Quatre mesures « simples et pratiques » pour mettre l’université en ordre de marche

Par Daniel Bloch, ancien président d’Universités, ancien recteur d’Académie, ancien directeur des Enseignements supérieurs.

L’objectif « 80 % d’une génération au niveau du baccalauréat », désigné en 1985 par Jean-Pierre Chevènement a, au moins pendant quelques années, donné sens à la politique éducative conduite dans notre pays (1). Celui-ci a alors comblé une large partie de son retard, même si l’objectif « 80 % » n’a pas été totalement atteint. Cet objectif « mobilisateur » a été par la suite complété, à Barcelone, en 2002, par les chefs de gouvernement, qui ont adopté un programme de travail visant notamment à conduire, à l’horizon 2010, 50 % des jeunes au niveau de la licence. Mais, dans notre pays, aucune mesure d’application ne l’a accompagné et, en conséquence, aucun progrès n’a été constaté (2).

Conduire plus de 50 % des jeunes à un baccalauréat généraliste

En France, aujourd’hui, 66 % des jeunes de la génération en âge de passer un baccalauréat l’obtiennent, 35 % pour la série générale, 16,5 % pour la série technologique et 14,5 % pour la série professionnelle. Une infime proportion des bacheliers professionnels et une faible proportion seulement des bacheliers technologiques accèdent – le plus souvent avec beaucoup de peine – au niveau de la licence. Comment, avec 35 % seulement de bacheliers généraux pourrait-on conduire 50 % de la génération au niveau de la licence ? C’est mission impossible.
S’il faut assurer aux meilleurs bacheliers professionnels des conditions de réussite plus favorables qu’aujourd’hui dans l’enseignement supérieur, ce baccalauréat ne constitue pas un maillon faible du système éducatif. Tel n’est pas le cas pour le baccalauréat technologique. Les bacheliers technologiques réussissent seulement dans les sections de techniciens supérieurs des lycées. Et moins de la moitié des élèves de terminale technologique des lycées obtient un diplôme de l’enseignement supérieur technologique court, alors que leur scolarité est en principe construite sur cet objectif. Les séries technologiques n’ont pas suffisamment intégré l’existence, à leur côté, des séries professionnelles, pourtant créées il y a 25 ans. Elles n’ont pas non plus pris en compte le fait que désormais la Licence (L) constitue le premier niveau de reconnaissance internationale des diplômes de l’enseignement supérieur, y compris technologique ou professionnel. Il n’existe pas d’autre solution que celle qui consiste à développer le caractère généraliste des séries technologiques, pour les rapprocher des séries du baccalauréat général. Compte tenu de la composition sociologique des élèves suivant aujourd’hui cette voie, un pas vers l’égalité des chances sera alors accompli, et l’économie du pays en tirera bénéfice. Sans mettre les enseignants de technologie dans la rue, 50 % des jeunes seront alors dotés des bases nécessaires à la réussite dans l’enseignement supérieur.

Conduire plus de 50 % des jeunes au niveau de la Licence

Le modèle de Bologne repose sur trois niveaux de diplôme pour l’enseignement supérieur : la Licence, la Maîtrise et le Doctorat (LMD). La Licence s’obtient normalement en trois ans, le Master en deux, alors que le Doctorat exige au moins trois années pour sa préparation. Ce dispositif présente un triple avantage : celui de la simplicité – pour autant qu’à sa mise en place soit associée la suppression de la plupart des diplômes préexistants – ; celui de la lisibilité internationale – puisqu’en Europe, il a été très largement adopté – ; celui de l’efficacité pédagogique, puisqu’il permet, en principe, de construire pour chacun de ces diplômes des parcours pluriannuels variés, continus et cohérents.
Pourtant notre dispositif national a maintenu en vie des diplômes d’enseignement supérieur situés hors de toutes normes. Il en est ainsi du DUT mais aussi du BTS. Les diplômés – ils sont chaque année un peu plus de 45 000 à obtenir un DUT et 160 000 un BTS – peuvent poursuivre leurs études pendant une troisième année – et une proportion significative des diplômés des IUT utilise cette possibilité, pour décrocher, à l’université, une « licence professionnelle ». Cette licence constitue aujourd’hui un objet mal identifié, d’une qualité souvent non établie. Sa cohérence pédagogique serait beaucoup plus simple à réaliser, et son niveau plus élevé, dès lors que la durée des études en IUT serait portée à trois ans, conduisant à une licence universitaire de technologie internationalement reconnue. Des conventions locales pourraient permettre d’offrir aux élèves des STS – qui fonctionnent dans les Lycées – des parcours continus leur permettant d’accéder à la licence de technologie. Les étudiants et les responsables des formations technologiques supérieures courtes s’en réjouiraient, l’économie du pays en tirerait avantage, en même temps que la France rejoindrait le peloton des nations qui amènent au moins 50 % de leurs jeunes au niveau de la licence.

Le Master, un diplôme à reconfigurer

L’organisation actuelle du Master est inappropriée avec, à l’issue de la première année, un accès en deuxième année qui n’est pas garanti pour les étudiants ayant satisfait aux examens de fin de première année. Les « pertes en ligne » sont de ce fait considérables. Cette organisation a, par exemple, largement contribué à mettre à terre les dispositifs de formation des enseignants et à fragiliser leur recrutement, alors qu’un master formé d’un bloc cohérent de deux années aurait pu constituer une réelle avancée pour former, en nombre et en qualité, non seulement les enseignants, mais encore les technologues, et les cadres administratifs, commerciaux dont notre pays a besoin. Cette reconfiguration bénéficiera de l’appui de la communauté éducative.

L’Université de l’innovation

Notre pays ne produit guère de prix Nobel dans les disciplines scientifiques, même si ses mathématiques l’honorent, avec de nombreuses médailles Fields. En sciences, en 60 ans, la France a obtenu 3 % des prix Nobel, l’Allemagne 9 % et le Royaume-Uni 13%. La France ne dépose que 4 % des brevets mondiaux alors que l’Allemagne fait trois fois mieux. Notre développement économique en souffre comme en témoigne le déficit de notre balance commerciale. Notre dispositif de formation et de recherche est peut-être bien adapté à l’innovation « incrémentielle », mais il ne constitue pas suffisamment le bouillon de culture où peuvent naître des innovations plus « radicales ». Aucune de nos « grandes » écoles d’ingénieurs ne figure dans le top-200 des établissements d’enseignement supérieur du classement de Shanghai, quoiqu’on pense de la pertinence de ce classement. Les établissements technologiques mondialement bien classés sont de véritables universités disposant d’un champ de compétences élargi aux sciences de la nature, aux sciences humaines, à l’économie. Le corps professoral des meilleurs d’entre eux comporte des prix Nobel dans toutes ces disciplines. Le temps n’est plus ni à la séparation de la recherche et de l’université, ni à la coupure entre la science et la technologie, ni entre ces dernières et les sciences humaines et sociales. Il n’est pas non plus celui des universités « obèses ». Il importe que l’État concentre ses moyens non récurrents en direction d’établissements d’enseignement supérieur et de recherche qui jouent le jeu de la transversalité, de l’innovation, de la diversité, de l’ouverture, de l’excellence. Les anciens élèves des Ecoles et les chercheurs des grands organismes ne peuvent s’y opposer…

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(1) Daniel Bloch. Pour une stratégie convergente de l’école et de l’entreprise (1985). La Documentation française. Deuxième édition (1987).
(2) Daniel Bloch. Ecole et démocratie. Pour remettre en route l’ascenseur économique et social. PUG (2010).

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