Il est préférable de maintenir le scrutin majoritaire en l’aménageant

Une tribune de Marie-Françoise Bechtel, vice-présidente de la Fondation Res Publica, répondant à la question « Faut-il passer au scrutin proportionnel aux législatives ? » du panel LeMonde.fr, lundi 23 mai 2011.

Il n’existe jamais en soi un mode de scrutin préférable à un autre. La France en a expérimenté de nombreux, à peu près tous, à l’exception du système majoritaire uninominal à un tour, en vigueur au Royaume-Uni, et qui assure une majorité stable. Perçu comme très brutal, il n’a pas empêché d’ailleurs, lors des dernières élections, que le parti arrivé en tête soit obligé de négocier avec le tiers parti (le LibDem) au détriment de son propre programme.

Le mode de scrutin souhaitable est en réalité lié d’abord au système institutionnel mais aussi à l’état des partis en ce qu’il reflète l’opinion publique.

Tout d’abord, du point de vue des institutions, il faut considérer qu’avec une dualité de l’exécutif, la stabilité toujours souhaitable de la majorité ne peut être assurée ni, bien entendu, au scrutin proportionnel, ni même à la faveur de l’instillation d’une dose de proportionnelle. Or aujourd’hui, cette dualité demeure et la stabilité de la majorité a au moins le mérite de permettre à l’électeur d’identifier clairement la politique qu’il va approuver ou sanctionner dans les scrutins majeurs, c’est-à-dire les élections présidentielles et législatives.

Mais le mode de scrutin est aussi un élément clé du fonctionnement de la démocratie. Il interagit avec l’état des partis politiques et la représentation des citoyens. La question majeure, en ce moment marquée par le haut niveau du Front national, est celle du lien entre le mode de scrutin et l’état de l’opinion. Car l’audience du Front national ne doit pas faire oublier l’existence de partis situés hors des deux grandes structures que sont le PS et l’UMP. On voit bien que le rapprochement des deux grands partis sur les thèmes majeurs de l’Europe ou de la mondialisation frustre l’opinion dans l’expression de sa volonté de politiques différentes. A ce titre, le referendum de 2005 est un modèle du genre : qu’est- ce-que le referendum si ce n’est une gigantesque photo du corps électoral, une sorte de proportionnelle absolue ? De plus, cette montée est elle-même largement due à l’effacement des clivages gauche-droite.

Reconstituer, avec la proportionnelle, une « respiration » pour l’électeur peut le conduire aussi à des choix contestant l’ »établissement » : choix centriste, choix républicain, choix « à gauche de la gauche » qui libérerait peut-être l’opinion de la préemption par le FN de cet espace. C’est une possibilité qui ne manque pas d’attrait. Mais on aurait tort d’en sous-estimer les dangers. Le plus sérieux est l’absence de majorité stable et le détournement des enjeux : les choix politiques ne sont plus formulés par le citoyen, mais dessinés par les accords entre partis, indispensables pour faire surgir une majorité d’une Assemblée nationale élue à la proportionnelle. Le risque est alors celui d’une dépossession du citoyen. Au moment où le fossé entre les Français et les responsables politiques est béant, est-il sage de prendre ce chemin ?

Dans un tel contexte, il parait préférable de maintenir le scrutin majoritaire en l’aménageant. On ne peut perdre de vue la nécessité d’une majorité stable, sauf à créer un vrai tumulte dans le jeu des institutions, qui ne profiterait à personne et ne contribuerait pas à permettre au citoyen de formuler ses choix décisifs.

CORRIGER LES DÉFORMATIONS DU SCRUTIN MAJORITAIRE

Instaurer une dose de proportionnelle soit par mixité géographique soit par correctif apporté au niveau national est aujourd’hui envisageable, le correctif national étant sans doute le mieux approprié pour éviter le poids excessif de certaines zones géographiques, fonction lui-même du découpage des circonscriptions. Le système Blum-Weill Raynal avait formalisé un mode de scrutin où 400 parlementaires étaient élus dans les circonscriptions tandis que 200 autres sièges étaient attribués pour corriger la déformation majoritaire et aboutir à un effectif de la Chambre des députés proche de la proportionnelle.

L’ampleur du correctif paraît excessif : il s’agit dans notre esprit que tous les courants d’opinion soient représentés, en corrigeant à la marge les déformations du scrutin majoritaire ; il n’est pas besoin d’aller jusqu’à rétablir le résultat qu’aurait donné la proportionnelle, car alors les défauts soulignés plus haut se retrouveraient évidemment. C’est une piste à examiner avec précaution. Le système doit être lisible pour l’électeur : on doit se rappeler du contre-exemple qu’étaient les projets initiaux du gouvernement à propos de la réforme territoriale. On peut s’inspirer du système allemand, ou chaque électeur vote à la fois pour un candidat de sa circonscription et pour le parti politique de son choix, voire du système de prime majoritaire dont nos communes de plus de 3 500 habitants et nos régions font usage. Toutes les difficultés techniques et politiques figurent déjà dans le rapport Vedel de 1993 consacré au système électoral, et chacun peut tirer aujourd’hui profit de sa relecture.

Le changement du mode de scrutin ne doit pas être subordonné aux impératifs du moment dans un sens ou dans l’autre ; l’histoire électorale foisonne d’ailleurs d’exemples où les réformes se retournent contre leurs auteurs ! Il ne saurait d’ailleurs s’agir d’une réforme en soi, mais d’un projet de renaissance du débat républicain, avec un parlement revalorisé et un exécutif stable. La récente réforme nous faisant passer du septennat au quinquennat sans traiter de l’environnement institutionnel a montré le besoin absolu de cohérence. C’est la vue d’ensemble d’une reconquête démocratique de nos institutions qui doit nous éclairer.

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Voir le texte sur le site du Monde, ainsi que les réponses des autres fondations

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