Où va la francophonie?

Compte rendu réunion Res Publica du 12 décembre 2016 : Quel avenir pour la francophonie ?
Par Franck Dedieu, responsable du développement de la Fondation Res Publica.

Certaines projections peuvent faire tourner les têtes : 700 millions de francophones d’ici à 2050. Mais, la réalité impose plus de modestie tant les Français eux-mêmes semblent ne pas se donner les moyens de réaliser un tel objectif. « Sur quel Ministère s’appuyer ? Avec quels crédits et selon quelle idée de manœuvre ? » s’interroge Jean-Pierre Chevènement en guise d’introduction.

Stéphane Martin, le directeur général de l’autorité de régulation professionnelle de la publicité se montre plus optimiste. Les Français ne défendent pas si mal leur langue face à l’hyper-domination de l’anglais. « Depuis la première loi sur la langue française – l’ordonnance de Villers Cotterêts en 1539 – le monde a changé. Il a basculé vers la domination anglo-saxonne après la Première guerre mondiale et depuis ce début du XXIème siècle avec le numérique. L’ascendant commercial et technologique font de la grammaire de l’internet, une grammaire issue de l’anglais ». Dans ce cadre, donc très anglo-saxon, Stéphane Martin insiste sur cette résistance linguistique française à la faveur d’un bel arsenal juridique (loi dite Toubon notamment) : « Seuls quelques pays en Europe comme la Hongrie ou la Slovénie ont des règles spécifiques sur l’usage de la langue nationale ». Reste à savoir si la loi est respectée et si les vigies en charge de son application sont efficaces.

Xavier Michel, ancien représentant permanent de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) auprès de l’Union Européenne dressera un bilan de l’usage du français non en France même mais à l’étranger. Selon lui, la francophonie bénéficie d’un potentiel énorme mais cherche encore « la pierre philosophale » pour le déployer à travers le monde. « Le français reste, avec l’anglais, la seule langue à être enseignée sur les cinq continents, la seule à être utilisée dans la plupart des organisations internationales » commence-t-il avant de poser la question : « Comment organiser politiquement cette francophonie ? ». L’OIF revendique 84 Etats mais ce nombre impressionnant inclut 26 membres observateurs et 5 entités territoriales ou fédérées. En fait, 29 Etats font du français une langue officielle. Il faut, pour Xavier Michel, revenir aux atouts de la langue : « Faire du Français une langue internationale d’ouverture, de partage et de métissage. Le français ne se résume pas à une langue nationale. Il conserve des atouts sur la scène internationale. Les fonctionnaires de tous pays le parlent volontiers mais dans les couloirs et peu dans les enceintes officielles alors qu’ils en ont le droit. Nous devons compter sur les partenaires africains pour relancer le processus et promouvoir le plurilinguisme et non le bilinguisme – un face à face avec l’anglais serait stérile – ni le multilinguisme susceptible de reléguer le français au rang de langue de traduction ou de langue régionale. Le plurilinguisme appelle des stratégies d’alliance selon une approche fondée sur le multilatéral, plus agile que l’universel onusien, plus équilibré que le bilatéral, plus ouvert que les unions régionales européennes ou africaines ». Seul problème selon Xavier Michel, le manque de volonté politique illustré par cet exemple : « Il est symptomatique que la candidate du Front National soit la seule à ce jour à avoir inscrit la francophonie dans son programme. Il est temps que les autres candidats se saisissent du sujet au-delà de quelques déclarations de circonstance ».

Michèle Gendreau-Massaloux, ancienne rectrice de l’Agence universitaire de la francophonie, constate « un désir de francophonie » dans les 800 universités où s’enseigne la langue. « Un désir économique. Par exemple en Asie, des jeunes l’apprennent pour pouvoir commercer en Afrique. La langue française est un vecteur pour les pays en demande de croissance. Les professeurs aussi sont en demande et en particulier les jeunes, plus frottés de pratiques interactives que les prédécesseurs traditionnalistes et davantage attachés au prestige du français. Ces nouveaux enseignants voient dans le français la liberté d’expression, la force de la pensée critique, l’état des mœurs pour les jeunes filles. De même dans le domaine de la recherche, l’académie des Sciences de France considère que les publications s’expriment de façon plus juste si elles sont écrites dans la langue maternelle de leur auteur ». Le propos et les exemples de Michèle Gendreau-Massaloux incitent donc à l’optimisme, à condition toutefois de ne plus s’accrocher à la nostalgie de ce français hégémonique du XVIIIème siècle mais de porter un français vivant dans le monde et qui comporte par rapport au « globish » – et non à l’anglais – un avantage philosophique prisé des peuples. Pour mettre à profit cette « prérogative » culturelle, l’ancienne rectrice propose notamment « d’investir sur la formation des professeurs de français mais aussi de favoriser l’émergence et le perfectionnement des traducteurs dans le domaine de la production littéraire, audiovisuelle et numérique ».

Jérôme Clément, président de la Fondation Alliance française, appelle lui aussi à ne plus rêver du temps où la français dominait comme langue de communication internationale. « En revanche, l’enjeu est de savoir si le français sera au XXIème siècle un des grands espaces linguistique et culturel du monde avec des répercussions politiques, culturelles et économiques considérables ». Et de ce point de vue, Jérôme Clément fait lui aussi montre d’optimisme et de volontarisme. « Avec ses 820 alliances françaises dans le monde réparties sur 135 pays, la langue française déploie une grande force à laquelle sont rattachées des valeurs fondamentales issues du siècle des Lumières et de la Révolution française. Par exemple, la force de notre langue en Amérique du Sud est liée au mouvement d’émancipation du XIXème lui-même reposant sur une culture de droit exprimée en français. Nous créons aussi deux agences par an en Chine où la motivation principale est de commercer avec l’Afrique. En Inde, une nouvelle classe moyenne apprend le français, en particulier pour voyager. Même en Espagne, le français déclinant depuis la fin du franquisme refait une percée en Andalousie et en Catalogne où il redevient obligatoire ». Le tableau francophone n’est donc pas tout à fait noir malgré le terrain perdu en Europe Centrale depuis l’effondrement du mur de Berlin où l’atlantisme attire et avec lui la langue anglaise. Le rapide tour du monde effectué par Jérôme Clément démontre que « la défense de la francophonie n’est plus seulement l’affaire des Français. Michaëlle Jean, la présidente de l’Organisation Internationale de la Francophonie vient d’Haïti et du Canada. De même, de grands écrivains francophones à succès portent haut la langue comme le russe Andreï Makine, le congolais Alain Mabanckou, l’algérien Kamel Daoud pour ne citer que quelques noms ». Au fond, les Français – et en particulier les responsables politiques, les élus – semblent même un peu dépassés par cette force du français à l’extérieur. « Il n’y a pas de volonté forte d’en faire un combat majeur » regrette-t-il. Idem sur le plan administratif : « Le sujet est divisé entre le ministère de la Culture et celui des Affaires étrangères sur fond de services éparpillés dans des bureaux divers qui font de leur mieux mais sans moyens financiers … ». Le monde de l’entreprise ne semble pas plus engagé dans une politique de défense linguistique. « Des groupes comme Carrefour ont fait de l’anglais la langue de communication mais ils sont revenus au français ».

Membre de l’académie française, ancien ambassadeur de France au Sénégal et en Gambie, Jean-Christophe Rufin distingue trois francophonies. « Une première de conquête, liée aux colonisations. Une deuxième de valeurs, où la France a laissé une trace grâce à son influence intellectuelle. Une troisième enfin de nature politico-économique comme l’attestent ces Chinois désireux d’apprendre le français pour commercer en Afrique ou encore ces chiites libanais trouvant dans notre langue un vecteur de distinction et un moyen de peser face à l’influence des Américains qui d’une certaine façon ont fait le choix des sunnites ». Selon l’académicien, cette situation diverse réserve des surprises. « Les plus francophones ne sont pas forcément les plus francophiles. L’Algérie, pays où la France a marqué le plus fortement son empreinte coloniale, n’est pas membre de l’Organisation internationale de la francophonie et témoigne ainsi sa réticence. Inversement, des pays comme le Vanuatu manifeste un grand attachement au français. Enfin par delà l’espace classique de la francophonie, les Français ont des alliés. Les Chinois mènent le même combat du plurilinguisme ». Sur ce constat plutôt encourageant, Jean-Christophe Rufin avance quelques idées pour sauvegarder l’espace francophone voire l’étendre. D’abord, ne pas signer la convention européenne des langues régionales. « Parfaitement légitime dans certains pays, elle signerait la fin de l’exclusivité de la langue française. Ce texte non ratifié par la France constitue un danger mortel. Notre pays s’est unifié autour de la langue et il ne faut pas détricoter cette unité. Ensuite, « défendre la culture et la langue française via la traduction », à l’image des Etats-Unis avec leur cinéma doublé. Enfin, « promouvoir les visas francophones des élèves formés en français à l’étranger sinon ils risquent de partir étudier aux Etats-Unis ». Trois idées, pas si compliquées ni si couteuses. L’essor de notre langue est à portée de main.

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