monde meilleur, un nouvel ordre international, et, de fait, la France a toujours eu d’ingénieuses idées dans ces domaines. Je sais bien qu’il faut distinguer entre l’économie et la géopolitique mais c’est le même tropisme qui fait penser que nous avons des idées universelles (ce qui m’a toujours paru relativement risible parce que, si nos idées sont universelles, l’univers devrait s’en rendre compte et, si elles ne le sont pas, il est un peu enfantin de le proclamer). Cela évoque le débat sur « la France patrie des droits de l’homme ». « Non, ne manque pas de préciser malicieusement Badinter, la France est la patrie de la ‘déclaration’ des droits de l’homme ». Ce n’est pas exactement la même chose et, de facto, nous n’avons pas de baguette magique pour transformer le reste du monde en un énorme Danemark … à supposer que ce soit une bonne idée.

En matière économique, l’adaptation à la mondialisation ne peut pas aller jusqu’au bout parce que nous voulons rester un peu nous-mêmes. Mais personne, en sens inverse, ne songe à appliquer un protectionnisme systématique. Améliorer la mondialisation nous renvoie à la question des leviers dont nous disposons pour agir au-delà des formules, des slogans. Même moi j’ai dû avoir la faiblesse de dire quelques fois : Notre rôle est de « civiliser la mondialisation » (supposée « sauvage »). Très bien, mais en pratique, comment agir ? Quels leviers utiliser ?

La bonne idée, nous dit-on, serait une combinaison entre se protéger un peu plus intelligemment, par des « écluses » ou autre chose, et s’adapter jusqu’à un certain point en devenant performants et compétitifs dans ce nouveau contexte. Sauf que les classes moyennes en occident n’ont jamais demandé à être mises en compétition avec les paysans asiatiques pauvres ! L’obligation de compétitivité est perçue par beaucoup de gens comme une sorte d’atteinte à leur droit fondamental à ne pas être compétitifs ! On ne peut pas aller très loin, surtout dans des vieux pays extrêmement organisés, protégés, qui ont reconstitué les mêmes systèmes que les corporations de l’Ancien Régime. On voit les problèmes que suscite n’importe quelle micro-réforme dans nos pays.

Se protéger ne peut donc pas être systématique. S’adapter ne peut consister à nous transformer nous-mêmes jusqu’à ne plus nous reconnaître. Et corriger pose la question du levier.

Pendant très longtemps, l’Europe a été présentée comme la seule chance : « On ne peut agir qu’au niveau de l’Europe car nous sommes trop petits ! » (Ce qui est idiot : les trois quarts des pays des Nations Unies sont beaucoup plus petits que nous). Cette idée est très répandue. Mais il s’est trouvé que l’idéologie qui a dominé les institutions européennes, notamment la Commission, n’allait pas du tout dans le sens de ce concept de levier. C’était une période de dérégulation. Il suffit de voir l’idéologie de la concurrence de la Commission, de la Cour de justice. En France, beaucoup de « réalistes progressistes » qui, souhaitant conserver les aspects positifs de la mondialisation, voulaient se protéger et s’adapter intelligemment tout en corrigeant les aspects négatifs, ont été incroyablement frustrés par le fait que le levier européen, mû par une tout autre idéologie, n’ait pas été utilisable. Lors du fameux débat entre François Mitterrand et Philippe Seguin, au moment du référendum du 20 septembre 1992 sur le Traité de Maastricht, F. Mitterrand, s’étant avisé que tous les arguments « gnangnan » habituels sur l’Europe (l’Europe, c’est la paix, la jeunesse, l’avenir…) ne fonctionnaient plus, affirma, face à Seguin : « Une Europe forte vous protègera mieux ». Déjà, en 1992, c’était la demande de protection qui l’emportait ! Une partie de la gauche a cru qu’une Europe forte et devenue ‘sociale’ par miracle allait nous protéger. Mais, ou bien elle n’est pas devenue forte, ou bien, si elle est devenue forte, c’est plutôt pour détruire nos protections ! Une grande partie de la gauche, et, bien au-delà de la gauche, de la France, n’est pas sortie ces contradictions.

Pour que ce levier européen soit utilisable, il faudrait un changement profond de quelques grands pays qui reprendraient le contrôle de la machinerie (Commission, Cour de justice etc.) pour concevoir une politique industrielle, une nouvelle politique de la concurrence et une nouvelle méthode de négociation des accords commerciaux.

Pendant une longue période, les accords commerciaux, systématiques, étaient censés apporter la paix dans le monde, ‘le doux commerce’. Dans la période récente, aux États-Unis, Trump n’est pas le seul à avoir tiré au canon sur cette ‘pensée OMC’. Senders, avec des positions vraiment très à gauche – surtout pour les États-Unis – avait eu un succès énorme. Hillary Clinton elle-même, l’incarnation du système, a été obligée à la fin de la campagne de se différencier, de retirer son appui aux grands accords commerciaux, alors que le raisonnement d’origine d’Obama, en tout cas pour l’accord États-Unis-Europe, consistait à dire que si nous ne nous ne consentions pas à des compromis, de part et d’autre, entre nous, pour aboutir à un accord à terme, les normes chinoises s’imposeraient partout. Ce n’était pas absurde, stratégiquement. Mais il eût fallu que les États-Unis fussent capables de négocier normalement, honnêtement, d’accepter l’ouverture de leurs marchés publics, de consentir à des systèmes de règlement des différends acceptables par les Européens, et des compromis sur les normes sanitaires, environnementales etc. Mais Obama et les États-Unis, comme négociateurs, ont été incapables de faire le moindre geste et Obama n’avait aucune marge compte tenu de la composition du Congrès.

Où est le levier pour continuer une mondialisation qui ne va pas s’arrêter mais qu’il faudrait encadrer davantage ? Y a-t-il des alliances possibles ?

On voit le président chinois, Xi Jinping, profiter des annonces de Trump pour se présenter comme le héros du libre-échange ! Mais il ne s’agit pas dans son esprit du libre-échange beaucoup plus encadré que les Européens souhaiteraient. Cela ne va évidemment pas dans le sens du Parlement wallon qui voulait même bloquer l’accord avec le Canada. C’est autre chose. C’est une sorte d’hommage du vice à la vertu, une manière de ralliement à double sens, mais qui laisse entrapercevoir une nouvelle période de la commercialisation et de l’ouverture aux normes chinoises, dès maintenant.

Ce n’est pas fini. La question des leviers à trouver pour encadrer et corriger reste ouverte.
Changement du système européen ? Changement de l’Allemagne ? Il serait bon, sur ce sujet, que la France ait une pensée claire, organisée, offensive, ce dont elle est incapable en ce moment.

On ne peut pas non plus imaginer une alliance avec les émergents en général. Les émergents ne forment pas une entité géopolitique. Ils ne sont pas capables de se mettre d’accord avec nous – et pas même entre eux – sur ce sujet.

Peut-être sommes-nous à la veille d’une nouvelle phase de la mondialisation, moins rapide, moins intrusive, peut-être corrigée, avec des retours en arrière, qui ne s’arrête pas non plus complètement, mais qui est différente (nouvelle norme, coût écologique, etc…).

Je voudrais vous signaler la sortie récente d’un livre intéressant de Pascal Lamy et Nicole Gnesotto [2] (une européiste classique qui évolue vers une position euro-réaliste). Pascal Lamy reconnaît dans ce livre qu’à un moment donné il a vraiment cru que la géopolitique était dépassée, que la généralisation de l’économie globale de marché allait dépasser les problèmes. Selon cette pensée ‘économistique’ tout est lisse, tout est soluble dans l’économie : la croissance, l’identité, l’histoire, l’État-nation. « La Terre est plate », écrivait Th. Friedman. Beaucoup de gens le pensent encore. Pascal Lamy l’a pensé longtemps mais, la géopolitique est toujours là, constate-t-il honnêtement pour s’en affliger. Il n’en est pas encore à dire que l’intégration européenne à outrance a fabriqué des foules d’allergiques à l’Europe, y compris chez des braves gens de centre droit et centre gauche. Il n’en est même pas à dire ce que dit Junker sur la réglementation ‘à outrance’. Mais, sur tout le volet commerce et échanges internationaux, son évolution est intéressante. En effet, si quelqu’un comme Pascal Lamy est capable de dire cela par honnêteté intellectuelle, on peut penser qu’une partie des mondialisateurs en chef et théoriciens qui ont été des moteurs du système sont plus ouverts qu’avant au genre de réflexion qui peut exister autour de Jean-Pierre Chevènement. Je trouve cela encourageant.

Si, sur tous ces sujets, les Français ne sont pas capables d’ordonner leur pensée, nous allons continuer à vivre des moments humiliants et pénibles dans lesquels le point d’équilibre entre les Européens s’établira sans tenir compte de nos positions, au demeurant peu claires. Je pense notamment à la correction de la doctrine de la concurrence dans la Commission, qui a longtemps regardé la concurrence, entre Européens et non au niveau mondial. Si nous ne sommes pas capables de penser, d’être clairs, nous ne pèserons pas.

Je ne sais pas ce qui va sortir de la pétaudière électorale actuelle, mais l’urgence est une France qui soit de nouveau capable de penser par elle-même. Elle ne va pas se démondialiser, elle n’arrivera pas à convaincre l’ensemble des émergents qu’il faut arrêter un système qui pour eux est une aubaine extraordinaire, plus intéressante que toute l’aide qu’on leur a apportée et qui, souvent, n’a servi à rien.

Je termine en lançant un appel à la ré-élaboration de notre propre pensée.

Jean-Pierre Chevènement
De quelle marge la France dispose-t-elle dans le système actuel, par exemple par rapport à l’Allemagne ? Un certain nombre de candidats à l’élection présidentielle semblent vouloir faire des réformes, ou, en tout cas, dans les six prochains mois, donner des signes à l’Allemagne dans l’espoir que celle-ci les paiera en retour et enclenchera une politique qui, avec ou sans Schultz, sera en rupture avec l’ordo-libéralisme allemand, avec le modèle qui fait de l’Allemagne un pays excédentaire à hauteur de 10 points de PIB (ce qui est absolument extravagant), modèle absolument intransposable aux autres pays européens à qui il est pourtant donné comme exemple ! Comment exercer une pression dans une telle situation ?

Au moment où beaucoup de cartes vont être rebattues, n’y a-t-il pas, vis-à-vis de la Russie, des évolutions dont nous pourrions prendre l’initiative ?

Hubert Védrine
Par rapport à la Russie, au lieu de frémir en pensant que Trump allait faire n’importe quoi, les dirigeants européens importants auraient été bien inspirés de définir et proposer ce qui pourrait être une approche plus réaliste – ni complaisante ni poutinophile – des relations européennes avec la Russie. Il y a des points sur lesquels nous devrions être fermes, peut-être plus dissuasifs, et des points sur lesquels il conviendrait d’être plus ouverts, plus coopératifs, tout en étant lucides. La lucidité, par exemple, consisterait à reconnaître que la politique que nous avons menée nous a mis hors-jeu au Proche-Orient, ce serait un élément de réalisme !

Donc il y aurait des choses à faire vis-à-vis de la Russie, surtout si nous avions la force de le dire avant que Trump et Poutine aient conclu on ne sait quoi entre eux.

Mais cela ne règle pas notre question économique, sur laquelle il se peut que nous ayons des nuances.

Je pense un peu ce que disait Mendès-France : « Un pays qui ne contrôle pas ses finances publiques est un pays qui s’abandonne ». On ne peut pas expliquer tous nos problèmes par l’Allemagne, la zone euro etc. La France est le seul pays développé qui ne parvient pas à reprendre le contrôle de sa dépense publique, qui a un taux de prélèvements obligatoires délirant, et donc une fiscalité asphyxiante. Et ce n’est pas la faute de l’Allemagne. Il faut rappeler que la France a tout fait pour qu’il y ait une monnaie unique, pour ne pas rester dans la zone mark. Le gouvernement suppliait Mitterrand d’implorer Kohl afin qu’il aille presser le gouverneur de la Banque centrale allemande de nous autoriser à dévaluer de 7 %. « Non, 3 », répondait celui-ci… C’était pénible ! Nous avions déjà un problème de compétitivité.

Jean-Pierre Chevènement
C’est une critique du SME…

Hubert Védrine
Je critique l’incapacité de la France, avant l’euro, à devenir ou à rester industriellement compétitive. Le SME était gérable à condition de faire le minimum d’efforts à cet égard. De même, pendant la période récente, Chirac, qui s’est magnifiquement illustré dans son deuxième mandat par son refus d’engager la France dans la guerre en Irak, aurait pu, en même temps que Schröder mais moins durement que lui, faire un minimum de réformes pour que nous retrouvions un certain équilibre. Il eût fallu, par exemple, reprendre le contrôle de l’État-providence, vital dans son principe mais qui, ayant échappé à tout contrôle depuis très longtemps, est devenu infinançable. Je pense qu’il y a une marge que la France aurait pu utiliser. Elle serait redevenue compétitive et nous ne serions pas aujourd’hui en train de nous plaindre de l’Allemagne.

Je ne suis pas du tout un pro-allemand aveugle. Je sais que c’est nous (Trichet et Bérégovoy) – et pas les Allemands – qui avons inventé les critères de Maastricht. D’un autre côté, on peut critiquer la gestion démagogique et court-termiste par Mme Merkel de la politique de l’énergie, dans le seul but d’avoir les Verts en réserve en vue d’un changement d’alliance. Dans l’affaire des réfugiés, elle avait raison sur le plan humain et moral mais elle a attisé l’ensemble du phénomène, après quoi elle a négocié seule avec la Turquie comme elle va négocier avec la Tunisie ! Je ne suis donc pas béat d’admiration devant les positions allemandes.

La réunification s’est faite grâce à Gorbatchev et la force de l’Allemagne est due à Schröder. Cela dit ironiquement, il y a une bonne nouvelle : comme Schultz veut revenir sur une partie des réformes Schröder, le coût du travail va remonter, la compétitivité de l’Allemagne va baisser et nous allons retrouver un ballon d’oxygène sans rien faire…

Je crois qu’une politique de réformes ‘à la française’ est possible, sans incriminer le système allemand ni la dépendance par rapport à l’euro. En effet, certains pays qui, comme le Canada et la Norvège, ne sont pas dans la zone euro, ont fait le même genre de réformes. Quand je dis qu’il faut sortir de l’obsession, ce n’est pas parce que je pense que les Allemands ont raison. Ils ont tort sur plusieurs points. Mais l’éthique de responsabilité nous impose de maîtriser nos dépenses publiques. Ce n’est pas à cause des Allemands que nous avons une fiscalité telle qu’il devient irrationnel d’investir dans ce pays.

Il y a la solution de Stiglitz. Il est pour l’intégration européenne mais la juge impossible dans les systèmes actuels. Il ne préconise pas, comme Philippe Villin, de revenir à la monnaie nationale. Il préconise un système intermédiaire, avec quatre euros regroupant des pays présentant plus de similarités économiques et de convergence politique. En effet, il continue à penser que le système allemand dévore le système de la zone euro de l’intérieur parce que les pays périphériques n’arrivent pas à y être compétitifs. Il est intéressant de voir quelqu’un qui, comme Stiglitz, se veut très pro-européen, préconiser de repasser par une phase de quatre zones euro, avec une sorte de serpent pour reconverger ensuite.

Jean-Pierre Chevènement
Merci.
Hubert Védrine nous a parlé de la perte du monopole de l’Histoire par l’Occident. Quand on regarde les choses de près, on voit en effet que d’autres pays, notamment dans le Sud, inventent à nouveau une Histoire qui est la leur : la Chine, depuis déjà quelques décennies, demain l’Inde, l’islam, à sa manière… Après l’implosion de l’URSS, la Russie émerge de nouveau. Il y a donc d’autres acteurs de l’Histoire que les traditionnels acteurs européens ou américains.

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[1] La France et la mondialisation : rapport au Président de la République, Hubert Védrine, éditeur : Présidence de la République, date de remise : Septembre 2007 http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/074000535.pdf.
[2] Où va le monde?, Pascal Lamy et Nicole Gnesotto, éd. Odile Jacob, 2017.

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Le cahier imprimé du colloque « Vers la fin de la globalisation, mythe ou réalité? quelle stratégie pour la France? » est disponible à la vente dans la boutique en ligne de la Fondation.

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