Intervention de M. Loïc Hennekinne, ambassadeur de France, membre du Conseil scientifique de la Fondation Res Publica, au colloque « Le Moyen-Orient dans la politique étrangère des puissances » du 29 juin 2015.
En disant cela je n’oublie pas les trente ans de guerre que le Vietnam a connues, pour obtenir son indépendance de la France, puis, contre les Américains, pour réunifier le pays ; je n’oublie pas les guerres entre la Chine et l’Inde ni ce qui s’est passé en Afrique dans les dernières décennies, dans la Corne de l’Afrique, en Éthiopie et en Érythrée, au Soudan etc.
Mais, rétrospectivement, les blocages actuels sont le produit des conflits ouverts ou larvés qui n’ont cessé tout au long des soixante-dix dernières années.
Trois guerres ont opposé Israël et les pays arabes. La première, dès 1948, juste après la reconnaissance par l’ONU de l’État d’Israël et de l’État de Palestine. Dix-neuf ans plus tard, en 1967, éclata la guerre des Six jours puis, en 1973 la Guerre de Kippour. Chacun de ces conflits fut marqué par des progressions de l’armée israélienne et des territoires perdus par les Palestiniens. Pendant cette période, Israël a envahi à deux reprises le Liban, la première fois en 1982, entraînant les massacres de Sabra et Chatila, qui furent le fait des milices chrétiennes mais avec l’aval de l’armée Tsahal. Plus près de nous, en juillet 2006, une autre invasion a été stoppée tout de suite par le Hezbollah, mettant pour la première fois l’armée israélienne en difficulté.
Rappelons la guerre interminable entre l’Irak et l’Iran (1980-1988) qui causa des pertes énormes des deux côtés. S’ils n’intervinrent pas directement, les pays occidentaux prirent clairement parti en faveur de l’Irak à qui des armes furent livrées. C’est à cette époque (1988) qu’un bâtiment de guerre américain avait abattu « par méprise » un avion de ligne qui traversait le Golfe persique, faisant 290 victimes civiles, dont 66 enfants.
Cette zone connut aussi des guerres civiles, dont certaines ont été interminables : le Liban entre 1975 et 1990 ; le Yémen, la première, pendant les années 60, opposant les républicains, appuyés par l’Égypte, aux monarchistes, soutenus par l’Arabie saoudite, puis, depuis quelques mois, une nouvelle guerre civile, avec intervention extérieure aérienne de l’Arabie saoudite. D’autres guerres civiles, plus brèves ou encore en cours, ont été très douloureuses, en Jordanie en 1972, et en Syrie depuis 2012.
Cette période vit les interventions de pays occidentaux.
La première, déjà lointaine, fut l’intervention en Égypte de la France et du Royaume-Uni, auxquels s’était joint Israël, après la nationalisation du canal de Suez en octobre 1956.
Une coalition occidentale, dont nous avions été partie, au moment de l’invasion du Koweït par l’Irak en août 1990, avait donné lieu à une résolution du Conseil de sécurité en septembre. Cette intervention laisse un goût amer à beaucoup d’entre nous. Conseiller diplomatique du Président de la République à cette époque, je regrette que nous n’ayons pas suffisamment tiré parti du discours prononcé par François Mitterrand aux Nations Unies, le 24 septembre 1990 [1], qui aurait dû permettre d’entamer des discussions avec Saddam Hussein.
Une deuxième coalition se constitua en 2003, au moment où Américains et Britanniques prétendirent que l’Irak détenait des armes de destruction massive qui, selon Tony Blair, pouvaient atteindre en vingt minutes le centre de Londres. La France, l’Allemagne et le Canada n’avaient pas participé à cette intervention qui a laissé des traces. Elle était injustifiée. En effet, on n’a jamais trouvé d’armes de destruction massive parce que M. Blix, (Directeur général de l’Agence internationale de l’énergie atomique de 1981 à 1997), puis M. El-Baradai (qui occupa cette fonction de 1997 à 2009) avaient fait leur travail et, pendant toute la période (1992-2002), s’étaient assurés que ces armes de destruction massive avaient disparu. Cette intervention inutile déboucha sur l’effondrement de l’Irak, la capture et la pendaison de Saddam Hussein.
Plus récemment, en mars 2011, la France et le Royaume-Uni, encouragés par les États-Unis et les membres de l’OTAN, sont intervenus en Libye. Cette intervention, destinée initialement à créer une zone d’exclusion aérienne au-dessus de Benghazi, où il y avait beaucoup de manifestations anti-Kadhafi, s’est transformée quelques six mois plus tard en une expédition pour éliminer Kadhafi.
Ces épisodes, au cours des soixante-dix dernières années, expliquent que cette partie du monde n’arrive pas à sortir de ses problèmes, la question centrale étant évidemment la possibilité pour les Palestiniens d’avoir un État viable.
C’est en fonction de ce rappel historique que nous avons imaginé quatre interventions.
Nous commencerons par celle de Bertrand Badie. Jean-Pierre Chevènement a rappelé les activités et talents du professeur Badie, auteur de nombreux livres, notamment « La diplomatie de connivence » [2] que je conseille toujours à mes étudiants. Bertrand Badie va nous parler justement de l’attitude des puissances face au conflit israélo-palestinien.
Monsieur le professeur, vous avez la parole.
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[1] Discours de M. François Mitterrand, Président de la République, notamment sur le rôle de l’ONU pour le respect du droit international, la position française dans le conflit du Golfe et la proposition de règlement global des conflits du Proche et du Moyen-Orient, aux Nations unies à New York le 24 septembre 1990.
[2] La diplomatie de connivence, Bertrand Badie, éd. La Découverte, 2011.
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Le cahier imprimé du colloque « Le Moyen-Orient dans la politique étrangère des puissances » est disponible à la vente dans la boutique en ligne de la Fondation.
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