La nécessité d’un plan B

Intervention de Jean-Michel Quatrepoint, journaliste économique, membre du Conseil Scientifique de la Fondation Res Publica, au séminaire « Approches théorique et pratique d’une monnaie commune » du 13 février 2012

Premier constat : nous sommes tous d’accord, avec des nuances, pour faire une autocritique sur la manière dont l’euro s’est construit. On apprécierait que quelques autres personnalités éminentes fassent la même autocritique.

Cette crise est une crise des balances des paiements, au niveau mondial et, au niveau européen, à l’intérieur de la zone euro . On a évoqué le seuil où les écarts de compétitivité posent problème. La Grèce a accumulé de la dette extérieure et son coût unitaire salarial a augmenté de 70 % en dix ans (contre 1 % en Allemagne). On voit bien que les déséquilibres des balances des paiements à l’intérieur de la zone euro sont dus aux écarts de compétitivité. Personne n’y avait pensé. Ce fut l’erreur de base de la construction de l’euro.

Il y eut ensuite des erreurs de gestion de la crise.
Pourquoi, en 2010, au moment où la crise de la zone euro éclatait, n’a-t-on pas appliqué à la Grèce le traitement qu’on applique à une entreprise en difficulté ? On met alors en place un plan de sauvetage, une restructuration de la dette, pour permettre à l’entreprise de s’en sortir. Les principaux créanciers, publics et privés, acceptent un moratoire et, pendant un ou deux ans, on suspend le paiement des intérêts et du principal (sans annuler les dettes). Pourquoi ne l’a-t-on pas fait pour la Grèce ? Les banques, les CDS, me dira-t-on … une dérive des instruments financiers explique qu’on n’a pas appliqué à la Grèce un traitement banal, ce qui aurait dû être fait il y a un an et demi, en demandant à la Grèce un effort de rigueur. Les Grecs – y compris l’Église grecque – doivent apprendre à payer des impôts. Mais on ne peut pas appliquer à ce pays une telle purge, c’est impossible ! Il faut d’abord alléger le fardeau de la Grèce pour, ensuite, se montrer draconien si, au bout de deux ou trois ans, les Grecs n’ont pas fait les réformes nécessaires.

On arrive au fond du problème. Autrefois, pour surmonter les écarts de compétitivité observés dans la zone euro (par rapport à l’Allemagne : 70 % pour la Grèce, 17 % pour la France, au minimum 30 % pour l’Espagne, 40 % pour le Portugal, environ 20 % pour l’Italie), on aurait procédé à une dévaluation. Aujourd’hui, avec une monnaie unique, c’est impossible.

On aurait pu aussi faire une dévaluation et une restructuration des dettes (comme pour l’Argentine par exemple). Là encore, c’est impossible : on ne peut pas restructurer, annuler de facto un montant de dettes. Il ne faut surtout pas afficher un défaut, un événement de crédit comme on dit dans les milieux financiers. D’abord parce que cela déclencherait les CDS , ensuite parce que l’on craint qu’un défaut grec n’ait un effet dominos !

La troisième solution, longuement évoquée, serait que les pays excédentaires acceptent de transférer une partie de leurs excédents vers les pays déficitaires. C’est ce qui se passe aux États-Unis. C’est ce qui se passe entre le nord et le sud de l’Italie depuis un siècle. C’est ce qui s’est passé en Allemagne entre l’ouest et l’est, il y a eu des transferts massifs de richesses. Les Allemands payent 5 % d’impôts supplémentaires pour le financement de l’est. Mais, on l’a dit, la fourmi allemande ne veut pas payer pour les cigales du sud. Les Allemands ont accepté en rechignant de payer pour leurs frères de l’est, là ils ne veulent pas payer pour le sud.

Il ne reste plus que la quatrième solution, celle que l’on met en œuvre sans le dire. C’est une dévaluation interne, c’est-à-dire une baisse drastique de tous les revenus, une baisse des salaires et des revenus nominaux. En Grèce la baisse demandée des salaires privés est de 22 %. Cela gagne le Portugal et l’Espagne. On administre à ces pays une purge comme on n’en a pas connue depuis l’Entre-deux guerres, depuis les années 1931-33 en Allemagne. On connaît la suite. Ce n’est pas l’hyperinflation qui a amené Hitler au pouvoir, c’est la purge de 1931-33.

Comment faire ? On ne sait pas comment la situation peut tourner en Grèce. Pour le moment, les populations sont un peu assommées. Mais une révolte sociale est possible, engendrant le chaos total. La Grèce sortirait alors de l’euro manu militari … Nous souhaitons tous un scénario positif. Malheureusement, l’expérience des deux ou trois dernières années n’incite pas à l’optimisme. Il est extrêmement difficile de gérer la zone euro à dix-sept, sans parler de vingt-sept (à cet égard, je ne comprends pas comment la Commission peut faire appliquer des sanctions sur la seule zone euro : en quoi la Grande-Bretagne, par exemple, peut-elle légitimement se mêler de la zone euro ?) … Nous devons donc réfléchir à l’hypothèse selon laquelle le plan du 9 décembre ne marcherait pas, car la situation pourrait bien échapper totalement aux gouvernants, aux élites technocratiques, provoquant le chaos généralisé.

Il faut donc toujours avoir un plan B et, ajouterai-je même, un plan C.
Le plan B que je proposerai est totalement iconoclaste. On revient à l’idée de la monnaie commune. À un moment donné, la construction monétaire européenne a eu le choix entre deux voies. Elle a pris un chemin dont on s’aperçoit aujourd’hui qu’il est une impasse. Il n’est pas interdit, avant de basculer dans le vide, de faire quelques pas en arrière pour reprendre l’autre chemin, peut-être un peu plus long, de la monnaie commune. Nous pourrions en même temps essayer, par une dévaluation, de retrouver des marges de compétitivité pour les pays qui ont perdu de la compétitivité. Ensuite, le bien commun qu’est l’euro se transformerait en Ecu.

Scénario de politique fiction :
Un vendredi soir, les marchés ferment.
Le samedi matin, après accord entre les principaux pays de la zone euro, l’euro devient une monnaie financière. Dans les pays considérés, tous les avoirs bancaires basculent dans la monnaie nationale : l’euro-mark vaut 1,10 euro, l’euro-franc vaut 0,95 euro, l’euro-lire vaut 0,90 euro et l’euro-peseta 0,80 euro (reste à savoir si le Portugal s’aligne sur l’euro-peseta, la Belgique sur le mark ou le franc).
Le lundi matin, les nouvelles parités sont appliquées dans un serpent monétaire (- 2,5/+ 2,5) et l’euro-Ecu est la monnaie de transaction financière de l’ensemble de la zone.

C’est très complexe à mettre en œuvre. Les banques centrales réimprimeront des euro-francs des euro-marks… et dans un premier temps on accepte que les billets actuels libellés en euros continuent de circuler en attendant qu’ils soient peu a peu retirés de la circulation au profit des euros marks, euro francs etc.. Les Espagnols qui ont accumulé beaucoup de billets de cinq cents euros, auraient ainsi un petit bonus. Les contrats sont respectés, les dettes anciennes sont remboursées en euros. Gros avantage (deux cents milliards) pour l’Allemagne (ses dettes, d’un coup, sont réduites de10 %), qui peut lui permettre de financer une partie des pertes que ses banques enregistreraient sur les pays du sud. Notre perte (5 %) pourrait être financée par l’épargne. Les Italiens ont aussi de l’épargne. Les Espagnols ont le taux de dette sur PIB le plus faible de toute la zone euro.

Comme toute dévaluation, cela implique des plans de rigueur dans chacun des pays considérés. Le ballon d’oxygène ainsi créé ne doit pas être dilapidé mais utilisé pour investir massivement dans l’outil productif.

Rien n’empêche ensuite d’avoir un budget fédéral, de consacrer un pourcentage du PIB de la zone à ce budget fédéral et d’émettre des eurobonds par la BEI ou par la BCE pour financer toutes les infrastructures du futur de la zone euro.

Autre avantage : au passage la zone euro se rétrécirait à neuf ou dix. La Grèce, Chypre et quelques autres sortiraient de la zone euro et dévalueraient massivement. Cette zone euro pourrait ensuite, éventuellement, retrouver des accords avec d’autres pays. Mais la zone euro n’aura d’avenir que si elle est resserrée. À dix-sept, c’est ingérable.

Voilà une idée de débat. Je ne suis pas un technicien. C’est très complexe, mais tout est complexe. Il est indispensable de réfléchir à un plan B, ne serait-ce que pour éviter qu’il ne s’applique. Mais si nous n’avons pas de plan B, nous irons inévitablement dans le mur.

Le plan C, l’implosion non maîtrisée de la zone euro, nous mènerait à la catastrophe.

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