Une approche républicaine du dialogue social

Une tribune de Baptiste Petitjean, directeur de la Fondation Res Publica, répondant à la question « Quelle place attribuer aux partenaires sociaux dans la conduite des réformes ? » du panel LeMonde.fr, mardi 12 juin 2012.

Refonder un dialogue social fécond suppose d’éclaircir le rapport entre la loi et le contrat. Les esprits schématiques aiment à opposer une vision libérale selon laquelle la loi doit s’effacer devant le libre contrat entre les parties, et une vision républicaine pour laquelle seule la loi peut protéger et assurer l’égalité entre les citoyens. En réalité la loi républicaine, en matière sociale et économique, laisse en pratique une place importante au contrat. Elle ménage un large espace à la négociation. La loi a pour but de garantir une égalité minimale entre toutes les régions, toutes les branches, tous les citoyens, dans la négociation mais ne mésestime nullement le contrat. Le meilleur exemple est celui du mécanisme d’ »extension » d’un accord collectif, prenant appui sur les résultats positifs d’une négociation et faire norme pour l’ensemble d’une profession.

Il s’agit donc d’un équilibre. Le bouleverser en remplaçant la loi par le simple contrat – comme le prévoyaient les ultimes propositions de Nicolas Sarkozy, permettant à des accords d’entreprises de passer outre aux règles du salaire minimum, du temps de travail maximum… – livrerait les salariés au chantage. En somme, la négociation sociale doit être protégée des abus et mise ainsi « à l’abri de la loi ».

Cet équilibre doit être réalisé à la lumière des défis de l’économie mondialisée et de la désindustrialisation. L’adaptation rapide des entreprises à leur marché exige, en amont, avant la crise, une discussion avec les partenaires sociaux. « Il ne s’agit plus de se limiter à assurer tant bien que mal (et en général plutôt mal pour les salariés) la reconversion de sites industriels, mais de parvenir à entretenir les capacités des tissus d’entreprises locales », souligne à juste titre Jean-Louis Levet. Dans ce contexte, le dialogue social est une des clés de la sortie de crise. Il faudra plusieurs mois avant de retrouver une croissance significative et faire reculer le chômage. La négociation en amont se révèlera donc nécessaire sur le long terme, plutôt que la mise en place de mesures d’urgence (bien que nécessaires) pour faire face aux plans de licenciements. Là aussi, l’action de l’Etat – pour l’investissement, la croissance, la justice, le retour de la confiance – est nécessaire pour créer un bon climat de négociations sociales.

A ceux qui prônent l’alignement français sur le modèle allemand, il faut rappeler l’augmentation des inégalités et de la précarité outre-Rhin depuis les réformes Hartz et l’Agenda 2010. La contrepartie fut lourde en effet : allongement de la durée du travail, gel des salaires. Les salaires réels allemands ont baissé de 2 % au cours de la décennie alors qu’ils augmentaient de 16 % en moyenne dans le reste de la zone euro. 7,3 millions d’Allemands occupaient en 2010 un « minijob » (travail à temps partiel payé 400 euros par mois) ; un Allemand sur cinq gagnait moins de 6 euros de l’heure. Le dialogue social sans protection de la loi aboutit à une situation sociale dégradée. Ce n’est pas un modèle.

La démocratie sociale, c’est à dire la discussion entre partenaires sociaux, s’inscrit dans la démocratie. Elle s’insère dans le projet porté par le pays. Il n’est pas possible, en France, de séparer la démocratie de la nation et la démocratie sociale de l’ensemble du débat politique. C’est un simplisme infondé que d’attendre la relance du dialogue social d’un affaiblissement du rôle de l’Etat. Un Etat ferme, anticipateur et protecteur, est le meilleur soutien à un dialogue social dynamique et imaginatif, en évitant aux partenaires d’oublier l’intérêt général et les valeurs d’égalité au cœur de la République.

Démocratie politique et démocratie sociale, pour entretenir des rapports sains et durables, doivent s’inscrire dans une perspective républicaine, faite du primat de la loi et du sens de l’intérêt général.

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Voir le texte sur le site du Monde, ainsi que les réponses des autres fondations

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