Discussion avec Jacques Fournier

Intervention de Jacques Fournier, Ancien Secrétaire général du Gouvernement, au colloque « L’exercice de la souveraineté par le peuple: limites, solutions » du 14 novembre 2016.

J’ai la tâche difficile de réagir « en contrepoint » aux exposés qui viennent d’être présentés. J’essaierai de me prêter à l’exercice en fonction de mon expérience professionnelle : comme les deux précédents intervenants, je viens du Conseil d’État, de mon expérience politique pendant la présidence de François Mitterrand – pour moi le « phare » de cette période –, et aussi à partir des réflexions que je mène actuellement dans d’autres cercles, notamment sur la notion d’État stratège et la manière dont l’organisation de l’État peut-être pensée, non pas en fonction des réactions quotidiennes que les sondages et la presse nous imposent mais d’une vision un peu plus longue de l’avenir qu’il faut essayer de tracer pour le pays.

Nous avons eu une fresque extrêmement intéressante – comme toujours – de Jean-Pierre Chevènement et deux exposés extrêmement denses, très travaillés, qu’il me sera difficile d’examiner dans tous leurs aspects.

Je réagirai sur quatre points :

Le premier problème, traité par Jean-Pierre Chevènement puis par Marie-Françoise Bechtel, est celui de l’organisation du pouvoir exécutif depuis le début de la Vème République, de l’élection du Président de la République au suffrage universel, de la dualité du pouvoir exécutif et de la manière dont il est organisé maintenant.

Je pense aujourd’hui (j’ai évolué sur ce point) que l’élection au suffrage universel du Président de la République est désormais incrustée dans nos institutions même si nous sommes une exception dans ce domaine, la plupart des pays européens n’élisant pas au suffrage universel le chef de l’État. Je crois qu’il est vraiment ancré dans la tradition nationale et même qu’il a de bons côtés. Par conséquent, il faut le maintenir.

I. J’ai été tout de suite fondamentalement hostile au quinquennat (sur ce point, Jean-Pierre Chevènement et moi avions eu en 2000 une réaction un peu différente). Je crois que le régime avait évolué dans un bon sens avec François Mitterrand. Les deux périodes de cohabitation avaient montré qu’on pouvait s’accommoder d’un Président arbitre qui puisse gouverner avec des majorités successives et d’un partage de compétences entre Président et Premier Ministre. En 2000, Jospin et Chirac, rivaux en vue de la prochaine élection, avaient cru l’un et l’autre qu’ils gagneraient à changer la règle du jeu, passant du septennat au quinquennat et assujettissant le calendrier présidentiel à un calendrier parlementaire qui faisait coïncider la majorité présidentielle et la majorité parlementaire. Cela excluait cette formule honnie de la cohabitation que je persiste à avoir trouvée assez bonne. Répugnant toutefois à voter NON avec le Front national, j’avais émis un vote volontairement nul, en mettant dans l’urne les deux bulletins annotés : « NON à un débat tronqué », parce qu’effectivement cette affaire-là avait été décidée en trois mois sans véritable discussion, et « OUI à un septennat non renouvelable », la bonne position selon ma vision d’un Président qui fixe un avenir pour la Nation, qui trace des cadres et dont on ne commence pas à se demander quand il arrive par qui il va être remplacé.

II. Ceci m’amène à un deuxième point que personne n’a abordé : la loi électorale.
Sur ce point aussi, j’ai évolué et je pense qu’il faudrait aller vers une dose plus importante, voire très importante, de représentation proportionnelle. L’actuel système majoritaire, surtout avec la coïncidence des calendriers, exclut toute politique de longue durée. De plus, dans certains domaines, les différences entre politique de droite et politique de gauche sont assez discrètes. Il y aurait intérêt à ce que, à travers un régime de représentation proportionnelle, on ménage des transitions actuellement impossibles. Je trouve dommage qu’une Assemblée nouvellement élue se croie obligée de défaire aussitôt ce que la précédente a fait pendant cinq ans. C’est une perte de temps. On m’objectera que cela favorisera le Front national… Mais si le Front national représente 30 % de la population, au nom de quoi peut-on lui refuser une présence au Parlement ? Je pense que c’est un sujet qui aurait mérité d’être discuté ce soir.

III. Mon troisième point rejoint ce qu’ont dit Jean-Éric Schoettl et Marie-Françoise Bechtel sur le problème de la confection de la loi, de l’élaboration de la norme.

Jean-Éric Schoettl a fait un panorama très noir des révisions constitutionnelles sous la Vème République. Il a insisté tout particulièrement sur la révision de 2008 avec ses deux volets.

Je le rejoins sur le premier volet, lorsqu’il dit qu’on a beaucoup alourdi la procédure parlementaire. C’est vraiment un problème. Si on veut que les politiques soient comprises par les gens auxquels elles s’appliquent, il faut se donner les moyens de les mettre en vigueur assez rapidement. Or, dans la situation actuelle, la préparation et l’application de nouvelles lois prend plusieurs années et le quinquennat suffit à peine pour commencer à apercevoir ce que peuvent être les effets des nouveaux textes ! Il est nécessaire de réfléchir sur ce point.

Je suis beaucoup moins critique que lui, a priori, sur la QPC qui ne me paraît pas être l’abomination qu’il décrit. Mais je dois avouer mon incompétence concernant ce mécanisme qui a pris forme à un moment où je ne m’intéressais plus directement à ces questions et je ne le contesterai pas davantage sur ce point.
Concernant le problème de la procédure parlementaire et de l’élaboration de la loi, j’ai écouté avec intérêt ce qu’a dit Marie-Françoise Bechtel à propos de Thierry Mandon. J’ai lu le compte rendu d’une conférence de presse qu’il avait donnée il y a quelques mois. Je pense comme lui qu’il y a chez nous un problème important de fabrication de la norme, de fabrication de la loi, et qu’il serait souhaitable de prendre en compte dans le cadre de cette fabrication le phénomène extrêmement nouveau qu’est la révolution numérique et d’intégrer la volonté qu’expriment les gens, à travers leurs associations, leurs compétences, de pouvoir influer sur la préparation de la loi.

IV. Sur le problème du rapport entre droit français et droit européen je rejoins Marie-Françoise Bechtel. Faut-il aller jusqu’à dire que « l’éléphant » européen écrase tout sur son passage ? La métaphore est intéressante. Je crois effectivement qu’il y a un problème. Je ne veux pas rentrer dans le détail de ce qu’elle nous a dit à ce sujet.

Je reste un peu sur ma faim quant aux solutions qu’elle a mises en avant. Faire intervenir le Conseil constitutionnel pour essayer de montrer que le législateur européen impose à tort certaines règles au législateur français ne me semble pas évident. Et là je rejoins ce que disait Jean-Pierre Chevènement dans son exposé initial : je crois que c’est un problème de rapport de forces avec l’Europe.

Je ferai ici un peu de politique. La principale critique que j’adresse à notre Président de la République c’est qu’après avoir dit qu’il allait renégocier le traité d’austérité budgétaire il s’est écrasé à Bruxelles. Je crois que les choses ont beaucoup changé : le Brexit, l’élection américaine… de nombreux faits nouveaux interviennent. Je crois que le rapport de forces entre les États et l’Europe peut lui aussi évoluer. C’est par des positions de forces plus que par des positions juridiques qu’on peut probablement faire bouger les choses dans ce domaine.

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Le cahier imprimé du colloque « L’exercice de la souveraineté par le peuple: limites, solutions » est disponible à la vente dans la boutique en ligne de la Fondation.

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