Par Anne-Marie Le Pourhiet, professeur de droit public, membre du Conseil scientifique de la Fondation Res Publica. Le projet de révision constitutionnelle relatif à l’équilibre des finances publiques a fait l’objet de commentaires dénonçant le caractère « surréaliste » d’une démarche prétendant inscrire l’interdiction des déficits dans le « marbre constitutionnel ».
Mais cette inscription constitutionnelle a cependant été jugée insuffisante par le rapport Camdessus, remis le 21 juin 2010, qui a préconisé de renforcer l’arsenal normatif pour le rendre plus contraignant en s’inspirant notamment de la révision de la Loi fondamentale allemande d’août 2009, sachant que les Allemands, accoutumés au pas de l’oie juridique, ont l’habitude de bourrer leur constitution de moult normes pointilleuses qui en rendent la lecture fort indigeste.
L’idée qui préside à la réforme proposée en France n’est cependant pas d’encombrer le texte constitutionnel lui-même de règles financières mais de pallier les « chaînons manquants » en instituant une nouvelle catégorie de textes dénommés « lois-cadres d’équilibre des finances publiques » (LCEFP) qui viendront s’intercaler, dans la hiérarchie des normes, entre les lois organiques, y compris les lois organiques relatives aux lois de finances (LOLF du 1er août 2001) et de financement de la sécurité sociale (LOLFSS du 2 août 2005), et les lois ordinaires, y compris les lois annuelles de finances et de financement de la sécurité sociale. Les LCEFP pluriannuelles devront, en effet, déterminer sur un délai de trois à cinq ans « l’effort » (pour ne pas dire la rigueur) à s’imposer pour un rééquilibrage durable des comptes publics respectueux de nos engagements européens. Les lois annuelles de finances et de financement de la sécurité sociale ne pourront être adoptées définitivement en l’absence de LCEFP applicable à l’année concernée et auront désormais le monopole des dispositions fiscales (y compris pour les impôts perçus par les collectivités territoriales) et des recettes de la sécurité sociale, qui ne seront donc plus dispersées dans des textes épars.
Les nouvelles LCEFP (dont une autre loi organique devra préciser le contenu et la période, comprise entre trois et cinq ans, couverte par la programmation) seront adoptées selon une procédure identique à celles des lois financières annuelles mais auront la particularité, comme les lois organiques, d’être automatiquement soumises au Conseil constitutionnel avant leur promulgation. Celui-ci devra donc vérifier, en premier lieu, que la loi-cadre de programmation respecte l’objectif constitutionnel d’équilibre des comptes publics. En outre, s’il est saisi, notamment par l’opposition, des lois annuelles de finances et de financement de la sécurité sociale, il devra vérifier qu’elles se conforment bien aux dispositions de la LCEFP applicables à l’année concernée et notamment qu’elles ne dérogent donc pas au plafond de dépenses ni au plancher de recettes.
La pyramide normative est donc ainsi conçue : la Constitution fixe simplement un objectif d’équilibre ; une loi organique, qui doit être conforme à la Constitution, détermine ensuite les modalités d’élaboration des lois-cadres d’équilibre des finances publiques qui doivent à leur tour respecter la Constitution et les lois organiques ; enfin, les lois annuelles de finances et de financement de la sécurité sociale doivent respecter la Constitution, les lois organiques et les lois-cadres d’équilibre des finances publiques, chaque échelon faisant intervenir le Conseil constitutionnel.
L’on peut s’interroger sur la nécessité réelle de ce dispositif qui ressemble fort à une usine à gaz juridique et dont l’effet re-centralisateur est évidemment indiscutable. L’étude d’impact n’étant pas prescrite pour les lois constitutionnelles, le gouvernement n’a pas été contraint de se demander si l’on ne pouvait pas aboutir au même résultat à droit constant, en s’imposant des bonnes pratiques politiques et financières, sans s’asphyxier sous un carcan normatif qui fait encore la part belle au juge constitutionnel. La circulaire du Premier ministre du 4 juin 2010 prescrivant déjà que l’ensemble des mesures fiscales ou relatives aux recettes de la sécurité sociale figurent en loi de finances et de financement de la sécurité sociale, ajoutée à la loi de programmation des finances publiques pour 2011-2014 du 28 décembre 2010 elle-même mise en œuvre par les deux lois financières pour 2011 montrent que l’on peut sans doute y arriver par une simple volonté politique « durable », sans qu’il soit besoin de s’imposer un épouvantable mille-feuilles juridique.
Dans son discours d’inauguration de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC), prononcé le 1er mars 2010, le président Sarkozy faisait l’éloge de l’État de droit tout en rappelant le principe démocratique cardinal de souveraineté du peuple qui s’oppose au « gouvernement des juges ou des experts ». Encore faut-il savoir trouver, là aussi, le bon équilibre, en évitant de donner systématiquement aux juges des pouvoirs d’appréciation discrétionnaire qui les conduisent inévitablement à se prononcer en opportunité. Il est assez piquant et peut-être surréaliste, en effet, de voir les gouvernements successifs et leurs majorités, dans un mouvement quelque peu masochiste de doute à l’égard d’eux-mêmes, tendre toujours plus de verges aux juges pour se faire battre.
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