Intervention prononcées lors du colloque du 19 octobre 2009, Quel système monétaire international pour un monde multipolaire ?

Jean-Michel Quatrepoint
En tant que journaliste, je vais essayer de simplifier sans être trop simpliste.
Le fil conducteur des trente dernières années est la relation entre la Chine et les États-Unis – ou plutôt la relation entre la Chine et le Parti communiste chinois -, les multinationales anglo-saxonnes et, accessoirement, la grande distribution. C’est la trilogie Wall Street / Wal Mart / PCC.

La Chine a une stratégie et elle s’y tient depuis trente-deux ans. Elle veut redevenir la première puissance mondiale qu’elle était autrefois. Les Chinois ne s’en cachent pas et poursuivent une stratégie méthodique. Ils ont lié leur développement économique au lien yuan/dollar, c’est-à-dire à l’intégration de la Chine dans la zone dollar. Cela s’est fait au moment de la négociation sur la rétrocession de Hong Kong à la Chine. Le yuan-renminbi a été de facto indexé sur le dollar, ce qui a permis aux multinationales, d’abord japonaises et ensuite anglo-saxonnes, de s’installer en Chine, non pas pour conquérir le marché local chinois mais pour produire à des coûts défiant toute concurrence afin de réexporter vers les marchés consommateurs : le marché américain, les marchés occidentaux en général.

C’est une donnée fondamentale pour comprendre ce qui se passe depuis trente ans.
Les Européens ont mis très longtemps à découvrir ce lien entre la Chine et les États-Unis.
Bien évidemment, les marges des entreprises, des multinationales du Standard & Poors’s 500, ont explosé. Ces marges ont été en partie délocalisées dans les paradis fiscaux. Les paradis fiscaux sont surtout utilisés par les multinationales (beaucoup plus que par les particuliers). Ce sont elles qui sont à l’origine de la prolifération des paradis fiscaux.

Les multinationales ne paient pas – ou peu – d’impôts. Barack Obama a ainsi découvert avant la campagne électorale aux États-Unis que le Standard & Poors’s 500 payait en moyenne 8% d’impôt sur les bénéfices alors que l’IS aux États-Unis est de 35% ! Mais on peut dire la même chose pour le CAC 40, dont le taux moyen d’IS serait de 13% ; ces profits externalisés là où l’impôt était le plus bas sont venus alimenter la sphère financière qui a inventé des produits financiers qui ont généré à leur tour des profits. Et ainsi de suite.

Au passage, la grande distribution (notamment Wal Mart) a importé massivement des produits chinois. Ceux-ci étaient vendus moins chers que les anciens produits Made in USA. C’est ce qui a permis de faire avaler la pilule à une classe moyenne qui perdait peu a peu ses emplois qualifiés et qui voyait ses feuilles de paie se ratatiner. En outre on a incité cette classe moyenne et même les plus pauvres à s’endetter pour compenser la perte de pouvoir d’achat, et à continuer à consommer des produits chinois fabriqué sous l’égide des multinationales. ! Et la « machine à bulles » a fonctionné à plein régime.

Les subprimes, c’est aussi cela. On fait s’endetter la classe moyenne américaine pour masquer sa paupérisation relative. A partir de là les déficits s’accumulent. C’est l’engrenage fatal jusqu’à ce que la bulle éclate.

Qui sont les gagnants un an après la crise ?
Wall Street qui connaît des profits records (140 milliards de bonus vont être distribués), les banques, qui n’ont jamais été aussi prospères, du moins celles qui ont survécu et éliminé au passage quelques concurrents, Wal Mart, dont les bénéfices augmentent et la Chine qui a accru ses parts de marché aux États-Unis. Le déficit commercial américain a été réduit de 6% à 3% du PIB mais à l’intérieur de la structure des importations américaines, la part de marché de la Chine est passée de 15% à 19%. La Chine est devenue le premier fournisseur des États-Unis devant le Canada.

Qui paie les pots cassés ?
Les Occidentaux : le Canada, l’Amérique latine et l’Europe dont les exportations vers les Etats Unis et la zone dollar chutent drastiquement.

Non seulement on recommence comme avant la crise, mais on va accélérer le mécanisme qui avait précisément conduit à la crise.

Les Chinois vont se remettre à exporter sur le marché américain et sur tous les autres marchés mondiaux. Le lobby financier américain est le plus puissant de tous les lobbies car la finance représente 21% du PIB américain, 40% de la totalité des profits des sociétés américaines mais 6% seulement de l’emploi (il en est de même pour la City).

Si les États-Unis régulaient leur système financier, que leur resterait-il ? Ils ont abandonné l’industrie et il leur faudra du temps pour la reconstituer.

Le système recommence donc comme avant. Je crains que d’autres bulles ne se forment.
La nouvelle bulle viendra de la transformation des dettes privées en dettes publiques : on a nationalisé les dettes privées et on les a transférées sur le contribuable. Les financiers vont titriser les dettes publiques et refaire de l’argent grâce à cela.

Pour le futur, on a esquissé les grandes lignes de ce qu’il faudrait faire dans l’absolu :

Des zones monétaires régionales (il faut revenir à l’époque de la Trilatérale, qu’on avait peut-être un peu trop vilipendée) : des grandes zones régionales avec leur monnaie, leur épargne, leurs consommateurs (ce qui ne les empêche pas de commercer entre elles), leur agriculture. Il faudra être vigilant à Doha pour ne pas reproduire sur le plan agricole ce que les Chinois ont fait sur le plan industriel. Nous (Français en particulier) perdrions alors les derniers secteurs encore productifs.

Le DTS comme monnaie scripturale financière. Michel Aglietta a avancé à cet égard des idées très intéressantes. Je suis personnellement très partisan – j’en parle dans mon dernier livre (1) – d’une sorte de serpent monétaire international, avec les quelques grandes monnaies dont l’euro et le yuan qui devrait devenir convertible. Les Chinois s’y préparent, la question est de savoir à quel niveau on ferait entrer le yuan dans un tel serpent. Enfin se pose pour les Européens la question de la livre. La Grande Bretagne pratique la dévaluation compétitive. Est ce bien compatible avec sa présence au sein de l’Union européenne ?

Jean-Pierre Chevènement
Merci, Monsieur Quatrepoint.
Avant de donner la parole à la salle, je voudrais faire quelques observations.

Si le mot « multipolarité » a un sens, il implique la rupture avec la règle des 85% qui équivaut à un veto américain au sein du FMI. Je ne l’ai pas entendu dire. J’ai lu beaucoup d’articles de presse sur ce qui s’est dit au G20 et ailleurs, jamais je n’y vis qu’on remît en cause le pouvoir de veto des États-Unis au sein du FMI. Cette réforme paraît pourtant élémentaire.

On parle de « protectionnisme vert » parce que la taxe carbone pourrait être imposée aux importations à l’intérieur de l’Union européenne. Le Monde de ce soir évoque une certaine inquiétude suscitée dans les pays du Sud par ce « protectionnisme vert ».

De qui se moque-t-on ?
60% des pays sont dans la zone dollar, le dollar est en train de fléchir sérieusement, avec le yuan qui lui est accroché ; nous sommes par conséquent confrontés à l’hyper-compétitivité, non seulement des produits américains mais des produits de tous les pays de la zone dollar, y compris de la Chine !

Je ne commenterai pas, après avoir exprimé mon point de vue sur l’Allemagne, ce que vient de dire Jean-Michel Quatrepoint concernant la dévaluation britannique. J’entends des cris s’élever quant au protectionnisme des années 30 : il ne faudrait pas remettre deux fois les pieds dans le même sabot … Mais que représente l’augmentation des droits de douane à laquelle a procédé la Grande-Bretagne en 1931 (30%) au regard de la dévaluation de 40% de la livre britannique ?
Je vais donner la parole aux intervenants puis à la salle.

Jean-Luc Gréau
Quelques mots de remerciements.
J’ai noté d’autant plus pieusement toutes les propositions qui ont été faites qu’elles différaient des miennes car nous sommes devant un chantier extrêmement compliqué.

Je voudrais remercier Jean-Pierre Fourcade d’avoir ressuscité les traders qui étaient peu apparus.
J’avais simplement effleuré cette question. Le G20, le 2 avril dernier, a sauvé les traders, ils sont aujourd’hui sanctuarisés, qu’ils soient des traders de banques ou des traders de fonds de placements. C’est un monde dans le monde. Les autorités publiques, nationales et internationales, n’ont pas le pouvoir de réglementer ce monde, de limiter la liberté souveraine dont il dispose. Bien entendu, les États-Unis et le Royaume-Uni (et d’autres pays comme l’Australie) ont protégé ce monde qui représente un PIB important, des emplois importants, des rémunérations importantes… et des recettes fiscales importantes, même si ces revenus sont moins imposés que ceux qui sont générés par d’autres activités. Ce sujet a du mal à apparaître dans le débat public, sauf en ce qui concerne leur rémunération (qui peut représenter une opération de diversion par rapport au centre de la question).

Merci à Jean-Pierre Fourcade aussi d’avoir posé la question de la relation France-Allemagne. Je n’en suis pas expert. Les personnes qui suivent la politique allemande me disent que les élites allemandes sont formidablement conservatrices et conformistes et qu’elles ne veulent pas infléchir la vision économique et financière de l’Allemagne en dépit de la brutalité de la récession qui a touché ce pays. Cette récession, qui a failli atteindre -6%, sera de – 5% en fin d’année. C’est énorme, à peu près le double de l’impact français. Objectivement, je croirai au bien-fondé de la politique allemande le jour où je verrai l’industrie et les exportations allemandes retrouver leur niveau d’avant la crise. J’attends ce moment-là avec une certaine impatience.

Merci aussi à Jean-Michel Quatrepoint qui a exprimé des choses que je pense, plus abruptement que je n’aurais pu les dire (par manque de courage ou parce que je parle depuis la tribune ?).
Il est vrai qu’une relation secrète du monde a structuré notre histoire, sans qu’on le sache. Cette relation apparaît au grand jour, il va falloir essayer de la changer.
Mais que va-t-il se passer du côté des intéressés ?

Je ne sais pas ce que les Chinois veulent faire exactement. Sans doute vont-ils opérer un changement de cap graduel. Je ne sais pas comment les États-Unis vont pouvoir, dans les mois à venir, reconstituer une puissance économique plus capable à l’exportation. Je voudrais quand même rappeler que l’économie américaine a détruit 8 millions d’emplois en quelques mois (7,2 millions + 0,8 million qu’on a oublié de décompter), sans compter les emplois illégaux qui ont également disparu, soit probablement 9 millions d’emplois, avec une baisse importante de la durée du travail. C’est sur ces emplois et les revenus correspondants que pèsent désormais les charges fixes des ménages américains, et pas seulement les intérêts dus.

Il y a là une grande énigme sur la solvabilité intérieure de l’économie américaine et j’attends l’année 2010 avec une certaine impatience et une perplexité certaine.
Merci.

Michel Aglietta
La discussion a permis d’évoluer en élargissant les questions.
Mais tout ce qui a été dit sur la possibilité d’améliorer les choses en termes de relations internationales monétaires présuppose une condition dont on n’a pas parlé aujourd’hui parce que ce n’était pas le sujet : cela suppose que la régulation financière avance. C’est un sous-jacent évident. En effet, rien ne se fera si le pouvoir du lobby financier n’est pas brisé, ou en tout cas réduit par une régulation en capital beaucoup plus importante. Il faut réduire le levier de crédit qui est véritablement l’arme de la finance. Si, aujourd’hui, une spéculation énorme repart, c’est parce qu’elle est financée par un endettement massif du fait que les coûts de l’endettement sont nuls pour les grandes banques. La régulation n’étant pas en place, puisqu’on commence seulement à en discuter, la même logique de levier gigantesque recommence. C’est un point crucial !

Le système financier doit avoir des incitations beaucoup moins perverses par des contraintes en capital, mais aussi en liquidités qui redonnent au rendement relatif un lien avec les horizons économiques. Tant que le long terme n’est pas plus rentable que la spéculation immédiate, on n’avancera pas. C’est un problème fondamental de régulation financière. Il faut que les investisseurs à long terme retrouvent en effet la prérogative, dans la finance, pour financer justement des investissements lourds, ceux du développement durable et ceux du flux de capitaux vers les infrastructures nécessaires des pays émergents pour développer leurs biens publics, ce qui est crucial s’ils veulent développer leur consommation interne. Il y a vraiment quelque chose qui est de l’ordre de l’investissement public très important à venir qui dépend d’un changement très profond des incitations dans le domaine de la finance.

Si cette régulation n’a pas lieu, on va vers des catastrophes nouvelles et beaucoup plus importantes encore en raison d’une interaction entre des crises de type écologique, des crises de pénurie de matière première et des crises financières, du fait en particulier que la spéculation se développe énormément sur les matières premières.

On a besoin d’une évolution tendancielle croissante du prix de l’énergie et d’un certain nombre de prix de ressources rares. Mais ce qu’on a vu en 2007-2008, c’est-à-dire des prix qui montent à 145, tombent à 37, remontent à 75, est destructeur et interdit tout investissement pour le long terme.
Si ce type de spéculation (conforme à la mentalité Wall Street) reste déterminante des comportements financiers, la finance ne sera pas au service de l’économie, elle sera prédatrice, comme elle l’a été ces dernières années.

C’est décisif, il faut que les Etats reprennent le pouvoir sur la finance. Sans cela le reste ne peut pas fonctionner.

Jean-Pierre Chevènement
Merci, Monsieur Aglietta, nous sommes assez convaincus de ce que vous venez de dire. Je me tourne vers la salle.

Alain-Louis Dangeard
Je suggère que la conclusion de Jean-Pierre Fourcade fasse l’objet d’un débat de la Fondation Res Publica. Parce que le vrai problème, qui va se poser très rapidement, c’est non seulement la couche d’atmosphère mais c’est le sol. Les journaux ont évoqué la proposition des Chinois en vue d’acquérir les ressources de bauxite de la Guinée. L’énergie, contrairement à ce que beaucoup de gens pensent, n’est pas rare. Ce qui est rare c’est le sol.

Jean-Pierre Chevènement
Je ne suis pas choqué de voir que les Chinois, comme nous l’avions fait nous-mêmes, achètent des gisements. Cela n’est pas nouveau.

Alain-Louis Dangeard
Ce qui est nouveau, ce sont les conditions qu’ils proposent : ils proposent de faire des chemins de fer qui seront remboursés par des gisements dont on connaît aujourd’hui l’évaluation. Cela veut dire que, d’une manière ou d’une autre, les droits miniers qui seront accordés aujourd’hui seront transférés aux Chinois. Il n’y a pas moyen de faire autrement, sinon la Guinée ne pourra jamais rembourser ses dettes.

On arrive à des situations discriminatoires extrêmement dangereuses qui provoqueront peut-être la prochaine guerre.

Jean-Luc Gréau
Je voudrais réagir à ce qui vient d’être dit. Je crois que c’est un des grands sujets des années à venir. Schumpeter, l’économiste autrichien, a appelé cela la trustification, un terme très spécifique qui signifie que l’entreprise située en l’aval se saisit en amont des ressources dont elle a besoin. Dans son esprit, c’était simplement un élément du jeu de la concurrence. C’est même une des cinq innovations de Schumpeter (2). Mais il ne faudrait pas que les acteurs de ce jeu soient trop inégaux et qu’il y ait des victimes en amont parmi les pays détenteurs des ressources qui n’ont pas les moyens de se défendre. Au Vietnam, le général Giap est sorti de sa retraite, à quatre-vingt-dix huit ans sonnés, pour s’opposer publiquement (lors du 55ème anniversaire de la bataille de Dien Bien Phu, dont il fut le héros) à la tentative de mainmise de la Chine sur les réserves de bauxite du Vietnam.

Jean-Michel Quatrepoint
Cela ne concerne pas que les matières premières. On assiste depuis une demi-douzaine d’années, au rachat des terres agricoles, d’abord par les multinationales anglo-saxonnes, occidentales, ensuite par les Chinois et les Coréens qui sont en train de mettre l’Afrique en coupe réglée. Au Cameroun, notamment, une multinationale privée chinoise avec des capitaux publics a pris des dizaines de milliers d’hectares en concession, négociée directement avec le président camerounais. Le plus grave est qu’on éradique les cultures vivrières, notamment le manioc, la culture de base en Afrique. En faisant venir des contremaîtres chinois, ils transforment les champs de manioc en champs de riz et de soja, moins pour approvisionner la Chine que pour exporter (en cassant les prix) sur le marché mondial, faisant valoir au gouvernement que cela procurera des devises au Cameroun. Ils utilisent la main d’œuvre africaine locale (les petits paysans spoliés de leur lopin de terre) pour un euro par jour, casquette siglée par la société chinoise en prime ! En matière de colonialisme, nous n’avons plus de leçon à recevoir.

Si les accords de Doha sont appliqués, les Chinois referont le même coup qu’avec l’OMC.
L’année 2001, date d’entrée de la Chine dans l’OMC vit s’envoler les courbes des exportations chinoises, entraînant les déséquilibres que l’on sait. Il se passera la même chose si on met les produits agroalimentaires dans l’OMC. D’un coup les Chinois auront la mainmise sur les matières premières qu’ils produiront à très bas coût (ce qui, accessoirement, profitera aussi à quelques multinationales occidentales) Nos systèmes agricoles, nos agriculteurs seront détruits, y compris aux États-Unis. Mais – ce qui est encore plus grave – les pays émergents qui, comme le Maroc, n’ont pas une agriculture très forte, seront liquidés, avec tous les problèmes que cela nous posera. Voilà pourquoi il faut absolument s’opposer à Doha.

Jean-Pierre Chevènement
J’ai eu l’occasion d’intervenir sur ce sujet il y a quelques mois.
Youri Roubinski m’a demandé la parole.

Youri Roubinski
J’ai parfois l’impression de me retrouver dans une machine à remonter le temps : il y a trente-cinq ans, Pierre Mendès-France, accompagné de son fils, a fait un voyage à Moscou. J’étais alors à la tête d’un département de l’Institut d’économie mondiale. Nous l’avons invité.

Deux événements majeurs venaient de se produire : l’effondrement de Bretton Woods et deux ans plus tard, le premier choc pétrolier qui déclencha les fluctuations des matières premières. Dans un cours magistral il exposa un projet mirobolant : transformer le cours des matières premières en gage de la monnaie internationale future et faire d’une pierre trois coups : protéger les pays en voie de développement, gérer la masse monétaire et garantir un nouveau système monétaire international ! Ce système, étant gagé sur des prix, pourrait se stabiliser sur le prix de produits dont la consommation serait, non pas déterminée à l’avance, mais au moins prévisible. Dans ces conditions, le tableau était effectivement très séduisant. Je me souviens très bien du « Non ! » de mon collègue qui, lui, voyait l’avenir du système monétaire international en trois zones : zone dollar, zone Deutsche Mark et zone yen. Il prétendait que le monde allait réguler ses échanges autour de ces trois zones.

Que voyons-nous aujourd’hui ? Il y a toujours le dollar, il y a le yen, il y a l’euro (substitut du mark) et, du côté matières premières, comme du côté monétaire, le désordre s’est aggravé. Le lien proposé par Mendès-France n’a pas été expérimenté. On ne l’a jamais effleuré aujourd’hui. En fait, on a beaucoup parlé de la monnaie, beaucoup moins de matières premières.

Si j’ai pris la parole c’est parce que la Russie d’aujourd’hui peut être considérée comme un pays émergent. Encore y a-t-il émergent et émergent ! Si la Chine exporte des produits de haute technologie grâce à la technique et aux capitaux importés, la Russie n’est pas loin, par la structure de ses échanges extérieurs, du Nigéria.

Donc, après les fluctuations des prix des matières premières, notamment énergétiques, on constate la position exorbitante du dollar [vous vous souvenez de la formule célèbre d’un ministre des Finances des Etats-Unis : « le dollar, c’est notre monnaie mais c’est votre problème »]. Non seulement la moitié des échanges mondiaux se font en dollars mais 75% sinon 80% des échanges d’énergie se font en dollars ! Le cas des autres matières premières est le problème du round de Doha.

Imaginons – cela relève du fantasme – que les transactions pour l’énergie ne se fassent plus en dollars. La situation mondiale du dollar et le problème monétaire international changeraient de donne automatiquement. Je ne suis pas de ceux qui proposent cette solution mais le fait est qu’on y pense de plus en plus, notamment ceux qui consomment ou exportent l’énergie : en premier lieu la Chine, puis la Russie et les pays du Golfe. Ils y pensent tout le temps ! Les propositions de zones monétaires régionales où les transactions, notamment en énergie, se feraient en monnaie locale (il ne s’agit pas du retour au troc, Dieu nous en garde !) marqueraient peut être un pas vers une solution d’ensemble qui me rappelle un peu le raisonnement de Pierre Mendès-France.
Merci.

Jean-Pierre Chevènement
Merci, Monsieur Roubinski, pour ces observations tout à fait stimulantes.

Il faut savoir terminer une réunion, pour libérer nos intervenants d’abord, que je veux remercier chaleureusement pour leurs contributions très intéressantes. Je me tourne en particulier vers mon collègue Jean-Pierre Fourcade. Je pense que nous pourrions nous retrouver sur beaucoup de suggestions, comme celle de la régionalisation monétaire, également abordée par d’autres orateurs.
Merci à toutes et à tous d’être venus nombreux à cette intéressante réunion.

———
1) Jean-Michel Quatrepoint « La dernière bulle », éd. Les Mille et une nuits, paru le 9/09/2009
2) in J. A. Schumpeter, Théorie de l’évolution économique, Dalloz, 1935 :
1. Fabrication d’un bien nouveau, c’est-à-dire encore non familier au cercle des consommateurs, ou d’une qualité nouvelle d’un bien.
2. Introduction d’une méthode de production nouvelle, c’est-à-dire pratiquement inconnue de la branche intéressée de l’industrie ; il n’est nullement nécessaire qu’elle repose sur une découverte scientifiquement nouvelle et elle peut aussi résider dans de nouveaux procédés commerciaux pour une marchandise.
3. Ouverture d’un débouché nouveau, c’est-à-dire d’un marché où, jusqu’à présent, la branche intéressée de l’industrie du pays intéressé n’a pas encore été introduite, que ce marché ait existé avant ou non.
4. Conquête d’une nouvelle source de matières premières ou de produits semi-ouvrés ; à nouveau, peu importe qu’il faille créer cette source ou qu’elle ait existé antérieurement, qu’on ne l’ait pas prise en considération ou qu’elle ait été tenue pour inaccessible.
5. Réalisation d’une nouvelle organisation, comme la création d’une situation de monopole (par exemple la trustification) ou l’apparition brusque d’un monopole.

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