par Jean-Yves Autexier, membre du Conseil scientifique de la Fondation Res Publica.
La perspective de voir le Portugal faire appel au nouveau Mécanisme Européen de Stabilité (MES), dans le sillage de la Grèce et de l’Irlande, semble plus que probable, bien que le gouvernement ait assuré qu’il lutterait contre l’éventualité d’un recours à l’aide extérieure. D’autant que le Portugal se voit plongé dans une situation périlleuse : ses taux d’emprunt à 10 ans atteignent désormais près de 8% (le plus haut niveau depuis l’entrée du pays dans la zone euro). Les rendements obligataires portugais sont supérieurs à 7% depuis le 3 février 2011 : un niveau décisif car il est considéré comme le point à partir duquel la dette du pays devient insoutenable. Ce seuil parait indiquer que le Portugal peut devenir le troisième pays (après la Grèce et l’Irlande) en situation de défaut de paiement. Le scénario « effet domino » n’est pas une crainte d’observateurs en manque de sensations fortes.
Le déroulement inexorable du scénario souligne surtout l’incapacité de nos dirigeants depuis trente ans à sortir de l’impasse où nous conduit l’architecture de la monnaie unique. L’euro souffre d’une double déficience congénitale. D’une part, la zone euro n’est pas une « zone monétaire optimale » au sens où l’entend Robert Mundell [qui avait défini ce concept dans les années 1960] : dans la zone euro, les prix et les salaires sont peu flexibles ; la théorie de la mobilité des facteurs de production n’est pas vérifiée pour le facteur travail (la mobilité des travailleurs est plus facile à l’intérieur d’un pays que d’un pays à l’autre pour des raisons de culture, de langue en particulier, de législation, de système de protection sociale, etc.). Certes, au plan géographique comme au plan historique, il peut exister une communauté de vues et souvent d’intérêts pour les nations européennes. Elle ne suffit pas à masquer le fait que leurs structures sociales et économiques sont bien différentes, parce que leur histoire est différente. Il suffit d’observer le désordre qu’a provoqué la crise grecque. De même, le retard pris dans la décision de créer le fonds de sauvetage européen s’explique en partie par les traumatismes économiques différemment perçus de l’histoire allemande et française.
D’autre part, les règles initiales imaginées par le traité de Maastricht confinent la monnaie européenne dans sa vocation d’instrument anti-inflationniste. La gestion de l’euro n’est pas liée à des objectifs de croissance et de création d’emplois. Pour juger de sa pertinence, il suffit d’observer ce qui reste des fameux critères de convergence de Maastricht lorsque la réalité de la crise se déploie : aucun pays n’est plus en capacité de présenter un bilan conforme aux exigences premières (endettement maximum de 60% de PIB et déficit budgétaire annuel inférieur à 3%). Il s’agit d’une monnaie conceptuelle, qui a entrepris de congédier le réel.
A l’heure où l’euro, dans sa configuration initiale, est frappé de stupeur, l’Europe est confrontée à une situation d’urgence. Il faut cesser d’attendre que l’existence même de la zone euro porte en elle ses propres mouvements de convergence des économies. A force de fuir en avant, nous arriverons bientôt au point où l’euro sera une variable d’ajustement prise en étau entre le dollar et le yuan. Un euro fort, avec une parité de 1 euro = 1,4 dollar, est insupportable pour notre économie. Il est la cause principale de la désindustrialisation du pays et des délocalisations. Or, pour faire face à leurs dettes et pour éviter la récession, les Etats européens ont besoin de croissance, la France plus que l’Allemagne, du seul fait de sa démographie. Ce n’est pas le pacte franco-allemand fondé sur la réduction des dépenses publiques, ou l’inscription dans la Constitution de l’obligation d’équilibre budgétaire qui encourageront la croissance. Bien au contraire. Ils risquent d’enclencher la spirale récessionniste. Un sain gouvernement économique de la zone euro ne saurait se résumer à appliquer les recettes allemandes à toutes les économies européennes. Il devrait au contraire rechercher une politique de change favorable à l’industrie européenne (et non à la seule industrie d’outre-Rhin), exiger pour le moins la réciprocité dans les politiques commerciales, et retrouver le goût de l’avenir pour des politiques communes en matière de recherche, d’industrie, d’innovation, d’environnement…au lieu et place d’une seule police de la concurrence. La situation portugaise nous rappelle avec insistance que le réel ne peut être congédié.
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