Débat animé par Jean-Pierre Chevènement, Président de la Fondation Res Publica, au colloque « L’euro est-il soutenable ? Le nouveau test de la Grèce », lundi 13 avril 2015.

Jean-Michel Quatrepoint
C’est une négociation. L’idée d’avoir un euro-drachme ne peut se faire qu’en négociant avec Berlin et Bruxelles.

Qu’est-ce que la Grèce peut mettre dans la balance ?

La présidente de la Vouli (le parlement grec), Zoé Konstantopoulou, vient de lancer une « commission de vérité sur la dette grecque » (nommant un Belge [1] coordinateur de l’équipe scientifique internationale au sein de cette commission) pour analyser comment s’est constituée la dette publique et expliquer ce qui s’est passé en 2010, notamment le rôle qu’a joué Jean-Claude Trichet.

La question des réparations allemandes, dont vous avez parlé rapidement, est un point très important pour les Grecs. En Allemagne même certaines voix s’élèvent pour reconnaître qu’il y a peut-être quelque chose à faire parce que les Allemands n’ont payé en tout et pour tout que 115 millions de dollars à 96 000 personnes (ce sont des réparations individuelles et non pas des réparations globales et collectives). Peut-être cela peut-il être mis dans le plateau de la balance pour négocier et organiser effectivement une sortie programmée qui permette le retour dans l’euro. Ce système de monnaie commune serait présenté comme provisoire, le but étant de revenir ensuite dans le giron de l’euro. Le remboursement des 200 milliards de prêts libellés en euros – et qui doivent donc être remboursés en euros – étant à trente ans, on peut penser que d’ici là l’euro-drachme aura pu revenir dans l’euro.

Jean-Pierre Chevènement
On peut le penser mais cela ne se fera certainement pas !

Jean-Michel Quatrepoint
Mais il est important de le dire. Si on commence par dire que la monnaie commune a pour but de tout faire exploser pour revenir à toutes les monnaies nationales, on court à l’échec. Il faut donc présenter cette monnaie commune comme une mise en congé provisoire.

Jean-Pierre Chevènement
Il ne s’agit pas de tout faire exploser mais de substituer à un mauvais système un système qui puisse fonctionner.

Thanos Contargyris
La Grèce est confrontée à un problème de liquidité et le nœud coulant qui l’étrangle est justement le fait des mécanismes de la Banque centrale européenne qui, par exemple, n’autorise plus les banques grecques à détenir des dettes grecques. La Grèce, asphyxiée le 27 avril, ne pourra tenir au-delà du 15 mai.
On a deux solutions : faire défaut (il faut peser les avantages et les inconvénients de cette option) ou payer une partie de ce que l’État doit payer en interne avec cette nouvelle monnaie. L’idée a été évoquée sous différentes formes depuis 2012, notamment par la Deutsche Bank, avec Thomas Meyer, et par Frédéric Lordon dans un article du Monde diplomatique

Jean-Michel Quatrepoint
Si vous faites une monnaie commune, vous êtes obligé de négocier.

Thanos contargyris
Non, il s’agit de payer une partie des salaires des fonctionnaires et des pensions avec une nouvelle unité, sur le modèle des IoU [2] utilisés récemment dans le cadre de la défaillance de l’État de Californie… C’est une pratique assez répandue qui n’est pas interdite par les traités. On garde simplement les euros « durs » pour rembourser les dettes et on paye les fonctionnaires avec des euros « mous » internes. Tout le problème réside dans le dosage. Si cette monnaie « molle » n’est pas répandue à un taux trop élevé, si, par exemple, on ne paye que 10 % des salaires des fonctionnaires avec ça et qu’en échange ils peuvent payer leur TVA à travers une carte de crédit qui est de 23 %, ils recyclent cet argent qu’on leur a donné selon cette monnaie. C’est un mécanisme qui ne nécessite pas obligatoirement de négociation.

Jean-Pierre Chevènement
Je suggère que nous ne nous lancions pas dans des discussions trop techniques et je donne maintenant la parole à la salle.

Christian Teyssandier
Ma question n’est pas économique. Quel est actuellement l’état d’esprit des militaires de carrière à l’intérieur de l’armée grecque ?

Thanos Contargyris
À l’heure actuelle, la participation d’ANEL au gouvernement permet d’écarter complètement tout scénario d’un possible retour de la dictature militaire, contrairement à ce qu’augurait M. Barroso il y a quelques années si les Grecs ne faisaient pas le bon choix.

Olivier Delorme
Je crois avoir été le premier en France, le soir-même des élections, à annoncer à la télévision l’alliance Syriza-ANEL et l’entrée de l’ANEL dans le futur gouvernement.
L’une des raisons en est que Syriza n’avait pas de réseau dans l’armée ni dans les forces de sécurité alors que Pános Kamménos, devenu le ministre de la Défense, dispose de réseaux dans l’armée, dans les services de renseignement et dans les forces de sécurité. Et je note qu’il y a eu des mutations, des changements de postes, notamment dans les services de renseignement. L’armée grecque, qui s’est totalement démocratisée depuis 1974, n’a plus rien à voir avec l’armée de putschistes qu’elle était depuis les années 1930.

Les gens de l’ANEL sont l’équivalent de gaullistes qui n’ont rien à voir avec l’extrême-droite comme on l’a dit ici et là.

Jean-Pierre Chevènement
On pourrait comparer ANEL au mouvement de Nicolas Dupont-Aignan…

Olivier Delorme
La dimension sociale en plus. Le programme économique de l’ANEL est très proche de celui de Syriza. Ces deux partis ont d’ailleurs fait appel au même conseiller économique français pour élaborer leurs programmes économiques. On donne en France une vision totalement déformée de l’ANEL.

L’entrée au gouvernement de l’ANEL, et de Kamménos en particulier, a un autre intérêt : c’est un message adressé à la Turquie pour lui signifier que le gouvernement de Syriza ne sera pas un gouvernement d’abandon et fera face aux défis stratégiques, aussi bien à Chypre que dans la mer Égée. Ce n’est d’ailleurs pas étranger à la dette : la Turquie bloque en effet l’exploitation gazière en Égée depuis 1974 et s’oppose à celle des gisements récemment découverts au sud de Chypre, à la limite des eaux territoriales chypriotes et israéliennes. On peut penser que le problème de la dette grecque ne serait pas ce qu’il est aujourd’hui si les Européens n’avaient pas manqué totalement de solidarité stratégique avec la Grèce et s’ils avaient appuyé la Grèce beaucoup plus fermement qu’ils ne l’ont fait dans l’affaire du conflit de souveraineté sur l’Égée où on a laissé la Grèce seule. De même, quand elle a adhéré à l’UEO (Union de l’Europe occidentale), on a rajouté une petite ligne pour préciser que la garantie automatique de sécurité ne vaudrait pas si l’attaque venait d’un autre pays de l’OTAN… ce qui, dans l’ex-UEO, ne pouvait guère concerner un autre pays que la Grèce !

Lors du récent voyage à Moscou du ministre de la Restructuration productive [3], il a été question de la participation des Russes à l’exploitation gazière en mer Ionienne et au sud de la Crète, avec, peut-être, des avances russes sur les revenus de ce gaz. Le ministre, puis le Premier ministre Tsipras ont aussi discuté avec les Russes de la prolongation du gazoduc que les Russes vont construire du fait de l’abandon du South Stream [4] suite aux sanctions européennes. Ce tuyau, qui aboutit en Turquie, pourrait ensuite traverser l’Adriatique vers l’Italie du Sud d’une part, et de l’autre traverser l’ARYM, la Serbie (vieille alliée de la Russie), la Hongrie (nouvelle alliée de la Russie), pour aller vers l’Europe centrale. Et il permettrait de diminuer la quantité de gaz russe ayant à transiter par l’Ukraine.
Une fois de plus on est saisi par la myopie de nos responsables nationaux et européens qui semblent ignorer ces enjeux stratégiques majeurs !

Kamel Bouaissi
J’ai cru comprendre que, suite aux élections de ce début d’année, certains Grecs ont arrêté de payer leurs impôts et qu’on observe une fuite des capitaux depuis la Grèce vers les autres pays. Pourquoi le gouvernement grec ne fait-il rien contre cela ?

Jean-Pierre Chevènement
Il pourrait mettre en place un contrôle des capitaux, c’est la réponse qui s’impose. Mais apparemment ce n’est pas son choix.

D’autre part, les gens qui ne touchent pas leur retraite ne peuvent évidemment pas payer leurs impôts. J’ai rencontré des Grecs qui m’expliquaient que n’étant pas payés ils ne payaient pas leurs impôts… et qu’il ne se passait rien.

Olivier Delorme
Il faut préciser que l’impôt est prélevé à la source pour les salariés. La fraude sur l’impôt sur le revenu est donc relativement limitée.

Thanos Cantorgyris
Quand le gouvernement précédent est sorti, à la fin janvier, il y avait un retard d’environ un milliard dans les encaissements d’impôts. Ce retard a été comblé au mois d’avril, ce dont on a peu parlé. Il apparaît donc que, depuis l’arrivée au pouvoir de Syriza, les gens ont rattrapé leur retard d’avant les élections dans le paiement de leurs impôts.

Je voudrais également revenir sur les sorties de capitaux. On nous répète chaque semaine qu’il y a eu des sorties de capitaux massives depuis le 1er décembre 2014. Mais si on regarde la variation dans le temps, on n’observe pas de hausse parabolique mais plutôt une tendance à la courbe. La fuite de capitaux massive imputée à l’intransigeance du Syriza – et qui aurait « étranglé » la Grèce – ne s’est pas produite… mais on essaye de la provoquer.

Olivier Delorme
Sur la question fiscale on a entendu beaucoup de bêtises depuis cinq ans. La question fiscale en Grèce est une question de légitimité de l’État. Nous, Français, avons un État de mille ans. Nous avons bu avec le lait de notre mère l’idée que l’État était le défenseur du bien commun, de la Res Publica, et que ce que nous payions en impôts revenait en services. Les Grecs ne perçoivent pas leur État de la même manière. L’État grec date de 1830 et il a été constamment entre des mains étrangères. Sans refaire ici l’histoire de deux siècles, je rappellerai la « bavarocratie », puis la « xénocratie », quand les gouvernements grecs allaient chercher leurs ordres dans les ambassades occidentales. Les Anglais et les Français ont ensuite installé un « gouvernement d’occupation » au moment de la guerre de Crimée, puis ils sont intervenus en 1917 pour renverser le roi pro-allemand qui avait renvoyé un gouvernement pro-Entente. L’Angleterre a imposé une restauration dont les Grecs ne voulaient pas après la deuxième guerre mondiale puis la guerre civile a mis le gouvernement dans la dépendance des États-Unis jusqu’en 1974… L’État grec a été trop souvent l’instrument d’un impérialisme étranger pour être perçu comme le défenseur du bien commun.

De plus, jusqu’à la victoire de Syriza, il est entre les mains d’une toute petite caste sociale qui a détourné le suffrage universel, par le clientélisme, pour se maintenir au pouvoir et assurer la pérennité de ses privilèges fiscaux. C’est elle qui est responsable à la fois du clientélisme, de la « grande corruption », de l’évasion fiscale, du fait que les Grecs considèrent avec raison que les impôts qu’ils payent ne leur reviennent pas suffisamment en services. Là est en effet la question : le problème n’est pas que les gens ne payent pas leur impôt ou omettent d’éditer une facturette, le vrai problème est que le capital échappe massivement à l’impôt. Il faut ajouter que la Troïka a installé en Grèce un système de pression fiscale absolument hallucinant. Tandis qu’on coupait de 40 % les revenus des Grecs, on multipliait les taxes et on augmentait les impôts à de multiples reprises, si bien qu’on a pu vérifier une fois de plus le vieil adage que « trop d’impôt tue l’impôt ».
Mais la Troïka ne s’est jamais souciée des privilèges fiscaux de la caste qu’elle entendait voir se maintenir au pouvoir, puisque c’était elle qui appliquait sa politique et que les hausses d’impôt ne touchaient en réalité que les classes moyennes et les plus pauvres. En cela, elle ne s’attaquait nullement à la question fiscale, renforçant au contraire l’idée que l’État était, comme toujours, l’instrument d’une caste au service d’un pouvoir étranger.

Syriza est le premier gouvernement qui dit vouloir s’attaquer à la question fiscale, c’est-à-dire à la sous-imposition du capital, à la « grande fraude » et à la « grande corruption » qu’un ministre, ancien magistrat, est enfin chargé de combattre sérieusement. Il a aussi décidé d’étaler en 100 mensualités la dette fiscale des particuliers qui, du fait de la hausse de la pression fiscale ne pouvait plus payer. Il a aussi élaboré une loi, qui provoque le fort mécontentement de la BCE, interdisant la saisie du domicile principal (si celui-ci ne dépasse pas une certaine valeur) des contribuables qui ont une dette au fisc.

Frédérique Matter
Angela Merkel aurait dit qu’elle ne voyait pas d’inconvénient à ce que la Grèce sorte du système euro. Si c’est exact, la menace de la sortie de l’euro cesse d’être un levier pour les négociations.

Thanos Contargyris
Je ne crois pas que Mme Merkel se soit jamais montrée favorable à une sortie de l’euro de la Grèce.

Mais je ferai un parallèle : pendant très longtemps, la Grèce a opposé son veto à l’entrée de la Turquie en Europe, ce qui, au fond, arrangeait beaucoup de pays qui ont été bien ennuyés quand elle a levé ce veto. Dans les rapports internationaux, on avance parfois des choses pour provoquer le contraire. Mme Merkel a pu brandir la sortie de l’euro comme une menace destinée à effrayer les électeurs grecs pour qu’ils votent bien : il ne peut y avoir que l’enfer hors de l’euro !

Olivier Delorme
Durant les campagnes électorales de 2012 et 2015, elle est en tout cas intervenue à plusieurs reprises pour appuyer les partis pro-Troïka et leur discours selon lequel si les Grecs votaient Syriza ou si la Grèce sortait de l’euro, les retraites et les salaires ne seraient plus payés !

Fabrice Tampigny
Je poserai une question peut-être un peu technique mais qui peut avoir des répercussions politiques. On a dit tout à l’heure que la monnaie commune n’introduisait pas de hausse des taux d’intérêt. Mais, pour une entreprise ou un particulier qui a contracté un emprunt auprès d’une banque aujourd’hui, le passage à la monnaie commune va-t-il entraîner le remboursement de sa dette dans la monnaie du pays ou dans l’euro, monnaie commune de référence ?

Dominique Garabiol
La monnaie est celle du pays de la banque. Si le prêt a été contracté en France, il est converti en monnaie nationale et s’il a été contracté dans une banque dans un autre pays européen, le prêt est en euro.

François-Xavier Breton
Vous avez parlé de la Russie, de la Chine, mais comment les États-Unis suivent-ils la situation en Grèce ? Il est question de la sortie de la Grèce de l’euro, voire de l’Union Européenne. Pourrait-elle sortir de l’OTAN ? OTAN qui sans doute intéresse les États-Unis plus que l’Union européenne.

D’autre part, quel est le rôle des diasporas grecques de par le monde, notamment la diaspora grecque aux États-Unis ? Il me semble que jusqu’à présent les immigrés Grecs étaient plutôt démocrates, notamment ceux de New York. Peuvent-ils avoir un rôle sur la scène américaine et, plus largement, sur la perception que les États-Unis peuvent avoir de la Grèce ?

Thanos Contargyris
Les États-Unis sont des observateurs très mobilisés sur cette affaire. Peu après l’arrivée au pouvoir du gouvernement Tsipras, à la première réserve émise sur la politique de l’Union européenne vis-à-vis de l’Ukraine, Obama est immédiatement intervenu pour conseiller à ceux qui gouvernent l’Europe de desserrer l’étau sur la Grèce. Il s’agissait pour lui d’indiquer que la question grecque n’était pas simplement une question financière interne à l’Union européenne mais que les enjeux géopolitiques devaient être pris en compte par ceux qui prétendent exercer une hégémonie en Europe parce qu’il y va de leur responsabilité d’assurer que cette hégémonie ne soit pas contraire aux intérêts plus globaux des États-Unis et de l’Europe, donc de l’OTAN. La position américaine a été répétée lorsqu’Alexis Tsipras s’est rendu à Moscou le 8 avril dernier. Les Américains suivent cela de près et émettent des messages qui signifient au gouvernement grec qu’il ne doit pas aller trop loin et aux dirigeants européens qu’ils ne doivent pas pousser les Grecs à aller trop loin. On peut penser que les États-Unis ne resteraient pas complètement étrangers et neutres si des décisions prises par l’Union européenne risquaient de pousser la Grèce à faire des pas trop importants vis-à-vis de la Russie notamment. Si ce problème se présentait, il est probable que les États-Unis essaieraient d’y remédier de différentes manières.

La diaspora grecque aux États-Unis a toujours été démocrate mais, en même temps, elle a toujours eu tendance à soutenir les forces politiques de droite en Grèce. Il est intéressant de noter que, cette fois-ci, la diaspora semble être prise par le mouvement général de soutien au nouveau gouvernement grec, quoi qu’il soit de gauche, ce qui est contraire aux pratiques habituelles de cette diaspora qui pourrait donc être mieux utilisée dans la période qui vient.

Olivier Delorme
La diaspora grecque aux États-Unis n’a pas toujours été démocrate. Sous les Colonels, le ministre de l’Ordre public est un ancien cadre de l’Esso-Pappas (pétrochimie) : le Gréco-Américain Tom Pappas est le financier de la campagne présidentielle de Richard Nixon et lui rallie un autre Gréco-Américain Spiro-Agnew (né Theodore Spiro Anagnostopoulos) qui devient vice-président et apporte sa caution à la dictature en faisant le voyage d’Athènes en 1971.

Mais il est vrai que plusieurs membres du gouvernement actuel sont passés par des fondations démocrates américaines. Il y a donc des liens, des canaux d’information entre le gouvernement grec et l’administration américaine qui ne sont pas forcément des canaux officiels.

Quelques jours après l’élection du gouvernement Syriza, Obama a dit : « On ne peut pas continuer à pressurer un pays en pleine dépression » [5], des mots forts qui ont surpris en Europe.

Dans l’état où est aujourd’hui la Méditerranée orientale, la Maison blanche est peut-être également en train de réévaluer la position stratégique de la Grèce. La base aérienne de Souda, en Crète, est l’aéroport le plus proche d’une Libye en plein chaos. Les Russes sont en train de redéfinir une politique méditerranéenne : Poutine n’a pas lâché Assad et, récemment, il a été très bien reçu par le Maréchal Sissi en Égypte, auquel Washington bat froid. Enfin, la Turquie a de quoi inquiéter les Américains, à la fois par la dérive autoritaire et mégalomane d’Erdogan et sa réislamisation de la société, mais aussi par son jeu trouble à l’égard de Daech, les facilités que la Turquie laisse à ses combattants sur son territoire et qu’elle refuse aux Kurdes, le transit des armes et surtout le pétrole de contrebande qui est une des principales ressources de Daech, qui est évacué par la Turquie et acheté par des Turcs qui le commercialisent ensuite sur le marché mondial.

Dans la salle
Aucun des orateurs n’a évoqué l’église orthodoxe. Y a-t-il de ce côté un gisement de richesses qui pourrait être mis à contribution ?

Olivier Delorme
À la différence de l’Eglise catholique qui fonctionne selon un modèle pyramidal, les églises orthodoxes ont un fonctionnement horizontal. L’Eglise orthodoxe, ce n’est pas une Eglise mais 80 000 paroisses (plus que de communes) et 750 fondations. D’autre part, étant donnée la faiblesse de l’État social grec, l’église remplit toutes sortes de tâches qui devraient être du ressors de l’État (orphelinats, hôpitaux psychiatriques, hôpitaux pour enfant handicapés, bourses, foyers d’étudiants, etc.). On peut penser que si on demandait aujourd’hui à l’Eglise de payer plus d’impôts elle serait tentée de se désengager du secteur social. D’autre part, si l’Eglise n’est pas imposée sur sa fortune, elle paye des impôts sur ses revenus, les dons, les legs. De surcroît, il n’est pas facile d’évaluer un patrimoine global car chacune des 80 000 paroisses et 750 fondations possède ses propres biens qui sont gérés par des conseils en partie composés de laïcs. Enfin, il est vrai que l’Eglise est le deuxième propriétaire foncier du pays (après l’État) mais, comme la réforme agraire a concerné 80 % des terres agricoles, l’essentiel de la fortune foncière de l’Eglise consiste aujourd’hui en terres ne produisant aucun revenu. Restent les terres de bord de mer qui se sont valorisées et les terres en périphérie des villes qui se sont urbanisées. Mais il serait faux de dire qu’en Grèce la question fiscale va se régler par l’imposition de l’Eglise. La question est beaucoup plus complexe et il faudrait d’abord évaluer la richesse de chacune des paroisses.

Je voudrais encore ajouter que si, à la veille de la crise, une majorité de Grecs se prononçaient pour la séparation de l’Eglise et de l’État, longtemps impensable en raison du rôle de conservatoire national qu’elle a joué sous les quatre siècles de domination ottomane, la politique de la Troïka, en paupérisant massivement la société, et en rendant nombre de Grecs dépendants d’une aide alimentaire et médicale dont l’Eglise est la principale dispensatrice, cette politique a contribué à remettre l’Eglise au centre du champ social.

Enfin, il faut préciser qu’Alexis Tsipras est le premier chef de gouvernement grec à avoir prêté serment sur la Constitution, non sur les Évangiles et entre les mains de l’archevêque d’Athènes. Ce dernier a en outre assuré le gouvernement que l’Eglise (dont l’ANEL est proche) continuerait son action sociale et qu’elle était même disposée à contribuer au remboursement de la dette du pays qui pourrait prendre la forme d’un partage avec l’État des revenus des biens de l’Eglise qu’une société mixte pourrait être chargée de mettre mieux en valeur qu’ils ne le sont.

Jean-Pierre Chevènement

Nous sommes édifiés, M. Delorme, et je pense que vous avez gagné un billet pour le paradis. En tout cas, tout ce qu’avaient de très anticonformiste vos propos sera blanchi…

Je voudrais terminer en disant que, si un « Grexident » devait survenir, il serait important que la France mette en œuvre toutes les procédures d’assistance. M. Giscard d’Estaing lui-même a proposé une sortie assistée et amicale. À l’évidence, il faudrait permettre à la Grèce de faire défaut sur une partie de sa dette, proportionnelle à la dévaluation qu’enregistrerait la monnaie grecque, mais il faudrait absolument que des crédits européens aident le peuple grec à traverser une phase qui, au départ, serait difficile mais qui, à terme, lui permettrait de remonter la pente.

Je remercie nos intervenants.

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[1] Éric Toussaint, membre du comité pour l’annulation de la dette du tiers monde (CADTM).
[2] IoU : « I own You », reconnaissance de dette non négociable mais échangeable utilisée par l’État de Californie en juillet 2009 pour payer ses salaires et ses prestations malgré ses difficultés de trésorerie.
[3] Le ministre de la Restructuration productive, de l’Environnement et de l’Énergie, Panagiotis Lafazanis, a effectué fin mars 2015 une visite de 48 heures à Moscou sur invitation du ministre russe de l’Énergie, Alexander Novak. Il s’agissait pour les deux ministres de faire le tour de l’ensemble des dossiers énergétiques, avec en priorité les relations bilatérales dans ce domaine. Le ministre grec a rencontré également le directeur exécutif de Gazprom, Alexeï Miller, ainsi que des représentants de la Douma et des officiels gouvernementaux.
[4] Vladimir Poutine a annoncé, le 1er décembre 2014, depuis Ankara, l’abandon du projet de construction du gazoduc South Stream. D’une capacité de 63 milliards de m3 par an, il devait relier Anapa (en Turquie) à Varna (en Bulgarie) par le fond de la mer Noire, puis Baumgarten (en Autriche), où se trouve le hub, par voie de terre, (après avoir desservi la Hongrie et la Serbie). “Puisque la Commission européenne n’en veut pas, eh bien nous ne le ferons pas, et nous réorienterons nos ressources énergétiques vers d’autres régions du monde”, a-t-il souligné. En effet, la Commission refuse de donner son feu vert, considérant que le projet contrevient à la législation européenne anti-monopole.
[5] Déclaration de M. Obama sur CNN le 1er février 2015. Il ajoutait : « à un moment donné, il faut une stratégie de croissance pour pouvoir rembourser ses dettes »
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Le cahier imprimé du colloque « L’euro est-il soutenable ? Le nouveau test de la Grèce » est disponible à la vente dans la boutique en ligne de la Fondation.

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