Par Daniel Bloch, ancien président d’Universités, ancien recteur d’Académie, ancien directeur des Enseignements supérieurs.L’éducation nationale fait l’objet d’un traitement de faveur, avec la création de 60 000 emplois sur la durée du quinquennat. Le candidat élu s’est engagé également en termes d’objectifs à réduire de moitié, sur la même durée, la proportion de jeunes sortant du « système éducatif » sans qualification ainsi qu’à doubler, sur une période plus longue, la proportion de ceux qui obtiennent ou dépassent le niveau de la Licence. Ces objectifs peuvent-ils être atteints ?
L’Ecole primaire est, dans notre pays, le parent pauvre du « système scolaire » alors que les difficultés non surmontées par les élèves à ce premier niveau de formation sont difficiles – voire impossibles – à éradiquer ensuite. Quant à notre Université, elle n’a pas reçu, au sein des enseignements supérieurs, la considération nécessaire, alors qu’elle aurait dû constituer, comme ailleurs, le socle de notre développement économique et culturel (1,2).
Depuis de nombreuses années les compétences de nos élèves, évaluées à la sortie du Collège, se dégradent. Les gouvernements de droite ont récemment supprimé des emplois d’enseignant, réduit le taux de scolarisation des enfants de deux ans, désorganisé le temps scolaire. Mais les conséquences n’en ont pas encore été mesurées. En effet les dernières données (PISA), collectées en 2009, traduisent le niveau atteint par les élèves à l’issue de leurs douze années complètes de scolarité. La gauche, qui gouvernait alors qu’ils étaient à l’Ecole primaire, a sa part de responsabilité dans cette dégradation. Restituer les 60 000 emplois créés là où ils ont été supprimés au cours des dernières années n’offrirait de la sorte pas de perspectives de progrès.
Notre Collège est souvent considéré comme un maillon faible. Pourtant les comparaisons internationales établissent que notre pays est l’un des très rares pour lesquels la proportion de jeunes sortant du Collège sans disposer des compétences minimales attendues (20 %) (PISA) est inférieure à la proportion de ceux (25 %) (PIRLS) qui y rentrent déjà en difficultés. L’accent est donc bien à placer du côté de l’Ecole primaire. Une preuve : les travaux de recherche et les premières expériences conduites à Grenoble (1,2), que nous avons pu faire étendre à grande échelle en Martinique, établissent que de considérables progrès peuvent par exemple être réalisés en concentrant les efforts sur l’apprentissage du langage, en grande section de maternelle mais aussi au cours préparatoire. Agir dès la petite enfance, c’est la priorité des priorités.
Diviser par deux d’ici cinq années ce taux nécessite cependant d’engager simultanément d’autres procédures, même provisoires et même si les résultats en sont plus aléatoires, car les jeunes qui faute de dispositifs appropriés sortiraient dans cinq ans du « système éducatif » sans qualification sont déjà au Collège. L’Education nationale n’offre pas pour l’instant de seconde chance à la plupart d’entre eux. Comment faire accéder le plus grand nombre, à la sortie du Collège, à un socle commun de compétences permettant d’engager avec de bonnes chances de réussite un autre cycle de formation débouchant sur une qualification ? Pour construire ces nouveaux dispositifs, il n’existe sans doute pas d’autre solution que celle consistant à s’appuyer sur des équipes éducatives « Collège » soudées autour d’un projet spécifique de réussite de tous les élèves, en leur laissant la possibilité de faire appel pour les élèves de 6ème et de 5ème aux compétences d’enseignants des écoles, et pour les élèves de 4ème et de 3ème à ceux de lycées professionnels, notamment à des enseignants des disciplines générales, souvent mieux armés qu’eux-mêmes pour prendre autrement en charge les élèves les plus en difficultés. Et sur la base du volontariat des élèves, en prenant appui sur des expériences réussies (3). Sans oublier les efforts à poursuivre lors des premières années de leur parcours ultérieur de formation, en Lycée ou en Centre d’apprentissage, parcours marqués aujourd’hui par de très nombreux abandons.
Le deuxième objectif stratégique se rapporte à l’enseignement supérieur. Si une proportion aussi faible de jeunes accède au niveau de la licence, et plus encore si, parmi eux, la proportion de jeunes issus des milieux les moins favorisés est aussi réduite, c’est parce que nous n’avons pas su faire évoluer l’enseignement de nos lycées. L’exemple le plus significatif est celui fourni par l’enseignement technologique, certes « réformé » récemment, mais sans que les équilibres entre les formations générales et technologiques aient été modifiés au profit des enseignements généraux. Faute d’une refondation de la voie technologique – où les enfants des milieux défavorisés sont en proportion plus nombreux qu’en série générale – nos 130 000 bacheliers technologiques continueront à échouer en nombre dans l’enseignement supérieur. De plus notre pays, qui a largement contribué à faire adopter par l’Europe un système homogène de certification universitaire, avec la licence comme premier niveau, ne l’a pas encore mis en œuvre pour ses propres filières technologiques supérieures courtes, STS comme IUT ! Sans une refondation de la voie technologique, conduire 50 % de la génération au niveau de la licence serait mission impossible, sachant qu’à peine plus de 30 % de la génération accède au baccalauréat général, seul diplôme réellement conçu pour permettre à la majorité de ceux qui en disposent d’accéder au niveau de la licence. Les divers plans successifs de « Réussite en Licence », même bien dotés, n’y changeront rien.
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(1) D. Bloch. Ecole et démocratie. Pour remettre en route l’ascenseur économique et social. Presses Universitaires de Grenoble, 2010.
(2) D.Bloch, Contre l’échec scolaire, agir dès la petite enfance, 2010
(3) D. Bloch. La découverte professionnelle au Collège. Onisep, 2005.
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