Introduction de Jean-Pierre Chevènement au colloque « L’euro monnaie unique peut-il survivre? » du 24 septembre 2012.
Intitulé : « L’euro monnaie unique peut-il survivre ? », il fait suite à un colloque organisé par la Fondation Res Publica en février dernier sur le thème de la possibilité d’une monnaie commune (1). La différence entre monnaie unique et monnaie commune est claire : la monnaie commune est une monnaie étalon, un pivot, un panier de monnaies qui s’apprécie sur le marché. Ces monnaies restent des monnaies nationales ayant naturellement une parité fixée à l’intérieur d’un Système monétaire européen bis (je ne veux pas être plus descriptif à ce stade.) Ce colloque réunissait des personnalités éminentes, tels Christian de Boissieu, président du Conseil d’analyse économique, Pierre Jaillet, directeur général des études et des relations internationales de la Banque de France, Christian Saint-Étienne, un contestataire de l’euro, Jean-Michel Quatrepoint et Dominique Garabiol, membres du Conseil scientifique de la Fondation Res Publica. Cette vue exprimée en février était une interrogation. Depuis lors, on a vu les limites des mesures prises par la Banque centrale européenne comme nous verrons les limites des initiatives les plus récentes du président de la Banque centrale européenne, M. Draghi.
Je suis très heureux d’accueillir aujourd’hui le Professeur Nölling. Professeur éminent à l’Université de Hambourg, membre du Parti social-démocrate, il fut l’un des responsables de la Bundesbank. Il nous donnera un point de vue original qu’il maintient avec fermeté depuis vingt ans. Nous partageons ce point de vue sur beaucoup de points, en particulier sur le diagnostic fondamental : la monnaie unique, dès le départ, était non seulement un pari risqué mais probablement un pari perdu.
Je voudrais rappeler une position de fond qui réunit un certain nombre d’esprits, en tout cas à la Fondation Res Publica : le vice de l’euro est dans l’euro lui-même, c’est un vice originel, un « péché originel » : l’euro rassemble sous le même toit des économies de structures extrêmement différentes, de niveau de développement inégal, dont les langues, les cultures, les repères culturels, les options politiques diffèrent. Mais c’est surtout la différence des structures économiques qui fait qu’une monnaie unique s’appliquant à dix-sept pays aboutit presque inévitablement à des effets de polarisation de richesse ou de sous-développement aux extrêmes.
J’ai pensé un moment que la Banque centrale européenne pourrait garantir non seulement la stabilité monétaire mais la stabilité financière de la zone euro. Les oppositions politiques qui se manifestent, et se manifesteront de manière durable, font que la perspective de la monnaie commune est aujourd’hui la plus réaliste (je ne veux pas déflorer davantage les propos de ceux qui vont intervenir). Je crains malheureusement que nous n’allions de répit en répit, de sommet de la dernière chance en sommet de la dernière chance. Les mesures prises récemment par M. Draghi font encore illusion. M. Draghi a dit que la Banque centrale rachèterait en quantité illimitée un certain nombre de titres de dette publique. La presse a retenu le mot « illimitée ». Mais on oublie de préciser que c’est sur un créneau très limité (titres d’une durée de trois ans au maximum et sur le marché de la revente, le marché secondaire) et que, par ailleurs, des dispositions ont été prises pour stériliser l’effet de ces mesures : il ne doit pas y avoir d’augmentation de la masse monétaire.
Les controverses récentes, en Allemagne, autour de la décision des juges de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe montrent à l’évidence que la position allemande ne va pas évoluer beaucoup. Nous avons là une variété particulière de « juges rouges ». [s’adressant à M. Nölling : Nous appelons « juges rouges » (2) en France les juges qui avaient une volonté d’intervention dans la vie sociale. Les « juges rouges » de Karlsruhe sont, au contraire, très soucieux d’une grande neutralité.]
Il nous manque aujourd’hui une grande vue d’homme d’État. Comment pouvons-nous sortir de la situation apparemment inextricable dans laquelle nous sommes ? Pourrait-on faire de l’Europe une nation ? C’est une question à laquelle il faudrait réfléchir. À vue d’homme, ce ne sera pas facile. À cet égard, le fonctionnement de la démocratie suisse est intéressant. Ce qui a été possible en Suisse le serait-il en Europe ? Mais nous ne nous situons pas à la même échelle. Si cette vue d’homme d’État (ou de femme d’État, Mme Merkel est une femme d’État à coup sûr) ne s’impose pas, je crains que nous allions vers un déclin progressif qui, peut-être, s’accélérerait dans certaines phases.
Je vais donner la parole à M. Garabiol qui fera un rapide tour d’horizon de la situation économique mondiale. Nous entendrons ensuite M. Nölling, puis M. Sapir, directeur d’études à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales. Ensuite, M. Gnos, professeur à l’Université de Bourgogne, qui a pris dès 1992 des positions qui m’ont frappé par leur lucidité, nous parlera des conditions de mise en œuvre d’une monnaie commune. M. Jean-Michel Quatrepoint nous parlera de l’organisation monétaire de l’Europe telle qu’il la voit (autour de quatre euros, si j’ai bien compris). Jean-Luc Gréau, économiste très connu, membre du Conseil scientifique de la Fondation Res Publica, nous donnera sa vision de l’euro en nous parlant des leviers de redressement qu’il entrevoit.
Je donnerai ensuite la parole à la salle.
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(1) Approches théorique et pratique d’une monnaie commune, table ronde organisée par la Fondation Res Publica le lundi 13 février 2012, avec la participation de MM. Christian Saint-étienne, Pierre Jaillet, Christian de Boissieu et Jean-Michel Quatrepoint
(2) « Les juges rouges », expression apparue dans la presse en 1975, quand Patrice de Charette, juge d’instruction à Béthune, ordonna la mise en détention provisoire d’un chef d’entreprise, pour homicide involontaire, après un accident mortel du travail, ce qui provoqua une immense polémique.
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