Actualité de la référence à la sharî’a en France et en Europe : controverses, débats et perspectives

Intervention de Franck Frégosi, chargé de recherche au Centre National de Recherche Scientifique, au séminaire « La Charia : qu’est-ce à dire ? » du 15 avril 2013

Merci, Monsieur le ministre. En effet, j’ai eu l’occasion, il y a quelques années, d’intervenir, lors d’un de vos colloques, sur la question de l’islam en France [1], sous un angle qui m’est beaucoup plus familier que les considérations relatives à la sharî’a, fût-elle éternelle ou pas. C’était la question de la formation des cadres religieux, comme projet et comme prospective. Ce travail a cheminé depuis et a trouvé des concrétisations plus ou moins heureuses dans notre pays.

Ce soir, mon propos sera plutôt d’essayer de vous donner le point de vue d’un politiste, d’un sociologue du fait religieux, notamment du fait islamique, en France et en Europe. Je ne me prononcerai absolument pas sur ce qu’est la nature intrinsèque de la sharî’a – sur laquelle je crois d’ailleurs qu’on ne peut pas se prononcer. En revanche, j’ai quelques idées sur la façon dont un certain nombre d’acteurs musulmans en parlent dans l’espace européen.

Je voudrais, en guise de prolégomènes, essayer de contextualiser ce type de discussion.

La question de l’adossement réel ou supposé à la sharî’a des revendications émanant de personnes de culture musulmane constitue la toile de fonds générale sur laquelle prennent en partie corps les discours alarmistes, qui, dans nos sociétés de l’Europe occidentale génèrent des crispations et nourrissent des controverses à propos de la pratique de l’islam. Ces discours se nourrissent également d’une actualité internationale au sein de laquelle les soubresauts touchant le monde islamique occupent une place prééminente et renforcent l’impression que la question de la double place de l’islam comme réalité religieuse et des musulmans comme réalité démographique ne va pas de soi et nécessite un surcroît de vigilance de la part des pouvoir publics et le vote de nouvelles lois visant à encadrer de façon de plus en plus rigide certaines expressions publiques de l’islam. Parmi toutes les interrogations qui, habituellement, viennent à l’esprit par rapport à l’enracinement progressif de l’islam en France, la question de l’incompatibilité entre les principes normatifs de la loi islamique et ceux du droit étatique national occupe une place privilégiée. J’en veux pour preuve le sondage IPSOS pour le journal Le Monde de janvier 2013 qui semblait établir que l’islam était de loin la religion la plus rejetée par les français ; celle-ci apparaissant pour 74 % de nos compatriotes comme la religion intolérante par excellence incompatible avec les valeurs de la société française, alors que seulement 28% portaient un jugement similaire sur le catholicisme. Toujours est-il que 8 Français sur 10 estimaient que la religion musulmane cherchait à «imposer son mode de fonctionnement aux autres » et que les musulmans sont « en majorité ou en partie intégriste ». Ce sondage établissait aussi que ce sentiment de défiance était généralisé et présent dans toutes les couches de la population, les tranches d’âge et les appartenances politiques. C’est ainsi que 61% des sympathisants de gauche et 66% des moins de 35 ans considèrent que l’islam est incompatible avec les valeurs républicaines. Un précédent sondage IFOP pour le Figaro réalisé en Octobre 2012 avait déjà pointé que 43% des sondés considéraient que la présence d’une communauté musulmane en France était « plutôt une menace », contre seulement 17 % « un facteur d’enrichissement culturel pour notre pays », 40 % « ni l’un, ni l’autre » [2].

Cette interrogation en forme d’angoisse sert souvent de prétexte à un renforcement des inquiétudes par rapport au devenir de «l’intégration» progressive des musulmans et affermit, chez une minorité, des réflexes de type phobiques envers l’islam.

Une défiance similaire est aussi perceptible également parmi les personnes et les intellectuels de culture musulmane elles-mêmes. Ainsi Michel Hîlal Renard cofondateur de la revue Islam de France (la seule revue intellectuelle musulmane pluraliste de la décennie 90, aujourd’hui disparue), pointait-il l’impossible conciliation entre les lois de l’islam et celles de la République [3], et la sociologue Leïla Babès enseignante au sein de la Faculté catholique de Lille présentait la sharî’a comme étant fondée sur le rejet des valeurs occidentales [4]. «Tout le monde éprouve un malaise dès lors qu’il s’agit de la sharî’a, écrivait à son tour, l’imam et jurisconsulte Tariq Oubrou, Les musulmans eux-mêmes sont gênés lorsqu’ils parlent de cet aspect normatif de l’islam. On accepterait bien un islam débarrassé de la sharî’a : un islam sécularisé, proposeront d’autres ! » [5].

Au regard d’une actualité récente (affaire Baby Loup) j’en viens parfois à me demander si, pour nombre de nos compatriotes et de nos décideurs, l’islam ne constituerait pas le creuset de toutes les peurs sociales et un formidable prétexte pour détourner l’attention des vrais problèmes sociaux, un chômage endémique liés à l’enlisement dans une crise économique et financière durable, les effets pervers d’une mondialisation et d’un capitalisme financier dépourvus de toute régulation sans parler du mal être généralisé. À défaut d’être toujours en capacité de répondre efficacement aux défis du moment, d’assumer ses erreurs, on brandirait comme ultime argument la fameuse antienne de la faute à l’islam, et ce faisant on en fait l’origine et paradoxalement la solution à tous nos maux. Les musulmans de ce pays n’en demandaient pas tant.

Ils seraient ainsi condamnés à être porteur d’une altérité indépassable et sommés au mieux de renoncer à une partie d’eux-mêmes, se délaisser de certaines de leurs pratiques au risque de se voir imposer par le haut un processus de domestication comme préalable à leur invitation définitive « à la table de la République ». Je fais mienne cette expression dont Jean Pierre Chevènement avait usé lors du lancement de l’istischara, la consultation des musulmans de France en 1998 dont le CFCM est l’avatar indirect et qui semblait avoir l’immense avantage d’user d’une belle image de commensalité que l’on doit à Maurice Agulhon.

En parlant de surenchère à l’encontre de l’islam et des musulmans je mesure ce que mon propos peut avoir de dérangeant voire d’agaçant, mais il est un fait que j’ai le sentiment que l’on semble exiger aujourd’hui des musulmans et des musulmans de France en particulier, en de multiples circonstances, des abandons ou des renonciations auxquels d’autres cultes n’ont jamais été soumis. J’ajoute que ce qui renforce mon scepticisme réside dans le fait que semblent se dessiner sous nos yeux les contours d’une laïcité à la fois de plus en plus sélective à l’encontre de l’islam et extensive quant à son champ d’application. On tend peu à peu à glisser progressivement de principes et de règles régissant les relations entre les institutions publiques et les institutions religieuses et garantissant la liberté de conscience dont la liberté religieuse découle à une sorte de principe général d’organisation de toute la société, de la sphère publique comme de la sphère privée (cf. débat sur l’extension de l’obligation de neutralité au monde l’entreprise privée !).

S’agissant plus précisément de cette question de la référence à l’idée de shar’îa je me propose de mesurer combien et de quelle manière la référence à la sharî’a imprègne les discours et sert de support (au besoin de repoussoir !) à plusieurs opérateurs et acteurs du champ islamique européen et en France en particulier. Comment ces acteurs s’y réfèrent et d’en proposer une grille d’analyse.

Je tenterai ensuite d’identifier dans ces déclinaisons de la référence à la sharî’a quelques constantes et quelques disparités au regard des débats auxquels participent ces différents acteurs sans oublier d’interroger la pratique des États européens en la matière.

1/ Vers une sharî’a plurielle ?

L’analyse des discours et des déclinaisons du référentiel sharî’a selon les types d’opérateurs et les contextes d’énonciation donne l’impression que le vocable de sharî’a recouvre en fait pour les musulmans eux-mêmes sinon des réalités distinctes, à l’image de la réalité plurielle qui est celle de l’islam en Europe, du moins chacun tend à produire sa version de la sharî’a présentée comme la « bonne » et la « seule » version authentique.
La multiplicité des discours et des déclinaisons du référentiel sharî’a donne l’impression que derrière une commune référence à la sharî’a les musulmans européens perçoivent des réalités sinon antinomiques du moins devant nécessairement faire l’objet de redéfinition voir d’une relativisation, preuve s’il en est que cette référence à une législation d’inspiration religieuse obéit à des usages sociaux différents [6] avant de renvoyer à un ensemble supposé homogène de normes prétendument immuables.

La sharî’a assumée

Si d’un côté la référence à la sharî’a constitue bien pour les tenants de la thèse de « l’islamisation » larvée des sociétés occidentales un repoussoir pratique, il faut en même temps reconnaître que certains musulmans européens de leur côté assument pleinement le fait de se référer à la sharî’a perçue comme une ensemble homogène de règles dont l’application littérale ne saurait souffrir aucune exception ou relativisation.

Pour ces opérateurs islamiques gardiens inflexibles d’une sharî’a réputée d’essence divine c’est précisément l’existence même d’une loi sacrée qui fonde l’originalité de l’islam et sa force par rapport aux autres traditions religieuses. Doté d’une législation supposée transcendante l’islam aurait la capacité de résister aux effets jugés néfastes du monde contemporain : matérialisme, relativisme éthique, marchandisation (…).

Telle est notamment l’opinion qui se dégage des différentes déclarations et écrits du directeur du Centre islamique de Genève du quartier des Eaux vives, Hani Ramadan. En 2002, celui-ci avait notamment écrit un article dans la rubrique « débats » du quotidien Le Monde [7] dans lequel il entendait réagir à la vague de protestations après l’annonce de la condamnation à mort en application de la loi islamique de deux femmes nigérianes accusées d’adultère. Hani Ramadan avait rappelé que la rigueur des peines corporelles prescrites témoignait avant tout du caractère dissuasif de celles-ci et que s’agissant de l’adultère, avant d’être puni, celui-ci devait être dûment et visuellement constaté par quatre témoins, « ce qui écrit-il est pratiquement irréalisable » [8] d’une part, et que l’accusé(e) pouvait toujours revenir sur son aveu d’autre part. Hani Ramadan devait poursuivre en précisant que si la peine découlant d’une injonction divine « est éprouvante pour les musulmans eux-mêmes. Elle constitue une punition, mais aussi une forme de purification » [9] pour le coupable.

«Les musulmans, poursuit-il, sont convaincus de la nécessité, en tout temps et tout lieu, de revenir à la loi divine. Ils voient dans la rigueur de celle-ci le signe de la miséricorde divine. Cette conviction n’est pas nourrie par un fanatisme aveugle, mais par un réalisme correspondant à la nature des choses de la vie ». [10]

Dans le même article l’auteur évoquant le sida, fit valoir que les souffrances endurées par les personnes atteintes du sida devaient être également assimilées à une punition divine infligée à ceux qui enfreignent les lois du « Tout-Puissant », au même titre que ceux condamnés à la lapidation pour adultère.

Cette tribune souleva une vive polémique et fut utilisée comme élément à charge dans un contentieux qui devait opposer Hani Ramadan aux services de l’éducation publique de la ville de Genève dont il relevait comme enseignant.

Dans le même esprit on peut évoquer les propos de Yahya Michot, universitaire belge de confession musulmane, spécialiste d’Ibn Taymiya (enseignant actuellement en Grande-Bretagne). Lui, situant son propos à un niveau nettement plus global et plus métaphysique, insistait sur le fait que l’originalité de l’islam résidait précisément dans sa conception de la norme divine, d’une loi intrinsèquement raccordée à Dieu et codifiée une fois pour toute dans le texte coranique. L’archaïsme souvent reproché à l’islam devient sous sa plume « un signe d’authenticité » [11]. Michot fait ainsi de la référence à la sharî’a dans l’islam un quasi signe d’élection, d’excellence de la religion musulmane par rapport aux autres traditions religieuses, qui, elles auraient consenti à une désacralisation de la norme. « Dans la soûlerie létale de notre temps écrit-il en mai 1992, et alors même qu’ils ne refusent pas toujours de goûter aux brandies occidentaux – on pourrait parler d’eaux de mort plutôt que d’eaux de vie –, les Musulmans persisteront ainsi à dire, en des termes que l’Occident ne devrait pas cesser de comprendre et tout près de son oreille: ‘Ne bois pas! Souviens-toi de la Loi! ‘ Leur mission est en effet d’être, vis-à-vis des hommes, des témoins du Très Haut ». [12]

Pour lui la sharî’a, «ainsi que l’indique son étymologie écrit-il, est une ‘voie’, un ‘chemin’, c’est-à-dire aussi un way of life, sinon un art de vivre, celui-là même qui fait la beauté de l’ordre cosmique participant lui aussi à la glorification de son Créateur ».1

Ce plaidoyer en faveur de la sharî’a le conduit à totalement assumer la part de violence nécessaire que peut induire l’observance de la législation islamique. « En tant que sharî’a, en d’autres termes en tant non seulement que Loi, mais que voie (…), l’Islam se devait donc de réguler la violence plutôt que de la taire ou de l’ignorer et, partant, de lui laisser le champ libre, qu’il s’agisse du combat à mener contre elle ou, en cas de nécessité, de son exercice par la communauté des croyants ». La fidélité à la sharî’a caractériserait donc la voie de la « communauté médiane » (mmatan wasatan) qui doit se prémunir contre toute espèce de violence politique excessive mais sans sombrer dans l’irénisme pour autant. « Les Musulmans prévient-il, n’ont donc pas à réinventer leur religion (…). Dans une fidélité raisonnée à l’essence du Message coranique et de l’exemple prophétique (…) ils ont à poursuivre leur cheminement, et parfois leur combat, sur le chemin de la sharî’a, un chemin étroit certes mais qui est celui des braves promis au salut, que les Anges accueillent avec des souhaits de paix, et pas à suivre les beaux prêcheurs errant en leurs actes d’un excès à son contraire, sur qui s’abattra la colère de Dieu ».
Aussi bien Hani Ramadan que Yahya Michot illustrent chacun avec leur style particulier, comment la sharî’a devrait être totalement assumée par tous les musulmans y compris dans son versant le plus contraignant.

La sharî’a récusée des intellectuels musulmans dits «éclairés»

La référence à la sharî’a est également présente dans les écrits et les prises de paroles publiques des intellectuels de culture musulmane qui sont souvent médiatiquement valorisés comme exprimant les voix réformatrices de l’islam.

L’élan réformiste du début du XXème siècle leur apparaît comme un processus intellectuel incomplet, qu’il faut pouvoir réactualiser car porteur de rationalité, voire dépasser en repensant totalement l’islam. Cela passe notamment par la prise en compte des acquis des sciences historiques et de la linguistique pour déboucher sur une nouvelle compréhension du texte coranique et une prise de distance par rapport à la législation islamique.

Quelques-uns comme l’universitaire Leïla Babès [14] ont par exemple impulsé une réflexion stimulante sur la part coercitive inhérente à la sharî’a, qui l’amène à mettre l’accent sur la dégradation progressive de l’islam d’un message éthique en « une religion de la loi ». Elle n’hésite pas à fustiger au passage le repli de l’islam sur la seule sphère du culte, des interdits, la « fantasmagorie ritualiste » [15], dénonçant pêle-mêle le piétisme et l’orthodoxie des courants religieux conservateurs (Tabligh, Frères musulmans, Salafisme…) au profit d’un islam émancipé de la lettre de sa loi. Mohsen Ismaïl, théologien de formation, en réévaluant de façon critique et argumentée la hiérarchie des sources dans la législation islamique (fiqh) et notamment le rôle prépondérant de la coutume (‘urf) dans l’économie générale de la théorie juridique en islam promeut lui l’idée de son caractère conjoncturel et évolutif et, partant de là, de son légitime remplacement par un ordre légal totalement sécularisé [16]. Un point de vue similaire est également défendu par Abdelwahhab Meddeb. À ses yeux, l’Europe constitue le cadre privilégié de rayonnement d’un « site post-islamique » en « incitant les citoyens musulmans d’Europe à vivre selon leur libre conscience, dans l’esprit du droit positif et de la charte des droits de l’homme et en abolissant toute référence à la sharî’a » [17]. C’est à cette condition que les musulmans pourront devenir selon lui des « musulmans du libre choix » qui dans le renoncement même à la lettre de la religion seraient néanmoins capables d’assumer leur filiation culturelle à l’islam. « Refuser de vivre sous l’empire de la lettre, accepter après son effacement son retour sous forme de trace, voilà qui fonde écrit-il, l’éthique de la fidélité au risque de l’infidélité » [18]

Bien qu’ils récusent toute référence à la législation coranique, les tenants d’une modernisation radicale s’inscrivent néanmoins dans une optique sinon apologétique en tout cas restauratrice de l’islam « authentique », de l’islam originel, c’est-à-dire d’un islam «pur» non altéré par les développements normatifs et politiques plus tardifs. Ces « modernes » sont donc aussi des « nostalgiques » d’un islam éternel plus ou moins idéalisé et pour quelques-uns de la période prophétique inaugurale [19].

Abdelwahab Meddeb oppose à la littéralité de la loi islamique le patrimoine « dionysiaque » de l’islam, dont il décèle les traces dans certaines pratiques extatiques et festives de l’islam populaire et du culte des saints [20] notamment.

L’historien Abdelmajid Charfi, entend lui assigner à sa critique historique des fondements de l’islam une dimension éminemment salutaire pour le devenir de la religion musulmane elle-même lorsqu’il écrit: « il nous incombe, (…) de rechercher une solution radicale qui soit de nature à réconcilier le musulman contemporain avec sa religion ». [21]

Selon cette optique modernisatrice toute référence actuelle à la sharî’a semble donc non seulement anachronique, totalement dépassée d’un point de vue historique, mais elle peut s’avérer à la fois liberticide et psychologiquement régressive car elle prive les musulmans de leur liberté d’interprétation tout en les enfermant dans une posture décrite comme résolument pathologique [22].

La sharî’a adaptée à la situation de minoritaire.

En l’absence d’institutions islamiques susceptibles de réguler à l’échelle de l’ensemble de l’Europe le champ religieux islamique, et parallèlement à l’existence de sites web spécialisés [23], des décisionnaires orthodoxes ont élaboré à destination prioritaire des musulmans européens, une « théorie restreinte de la sharî’a » [24]. Celle-ci n’ayant qu’une acception interne doit prendre acte de l’impact de la sécularisation sur la façon dont les musulmans peuvent vivre l’islam en situation minoritaire sur un mode à la fois cultuel et éthique. C’est sur la base de cette théorie que peuvent être ensuite formulées des réponses qui reprennent les grands principes de la législation islamique sans pour autant heurter les législations séculières des sociétés européennes.

Sans remettre en cause le caractère universaliste du message islamique, Tareq Oubrou entend par exemple défendre l’idée que si les musulmans vivant en France peuvent parfaitement pratiquer en toute quiétude l’intégralité des préceptes cultuels de la religion musulmane, en ce qui concerne les relations sociales les règles et les dispositions légales islamiques doivent nécessairement faire l’objet d’une adaptation au contexte culturel et juridique français. Il prône donc en matière dogmatique et cultuelle une « orthodoxie minimaliste ». Il s’agit de constater et de formaliser le fait qu’en Europe, la législation islamique se restreint aux questions de pratiques cultuelles (‘ibâdât) et aux principes moraux (akhlâq). Les autres domaines doivent faire l’objet d’adaptations circonstancielles par le procédé de la fatwa. Il en arrive ainsi à « i[contextualiser la sharî’a et par conséquent [à] proposer différentes expressions de la visibilité de l’islam]i. » [25]

Tous les autres domaines excédant le culte et la morale doivent faire l’objet soit d’adaptations circonstancielles soit d’une interprétation sur un mode éthique (éthicisation de la sharî’a) via le recours aux fictions canoniques (fiqh al hiyyal). « L’éthicisation de la sharî’a vise en fait écrit-il à conférer la légalité morale islamique à certains comportements du musulman en intégrant le droit français dans le métabolisme de la sharî’a. Il exclut le droit de la sharî’a, en le réduisant à la seule dimension morale » [26]. Par ce procédé de relativisation de la loi islamique Tareq Oubrou suggère « d’émanciper la sharî’a de tout système politique a priori (Etat islamique, califat…) comme condition de son élaboration. » [27]

C’est le rôle du Mufti de parvenir à élaborer une théorie adaptative du canon islamique à la situation prévalant en France à partir de sa double maîtrise de l’outil canonique islamique et de sa connaissance combinée du droit français et d’un droit européen en construction.
Le jurisconsulte a pour mission centrale de veiller à la dimension normative de l’être islamique, à son adaptation au contexte environnant et à la situation de minoritaire. « Le terme de minorité vient écrit Tareq Oubrou mettre la sharî’a en contexte et répondre ainsi concrètement à la situation laïque française, entre autres. Il s’agit poursuit-il de mettre en relation la norme avec la réalité concrète, tout en restant fidèle aux méthodes qui régissent l’application de la sharî’a à la réalité. C’est la réalité qui détermine la forme concrète que prend telle ou telle loi de la sharî’a, voire sa non-applicabilité dans certains cas. » [28]

On peut rapprocher cette position de celle défendue par Taha Jabir A Alwani, président du Conseil nord-américain de fiqh. Ce spécialiste du fiqh propose notamment la production d’un nouveau fiqh [29] (science des connaissances des règles divines concernant les actes et les comportements des sujets de droit) intégré au « fiqh majeur ». Ce fiqh devrait répondre aux attentes et aux questions des musulmans vivant en minorité et refléter le point de vue d’un « fiqh de coexistence » [30].

La plupart des auteurs s’accordent sur le fait qu’en situation de minorité, les musulmans, ne peuvent prétendre appliquer l’intégralité des normes islamiques.
L’application de la législation islamique en contexte non musulman ne peut théoriquement être envisagée que sous l’angle volontaire et doit respecter en amont le principe de la primauté des droits étatiques européens. Cela se traduit notamment par l’abandon des règles du droit public islamique et du droit pénal ainsi qu’une partie des dispositions relatives au mariage, à l’héritage ou au commerce (etc…).

La sharî’a sublimée

À côté de considérations juridiques sur les contours plus ou moins extensifs que devrait pouvoir prendre la sharî’a en contexte européen, existe également une autre attitude qui se démarque très nettement des trois postures précédentes. Pour qualifier ce type de référence « symbolique » à la législation islamique j’emprunterai volontiers au lexique psychanalytique l’idée de sublimation de la pulsion de norme. Sigmund Freud, dans une de ses premières conférences sur la psychanalyse évoquait le fait qu’une des options pour surmonter la névrose est de diriger le désir vers un but plus élevé au sens de moins sujet à critique, à la réprobation [31].

En l’espèce, il s’agit de dépasser les débats techniques et polémiques sur la norme juridique dans l’islam en proposant une autre manière d’aborder la question des règles en suggérant par exemple de relire la sharî’a à l’aune soit de d’action sociale, soit de la transcender par l’élan mystique.

La première option est notamment suggérée par Tariq Ramadan dans ses premiers écrits. La redécouverte de la fierté d’être musulman implique selon lui la fidélité à une dimension spirituelle (« lien à la transcendance ») ainsi qu’un engagement social fort (« l’islam vecteur de justice sociale »). Ce faisant Tariq Ramadan définit les contours « d’une religiosité citoyenne » [32]. Pour lui, « il n’y a pas de conscience islamique sans conscience sociale (…) écrit-il pas de conscience sociale sans conscience politique » [33]. La pleine intégration dans la société pour les musulmans passe donc par « l’actualisation d’une stratégie d’intervention sociale » spécifiquement islamique ce qui revient à reconsidérer le sens et la place de la sharî’a dans le quotidien des musulmans en Europe.

Loin des prises de positions plus classiques de son frère Hani, Tariq Ramadan se montre plus prudent. Sa prudence s’explique d’abord par le caractère délicat d’une référence à la sharî’a hors du monde musulman et dans le contexte de l’après 11 septembre. Aussi Ramadan se garde bien de trop s’aventurer dans les divers champs d’application de la législation islamique [34]. Son pragmatisme s’exprime surtout dans sa façon d’assigner à la législation islamique comme finalité sociale l’établissement de la justice sociale. Son approche lui permet ainsi de légitimer une théologie sociale de l’engagement islamique qui assigne à ce dernier comme double objectif la lutte contre les effets de la mondialisation libérale et la recherche de solutions alternatives. Cet engagement social actif se traduit également par des alliances et des partenariats noués avec des groupes et des courants de pensée assez éloignés de l’univers islamique (réseaux altermondialistes écologistes, mouvance anticapitaliste trotskyste, chrétiens progressistes…).

L’autre option qui se dessine est celle d’un dépassement de la rigueur normative voire d’une sortie d’un « juridisme galopant…d’un formalisme sclérosant » comme l’écrit éric Geoffroy [35] par l’effusion mystique. En guise de sublimation de la sharî’a, éric Geoffroy entend faire retour à l’étymologie même du terme sharî’a qui renvoie à la notion de chemin de direction, de « voie » et non de code figé. «L’acception de ‘Loi ‘ qu’a prise, écrit-il, avec le terme arabe sharî’a a trahi une rigidité, un fixisme étrangers à l’étymologie de ce terme et à ses emplois initiaux ».

Aussi propose-t-il de faire retour aux vérités principielles. «Or, l’ici et maintenant écrit-il, ne peuvent être réellement actualisés sans se référer à l’axe vertical de la spiritualité : l’ici et maintenant sociétal a certes un rôle important, mais il est vite récupéré, abusé par la rapidité de l’information, infléchi par la mode, l’idéologie, le politique… en tant que ‘fils de l’Instant’, le soufi évite de réifier la Loi, et d’idolâtrer l’ici et maintenant. Au-delà de toutes les finalités partielles, c’est Dieu qui est le but, et de cette téléologie foncière découlent toutes les conséquences éthiques et religieuses: servir Dieu, c’est servir l’homme et les autres règnes de la nature ». [36]

Là se dessinent les contours d’un dépassement de la littéralité des codes au profit de la quête intérieure des finalités spirituelles et morales dont la sharî’a n’est que l’expression extérieure, et le fiqh n’est qu’un instantané.

La sharî’a n’est jamais niée dans son caractère religieusement légitime, mais ramenée à ses présupposés intellectuels et métaphysiques premiers dans une optique tout à la fois spirituelle et humaniste.

Le même type d’analyse du rapport à la sharî’a se retrouve également sur le site web de la confrérie marocaine Qadiriya Boutchichia, présente en Europe. Celui-ci veille toutefois à distinguer l’attitude du néophyte musulman qui se rattache à la voie qadirie, pour lequel l’application des préceptes de la sharî’a [37] est plus aisée en raison de sa naissance dans un milieu musulman, de celle d’un fidèle occidental. Pour lui, une méthode progressive s’impose. «Laissez-les d’abord goûter à la voie par le dhikr et la réunion, dit Sidi Hamza, sans leur imposer les prescriptions de la sharî’a. La Loi extérieure ne doit pas être vécue comme une contrainte, mais comme une nécessité intérieure : à un moment donné, le disciple se rend compte que s’il veut conserver ce qu’il a acquis par le dhikr, il lui faut un cadre, un garde-fou (…). » [38] Il s’agit là moins d’une sublimation que d’une intériorisation de la Loi via les exercices mystiques.

La sharî’a imaginée

L’affaire dite du mariage annulé de Lille est symptomatique du traitement religiocentré et souvent excessivement dépréciatif de faits divers impliquant des individus d’origine musulmane. Cette affaire a très opportunément servi de décor théâtral pour mettre en scène à l’échelle du droit civil la confrontation entre la lettre de l’islam et l’esprit de laïcité.

Les faits sont simples : le 1er avril 2008 un juge du Tribunal de Grande Instance de Lille conformément à l’article 180 du Code civil a prononcé l’annulation d’un mariage entre deux Français de confession musulmane au motif que la mariée avait menti sur sa virginité et que cette « qualité » était en amont considérée comme essentielle par les deux conjoints.

Sitôt rendue publique, cette décision de justice a suscité une levée unanime de protestations dans les milieux politiques et intellectuels. Marine Le Pen s’est la première interrogée ironiquement sur « la justice française à l’heure de la charia? ». Le député UMP Jacques Myard a dénoncé une décision de justice « choquante (qui) avalise un intégrisme archaïque ». Patrick Devedjian, alors secrétaire général de l’UMP, considérait que « la décision de Lille (revenait) à introduire la répudiation religieuse de l’époux dans la loi ». Du côté du parti socialiste, la secrétaire nationale aux droits de la femme et à la parité, Laurence Rossignol, déclara que la décision visée « porte atteinte aux principes constitutionnels d’égalité des hommes et des femmes et bafoue les principes de laïcité en soumettant les lois de la République au droit coutumier ». Elle devait par ailleurs stigmatiser « la coïncidence entre l’obsession de la virginité du tueur de femmes Fourniret et la décision des juges de Lille! » [39]. Quant à la présidente de Ni Putes ni Soumises, Sihem Habchi présenta ce jugement comme « une fatwa contre les femmes ».

Rares furent les commentateurs qui ne virent pas dans ce jugement une concession faite à la loi musulmane et l’illustration d’une subversion du droit civil laïque par le droit islamique. C’est la philosophe Chantal Delsol qui se montra la plus incisive en la matière. Fidèle à ses options conservatrices, elle a vu dans cet incident d’ordre privé le signe quasi apocalyptique d’un véritable conflit de civilisation. « Nous nous trouvons donc ici, écrit-elle, devant un évènement qui dresse une opposition entre notre droit et notre culture, autrement dit, qui met en scène une utilisation de notre droit par une culture qui le contredit. (…) Cette possibilité juridique de demander une annulation de mariage, poursuit-elle, n’est pas souvent utilisée. (…) Que cette clause soit utilisée par un musulman, pour une raison pareille, marque à quel point nos institutions peuvent se voir détournées par des communautés qui ne s’inscrivent pas dans nos convictions de liberté et d’égalité. Et c’est bien ce tableau qui nous fait frémir, impuissants que nous sommes devant ce qui nous apparait comme un cheval de Troie rusé, inattrapable, et par ailleurs, facilement triomphant devant notre mauvaise consciences et notre lâcheté onéreuse » [40]. Ce qui semble en fait susciter l’ire de la philosophe c’est donc moins de considérer la virginité comme qualité essentielle d’une personne, ou de promouvoir « un fédéralisme d’autonomie personnelle » [41] que le fait que des musulmans aient pu avoir recours au droit français pour faire valoir une vision déplacée du mariage. Il est un fait que Mme Chantal Delsol ne se résout pas à considérer les musulmans de France autrement que comme les membres « d’un groupe qui considère notre liberté comme une licence à éradiquer ».

Le seul fait que les deux conjoints étaient de confession musulmane a donc suffi pour que l’on privilégie une lecture religio-centrée de cette affaire [42], au lieu d’y voir les résidus d’une culture patriarcale qui tend à réduire la femme à une simple marchandise et l’absence de virginité à un vice de forme.

Peu importe en l’espèce que de référence à la loi islamique il ne fut jamais question dans le jugement ! La décision des juges n’était en fait que la conclusion logique de la vision contractuelle du mariage en droit français qui postule en l’espèce que chacun est désormais libre de se marier ou de ne pas se marier, et de se marier avec la personne de son choix et « libre au futur époux, comme l’analyse François Terré, de tenir pour essentielle la virginité de sa femme » [43]. Cette conception du mariage s’est précisément imposée dans l’histoire comme une victoire contre toutes les pressions sociales, familiales et notamment religieuses. Le mariage est un contrat privé fondé sur le seul consentement mutuel. Suivant le droit du contrat, un mariage peut donc être annulé si l’un des futurs conjoints a menti sur une de « ses qualités essentielles ».

Le véritable problème posé par ce jugement résidait dans le fait de savoir qui est le plus compétent pour apprécier et partant de là pour juger des qualités essentielles des futurs conjoints ?

Faut-il laisser cette prérogative aux seuls postulants au mariage ? Le risque serait alors de déboucher sur un système de qualification à la carte.
Ou bien les magistrats doivent-ils prendre en compte l’évolution des mœurs dans la société et énoncer de façon restrictive les qualités essentielles recevables dans la société française par le droit ? Le risque serait alors de réduire l’écart entre morale privée et morale publique.
La chancellerie se décida finalement à faire appel du jugement. La Cour d’appel de Douai dans sa décision du 17 novembre 2008 devait conclure que la virginité ne pouvait constituer une qualité essentielle « en ce que son absence n’a pas d’incidence sur la vie matrimoniale », l’annulation du mariage fut donc invalidée. « Quoi qu’il en soit, comme l’écrit Cécile Laborde, l’affaire de Lille n’avait strictement rien à voir avec une quelconque reconnaissance de l’autorité d’une loi religieuse en droit français ; elle se contentait de tirer les conséquences de la contractualisation des rapports sociaux qui est l’aboutissement du long processus de laïcisation de l’institution du mariage » [44].

En dépit de cela tout l’argumentaire de ceux qui contestèrent le premier jugement reposait sur l’idée implicite que la virginité était forcément un des prérequis, une condition de validité du mariage entre conjoints musulmans et que l’annulation pour ce motif revenait à faire droit à un particularisme religieux inacceptable.

L’islam, au même titre que les autres religions monothéistes, considère en effet que la sexualité est l’expression d’un besoin inné de l’être humain qui trouve son plein cadre d’exercice dans le mariage. L’acte sexuel est une aumône envers Dieu (sadaqa). S’abstenir de rapports sexuels hors mariage est donc dans une perspective classique vivement recommandée comme expression d’une maîtrise de soi, un moyen de prévenir les grossesses non désirées et une lutte contre les maladies sexuellement transmissibles. Chasteté et abstinence avant le mariage sont donc dans l’islam (comme du reste dans le catholicisme !) érigées en vertu aussi bien pour l’homme que pour la femme. Si le fait d’avoir des rapports sexuels hors mariage est perçu comme un tort envers Dieu, « aucun texte, aucune référence historique ne mentionne qu’une femme doit saigner ou avoir un hymen intact pour prouver sa virginité, ni que ceci soit une condition au mariage » [45]. La plupart des sources mettent également en garde contre la tendance déplacée (mais bien réelle !) à vouloir vérifier la virginité d’une femme- et au besoin à faire procéder à une réfection d’hymen – pour sauver les apparences, l’honneur familial.

A l’occasion de cet incident, plusieurs responsables religieux musulmans à l’instar de l’imam et mufti Tariq Oubrou, ont tenus à marteler que « canoniquement, parlant, la virginité n’est pas une condition de validité du mariage en islam » [46]. Amar Lasfar recteur de la mosquée de Lille Sud, tout en reprenant à son compte le fait que la décision de justice ne sanctionnait que le mensonge et non le défaut de virginité, précisa que huit des neufs épouses du Prophète avaient été épousées alors même qu’elles n’étaient plus vierges.

Relevons aussi au passage que plusieurs responsables musulmans que nous avons interrogés à propos de cette affaire nous ont davantage pointé comme contraire à l’esprit même de la législation islamique la question de la publicisation contentieuse d’un différend privé qui n’aurait pas dû à leurs yeux sortir du cadre privé, que la question de la virginité. « Les occasions de conflit dépendent des personnes et des situations – nous a déclaré un responsable associatif musulman qui est également un érudit – et notamment lorsque des personnes vont recourir à des tribunaux laïques pour mettre en avant des arguments relevant plus ou moins de leur propre religion comme dans l’affaire de Lille, de ce mariage annulé (…) cela traduit l’incapacité des personnes à appréhender la différence entre la législation civile et une législation fondée sur une révélation et une tradition prophétique, mais cette affaire en elle-même traduit également le fait de la méconnaissance par ces justiciables du sens même de la loi en islam qui est que lorsque l’on découvre une erreur, on doit la cacher et non pas l’exposer sur la place publique et en faire une affaire. S’il y avait vraiment de l’amour entre ces deux époux, ils auraient dû convenir ensemble de ne pas faire de scandale. La démarche choisie est en profonde contradiction avec la loi musulmane. »

Tel est également l’avis défendu par Tareq Oubrou.
« Même en cas de faute, il ne faut pas divulguer ce que Dieu a caché, disent les moralistes en se référant sur ce sujet à un hadith du Prophète. (…) Ni l’homme ni la femme n’ont à dévoiler leur passé sentimental et sexuel, parce que c’est moralement désapprouvé d’une part, et d’autre part, pour préserver l’unité du couple, surtout dans une culture où la jalousie est aveuglante (…) je considère vraiment inqualifiable qu’un homme puisse aller devant un tribunal pour dire que sa femme n’était pas vierge, c’est honteux ! » [47]

A l’instar de l’affaire Redeker, il importait de mettre en scène et en relation des faits abusivement attribués à l’islam (la virginité) et d’autres attribués à la société française (l’égalité homme femme, le caractère laïque du droit matrimonial) pour montrer que l’islam menaçait les acquis du droit civil français.

2/ Constantes et disparités dans les formes contemporaines d’évocation de la sharî’a en Europe et en France en particulier

Il nous faut maintenant tenter d’identifier les lignes de convergences et de divergences qui se dessinent entre les divers usages plus ou moins rhétoriques ou pragmatiques de la référence à la sharî’a que nous venons de passer en revue.

Dynamiques de modulation de la sharî’a en contexte européen

On peut d’abord relever que l’idée d’une nécessaire révision de la sharî’a, de sa perception et de sa réception dans la pratique des musulmans européens semble aujourd’hui faire l’objet d’un large consensus.

Ces dynamiques se résument le plus souvent à l’examen détaillé des diverses techniques, théories et pratiques juridiques islamiques qui permettent de moduler, voire de réformer l’énoncé de la sharî’a en fonction du cadre particulier et du vécu des musulmans dans les sociétés occidentales (Europe, USA…).

Se dessinent alors trois types de positionnement à la fois distincts et complémentaires : la reformulation de la sharî’a, la relativisation du poids de la norme et même l’abandon pur et simple de celle-ci.

Reformulation de la sharî’a

Dans l’optique du réformisme littéraliste il s’agissait de dégager un consensus autour de la nécessité d’une relecture des sources historiques de l’islam et notamment de la prise en compte prioritaire des seules sources primaires (Coran, Sunna) par rapport aux sources secondaires (Ijmâ’, Isthisan, Isthislah, ‘urf…). Ce fut là notamment la perspective défendue par Saïd Ramadan dans sa thèse de doctorat [48].

Le détour par l’histoire peut aussi vouloir impliquer de redécouvrir la science des maqâsid as sharî’a (sciences des finalités de la législation) qui privilégie une approche des buts poursuivis par la législation islamique plutôt que de fétichiser les règles énoncées. C’est là aussi un moyen de rechercher des réponses légales qui puissent s’accommoder aux usages et au contexte européen, ce qui revient pour certains opérateurs musulmans à opposer l’esprit à la lettre des principes juridiques. Ce type de démarche considère que la loi islamique a été promulguée pour le bien général des êtres humains.

Il peut s’agir enfin selon la règle de l’éclectisme scolastique (talfiq) de puiser dans les diverses réponses des écoles de fiqh qui expriment les tentatives ponctuelles et circonstanciées de transposition de la sharî’a en fonction de leur plus ou moins grande adaptation à la situation du moment.

Relativiser le poids de la norme dans l’islam

En parallèle aux démarches précédentes des voix considèrent prioritaire à l’instar du zeytunien Mohamed Mestiri, de revaloriser la théologie par rapport au droit en réhabilitant l’étude des fondements dogmatiques et éthiques de la religion (usûl ed dîn). « L’étude des fondements, écrit-il, nous semble l’arme fatale contre la légèreté des fondamentalismes de tout bord. (…) Elle permet aussi dans le monde de l’islam contemporain de faire barrage à l’hémorragie de la fatwa au nom de l’urgence et de la contrainte. Nul avis juridique n’est valable sans encadrement et justification théologique, et nul avis juridique partiel sans vison globale, qui est le fond et la priorité de l’Ijtihad ou du renouveau contemporain » [49].

Eric Geoffroy suggère lui en s’appuyant sur « l’épistémologie soufie » de distinguer la voie large incarnée par la sharî’a de la voie étroite (la tarîqa) qui permet dans l’absolu d’accéder à la réalité subtile intérieure (al haqîqa) laquelle constituerait le fondement même de la loi extérieure. « C’est donc la réalité intérieure qui produit la norme extérieure, et non l’inverse. La sharî’a écrit-il procède de la Haqîqa comme le fruit procède du noyau » [50].

Ce point de vue ne saurait à lui seul résumer toutes les lectures possibles de la sharî’a en milieu soufi, mais pointe en tout cas cette tendance à vouloir réaffirmer la primauté de la voie étroite sur la voie large du légalisme.

Renonciation à toute référence à la sharî’a

De la relativisation du poids de la loi islamique à l’établissement de son caractère obsolète, anachronique, il y a un pas que certains intellectuels de culture musulmane n’hésitent pas à franchir.

Pour eux, le refus de toute référence à la législation islamique renvoie autant à une adhésion ferme aux acquis des droits séculiers occidentaux et notamment des droits de l’homme, qu’au désir, depuis l’Europe de résister aux dynamiques et aux courants sociopolitiques musulmans qui militent en faveur d’une réislamisation du droit selon la règle de l’éclectisme scolastique (talfiq).

L’islam doit donc pour eux rester au stade de conviction, de spiritualité, de culte et ne peut être reconnu dans sa dimension normative contraignante. On retrouve là les présupposés défendus par des réformateurs tels que le soudanais Mahmoud Taha [51] qui allait jusqu’à suggérer que les musulmans considèrent comme obsolète la séquence médinoise du Coran d’où proviennent la plupart des préceptes juridiques de l’islam. Celles-ci n’avaient qu’une valeur locale, circonstancielle à la différence des énoncés mecquois qui portaient sur les considérations spirituelles et s’adressaient à l’ensemble du genre humain.

L’historien Abdelmajid Charfi prolonge cette réflexion en faisant valoir que ce qui a pu être dit du caractère conjoncturel des prescriptions juridiques « révélées » à Médine, vaut également pour l’ensemble du texte coranique, y compris pour les prescriptions relatives au culte au demeurant guères détaillées par le Coran. « On ne peut séparer, écrit-il, les messages de La Mecque et ceux de Médine. (…) On ne peut non plus séparer les uns des autres les versets appelés à tort versets prescriptifs ni les soustraire à leur contexte historique et à l’ensemble du texte coranique, comme n’ont cessé de le faire les fuqahâ’, hier et aujourd’hui. » [52] Ce que cherche à faire Abdelmajid Charfi ce n’est pas d’attaquer le sentiment religieux et de ridiculiser ceux qui estiment en conscience qu’ils doivent se fier aux attendus du texte ou des fuqahâ’ en matière de culte. Ceux qui ne se sentent pas concernés par les rites jugés anachroniques, ni n’ont ni le désir ni le temps de respecter les dites prescriptions doivent pouvoir le faire sans encourir les foudres de la censure religieuse ou sans être contraints de les accomplir de façon hypocrite.

Dynamique d’individualisation de la référence de la sharî’a

De toutes ces démarches, à l’exception des partisans d’une lecture intégraliste de la sharî’a, se dégage une commune aspiration à se démarquer des approches qui font de la sharî’a un ensemble homogène de règles et de normes immuables d’origine divine qui s’imposerait à l’ensemble de la communauté.

Ce qui prime c’est davantage la mise en avant d’une lecture individualisée de la référence à la législation islamique que son aspect collectif et contraignant.

Cette individualisation reflète avant tout le parcours intellectuel de chacun des opérateurs dans la pensée islamique et au contact des réalités de l’islam en Europe. Mais la prégnance de l’individualisation se lit également en creux dans leur réflexion : que ce soit par exemple dans la façon qu’a Tareq Oubrou de valoriser la figure de l’imam engagé dans sa communauté et d’insister sur la fonction du Muftî invité à produire des avis qui répondent aux nécessités du moment et aux interrogations des fidèles, en passant par la nécessité pour des penseurs plus sécularistes de vouloir préserver les libertés individuelles, leur propre liberté, par rapport à la lettre de la Loi.

L’un des derniers ouvrages de Tariq Ramadan, intitulé « Mon intime conviction » [53] l’illustre également pleinement. Dans cet ouvrage l’intellectuel suisse fait le point sur les grandes questions relatives aux musulmans dans l’espace européen. Il revient sur la nécessité de clarifier la terminologie propre à l’islam (fatwa, sharî’a, ijtihad…) comme celle plus spécifique liée aux sociétés européennes (laïcité, identité, démocratie…). S’agissant de la sharî’a il réaffirme qu’elle n’est ni un système, ni un corps de lois islamiques mais la « Voie de la fidélité aux objectifs de l’islam » que sont entre autres la préservation de la vie, la dignité humaine, la justice, l’égalité, la paix et la nature (etc…). Il ajoute, «Toutes les lois qui protègent la vie et la dignité humaine promeuvent la justice et l’égalité imposent le respect de la nature, etc…, sont ma sharî’a appliquée dans ma société, même si celle-ci n’est pas majoritairement musulmane ou que ces lois n’ont pas été pensées et produites par des savants musulmans. » [54]

Cette promotion plus ou moins assumée de l’individu comme principal destinataire, consommateur et utilisateur de la sharî’a peut aller jusqu’à la revendication maximaliste d’une émancipation totale par rapport à l’islam conçu comme soumission exclusive à Dieu. C’est là la posture audacieuse revendiquée par le philosophe Abdenour Bidar dans son ouvrage au titre évocateur de Self-islam. L’auteur subordonne notamment la perception et l’observance des prescriptions religieuses aux besoins individuels et à la libre détermination de l’individu croyant qui devient dès lors un self-made-muslim. Dans son dernier ouvrage tout aussi téméraire, en voulant définir les contours d’un existentialisme musulman, il s’attache en fait à définir la voie d’un islam de la sortie de la religion [55]. L’homme, délesté d’une religion (l’islam) faite de soumission totale à Dieu et à un ensemble de normes et de contraintes, serait parvenu au stade suprême de se faire lui-même, de se construire sans avoir plus besoin de se référer à Dieu. « La voie s’ouvre, écrit-il, aussi vers un dépassement même de l’athéisme. (…) Notre vie d’héritiers sera bien d’une certaine façon une vie sans Dieu, mais plus du tout au sens qu’implique justement l’athéisme, qui est la négation de l’existence de Dieu. L’héritier certes ne se tourne plus vers Dieu parce qu’il a compris que désormais loge en lui-même toute la puissance spirituelle possible. » [56]

Dynamiques d’intégration progressive d’éléments sharaïques dans la pratique des États européens ?

Alors même qu’un débat existe déjà parmi les historiens et les sociologues musulmans sur le fait de considérer comme indispensable toute référence symbolique ou a fortiori normative à la législation islamique dans le vécu contemporain des musulmans, depuis quelques années, parallèlement à la sédentarisation de populations musulmanes dans les sociétés européennes la question de l’incompatibilité réelle ou avérée aux législations européennes a également été soulevée.

L’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme, évoqué par Sami Naïr tout à l’heure, daté du 31 juillet 2001 [57] et relatif à un recours formulé contre la dissolution d’un parti islamiste turc (Fazilet partisi), avait notamment évoqué cette question de l’application de la législation islamique. Dans l’exposé des motifs, la Cour devait en effet reconnaître que, « la sharî’a reflétant fidèlement les dogmes et les règles divines édictées par la religion, présente un caractère stable et invariable. Lui sont étrangers les principes tels que le pluralisme dans la participation politique ou l’évolution incessante des libertés publiques. La Cour relève que, lues conjointement, les déclarations (des requérants) contiennent des références explicites à l’instauration de la sharî’a difficilement compatibles avec les principes fondamentaux de la démocratie, tels qu’ils résultent de la Convention, comprise comme un tout ».

Il semble donc que les juges européens (quatre juges sur les sept que comptait la chambre) [58] avaient une idée assez tranchée de ce qu’est la sharî’a et n’hésitaient pas à s’y adosser pour, sur la base de déclarations anciennes, donner raison aux juridictions turques qui avaient prononcé la dissolution d’un parti islamiste. J’observe simplement qu’en l’état la référence à la législation islamique peut donc servir de point de fixation pour légitimer une restriction des libertés publiques.

Si cette thèse d’une totale incompatibilité des deux ordres normatifs prévaut, on ne peut cependant passer sous silence quelques tentatives et initiatives européennes récentes visant à l’opposé à faire droit à certains éléments tirés de la législation islamique au sein même de systèmes juridiques sécularisés.

Si la sharî’a peut être une source d’inquiétude, elle peut tout autant dans certains cas devenir une ressource symbolique, voire économique auxquelles les acteurs publics non musulmans ont recours.

Le tribunal islamique d’arbitrage au Royaume Uni

En février 2008, le primat de la communion anglicane, l’Archevêque de Cantorbery Roban Williams déclara à l’occasion d’une cérémonie officielle qu’il lui paraissait inévitable que certaines dimensions de la sharî’a notamment en matière de loi civile devaient être intégrées dans le droit britannique. Cette prise de position suscita dans toutes les îles britanniques (et au-delà) une volée de protestations véhémentes qui dénonçaient une concession de trop faite à l’islam et une grave atteinte à l’égalité de tous les citoyens devant la loi commune.

Il faut croire que l’archevêque avait eu raison contre tous dans la mesure où, sur l’ensemble de l’Angleterre, plus d’un an après, fonctionnent cinq cours islamiques (Londres, Bradford, Manchester, Birmingham, Nuneaton) placées sous l’autorité d’un Tribunal arbitral musulman (MAT) lui-même intégré dans le dispositif des juridictions du Royaume-Uni (Angleterre, Pays de Galles) donc avec l’aval tacite des pouvoirs publics sous le contrôle du Lord Chief of Justice. Deux autres projets de cours du même type sont à l’étude, pour l’Ecosse cette fois.

Le droit britannique prévoit explicitement en vertu de la loi sur l’arbitrage (Arbitral act June 17th 1996) la possibilité pour les particuliers de recourir à une procédure extrajudiciaire de résolutions des conflits. Il s’agit d’une procédure volontaire de médiation. C’est en l’espèce une des différentes expressions alternatives d’un mode de résolution des conflits (médiation, conciliation). Le code de procédure civil britannique en son article 1-4 recommande explicitement aux justiciables le recours à une telle procédure qui a l’avantage d’être plus rapide et moins coûteuse que la procédure civile classique. Ne peuvent être traitées sous cette forme que des contentieux mineurs ou du moins domestiques ou de simple voisinage. En l’état les cours islamiques existantes peuvent être librement saisies par toute personne musulmane et statuer conformément à la sharî’a sur six domaines précis comme les mariages forcés, les disputes domestiques, les questions de violence conjugale, les différents commerciaux et les problèmes de dettes, les questions d’héritage ainsi que les querelles internes aux mosquées.

Il a été notamment évoqué que bien qu’au Royaume-Uni seul prévaut le divorce civil, des femmes musulmanes civilement divorcées se voyaient empêchées religieusement de pouvoir se remarier (limping mariage). Ayant introduit un recours auprès des cours islamiques, elles ont fini par obtenir que soit levé cet empêchement en obligeant l’époux à prononcer la formule rituelle du talaq (répudiation).

Il est important de noter que, dès lors que les parties ont librement consenti à se soumettre au tribunal musulman d’arbitrage, elles sont tenues par les décisions de ladite juridiction, lesquelles afin d’être exécutoires doivent néanmoins être sinon conformes ou du moins ne pas être contraires aux peines prévues par la loi anglaise. Sont strictement exclues du domaine de compétence de ces cours, les procédures de divorce, la garde des enfants et, bien sûr, les affaires criminelles.

Il est apparu récemment que 5% des affaires jugées concernaient des justiciables non musulmans.

Il faut préciser que le choix fait de permettre publiquement le développement de cours islamiques dans le cadre d’un système de médiation des contentieux mineurs n’est en rien révolutionnaire en Grande-Bretagne. C’est sur cette base qu’existent antérieurement des tribunaux juifs (beth din). Le feu vert donné à cette initiative a été aussi un moyen de réagir à la démultiplication de tribunaux islamiques officieux fonctionnant à l’intérieur de mosquées sans aucun contrôle des pouvoirs publics.

Une telle initiative, toujours contestée au Royaume-Uni, semble difficilement transposable ailleurs en Europe. À l’exception de la Grèce où, en Thrace occidentale, existe un système similaire, ce type de régulation de la diversité religieuse peut toutefois à terme finir par fragiliser le principe de la loi civile commune.

Droit français laïque et droit des religions dont la législation islamique : une rencontre improbable ou inavouable ?

En dépit des apparences et de la rhétorique dominante autour de la laïcité, le caractère non confessionnel du droit français n’exclut cependant pas que ce même droit étatique soit amené à recevoir explicitement et dans certaines circonstances des dispositions, des normes découlant des droits internes de collectivités religieuses (Messner, 1997) présentes dans l’hexagone.

Ainsi en va-t-il par exemple pour le droit canonique de l’église catholique romaine dont l’influence s’est parfois, au gré des circonstances, imposée à la législation étatique elle-même. C’est ainsi qu’en 1905, un conflit juridique devait opposer la République fraîchement laïcisée et le Vatican à propos de la création des associations cultuelles comme cadre juridique (de droit privé) d’exercice du culte et organismes dévolutaires des biens des anciens établissements publics du culte. Le Pape fit valoir que le cadre juridique proposé par le législateur était incompatible avec la constitution de l’église. Aux termes de plusieurs années de négociations, un accord intervint en 1924 ; le Conseil d’État reconnu alors la légalité d’associations diocésaines placées sous la dépendance directe de l’évêque, ce qui semblait plus conforme au droit canonique. Le Pape acceptait de son côté le principe de diocésaines comme unique cadre juridique adapté à la gestion de l’aspect matériel du culte à l’exclusion toutefois de sa dimension spirituelle.

Autre exemple, le statut juridique des ministres du culte catholique, que le droit civil français se refuse toujours à qualifier, renvoie peu ou prou aux normes du droit canonique. C’est ainsi qu’au regard du droit du travail, la situation du prêtre par rapport à son évêque n’a jamais pu être assimilée à celle d’un salarié par rapport à son employeur, elle exclut donc tout contrat de travail. Le juge peut donc ainsi être amené immanquablement à prendre en compte les normes et règles propres à une institution religieuse. Des considérations similaires ont également été avancées pour rendre compte de la situation particulière des pasteurs réformés au regard du droit du travail. Une jurisprudence constante estime que la finalité spirituelle de leur ministère pastoral, en l’occurrence conformément à la définition officielle de l’église réformée de France, « la préparation du règne de Dieu », exclut tout contrat de travail (Dole, 1987).

Autre exemple enfin, celui des conflits en matière d’édifices affectés à l’exercice du culte catholique mettant généralement aux prises des catholiques lefébvristes aux catholiques conciliaires, les premiers ayant eu parfois recours à des occupations d’églises légalement affectées au culte des seconds. Les tribunaux saisis comme dans le cas de l’occupation de Saint Nicolas du Chardonnet à Paris, s’en tiennent au strict droit canonique. C’est ainsi qu’ils rappellent que les affectataires du lieu ne pouvaient être que ceux qui se soumettent aux préceptes de l’église catholique, ce qui formellement est le cas des deux groupes concurrents, mais également aux règles de sa hiérarchie et demeurent donc en communion avec l’évêque du lieu, ce qui revient à dénier aux intégristes tout droit légitime de jouissance de l’édifice dans la mesure où ces derniers ne reconnaissent pas l’autorité de l’archevêque de Paris. En l’état les tribunaux quoique laïques, ont simplement repris à leur compte les règles canoniques définissant l’appartenance au catholicisme et se sont prononcés positivement par rapport à elles.

C’est d’ailleurs souvent en cas de litiges survenant au sein d’une collectivité religieuse que le juge compétent peut se référer prioritairement au droit interne de la dite communauté.

Il apparaît donc que la nature des relations entre le droit étatique laïque et les divers droits internes des religions se présente comme un enchevêtrement complexe de situations dans lesquelles le pragmatisme semble plus souvent la règle que l’exception.

Ce pragmatisme conjoncturel n’évacue pas totalement la réalité des tensions et des problèmes qui peuvent par ailleurs subsister entre des droits qui ne se situent pas au même niveau, et n’obéissent pas à la même finalité.

Il en va notamment ainsi à propos des questions liées au statut personnel (mariage, régime des biens, dissolution du lien matrimonial, garde des enfants…).

La question du droit de la famille et notamment celle du mariage reste un dossier sensible, une source de tensions ponctuelles entre les diverses législations religieuses ou coutumières et le droit étatique. C’est un terrain sur lequel les groupes religieux entendent conserver un regard attentif.

Cette attention soutenue dont bénéficie le droit de la famille s’exprime d’abord par le souci affiché de reconnaissance de l’antériorité du mariage civil par rapport à toute célébration religieuse de l’union d’un homme et d’une femme, et le soin apporté, plus ou moins formellement, au respect de cette règle de droit. Mais cette reconnaissance ne doit pas pour autant aboutir à galvauder le sens religieux qui entoure le mariage, c’est en tout cas ce qui ressort des entretiens menés avec les responsables religieux.

Bien qu’officiellement au regard du droit étatique seul le mariage civil a valeur juridique, il n’en demeure pas moins que la forme religieuse que lui accorde chaque tradition religieuse compte également pour les croyants ainsi que les droits et les obligations qui en découlent.

Le mariage est conçu à la fois comme l’espace sacralisé de la rencontre entre deux volontés et deux désirs complémentaires, le lieu de réalisation d’un projet de vie commune et l’espace privilégié d’éducation des enfants et de transmission des valeurs religieuses. Dans un contexte de sécularisation généralisée des pratiques sociales d’une part et dans un régime de laïcité d’autre part, c’est souvent sinon le dernier secteur, du moins l’unique espace, sur lequel les groupes religieux entendent exercer une vigilance accrue et un certain droit de regard.

Pour autant, les entretiens que nous avons eu avec plusieurs responsables musulmans vivant en France ont confirmé le fait que si des situations exceptionnelles persistaient comme la célébration de mariage islamique dit halal ou imâm nikah en présence d’un imâm en marge de l’union civile ou du moins antérieurement à celle-ci par exemple, celles-ci étaient largement sous contrôle ou, du moins donnaient lieu de la part des groupes religieux concernés à un effort supplémentaire de pédagogie et de sensibilisation de leurs fidèles. S’agissant précisément du mariage, Tareq Oubrou considère par exemple que si la religion musulmane exhorte bien (au même titre que d’autres religions !) au mariage, elle n’en fait pas pour autant selon lui un impératif religieux catégorique dans le sens où cela ne relève pas à proprement parler des obligations cultuelles, et que la présence d’un imam ou le passage à la mosquée ne sont pas indispensables.

« La majorité des musulmans croient que le mariage relève du rite, du culte, et qu’il doit être effectué dans une mosquée pour être consacré et béni par un imâm. Le paradoxe, c’est que quand il s’agit de divorcer, ils ne viennent plus voir l’imâm et se séparent dans les conditions qui ne respectent parfois aucune règle ni éthique ni juridique. Or le mariage en islam est classé dans le registre du droit relatif aux contrats et aux obligations, et non dans la catégorie des rites (tels que la prière, le jeûne…) Ainsi, plusieurs modalités de mariage (zawâj) sont-elles proposés dans les ouvrages classiques du canonisme (…) Aucune ne stipule qu’il doit s’effectuer devant un imâm, ni dans une mosquée. » [59]

De surcroît, insiste-t-il, plusieurs formes juridiques d’unions peuvent ainsi exister dans l’islam selon que l’on se réfère au Coran, à la règle du consensus (al ijma), à celle de l’analogie (al qiyas) ou bien au principe d’utilité (al maslaha) [60]. Tareq Oubrou rappelle régulièrement, dans tous ses écrits, que l’existence de dispositions dans les sources scripturaires majeures de l’islam (Coran, Sunna) ne dispense pas, pour les canonistes, d’interpréter ces lois en les problématisant en les relisant à la lumière d’une méthodologie précise qui peut prendre appui sur d’autres sources légales également.

C’est ainsi précise-t-il que « (…) le principe de réalité non seulement conditionne l’interprétation des Textes sources, mais inspire souvent le juriste ou le canoniste qui intègre dans ses fatwa : al-‘urf (les traditions et les mœurs), l’utilité ou l’intérêt (al-maslaha), la nécessité (ad-darûra) et le besoin (al-hâja) qui font loi. (…) Il ne suffit pas d’appliquer un verset coranique, un Hadith du Prophète ou une loi établie par les anciens juristes musulmans, abstraction faite de la réalité où se trouve le musulman, pour que cela soit conforme à la sharî’a. » (Tareq Oubrou, 2010)

Il peut en aller ainsi avec le mariage qui découlerait du célèbre hadith stipulant que « le mariage n’est valide qu’en présence de deux témoins ». Ce texte autoriserait donc à garder le mariage dans la confidence. C’est souvent sur lui que s’appuient certains imams pour célébrer l’union d’un homme et d’une femme en l’absence de toute déclaration ou célébration publique en amont comme en aval (conception malikite).
A l’opposé, on trouve la conception qui fait de la publicité du mariage le critère exclusif de sa validité (conception hanafite).

Selon le principe d’utilité enfin, le mariage qui est dans l’islam avant tout un contrat doit pouvoir également garantir les intérêts des deux parties et chacun peut y ajouter des clauses particulières. Selon cette perspective, un PACS (toutefois limité à deux personnes de sexe différents !) pourrait même selon Tareq Oubrou être islamiquement recevable (Oubrou, 2010) : « (…) le PACS est aussi un cadre d’union concevable. » [61]

Reste la question de l’ouverture du mariage aux couples homosexuels, qui constitue à n’en pas douter un véritable point de friction majeur entre les groupes religieux et les pouvoirs publics. L’islam est sur ce point sur les mêmes positions que les autres communautés religieuses à l’exception des bouddhistes ou du moins de l’Union Bouddhiste de France qui n’a pas pris position contre le projet de loi.

Mais là encore, il convient de faire preuve de prudence. Comme plusieurs de nos interlocuteurs nous l’ont déclaré, si effectivement le vote d’une telle loi ne devrait pas manquer de heurter les consciences, et bousculer les systèmes de valeurs de plusieurs groupes religieux, il ne créerait pas pour autant une nouvelle contrainte pour ces mêmes groupes religieux. Cette nouvelle loi ne violerait nullement leur liberté religieuse, puisque nulle autorité religieuse ne saurait obliger de bénir religieusement cette union si elle n’estime pas devoir lui reconnaître de valeur au plan religieux. Quand bien même une telle loi viendrait à être votée par le Parlement, selon Tareq Oubrou, nul ne pourrait néanmoins contraindre les musulmans et leurs responsables religieux à s’y adosser. De la même manière que les catholiques, comme nous le faisait remarquer un juriste, ne sont pas obligés de divorcer pour autant, bien que la loi prévoie le divorce.

« Et si un jour le mariage homosexuel était voté, rien n’obligerait les musulmans à le pratiquer. » Ce que la loi civile énonce n’est pas censé toujours coïncider avec les croyances religieuses des individus, telle est aussi la transcription pratique de l’idée de laïcité.

La tentation de la finance tirée des propres paroles de l’écriture sainte

La perspective d’intensification des échanges économiques et financiers en direction des pays musulmans pourrait en effet avoir raison d’une certaine logorrhée laïciste et nous révéler une fois de plus le caractère superficiel du vernis laïque national ou du moins de sa prétention universaliste.

Je fais allusion là à la politique impulsée depuis quelques années par Bercy, visant à inciter l’administration fiscale et le système bancaire à favoriser l’implantation de la finance islamique en France. Dans un contexte de crise financière mondiale, et de pénurie de liquidités, un rapport publié en 2008 (rapport Jouini/Pastré) vantait les mérites et les opportunités de développer dans l’hexagone la finance islamique («10 recettes pour récupérer 100 milliards de dollars»). Invitée au Forum Paris Europlace, Christine Lagarde, s’exprimant le 2 juillet 2008, avait déclaré, s’adressant à des investisseurs du Moyen-Orient: « Nous allons développer à la fois sur le plan réglementaire et fiscal tout ce qui est nécessaire pour rendre vos activités aussi bienvenues ici à Paris qu’elles le sont à Londres et sur d’autres places. L’Autorité des marchés financiers a déjà mis en place des règles compatibles avec le développement de fonds d’investissement qui remplissent les principes de la charia. J’ai demandé à mon administration d’apporter les clarifications fiscales et juridiques nécessaires pour faciliter l’émission de ‘sukuks’, et permettre la structuration d’opérations immobilières de finance islamique, sans frottements fiscaux concernant en particulier les droits d’enregistrement, a encore annoncé Mme Lagarde, ajoutant : Nous adapterons notre environnement juridique pour que la stabilité et l’innovation de notre place financière puissent bénéficier à la finance islamique. » La ministre Christine Lagarde entendait clairement vouloir faciliter le développement de la finance islamique dans l’hexagone afin de permettre à la France de rattraper son retard (abyssal !) par rapport au Royaume-Uni, place forte de la finance islamique en Europe et même à l’échelon mondial. Pour cela, deux instructions fiscales ont été prises au début de l’année 2009 afin de créer une fiscalité plus incitative en direction des produits islamiques. L’Autorité des Marchés Financiers (AMF) devait même émettre des règlements facilitant l’enregistrement en France de fonds d’investissements compatibles avec la loi islamique. Plusieurs groupes bancaires se sont dotés de Conseils de supervision de la Shari’a et ont proposé des produits shari’a compliant (muchâraka [62], mudharaba [63], murâbaha [64], sukûk [65] …) réputés conformes à un ensemble de principes fondamentaux et éthiques tirés du Coran.

Parmi lesquels on peut brièvement rappeler entre autres le principe de la liberté contractuelle (« Ô croyants : Soyez fidèles à vos engagements » V, 1), « ce qui n’est pas interdit est permis » et l’existence de certains interdits comme l’usure (ribâ) assimilée au meurtre, à la fornication et à l’idolâtrie, le risque, l’incertitude (gharar) et la spéculation (mayssir).

Le Sénat avait de son côté organisé, via sa Commission des finances, une table ronde en Mai 2008 exclusivement consacrée à la finance islamique. Un institut français de la finance islamique (IFFI) devait voir le jour en décembre 2009. À peine créé il signait deux accords de coopération avec la Banque Islamique de Développement (Jedddah) et fonctionne actuellement comme un think-tank. Il est actuellement présidé par le député Hervé de Charrette, ancien ministre des Affaires étrangères. « La France doit, déclarait Hervé de Charrette, prendre en marche le train de la finance islamique. Cela ne nécessitera pas de révolution juridique. (…) Et la laïcité ? Les adaptations qui sont nécessaires ne reviennent nullement à importer la Charia dans notre législation en contravention avec le principe de laïcité auquel nous sommes tous attachés. Bien au contraire ! Il s’agit en réalité d’appliquer le principe de neutralité qui est au cœur de la laïcité : l’objectif est de rendre notre législation fiscale neutre vis- à-vis de la finance islamique alors qu’aujourd’hui elle souffre d’une certaine forme de discrimination » [66].

En fait l’intérêt porté à la finance islamique selon Hervé De Charrette présente un triple intérêt :

  • celui de représenter une opportunité géopolitique en direction du monde musulman ;
  • de répondre aux besoins de financement de la France ;
  • de renforcer la « Place de Paris » par rapport à la City.Dans le cadre d’une proposition de loi visant à favoriser l’accès au crédit des PME, un amendement (n°9 rectifié) fut introduit. Il prévoyait entre autres l’émission d’instruments financiers conformes aux principes de la finance islamique (sukûk). Il fut toutefois censuré par le Conseil Constitutionnel saisi par le groupe socialiste au motif que ces amendements étaient sans lien avec l’objet de la proposition de loi destinée à favoriser l’accès au crédit des petites et moyennes entreprises. Lors des débats en commissions des Finances, la loi de séparation des cultes et de l’État fut tactiquement brandie pour conjurer cette initiative.

    En août 2010, dix mois après la censure de la loi sur les PME, l’administration fiscale publia deux instructions valant donc interprétation des lois de l’administration française (elles sont donc opposables à l’administration fiscale) qui allèrent dans le sens d’une meilleure prise en compte et donnèrent plus de précisions et de clarifications fiscales sur la nature des opérations découlant de la finance islamique (murâbaha, ijâra, istisnâ). D’autres sont en préparation.

    Même si ce type de produits semble davantage destiné aux riches musulmans du Golfe et à leurs pétrodollars plutôt qu’à la grande masse des musulmans vivant dans l’hexagone, il n’en demeure pas moins que ce processus à sa manière illustre comment la logique du marché tente de se concilier avec les principes religieux de l’islam et son éthique économique. Indépendamment du fait que c’est manifestement un souci de combler un besoin en liquidités qui est à l’origine de la cristallisation d’une demande d’ouverture de la France aux capitaux islamiques, on doit également relever le fait que cette idée de finance islamique s’inscrit totalement dans la tendance dominante cherchant à davantage rationaliser le marché financier, en reconnectant la finance à l’économie réelle et en prônant une économie socialement responsable. « Si l’origine est religieuse, précisait Hervé de Charrette, la finance islamique vise précisément à contourner cet interdit pour répondre aux besoins d’une économie moderne ce qui a donné un système ingénieux et innovant qui repose sur quelques principes simples : l’adossement à l’économie réelle, la rémunération en fonction des flux de trésorerie, le partage des pertes et profits entre le prêteur de capitaux et son emprunteur. On est bien loin d’un quelconque débat sur le sexe des anges ».

    Autant d’arguments auxquels peut aussi se raccorder l’éthique de la finance islamique (refus d’investissement dans les secteurs des armes, de l’alcool, du jeu…).

    Il est aujourd’hui possible en France de contracter un contrat d’assurance vie conforme aux règles de la sharî’a (via BNP Parisbas

[67] ou Swiss Life Assurances et Patrimoine [68]) voire même de se voir octroyer un prêt à l’habitat conforme aux règles de la finance islamique (via la banque Chaabi, filiale française du groupe Banque Populaire du Maroc).

Ces dernières années trois Sharî’a Board ont été créés en France (ACERFI [69], COFFIS [70], CIFIE [71]) afin à la fois de délivrer des avis sur les produits financiers et leur compatibilité avec les règles de l’éthique islamique en matière de finance et de promouvoir ce type de finance.

Il y a toutefois quelque ironie à relever qu’après avoir vu la France et sa classe politique quasi unanime refuser de voir plus longtemps le foulard islamique dans l’école publique, on voit l’ancienne majorité politique donner sa baraka laïque à l’implantation de la finance islamique dans l’hexagone.

Il faut croire qu’en matière de finance et d’économie, la recherche du profit incite à de nombreux accommodements et semble être la religion la plus universelle. Il n’est plus dès lors question de se référer à un croire réduit à sa dimension cultuelle ou de limiter son effusion dans la société hors de l’espace privé mais bien à l’opposé d’accompagner un processus de décloisonnement de celui-ci via l’économique.

Le croire musulman est donc désormais valorisé comme une ressource politique qui a toute sa place dans la stratégie et la prospective économique de la France.

Ainsi va la sollicitation de la référence à la sharî’a, elle sert autant de cadre normatif aux musulmans européens qui, bien que vivant dans des sociétés sécularisées, n’entendent rien concéder du caractère totalisant de l’islam comme religion de la loi, que de prétexte aux non musulmans qui s’appliquent à débusquer les signes d’une islamisation progressive des sociétés européennes et veulent imposer aux musulmans une sortie de la religion.

Mais la référence à la sharî’a sait également épouser des contours plus pragmatiques. Elle devient alors une norme flexible : il faudrait repenser l’économie générale à l’aune du vécu des populations musulmanes en contexte sécularisé ou chercher à rogner les aspérités contraignantes en valorisant davantage sa finalité sociale ou en prônant son dépassement par la mystique.

Ces multiples usages de la sharî’a dénotent à la fois la très forte charge symbolique qu’elle véhicule ainsi que sa dimension anachronique dans des sociétés européennes largement émancipées par rapport à tout ordre juridique adossé à une conception religieuse de l’univers. Cette omniprésence de la référence à la loi transcendante ne doit pas nous conduire à sous-estimer les multiples stratégies mises en œuvre destinées à la maintenir comme un référentiel absolu dont il conviendrait en même temps de favoriser des lectures plus adaptées au monde contemporain.

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[1] Pour une formation des imams de France, intervention prononcée par Franck Fregosi lors du colloque organisé par la Fondation Res Publica le 14 février 2005 : Islam de France : où en est-on ?
[2] IFOP pour le Figaro L’image de l’Islam en France, Octobre 2012 in http://www.ifop.com/media/poll/2028-1-study_file.pdf
[3] RENARD.M « Lois de l’islam, lois de la République : l’impossible conciliation », dans Yves Charles ZARKA, Sylvie TAUSSIG, Cynthia FLEURY (éds), op.cit., p. 387-395.
[4] BABES.L, « La charia ou le rejet des valeurs occidentales », dans Yves Charles ZARKA, Sylvie TAUSSIG, Cynthia FLEURY (éds), op.cit., p. 509-513.
[5] OUBROU.T, « La sharî’a de minorité : réflexions pour une intégration légale de l’islam », dans Franck FREGOSI. F (ed.), Lectures contemporaines du droit islamique, op.cit., p. 206.
[6] Notre recherche s’appuie sur le corpus suivant : articles de presse, déclarations publiques, ouvrages d’auteurs reflétant les diverses sensibilités de l’intelligentsia musulmane en Europe.
[7] RAMADAN.H, « La charia incomprise », Le Monde DU 10/09/02.
[8] Ibid.
[9] Ibid.
[10] Ibid.
[11] MICHOT.Y, Musulman en Europe, Editions Jeunesse sans Frontières, Paris, 2002, p 35.
[12] Ibid., p 86.
[13] Ibid., p36.
[14] BABES. L, OUBROU.T, Loi d’Allah, loi des hommes. Liberté, égalité et femmes en islam, Paris, Albin Michel, 2002, 364 p.
[15] BABES.L, «Moi musulmane  qui osera m’accuser d’islamophobie ? » in Marianne 19/25 avril 2004
[16] ISMAÏL.M, «Les normes juridiques en islam : le ‘urf comme source de législation», in FREGOSI Franck, Lectures contemporaines… op-cit, pp 27-70.
[17] MEDDEB.A, Pari de civilisation, Paris, Seuil, 2009, p 13.
[18] MEDDEB.A, Contre-Prêches, Paris, Seuil, 2006, p 340.
[19] BENZINE. R, Les nouveaux penseurs de l’islam, Paris, Albin Michel, 2004, 289 p.
[20] MEDDEB.A, Face à l’islam, Paris, Textuel, 2004, 216 p.
[21] CHARFI.A, L’islam entre le message et l’histoire, Paris, Albin Michel, Coll. L’islam des lumières, 2004, p 67.
[22] Voir DHAOUI. H, HADDAD. G, Musulmans contre Islam ? Rouvrir les portes de l’Ijtihad, Paris, Cerf, Coll. L’Histoire à vif, 2006, 134 p et surtout MEDDEB .A, La maladie de l’islam, Paris, Seuil, Essais, 2002, 222 p.
[23] Voir le site http://www.islamophile.org qui comprend une banque de fatwa consultable en langue française par un index thématique ou un index par Mufti. Via le site officiel de l’Union des organisations islamiques de France (UOIF), http://www.uoif-online.com, l’internaute a la possibilité de soumettre lui-même une question au Conseil européen de la fatwa. On peut également se référer aux divers sites salafistes suivant qui diffusent les fatwas émises par les cheikhs saoudiens les plus rigoristes: http://www.fatwas.online.fr, http://www.soubhannallah.com, http://www.sounnah.free.f#r, http://www.al.baida.online.fr.
[24] OUBROU.T, « La sharî’a de minorité: réflexions pour une intégration légale de l’islam », op.cit.
[25] Ibid.
[26] Ibid.
[27] OUBROU.T, Profession imâm, Paris, Albin Michel, 2009, p 37.
[28] Ibid, p 39.
[29] AL ALWANI.T. J, Introduction au statut des minorités. Vers un fiqh des minorités musulmanes en Occident, Paris, IIIT France, 2007, 70 p.
[30] Ibid, p 37.
[31] FREUD.S., Cinq leçons sur la psychanalyse, Paris, Petite bibliothèque Payot, 2001, p 37.
[32] FREGOSI. F., «Les contours discursifs d’une religiosité citoyenne: laïcité et identité islamique chez Tariq Ramadan», in DASSETTO F. (dir.), Paroles d’islam. Individus, sociétés et discours dans l’islam européen contemporain / Islamic Words. Individuals, Societies and Discourse in Contemporary European Islam, Paris, Maisonneuve & Larose/European Science Foudation, 2000, p.219.
[33] RAMADAN.T., Les musulmans dans la laïcité. Responsabilités et droits des musulmans dans les sociétés occidentales, Lyon, Tawhid, 1994, p.46.
[34] Notons cependant qu’il s’est publiquement déclaré favorable à un moratoire en matière d’application de sanctions pénales à l’encontre des faits d’adultère, à savoir la lapidation.
[35] GEOFFROY. E, L’islam sera spirituel ou ne sera pas plus, Paris, Seuil, 2009, p 100.
[36] Ibid, p 150.
[37] Pour les qadiris de la Boutchichia, celle-ci se limite aux cinq piliers de l’islam.
[38] http://www.tariqa.org/voie6.php , voir notice « La Loi »
[39] http://presse.parti-socialiste.fr (dépêche 29/05/08)
[40] DELSOL.C, « Mariage annulé : y a-t-il détournement de la loi ? », Le Figaro du 04/06/08.
[41] Ibid.
[42] Selon un sondage réalisé en Juin 2008 par le politoscope Opinion Way-Le Figaro-LCI, 73 % des personnes interrogées disent avoir été choquées par la décision d’annulation du tribunal. Parmi elles, 54 % considèrent que « cela revient à reconnaître légaux des principes qui devraient relever de la religion des personnes. »
[43] TERRE. F, « Le libre choix du conjoint », dans JCP, La semaine juridique, Actualités, Libres propos, n° 26, 25 juin 2008, p 439
[44] LABORDE.C, « Républicanisme critique vs républicanisme conservateur : repenser les ‘accommodements raisonnables’, dans Critique internationale, Juillet-Septembre 2009, vol 44, p 24.
[45] Ligue Française de la Femme Musulmane, « Virginité : mythe et réalités », 25/03/07 in http://www.lffm.org/modules.php?name
[46] OUBROU.T, Profession imâm, Paris, Albin Michel, 2009, p 53.
[47] OUBROU T, Profession imâm, Paris, Albin Michel, 2009, pp 54-55.
[48] RAMADAN S., La sharî ‘a. Le Droit islamique, son envergure et son équité, Paris, Al Qalam, 1997, 224 p.
[49] MESTIRI.M, Traité de Usûl Addîn Fondements de la religion, Paris, Editions Islam Contemporain, 2004, pp 116-117.
[50] GEOFFROY. E, L’islam sera spirituel ou ne sera pas, Paris, Seuil, 2009, p 152.
[51] TAHA M.M, Un islam à vocation libératrice, Paris, L’Harmattan, 2002, 178 p.
[52] CHARFI. A, L’islam entre le message et l’histoire, Paris, Albin Michel, 2004, p 68.
[53] RAMADAN. T, Mon intime conviction, Paris, Presses du Châtelet, 2009, 184 p.
[54] Ibid., p 86.
[55] BIDAR A, L’islam sans soumission. Pour un existentialisme musulman, Paris, Albin Michel, 2008, 273 p.
[56] Ibid., p 255.
[57] Affaire Refah partisi et autres contre Turquie, troisième section, requête n°41340/98, 41342/98, 41343/98, 41344/98.
[58] Dans leur opinion dissidente les trois autres membres de la chambre ne semblaient pas sur cet aspect être en désaccord avec leurs collègues, leurs désaccords portaient notamment sur le fait que les motifs invoqués par les autorités turques étaient insuffisants, ils ne reposaient notamment que sur des déclarations verbales de responsables de ce parti et non sur les statuts ou le programme du parti, lequel ne laissait pas préjuger d’une remise en cause de la laïcité.
[59] Ibid, p 47.
[60] Dans le Coran, l’idée de mariage est habituellement rendue par le terme «nikâh» qui y est repris cinq fois (dix-huit fois dans sa forme verbale nakaha!), l’autre terme parfois présenté comme équivalent du mariage est celui de «zawâj», il désigne en fait plutôt le couple sui generis qu’une union officialisée. Si l’on suit le Coran de façon littérale, celui-ci reconnaît en fait trois formes d’union possibles (le mariage stricto sensu, le concubinat et l’union temporaire).
[61] OUBROU T, Profession…op-cit, p 50.
[62] La muchâraka équivaut à une joint-venture dans le cadre d’un projet de financement. Les deux parties partenaires cofinancent le projet et en assurent la cogestion et les profits comme les pertes sont répartis au prorata des sommes investies.
[63] Le principe de mudhâraba est celui de la commandite entre un commandité (entrepreneur ayant un projet) et un commanditeur (investisseur ayant les fonds). Le commandité fournit sa force de travail et le commanditeur l’argent, en cas de profit, le commandité perçoit les frais de gestion et les gains sont répartis entre lui et l’investisseur selon des modalités définies à l’avance. Le capital investi reste la propriété de l’investisseur pendant l’intégralité du projet, la gestion est assurée par le commandité.
[64] La murâbaha est une vente dont le paiement est différé. L’objectif est de permettre à un acheteur ne disposant pas de fonds à un instant t de passer néanmoins commande d’un bien sans souscrire un emprunt. Le plus souvent il s’agit d’un vendeur qui cède son produit à un financier pour un prix x, le financier le revend à un prix supérieur à x payable à terme par l’acheteur. La marge correspond économiquement à l’intérêt.
[65] Les sukûk sont qualifiées d’obligations islamiques. Il s’agit d’une technique financière de participation à un projet, qui se traduit par un appel public de financement à l’épargne qui conduit l’emprunteur à émettre des titres. Dans un cas l’emprunteur garantit aux investisseurs une rémunération quelle que soit la performance des actifs sous-jacents détenus. Dans un autre cas, pour maintenir l’attractivité de ces produits, en cas de projet déficitaire, un découpage de la dette est prévu qui permet une hiérarchisation du remboursement des investisseurs.
[66] De CHARRETTE H, http:// www.institutfrançaisdefinanceislamique.fr/fr
[67] www.salamepargne.fr
[68] http://www.swisslife.fr/Le-Groupe/Swiss-Life-France/Communiques/Swiss-Life-lance-Salam-Epargne-Placement-le-premier-contrat-d-assurance-vie-conforme-aux-principes-de-la-finance-islamique
[69] Cette société Audit, Conformité, Ethique et Recherche en Finance Islamique créée en 2008 dispose d’un comité de savants de 6 membres (www.acerfi.org).
[70] Le Conseil Français de la Finance Islamique a été créé en 2009 et dispose d’un Conseil de savants musulmans habilités à rendre des avis sur tous les produits financiers au regard des préceptes islamiques. Ce conseil entretient des liens étroits avec le Conseil européen de la jurisprudence, de la fatwa et de la recherche (www.coffis.fr).
[71] Le Comité Indépendant de la Finance Islamique en Europe a créé son propre comité des savants qui entretient des liens avec la Ligue Muhamadienne des Ulémas basée au Maroc (www.cifie.fr ).

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