Pour les marchés, le risque sur la dette française reste sept fois plus important qu’avant la crise
Les écarts de taux d’intérêt au sein de la zone euro sont apparemment faibles. En réalité, ils reflètent un différentiel de prix des obligations des très important, qui témoigne d’une crise persistante. Tribune de Dominique Garabiol, professeur associé à Paris-8, membre du Conseil scientifique de la fondation Res Publica, publié dans La Tribune le 8 octobre 2014.
Les objectifs des Traités sont pourtant atteints. Comme le note Jurgën Stark , l’objectif en matière d’inflation est la stabilité des prix, et non une inflation à 2%, et le seul pays en déflation réelle est la Grèce. Même les objectifs secondaires des Traités sont atteints : le déficit public de la zone a été ramené sous les 3% en 2013, la compétitivité hors norme de la zone se traduit par un excédent courant de 2,4% du PIB en 2013 rivalisant avec celui de la Chine dont on se plaint de la sous-évaluation de la monnaie, les conditions monétaires sont très favorables avec des taux d’intérêt à long terme qui n’ont pas cessé de baisser depuis la conclusion du Traité de Maastricht en 1992. L’allocation des ressources de la zone est de plus efficace, le sous-emploi se concentrant dans les zones les moins productives (avec un pic au printemps 2014 de 36,3% en Andalousie contre 2,6% en Haute-Bavière).
Des écarts de taux d’intérêt effectivement réduits entre pays européens
Dans cette optique institutionnelle, à laquelle se tiennent nos voisins d’outre-Rhin et la Commission de Bruxelles, les difficultés de la zone sont locales. Il appartient donc aux gouvernements de mener les réformes structurelles afin d’améliorer leur potentiel de croissance, ce qu’ils s’efforcent de faire. Les marchés semblent de prime abord y croire puisque les spreads (écarts) de taux avec la dette de l’Etat allemand sont réduits de 60% à 70% depuis l’épisode aiguë de la crise de la zone en 2012.
En Espagne, la reprise n’ira pas bien loin
Mais ces réformes sont contre-productives pour le traitement de la crise elle-même. Le recul de l’âge de retraite n’entraîne à court terme qu’une réallocation du chômage au détriment des jeunes (50% dans les pays périphériques, 25% en France), dont l’indemnisation est, il est vrai, moins coûteuse que la retraite des seniors. La réduction des déficits publics et la flexibilité du marché du travail avec la baisse de coût de travail sont à court et moyen termes dépressives.
La reprise espagnole donne espoir mais elle est avant tout due à un relâchement de la rigueur salariale et budgétaire, donc à la demande intérieure. Le commerce extérieur recommence à se détériorer rapidement et la reprise des investissements productifs n’a, pour l’heure, que permis de ralentir la désindustrialisation du pays. Si la période d’austérité a permis un désendettement significatif des ménages, celui-ci a été plus que compensé par le déficit public. L’Espagne n’est surtout jamais parvenue à réduire sa faramineuse dette nette extérieure (100% du PIB). La reprise ne peut aller bien loin sans que les contraintes financières n’apparaissent à nouveau.
Les dettes européennes sont encore 7 à 25% fois plus risquées qu’avant la crise de l’euro
Les marchés restent lucides. Un spread (écart) de taux s’assimile à une prime risque. Le risque de l’investisseur s’exprime naturellement en termes de variation de prix et la lecture des spreads nominaux apparaît bien trompeuse. Traduit en termes de prix des obligations, l’anticipation des marchés reste encore préoccupante.
Le prix d’une obligation est lié au taux d’intérêt par une relation actuarielle, fonction inverse du taux d’intérêt. Comme toute fonction inverse (de type y = 1/x), elle est convexe. Son résultat, le prix de l’obligation, est d’autant plus sensible aux variations de taux d’intérêt que le taux d’intérêt est faible. Sur une obligation à 10 ans, une hausse de taux de 0,01 fait perdre 0,06 du prix si le taux d’intérêt est à 10. Cette déprécation passe à 0,08 si le taux d’intérêt est à 5 et à 0,1 s’il est à moins de 1. Et actuellement, les taux sont justement à 1 !
L’évolution des spreads nominaux doit donc être interprétée en tenant compte de la variation de leur impact sur les prix obligataires. Si l’Etat français avait emprunté avec un coupon identique au Bund, il aurait levé 12% de moins de fonds que l’Etat allemand au pire de la crise de l’euro. Cette dépréciation de la dette est l’estimation du risque par le marché. Cette dépréciation s’est sensiblement réduite depuis, mais reste encore 7 fois supérieure à son niveau d’avant crise, comme pour l’Italie. Pour l’Espagne et la Grèce la dépréciation est environ 25 fois plus importante qu’avant la crise en dépit de leurs efforts.
Le marché évalue entre 10 à 40% la dépréciation des actifs des Etats périphériques
Tout comme on peut déduire une « volatilité implicite » du prix des options, on peut ainsi déduire une « dépréciation implicite » des taux obligataires. La réduction du spread nominal de la Grèce de près 25 à 5,7% laisse encore à une anticipation de dépréciation du prix de la dette de 40. Pour l’Espagne et l’Italie, les dépréciations atteignent respectivement 10 et 12%. Ces décrochages peuvent prendre différentes formes, équivalentes pour l’investisseur : défaut des États et restructuration des dettes ou dépréciations monétaires avec la réintroduction d’instruments monétaires nationaux. Pour les investisseurs, si la politique de la BCE a permis de sortir de l’épisode aiguë de la crise par la réduction des taux et des spreads nominaux, donc de la charge de la dette, la crédibilité de la zone euro reste à rétablir. La fébrilité des débats monétaires et budgétaires se comprend.
La hausse du dollar pourrait accroître les tensions au sein de la zone euro
Dans ce contexte, la normalisation attendue de la politique monétaire de la Fed peut avoir des effets pervers sur l’évolution des spreads. La dépréciation de 10% de l’euro par rapport à son plus haut de l’année devrait réduire les contraintes de compétitivité des pays en difficultés et conduire à une réduction des « dépréciations implicites ». Mais les arbitrages de « carry trade », avec l’émergence de positions d’emprunts en euros pour acheter des actifs en dollars, au lieu de positions inverses, pourraient conduire au contraire à leur accroissement. Les investisseurs prêtent aujourd’hui à l’Espagne à un taux inférieur à ce qu’ils demandent aux Etats-Unis pour des emprunts de 10 ans (2,04 contre 2,30), ce qui peut paraître audacieux et peu cohérent avec les anticipations de baisse d’euro. La vente d’actifs en euros au profit d’actifs en dollars pourrait rétablir une hiérarchie des conditions d’emprunt plus intuitive et malheureusement accroître une nouvelle fois les tensions sur l’euro
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