Du dollar au yuan ou du dollar au DTS ?

Intervention de Jean-Luc Gréau, économiste, membre du Conseil scientifique de la Fondation Res Publica, au colloque « La guerre des monnaies ? », lundi 28 avril 2014.

Avant de laisser la parole aux intervenants qui ont bien voulu répondre à l’invitation de la Fondation Res Publica, je rappellerai quelques choses simples.

Je considère que la monnaie est la question la plus difficile de toute la réflexion économique. Personnellement, après quelques dizaines d’années passées à patrouiller sur les réflexions des économistes du passé et du présent, je m’interdis de dire quoi que ce soit sur la nature de la monnaie.

Néanmoins cette question, très académique dans sa présentation, de « la guerre des monnaies » se pose.

Il ne faut pas confondre « guerre des monnaies » et « guerre des changes ».

Le problème de la « guerre des changes » se pose aussi, d’autant plus que, depuis quelques années, les États-Unis ont compris qu’ils ne pouvaient pas maintenir leur course avec une monnaie surévaluée. Il en est de même pour le Japon qui a procédé à une dévaluation massive. Cette question, qui ne concerne pas l’euro, lequel reste juché en position suréminente au sein du système des changes, est reliée à la « guerre des monnaies » qui consiste à savoir quelle monnaie peut être prééminente dans le système monétaire et financier international.

Le livre de M. Mistral présente l’avantage énorme de nous proposer un historique précis, didactique, particulièrement informé, des deux derniers siècles marqués par la domination de la livre sterling dans le cadre d’un système dit d’étalon-or.

Deux choses sont à remarquer :

Il convient de distinguer l’étalon (l’or) et la monnaie des transactions commerciales et financières (la livre sterling).

On vérifie en lisant le livre de M. Mistral, que la place centrale monétaire et financière qu’est Londres est décisive pour la bonne marche du système de commerce et de finance international de l’époque. Si le marché interbancaire de Londres se bloque, c’est tout le système économique qui y est rattaché, autant dire une grande partie du monde, qui se bloque. Or, c’est arrivé plusieurs fois à cette époque. Cette période de domination de la livre sterling est rattachée à la période de domination de l’économie anglaise qui reste la première en termes d’avance technique et d’organisation jusque vers le milieu de la deuxième moitié du XIXème siècle. Plus tard, les choses changent, en particulier parce que deux pays, l’Allemagne et les États-Unis, commencent à monter au firmament de la puissance économique.

Une question me tarabuste :

Une monnaie peut-elle être en même temps un étalon ou bien ces deux rôles doivent-ils être séparés ?

C’est une question de fond de la théorie économique. Je ne doute pas que les trois intervenants qui vont me succéder auront quelque chose à dire à ce sujet.

Il y eut ensuite ce que Jacques Mistral appelle la « Pax americana », c’est-à-dire le règne du dollar, qui n’est pas achevé. Les États-Unis, qui dès la fin de la Première guerre mondiale étaient la première puissance économique mondiale, n’ont pas voulu ce règne du dollar. Ils ne souhaitaient pas être au centre du système mondial. Il a fallu la grande dépression de 1930 puis la Deuxième guerre mondiale pour que les États-Unis s’installent, avec le dollar, au centre du système commercial, monétaire et financier mondial dans le cadre d’un système de change fixe et stable, celui de Bretton Woods, établi à partir de 1944, dont ils ont dicté les termes. Le dollar devint dès lors à la fois la première grande monnaie de transaction internationale et l’étalon du système de Bretton Woods. Dans ce cadre les deux rôles sont confondus.

La prééminence, la domination commerciale des États-Unis s’affaiblit dès les années 60 et le problème se posa de savoir ce qu’il adviendrait du dollar et du système de Bretton Woods. C’est Richard Nixon qui en décida entre 1971 [1] et 1973 [2], par deux décisions consécutives qui marquèrent la fin du système de Bretton Woods. Mais, pour autant, le dollar subsiste.

Une question se pose :

Comment le dollar a-t-il pu rester la première monnaie de transaction commerciale et financière à l’échelon mondial après la rupture du système de Bretton Woods ?

Cette question en entraîne une autre :

En 2014, nous sommes dans un nouveau dispositif. Irons-nous vers un système dominé par une monnaie (le dollar ou le yuan dans quelques temps) ou bien devrions-nous essayer de dépasser ce schéma (une monnaie au centre du système économique mondial) pour aller vers une vraie monnaie internationale ?

La question est abordée par Jacques Mistral dans son ouvrage où il reprend et développe l’affaire des DTS (Droits de tirage spéciaux).

Antoine Brunet va nous donner sa vision de la manière dont la puissance économique chinoise continue à développer ses capacités productives et financières. Il nous livrera son estimation des réserves de change de la Chine, seul pays du monde qui peut apporter les ressources nécessaires au Fonds monétaire international.

Olivier Passet parlera de l’euro, rappelant que celui-ci fut créé il y a vingt-trois ans pour rivaliser avec le dollar, voire pour surpasser le dollar. Jean-Claude Trichet se serait même hasardé à dire il y a dix ans : « Nous allons être la monnaie mondiale » (répondant déjà à la question que je viens de poser). Mais nous Européens avons péché par orgueil (la modestie est bien meilleure conseillère), nous avons cru que l’euro était la panacée de nos difficultés économiques. L’Agenda de Lisbonne [3], lancé en 2000, devait s’achever en 2010. Or c’est à la fin de cette décennie qu’éclata la crise de la zone euro. Cet euro avait donc suscité bien des illusions. C’est un problème de fond pour lequel j’ai ma réponse (mais je ne vous l’inflige pas). Objectivement, nous, Européens, nous sommes ridiculisés au regard du reste du monde. Les pays émergents ont avancé, la Chine est devenue un pays industrialisé et les États-Unis ont adopté une stratégie de reconquête. Pendant ce temps, nous nous regardions le nombril, convaincus que nous étions les meilleurs du monde.

Je poserai une question :

Nous avons connu une crise américaine, que je crois être la manifestation d’une crise de la mondialisation, tout comme l’a été la crise de la zone euro, aggravée par un problème initial de conception de l’euro.

Allons-nous connaître dans les mois ou les années à venir une nouvelle manifestation de crise qui nous projettera dans une situation chaotique comparable à celle qui débuta en 2007-2008 et qui, pour l’instant, est traitée par la prodigalité des banques centrales ?

Voilà toutes les questions que j’avais à poser.

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[1] Le 15 août 1971, Nixon rend le dollar inconvertible en or, proposant néanmoins de réunir un sommet pour redéfinir un nouveau cours du métal jaune et une nouvelle grille de parités. Le 18 décembre 1971, l’accord du Smithsonian Institute prévoit l’inconvertibilité or du dollar et la dévaluation de la monnaie américaine de 7,89%.
[2] En mars 1973, l’administration Nixon abandonne le dollar aux fluctuations du marché : c’est le début des changes flottants.
[3] En mars 2000 le Conseil européen de Lisbonne avait présenté une stratégie s’étalant sur dix ans et visant à faire de l’Union Européenne l’économie la plus compétitive et la plus dynamique du monde.

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Le cahier imprimé du colloque « La guerre des monnaies ? » est disponible à la vente dans la boutique en ligne de la Fondation

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