Intervention de Joseph Maïla, directeur de la Prospective au ministère des Affaires étrangères et européennes, au séminaire « Un printemps arabe? » du 26 mai 2011
Je me demande ce que je pourrai ajouter aux analyses particulièrement percutantes et pertinentes que j’ai entendues sur le plan sociétal, économique et régional. En interrogeant les Printemps arabes et leurs répercussions, mon approche ne pourra être que complémentaire. Je voudrais, ainsi, situer mon propos sur trois plans : revenir d’abord sur la logique des causes, m’interroger ensuite sur la logique des effets et terminer en me posant des questions sur la logique de la recomposition régionale déjà esquissée par Jean-Claude Cousseran.
I. Comprendre les « Printemps arabes »
D’emblée, je voudrais dire qu’il est difficile d’analyser globalement les révolutions arabes, de généraliser le propos, tant les situations sont spécifiques. Pourtant, en dépit des spécificités de chaque pays, de chaque région, de chaque nation, le phénomène est d’évidence propre à l’aire arabe ce qui, d’un point de vue méthodologique, devrait tout de suite nous nous interpeller. Qu’est-ce qui relie donc ces révolutions entre elles ? Et comment ne pas tomber tout de suite dans des schémas convenus, presque idéologiques en disant qu’au fond nous avons affaire au même monde arabe ? En réalité, la cause qui fait s’enchaîner et se succéder ces printemps ne peut pas être unique ou univoque, économique par exemple ou géopolitique. Je privilégierai pour ma part une approche plus culturelle, de culture politique s’entend.
Disons, d’abord, que la causalité de ces révolutions ne peut pas être économique. On ne peut en effet parler en la matière d’« effet dominos » : une économie entraînant une autre dans le désordre politique si l’on peut dire (à l’instar de ce que l’on peut observer dans les crises financières dans lesquelles nous nous débattons régulièrement). Ce n’est pas sur ce mode qu’il faut penser dans tous les cas en ce qui concerne le monde arabe. Les économies de l’aire arabe sont le plus souvent sans aucun lien les unes avec les autres que ce soit sur le plan des richesses, des échanges, ou plus généralement du développement qui est si contrasté et inégal d’un pays arabe à un autre.
La chaîne des printemps arabes n’est pas non plus à penser sur un mode géopolitique. Il ne s’agit pas, par exemple, d’un événement majeur dans un grand pays, ou encore d’un « désastre », la naqba de 1948, par exemple, en Palestine pour les Arabes, qui dans la foulée induit des recompositions comme aux lendemains des guerres 1948 ou de 1967. C’est, en plus, un petit pays, la Tunisie, qui déclenche un effet sans proportion avec son poids géopolitique dans l’ensemble de l’aire arabe.
Il reste la causalité culturelle, je dis bien « culturelle » et de culture politique, et non « culturaliste » que j’avance personnellement comme l’explication la plus probante et la moins mécanique pour comprendre ce qui se passe. Je veux dire que je privilégie, dans l’analyse de cet enchaînement causal qui façonne au plan des révoltes l’événement dit « printemps arabe » et qui fait son unité, un effet d’épuisement d’un fonds de culture politique qui touche à son terme et dont nous assistons à l’épuisement. La contestation du discours politique et idéologique est le fait d’une nouvelle génération pour qui le discours idéologique officiel outre qu’il masquait une réalité d’oppression et de suppression des libertés, n’avait plus aucune signification au plan des références historiques ou des grandes idées unitaires ou de transformation des économies Au contraire, le discours était dissonant par rapport à la réalité où par exemple la construction d’une économie socialiste jurait avec un libéralisme pour privilégiés, l’absence de politique sociale et la corruption. Les « Printemps arabes » dans leur unité d’ensemble ressortent, je pense, à un changement de paradigme culturel politique porté par la génération montante en monde arabe. Ce paradigme culturel, contesté, et désormais en changement radical est, en résumé, le paradigme de la légitimité.
En effet, le socle de légitimité sur lequel étaient fondés les États arabes (sans que l’on puisse rentrer dans le détail des légitimités particulières) reposait sur deux grands principes que j’avais analysés, comme universitaire, au lendemain de la guerre du Koweït en 1991: une logique de restitution et une logique de rétribution.
La logique de restitution est celle des mythes fondateurs des pays arabes. À partir de la naissance de l’État d’Israël le 14 mai 1948, un ensemble de révolutions sont enclenchées, un ensemble de pouvoirs se mettent en place à la suite notamment de coups d’État qui disent vouloir s’opposer à l’impérialisme, aider à liquider le colonialisme là où il a encore prise et refaire l’unité du monde arabe. Cette série d’objectifs est bâtie sur des grands mythes révolutionnaires propres, en particulier, à l’aire arabe, au delà de son rattachement au tiers-mondisme ambiant et bientôt dominant. La volonté de refaire la « nation arabe », le fait de combattre Israël, construire le socialisme, pour aller très vite, appartiennent à des logiques politiques et symboliques de restitution d’un ensemble national fragmenté, de restitution d’une unité et de la création d’une solidarité sociale compacte. Du renversement des élites traditionnelles à la révolution libyenne de 1969 en passant par la révolution égyptienne, irakienne ou à la guerre de libération algérienne, ces mythes ont galvanisé les « masses » et construit l’Etat-nation post indépendantiste.
Une autre logique, plus traditionnelle, sur laquelle ont été fondés d’autres régimes arabes – et qui est celle qui résiste le mieux – est la logique de rétribution qui inscrivait le pouvoir politique dans la logique de familles régnantes avec le respect de normes sociales traditionnelles voire coutumières. Je pense au Commandeur des croyants au Maroc ; je pense au Gardien des Lieux saints en Arabie saoudite ; je pense aussi à la soulala (généalogie) hachémite et donc de la famille du Prophète de l’islam du Roi de Jordanie. Ce sont des systèmes extrêmement forts d’agrégation et de création de l’obéissance politique. Bien entendu, quand la rente s’ajoute à la tradition, cela donne des systèmes encore plus solides, car le consensus politique – il vaudrait mieux dire l’unanimisme – est renforcé par l’ Etat-Providence. C’est le cas des principautés du Golfe qui ne peuvent se prévaloir de la référence religieuse du Roi Abdallah d’Arabie saoudite mais qui ont de quoi largement asseoir leur autorité au prix du consentement politique de leurs sujets. Il faudrait nuancer cette analyse pour montrer que les tensions communautaires remplacent souvent dans ce cadre les conflits politiques ; le Bahreïn serait en l’occurrence un bon exemple. Mais aussi pour souligner que des revendications politiques et de participation citoyenne, comme en Jordanie ou au Koweït, pour ne pas parler du Maroc, se font jour et contribuent à forcer une évolution des choses. A l’inverse, notons que la rente ne suffit pas à elle seule à faire l’assise politique, le cas libyen est exemplaire des limites du pouvoir de la rente.
Aujourd’hui, nous assistons à l’épuisement d’un cycle de légitimité. Les grands mythes ne parlent plus, ne disent plus rien à une jeunesse qui agit et se mobilise comme classe d’âge. C’est une mise en cause des mythes politiques fondateurs des régimes qui est à l’œuvre derrière les contestations. Elle opère comme une déperdition d’idéologie au profit d’un nationalisme citoyen. C’est ce nationalisme citoyen qui est le fil rouge des contestations. Pour être encore plus précis, disons que la déperdition d’idéologie est portée par l’implicite de la philosophie des technologies du numérique : le sacre de l’individu surfeur sur la toile et bloggeur à la recherche de l’information et soucieux de donner un avis, consommateur et hédoniste et très certainement à cet égard en porte-à-faux avec le vécu d’une société sans transparence et sans libertés. On peut ici parler, à nouveau, d’une logique de la dissonance cognitive. En effet, pourquoi sortir de chez moi pour aller acheter un journal qui ne me dira rien sur l’état de ma société alors qu’un clic d’ordinateur suffit à me brancher au monde entier ? Le monde de la virtualité devient le monde réel ; le monde de la réalité n’est plus acceptable. À terme, ces logiques en sont venues à s’opposer. Cette fois au profit du principe de réalité.
C’est donc un changement de paradigme politique auquel nous assistons avec une légitimité de restitution qui ne résiste plus face à l’évolution des esprits et des consciences ; et une logique de rétribution qui tient plus le coup et qui manœuvre en vue de faire les concessions minimales qui lui permettront de prendre le chemin de la réforme constitutionnelle et politique.
Un autre point qu’il me paraît important de souligner dans la genèse des contestations, c’est la protestation contre l’insupportable corruption qui venait souligner au milieu de difficultés économiques, de sous-emploi, comme en Égypte ou en Tunisie, la privatisation de la rente par une élite corrompue et tenue pour prédatrice. L’État aura, par endroits, vécu de ne pas avoir voulu redistribuer la richesse et de l’avoir accaparée. Cette corruption fonctionne non pas seulement comme un mode économique d’accumulation des richesses mais comme la possibilité pour le régime qui l’organise de constituer et d’entretenir le réseau de clientèle qui assure sa pérennité.
Un troisième point me paraît important dans cette révolte : c’est la situation politique d’ensemble du monde arabe qui est entré dans une période de décomposition à partir de la première guerre du Golfe en 1990. La première victime de cette guerre du Golfe, on l’a oublié, a été la Ligue arabe paralysée, incapable de jouer son rôle de médiateur à défaut de son rôle de fédérateur. Cet éclatement du monde arabe se reflète dans ces « Printemps arabes » juxtaposés : tous issus du même élan contestataire, mais distincts les uns des autres et sans coordination.
II. Sur quels grands choix, sur quelles options, les « Printemps arabes » ouvrent-ils ?
La démocratie semble être l’objectif générique du changement. En finir avec des dictatures, des pouvoirs autoritaires, revendiquer des droits individuels, des libertés, ne semble avoir à l’évidence qu’une issue possible : la démocratie. Qu’elle qu’en soit sa forme, elle est le modèle politique visé. Il faut sans doute être plus prudent. Lors du colloque sur les « Printemps arabes » organisé par le ministère des Affaires étrangères à l’IMA, le 16 avril dernier, nous n’avons pas parlé dans l’intitulé du colloque de démocratie et changements démocratiques mais de changement. L’intitulé était « Le printemps arabe : enjeux et espoirs du changement (1) ».
Vers quel modèle va-t-on ? Le changement conduira-t-il à la démocratie ? La transition sera-t-elle démocratique et s’agira-t-il d’une transition vers la démocratie ? Sont-ce des révolutions, au sens des expériences américaine, française, russe, chinoise ou iranienne (1979), que ces processus où le peuple congédie le dictateur mais se trouve empêtré avec l’ancien personnel politique, administratif, voire policier, sans idées précises sur la ligne du changement et le renouveau escompté, sans dirigeants charismatiques et sans parti politique révolutionnaire ? Loin de moi l’idée de dénigrer d’authentiques et de profondes mutations, portées par des peuples mobilisés et enthousiastes. Je m’interroge seulement sur le modèle politique et social qui est induit par de tels bouleversements historiques. Ce ne sont pas là des questions oiseuses. Le propre des processus révolutionnaires, populaires, réside dans la dissémination de la parole, dans la multiplication des factions et des partis, dans la formulation des propositions les plus opposés. A terme, on le sait, vient avec la fin des désordres fondateurs, le temps des choix et de la construction des institutions. Dans ce cadre, ne manqueront pas de se poser des questionnements sur les lignes d’orientation essentielles des « Printemps arabes »…
Le monde arabe, dès les années trente, s’est trouvé clivé entre deux grandes tendances politiques.
Une première tendance était représentée par le courant libéral et parlementaire On oublie trop souvent qu’entre 1920 et 1948, le monde arabe a connu, dans sa partie machrekienne à tout le moins, des expériences de démocratie parlementaire
Le second modèle était celui proposé par Hassan el-Banna le fondateur de la confrérie des Frères musulmans, prônant un gouvernement islamique et l’unité du monde musulman à la suite de l’abolition du califat en 1924.
La première tendance s’effondre avec les coups d’État dès la fin des années quarante et dans les années cinquante. C’est le modèle républicain, qui est instauré dans la foulée des révolutions armées et le modèle islamiste, lui, qui subsiste, est combattu pendant des décennies. Aujourd’hui, le modèle républicain autoritaire articulé sur une armée extrêmement forte s’efface. Reste le modèle islamiste dit aussi modéré, par distinction d’avec les schémas jihadistes d’action. Dans tous les pays du monde arabe, on retrouve une jeunesse ouverte, croyante, qui réclame encore plus aujourd’hui une moralisation de la vie sociale et politique : une aspiration en quelque sorte vers un idéal du type AKP, avec une société civile beaucoup plus musulmane. Mais avec un État qui ne s’afficherait pas musulman au-delà de ce qu’il est nécessaire d’affirmer quand on est un État du monde arabe, à savoir que la religion de l’État est l’Islam et que la charia doit inspirer peu ou prou la législation civile. Ce qui n’est pas tout à fait le modèle turc…
La question du religieux va donc se poser à nouveau. Elle se pose d’ailleurs de manière tout à fait spectaculaire à l’occasion de deux débats : celui qui porte sur l’article 2 de la Constitution égyptienne, concernant l’identité de l’Égypte ou sur le rôle de l’islam et du Roi comme protecteur de la religion au Maroc (2). La question du rapport Eglise/État ou Mosquée/État, va voir naître des tensions. A la manière du débat religion/politique en Europe dans la seconde moitié du XIXe siècle. On ne s’oriente pas, vers un régime des cultes laïc. Nous sommes probablement entrés dans une ère post-islamiste. Mais il est certain, que nous ne sommes pas entrés dans une ère post-musulmane. Le seul État dans lequel on débat de la laïcité est le Liban où un mouvement social modeste veut faire avancer la cause de l’abolition du confessionnalisme.
En matière de démocratie rien n’est donc joué. Outre la question du rapport à la religion, les questions confessionnelle, tribale ou ethnique (kurdes, berbères), le rôle des syndicats, le régime du pluralisme partisan, les droits de la femme, ceux des minorités sont les paramètres à traiter des futures démocraties. Comment ne pas évoquer aussi la possibilité de transitions arrêtées, bloquées et les risques d’involution. Le cas de nombre de transitions africaines est là pour nous rappeler que les transitions connaissent rarement des trajectoires linéaires. La pluralité des acteurs (libéraux, islamistes, nostalgiques des anciens régimes…) est à prendre en considération. Le rôle des armées également. Armée politiquement neutre et n’aspirant à aucune fonction politique comme en Tunisie ; armée, garante des institutions et qui jouera ce rôle, en retrait sans doute, comme en Égypte ; armées, fers de lance des régimes ou de ce qu’il en reste comme au Yémen ou en Libye ; armée, force massive de répression comme en Syrie : on le voit, les positionnements sont différenciés entre un modèle de type kémaliste et des modalités plus républicaines.
Quelles que soient les configurations auxquelles aboutiront les « Printemps », il est certain que ce qui restera d’eux c’est la soudaine irruption de l’histoire qu’ils représentèrent et le formidable espoir qu’ils ont été capables de susciter. Ils ont rendu leur honneur à des peuples qui se sentaient confusément en marge de l’histoire, vivant mal l’anachronisme de leurs représentants et leur propre impuissance à se révolter.
Un autre élément que retiendront sans doute les politologues et les historiens, est que l’État-nation dont doutaient les théoriciens et que remettait en question une historiographie arabe nostalgique de toutes les oumma, aura avéré son enracinement en terre arabe. Cet État-nation arabe a fini – ces contestations nationales en sont la preuve – par apparaître pour ce qu’il est : une vraie réalité. Les citoyens arabes envisagent leur avenir dans le cadre d’un État-nation. Là est leur ancrage politique. Les soulèvements arabes sont la confirmation d’un espace politique national dans lequel se déroulent changements et débats. Le transnational, qu’il soit musulman ou arabe, en prend un coup. Ce n’est certes pas là le fin mot de l’histoire, mais c’est une constatation que l’on peut faire sûrement et immédiatement.
En définitive, quid de la démocratie en terre arabe ? Difficile conjecture. Les voies démocratiques seront internes. Elles seront mieux tracées que celles d’une démocratie imposée par l’approche du regime change, tel en Irak. A cet égard, constatons que l’existence d’un régime arabe démocratique en Irak, n’aura eu ni un effet déclencheur sur la chaîne des « Printemps », comme certains avaient pu le penser, ni un effet miroir ou modèle. Ce dernier point permet de parler de la seconde mort du regime change. Il reste, pour répondre à la question de la démocratie, que nous avons affaire à des révoltes portées par un universalisme explicite : la dignité, l’égalité, le respect des droits de l’Homme, la participation citoyenne. Mais, attention, c’est un universalisme sans modèle. Le modèle démocratique occidental n’est pas forcément son horizon.
III. Logiques de recomposition
Sur le plan régional, les « Printemps arabes » ont bousculé une donne géopolitique passablement figée. Il faudra attendre pour que les implications des révoltes arabes se traduisent en termes de choix diplomatiques. Mais d’ores et déjà, des questions se posent aux diplomaties occidentales, la France notamment, qui ne peuvent, à juste titre, que saluer le tournant démocratique arabe mais qui doivent repenser les logiques de recomposition à l’œuvre mais avec des poches de résilience et des zones de conflictualité potentielle majeure. Le monde arabe s’est en effet profondément recomposé, l’ambassadeur Cousseran l’a bien souligné.
En fait, dans le monde arabe, aujourd’hui, il y a trois mondes.
Il y a un monde qui a initié une transition vers des régimes démocratiques et qui cingle avec plus ou moins de difficultés vers des rivages plus ou moins clairs. Du Maghreb à l’Egypte, le Maroc et la Tunisie ouvrent sur des perspectives de transition et de réforme intéressantes. En Libye, nous sommes dans un tunnel obscur, mais le processus de changement est enclenché. Reste l’Algérie, société immobile, en apparence seulement, où tous les ingrédients du changement sont présents mais où la mémoire de la guerre civile et de ses violences fige les rapports politiques pour le moment.
Un second monde, à l’extrémité orientale de l’aire arabe, pose des questions géopolitiques d’envergure que ne posent pas les révoltes de l’ouest arabe. C’est la région du Golfe. La donne sécuritaire y prévaut. Avec l’Iran comme voisin, avec le pétrole comme enjeu, les émirats et les monarchies bien que confrontés aux mêmes exigences de changement, voient leur urgence et leurs effets immédiats atténués par le jeu des solidarités traditionnelles et les perceptions de la stabilité régionale. La réaction vis à vis des événements du Bahreïn est emblématique des sensibilités des États de la péninsule arabique et de la perception des menaces qui est la leur. Le traitement de la crise yéménite, par l’Arabie saoudite et le CCEAG appartient à cette approche. Mais à sa manière, ce monde est un monde qui bouge. Ceux qui pensent que les attitudes politiques qui se font jour dans cette région sont uniquement façonnées par la réaction, ou la contre-réaction pour être plus explicite, ne sont pas sensibles à tout ce qui se passe en termes de revendications, de questionnements et d’anticipation du point de vue des dirigeants de ces sociétés qui ont beaucoup de bon sens, et surtout des capteurs sociaux, en phase avec les réalités, que les systèmes sécuritaires institutionnalisés des dictatures ont été, à force d’aveuglément sur soi, incapables de faire fonctionner. N’en demeurent pas moins, sans solutions, pour ces pays, de vrais problèmes d’ouverture démocratique, de succession dynastique et de questions économiques qui travaillent une jeunesse à la recherche d’emplois et d’avenir.
Et il y a un troisième monde qui est la zone grise de l’évolution du monde arabe. C’est la nébuleuse du Proche-Orient, avec ses sociétés en forme de mosaïques tribales et communautaires, le problème palestinien ou israélo-palestinien qui est l’aune de lecture réelle mais combien aussi fantasmagorique des événements et des évolutions. La Syrie est au centre de toutes les préoccupations avec des attitudes inquiétantes focalisées sur une répression sans horizon politique. La Jordanie cherche sa voie dans un contexte de fragilités internes politiques et économiques. La question israélo-palestinienne reste entière. La véritable nouveauté stratégique induite par les révoltes arabes tient dans la modification du positionnement géopolitique d’Israël qui devient pour les Israéliens le plus grand facteur d’incertitude. Israël se sent déstabilisé sur trois frontières : la frontière égyptienne, la frontière du Golan où pour la première fois depuis bien longtemps la tension monte, et la frontière du Liban sud. La question de la sécurité d’Israël est posée à frais nouveaux alors qu’Israël pensait avoir atteint un niveau de stabilité concrétisé par la signature des accords de Camp David, le traité avec la Jordanie et le statu quo au Golan. Tous les dossiers de la frontière sont à nouveau ouverts. En plus de Gaza et de la frontière avec le Liban, frontière de tous les risques…
Les « Printemps arabes » ont entrainé également des repositionnements de la Turquie et de l’Iran que je ne détaille pas faute de temps. Ils ne sont pas négligeables. Loin de là…
Il faut à présent que notre diplomatie s’adapte à ces situations nouvelles, accompagne les réformes démocratiques là où elles s’opèrent, et surtout, reste attentive aux aspirations de sociétés civiles.
S’il faut tirer une leçon générale de tout cela, on dira qu’à force de tutoyer les chefs d’États, nous avons oublié de vouvoyer, c’est-à-dire de leur accorder la plus grande importance, les sociétés civiles. Soyons vigilants désormais.
Merci, Monsieur le Président.
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(1) A l’initiative d’Alain Juppé, ministre d’État, ministre des Affaires étrangères et européennes, un colloque s’est tenu le samedi 16 avril 2011, à l’Institut du Monde Arabe, sur le thème « Le Printemps arabe : enjeux et espoirs d’un changement ».
(2) L’article 2 de la constitution égyptienne stipule que « L’islam est la religion de l’Etat dont la langue officielle est l’arabe; les principes de la loi islamique constituent la source principale de législation »
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