Accueil de Jean-Pierre Chevènement, Président de la Fondation Res Publica, au colloque « Vers la fin de la globalisation, mythe ou réalité? quelle stratégie pour la France? » du 6 mars 2017.

Mesdames,
Messieurs,
Chers amis,

Vous êtes venus très nombreux, je vous en remercie. Le sujet en vaut la peine : « La fin de la globalisation, mythe ou réalité ? Quelle stratégie pour la France ? ».

Nous ont fait le plaisir de venir s’exprimer à la tribune de la Fondation Res Publica : M. Hubert Védrine, ancien ministre des Affaires étrangères ; M. Jean-Michel Quatrepoint, journaliste économique, auteur de l’ouvrage « Le choc des empires. États-Unis, Chine, Allemagne : qui dominera l’économie-monde ? [1] » ; M. François Lenglet, que vous connaissez par ses émissions télévisées et ses chroniques radiophoniques ; Thierry de Montbrial, président de l’Institut français des relations internationales (IFRI), dont je vous conseille l’ouvrage récent : « Notre intérêt national. Quelle politique étrangère pour la France ? [2] », co-écrit avec Thomas Gomart.

L’histoire de la première mondialisation libérale avait fait la matière d’une partie d’un de mes livres, intitulé « 1914-2014, l’Europe sortie de l’histoire [3] ». La mondialisation libérale britannique, qui avait commencé après 1815, s’était accélérée à partir des traités de 1860 (traité Cobden-Chevalier [4]). Une phase, non pas de ralentissement mais de protectionnisme modéré, à la fin du XIXème siècle, n’avait pas empêché la croissance des échanges. Les premiers crissements se firent entendre au début du XXème siècle avec la guerre des Boers. La question des rivalités en matière d’armement naval entre la Grande-Bretagne et l’Allemagne (« Notre avenir est sur l’eau », disait Guillaume II [5]), l’affaire du Maroc (du « coup de Tanger », 31 mars 1905, au « coup d’Agadir », 1er juillet 1911), les guerres balkaniques (1912-1913), résultaient des intérêts opposés de la Russie et des Empires centraux dans les Balkans où se croisaient deux axes stratégiques : la poussée russe vers les Détroits et le projet de chemin de fer Berlin-Bagdad. L’« étincelle » de Sarajevo (28 juin 1914, assassinat de l’héritier de l’empire austro-hongrois par un terroriste serbe) n’eût rien été si elle n’avait allumé le brasier de l’erreur qui précipita l’Allemagne dans la mise à exécution du fameux plan Schlieffen. Ce plan, conçu dès 1905, avait pour but de mettre d’emblée la France hors-jeu pour terrasser la Russie mais, oubliant complètement que le fond de l’affaire était la rivalité avec l’Empire britannique, il avait négligé l’entrée en guerre possible de la Grande-Bretagne et de ses dominions le 4 août 1914.
C’est ainsi que fut ouverte la boîte de Pandore.

Si je rappelle ce phasage, c’est que – toutes choses égales par ailleurs – je regarde la façon dont les choses se sont passées depuis 1945, date de la victoire écrasante des États-Unis à la fois contre l’Allemagne et contre le Japon.

J’observe la première brisure en 1971, avec la suspension de la convertibilité en or du dollar, suivie en 1976 par les accords de la Jamaïque [6]. On subit en même temps les chocs pétroliers, la consécration du dollar comme monnaie mondiale et l’énorme déséquilibre introduit dans les échanges mondiaux.

Ensuite nous allons très vite vers l’accession au pouvoir de R. Reagan et M. Thatcher (1980), en France l’Acte unique (1986), puis 1989-91 : la réunification de l’Allemagne (3 octobre 1990), la Guerre du Golfe (1990-1991), l’implosion de l’URSS. C’est politiquement l’acmé de la mondialisation.
On observe encore, dans ces années-là, la déréglementation financière (à partir de 1996) avec l’abrogation du Glass-Steagall Act [7] (1999).

Puis, c’est 2001 (destruction des Twin Towers), la crise de la bulle Internet (2000-2005), la crise des subprimes en 2008, point d’infléchissement d’un ralentissement sensible de la progression du commerce international (qui progressait deux fois plus vite que le PIB avant 2008 et progresse ensuite presque deux fois moins vite).

Enfin le Brexit et l’élection de Trump manifestent que nous sommes entrés dans une zone de tensions géopolitiques nouvelles. Je ne dis pas que nous allons vers une nouvelle guerre de 1914 mais nous observons quand même des tensions, par exemple en mer de Chine méridionale, et la stratégie chinoise des routes de la soie, nous voyons les États-Unis augmenter de 54 milliards leur budget de la défense etc.

Il y a des craquements géopolitiques qu’on ne peut pas ne pas entendre.

Bien sûr, on ne peut pas oublier l’arrière-plan économique. Nous sommes à la fin d’une période qui a été marquée par la globalisation dont Alain Supiot, mon professeur préféré au Collège de France, donne la définition : « La disparition des solidarités locales au profit de calculs d’optimisation pour un marché total », définition qui, éliminant une part du réel (les nations, les peuples, l’aménagement des territoires…), porte la marque d’un certain économicisme.

Je ne veux pas en dire plus long. Mon propos était simplement d’ouvrir le débat avant de laisser la parole à Hubert Védrine.

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[1] Le choc des empires: États-Unis, Chine, Allemagne : qui dominera l’économie-monde ? Jean-Michel Quatrepoint, coll. Le débat, éd. Gallimard, 27 mars 2014.
[2] Notre intérêt national. Quelle politique étrangère pour la France?, Thierry de Montbrial, Thomas Gomart, éd. Odile Jacob, janvier 2017.
[3] 1914-2014, l’Europe sortie de l’histoire, Jean-Pierre Chevènement, éd. Fayard, 16 octobre 2013.
[4] Signe de l’entente cordiale entre Napoléon III et la reine Victoria, le traité franco-britannique de 1860, négocié par les économistes Michel Chevalier (polytechnicien titulaire de la chaire d’économie politique du Collège de France) et Richard Cobden (économiste qui anime la Ligue anglaise contre les « corn laws »), conclu en cachette des industriels français qui vont s’y opposer en vain, traduit une libéralisation sans précédent des échanges commerciaux.
[5] « Notre avenir est sur l’eau ; plus les Allemands s’en iront sur l’eau… mieux cela vaudra pour nous : car lorsqu’une bonne fois l’Allemand aura appris à voir loin et grand, il sera moins préoccupé par les petits soucis de la vie quotidienne… » (extrait d’un discours de Guillaume II).
[6] Le 8 janvier 1976, les ministres des Finances qui forment le Comité intérimaire du Fonds monétaire international (FMI) adoptent à Kingston une réforme du système monétaire international. Les «Accords de la Jamaïque» légalisent le système des taux de change flottants et mettent fin au régime des parités fixes mais ajustables au niveau international. L’or n’a plus aucun statut officiel au sein du FMI ni dans les relations entre ses membres.
[7] Le Glass-Steagall Act, loi passée par le Congrès américain en 1933 dans un contexte de grande dépression, promulgue la séparation des activités d’investissement et des activités commerciales des banques. Il instaure le système fédéral d’assurance des dépôts bancaires et le plafonnement des taux d’intérêt sur les dépôts bancaires.

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Le cahier imprimé du colloque « Vers la fin de la globalisation, mythe ou réalité? quelle stratégie pour la France? » est disponible à la vente dans la boutique en ligne de la Fondation.

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