Accueil de Jean-Pierre Chevènement, Président de la Fondation Res Publica, au colloque « Intégration, laïcité, continuer la France » du 23 mai 2016.

Mesdames, Messieurs, chers amis, nous allons ouvrir nos travaux sur le thème « Intégration, laïcité, continuer la France ».

J’ai le plaisir d’accueillir nos trois intervenants : Didier Leschi, Régis Debray, Marcel Gauchet.
Marcel Gauchet et Régis Debray sont à mes yeux deux personnages considérables dans le paysage intellectuel du pays. Si je les admire beaucoup l’un et l’autre, je dois dire qu’ils ont des itinéraires qui ne sont pas parallèles. Peuvent-ils converger ? Je ne peux me prononcer sur ce point.

Dans son dernier livre, « Comprendre le malheur français » (1), Marcel Gauchet donne une explication convaincante de la crise du modèle républicain et de l’histoire de cette crise.

Depuis longtemps Régis Debray nous a éclairés sur cette question dans de nombreux ouvrages (2). Je me souviens de son livre « Que vive la République ! » (3), écrit en 1988, juste après la réélection de François Mitterrand. Il nous y expliquait que les ennemis de la République, l’argent et l’image, avaient pris le pouvoir. « La République n’est pas un régime politique parmi d’autres, c’est un idéal et un combat. Elle requiert non seulement des lois mais une foi », écrivait-il.

Nous allons donc parler de la foi républicaine. Ce sujet peut être pris par différents biais.

D’abord intégrer. Mais intégrer à quoi ? C’est une question fondamentale. À la France ! répondait-on naturellement. À la société, qui se doit d’être inclusive, entend-on de plus en plus souvent…

J’ai répondu à la demande de Marcel Gauchet dans une interview qui a paru dans Le Débat au mois de septembre dernier (4). C’était une réaction au rapport du conseiller d’État Thierry Tuot prônant une société « inclusive »

La laïcité n’est plus comprise par les acteurs du modèle républicain français. Les gens ne comprennent pas que, plus qu’un espace neutre, un espace vide, la laïcité est surtout un principe d’organisation, une séparation entre la religion, à laquelle on rend sa liberté, et la sphère publique dans laquelle les citoyens sont appelés à s’exprimer sous les auspices de la raison naturelle. Ce n’est pas que je veuille ressusciter le culte de la « déesse Raison » mais la République fait confiance au bon sens, chose du monde en principe la mieux partagée et on espère – c’est peut-être un vœu pieux – que les citoyens, tous ensemble, finiront par s’entendre sur la définition de l’intérêt général. En tout cas, la laïcité implique quand même cette croyance, on l’a, me semble-t-il, un peu oublié.

Il se trouve que je rentre d’un voyage en Algérie. Il faut convaincre les musulmans et les autres aussi d’ailleurs que la laïcité n’est tournée contre aucune religion. Elle est une façon de penser, d’aborder le réel en faisant de l’espace public le lieu par excellence de l’exercice de la raison naturelle que nous avons tous en commun. Après le vote de la loi de séparation de l’Église et de l’État en 1905, Abdelhamid Ben Badis, fondateur des oulémas, un mouvement qui a joué un très grand rôle dans le nationalisme algérien, avait demandé qu’elle s’appliquât en Algérie. « Donnez-nous dix ans », fut-il répondu à sa demande formulée dans les années 30. Demande réitérée en 1944… en vain ! On n’a jamais répondu à la demande de Ben Badis dont l’objet était simple : il voulait libérer les cadis, les imams, de la tutelle de l’administration coloniale. Aux yeux de Ben Badis, l’islam pouvait donc, semble-t-il, s’accommoder de la laïcité.

C’est ce que je pensais quand, en tant que ministre de l’Intérieur, j’ai lancé en octobre 1999 la consultation sur l’islam de France. À cette époque, Didier Leschi était à mon cabinet. Il a une très riche expérience administrative. En qualité de chef du bureau des cultes, il a suivi de près toute la question de l’islam de France. Il a été préfet chargé de la sécurité en Seine-Saint-Denis. Il est maintenant directeur général de l’Office de l’immigration. C’est un homme dont j’apprécie depuis longtemps la réflexion acérée. Lui-même et Régis Debray ont publié : « La laïcité au quotidien » (5), un guide pratique fort utile pour quiconque se perdrait dans les méandres de cette question.

« Continuer la France », telle est la question qui nous préoccupe ce soir.

« La France est morte le 17 juin 1940 quand les Français ont entendu le Maréchal Pétain solliciter les conditions de l’armistice », aurait dit Daniel Cordier dont Régis Debray a rapporté le propos. Selon D. Cordier, si les Français n’ont pas entendu l’appel du 18 juin, ils ont entendu celui du 17 juin. « Mais vous n’auriez pas rejoint le Général de Gaulle à Londres, en 1940, si vous aviez pensé alors comme aujourd’hui. Heureusement que vous étiez maurassien, cela vous a donné l’occasion de rejoindre la France libre ! », lui ai-je répondu pour le taquiner. Aujourd’hui il se dit cosmopolite et mondialiste.

Au terme de son ouvrage « Comprendre le malheur français », Marcel Gauchet dit que si la France n’est plus une grande puissance, elle en conserve quelques attributs. Elle a peut-être encore quelque chose à dire au monde. Sa puissance d’invention n’est peut-être pas totalement éteinte malgré la crise profonde du modèle républicain.

Je donne tout de suite la parole à Didier Leschi qui va ouvrir le débat en nous donnant la substantifique moelle de son expérience et de sa réflexion.

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1) Comprendre le malheur français, Marcel Gauchet, Éric Conan, François Azouvi (éd. Stock,
collection : Essais – Documents, 2016)
2) Parmi ces ouvrages :
Critique de la raison politique ou l’inconscient religieux, Régis Debray (« Bibliothèque des Idées », Gallimard, 1981)
Dieu, un itinéraire. Matériaux pour l’histoire de l’Éternel en Occident, Régis Debray (éd Odile Jacob
Coll. « Le champ médiologique », 2001)
Le Feu sacré, fonctions du religieux, Régis Debray (éd. Fayard, 2003)
Ce que nous voile le voile. La République et le sacré, Régis Debray (Gallimard, 2004, Folio nº 4330, 2006)
Les communions humaines. Pour en finir avec « la religion », Régis Debray (Collection « Les dieux dans la Cité », Fayard, 2005)
3) Que Vive la République, Régis Debray (éd. Odile Jacob, 1989)
4) Continuer à faire France, article de Jean-Pierre Chevènement paru dans la revue Le Débat, n°186, septembre-octobre 2015.

Le cahier imprimé du colloque « Intégration, laïcité, continuer la France » est disponible à la vente dans la boutique en ligne de la Fondation.

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