Accueil par Jean-Pierre Chevènement

Accueil de Jean-Pierre Chevènement au colloque « Quelle politique industrielle pour relever le défi climatique? » du 16 mai 2011

Mesdames, Messieurs, bonsoir. Je veux remercier les intervenants qui nous ont fait le plaisir de venir à Res Publica pour traiter d’un sujet intitulé : Quelle politique industrielle pour relever le défi climatique ?

Cet intitulé a été choisi en novembre dernier, après une table ronde (1) qui avait opposé M. Le Treut et M. Courtillot sur la réalité du défi climatique. Nous étions convenus d’examiner les prolongements industriels qu’il faudrait donner à cette réflexion dont voici l’essentiel : on ne connaît pas très exactement les origines du réchauffement climatique qui, bien que certains en contestent l’existence, paraît peu douteux. La théorie des taches solaires est assez convaincante mais il paraît raisonnable de tenir compte des effets des activités humaines sur l’émission croissante de gaz à effet de serre et, par conséquent, de repenser notre modèle de développement à la lumière de ce qui est une probabilité assez forte pour ressembler à une conviction. Je m’exprime avec prudence.

La transition énergétique est de toute façon nécessaire. Les réserves d’hydrocarbures et de gaz exploitables sont en voie d’épuisement. Le charbon et le lignite sont très polluants et les techniques de piégeage et de stockage de CO2 ne sont pas encore au point. Nous devons donc penser la transition énergétique et voir comment l’humanité pourra satisfaire ses besoins en énergie qui vont croissant du fait du développement de pays dits « émergents ». En réalité, ils ont déjà émergé puisque la Chine est le premier consommateur d’énergie au monde. C’est aussi le premier émetteur de gaz à effet de serre.

Avant de donner la parole à Pierre Papon, membre du Conseil scientifique de la Fondation Res Publica et « pilote » de ce colloque, je voudrais vous faire part de ma grande perplexité à nos intervenants que je tiens encore à remercier chaleureusement : M. Christian de Perthuis, professeur associé à l’Université Paris Dauphine, président du Conseil scientifique de la Chaire d’économie du climat, M. Pierre-Noël Giraud, professeur d’économie à Mines Paris Tech et à l’Université Paris Dauphine, M. Igor Czerny, directeur Transports et véhicules électriques chez EDF. M. Barré, enfin, conseiller scientifique chez Areva, nous avait fait le plaisir en 2006 de participer à un colloque sur le nucléaire et le « principe » de précaution (2). Au cours d’interventions remarquables, dont la sienne et celle de Dominique Lecourt, nous avions fortement remis en cause ce qui n’est pas un principe scientifique mais une formulation sophistiquée du proverbe cher à nos grand mères : « Deux précautions valent mieux qu’une ».

Michel Onfray a parlé de la « catastrophe de la pensée catastrophique » (3). Il observe justement que celle-ci s’est développée en Allemagne, après la Deuxième Guerre mondiale, ce qui n’est peut-être pas tout à fait un hasard. Vous connaissez Dialectique de la raison et Eclipse de la raison d’Adorno et Horkheimer (4). Dans Le principe de responsabilité (5) Hans Jonas développait une théorie sur « l’heuristique de la peur », en réponse au livre Le principe espérance (6) qu’Ernst Bloch, un homme d’un autre temps, avait écrit dans les années 50. On cite aussi beaucoup Ulrich Beck La société du risque (7). Cette pensée est très présente dans toute l’Europe mais la théorie, à l’origine, est allemande. Ceci constitue évidemment l’arrière-plan de nos débats.

C’est la raison pour laquelle j’ai fait cette parenthèse que je ferme aussitôt pour donner la parole à Pierre Papon qui va introduire nos débats. Je donnerai ensuite la parole à M. de Perthuis qui traitera de l’aspect économique. M. Giraud parlera des politiques publiques. M. Barré et M. Czerny évoqueront les applications dans différents domaines : le transport, le bâtiment, l’énergie etc.

Un dernier élément de perplexité : l’État a mis en œuvre de nombreux dispositifs incitatifs. Il y a donc des politiques publiques. Mais, au niveau de la politique industrielle, on ne voit pas grand-chose : nous importons nos panneaux solaires de Chine ! La logique politique semble obéir à une logique communicationnelle. On veut rassurer l’opinion, montrer qu’on agit. Mais les industriels ne suivent pas. Peut-être ne prennent-ils pas ces technologies tout à fait au sérieux, à moins qu’ils ne considèrent que les coûts de revient, encore très élevés, n’en diffèrent l’application à très longue échéance. Le KWh (kilowatt/heure) d’origine solaire photovoltaïque, ai-je lu, revient dix fois plus cher que le KWh d’origine nucléaire ou simplement tiré d’une centrale au gaz. Pour l’éolien, le rapport serait de un à deux. Tout ceci interroge fortement. Nous avons besoin d’y voir clair pour comprendre où nous allons, vérifier si nous avons pris les moyens adaptés et savoir dans quel contexte nous devons développer ces politiques. En effet, il me semble que nous devons éviter de prendre trop de décisions sous le coup de l’émotion après Fukushima, qui est d’abord une catastrophe naturelle – et peut-être culturelle – avant d’être technologique. Mais c’est un autre sujet qu’on pourra peut-être traiter chemin faisant.

Nous allons écouter Pierre Papon, ancien directeur général du CNRS et physicien éminent.

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(1) L’après-Kyoto : Cancún et les enjeux de la prévision climatique. Table ronde organisée par la Fondation Res Publica le 15 novembre 2010
(2) Le nucléaire et le principe de précaution. Cinquante ans de nucléaire civil : les acquis et les peurs. (Colloque organisé par la Fondation Res Publica le 24 janvier 2006), L’étrange fortune du principe de précaution par Dominique Lecourt
(3) Catastrophe de la pensée catastrophique, article de Michel Onfray, dans un dossier « spécial Nucléaire » publié par Le Point du 24 mars 2011.
(4) Th. W.Adorno et M. Horkheimer, Dialectique de la raison (1944)
Horkheimer, Eclipse de la raison (1946)
(5) Hans Jonas, Le principe de responsabilité. Une éthique pour la civilisation technologique (1979)
(6) Ernst Bloch Das Prinzip Hoffnung, 3 vol., 1954-1959.
(7) Ulrich Beck La société du risque. Sur la voie d’une autre modernité, Paris, Éditions Aubier, 2001 ; édition originale : Risikogesellschaft, Francfort, Suhrkamp Verlag, 1986.

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Le cahier imprimé du colloque « Quelle politique industrielle pour relever le défi climatique? » est disponible à la vente dans la boutique en ligne de la Fondation

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