Pourquoi les inégalités de richesse augmentent-elles ?

Intervention de Noam Leandri, statisticien, Secrétaire général de l’Observatoire des inégalités, au colloque du 21 septembre 2009, Mondialisation et inégalités en France.

Pourquoi les inégalités de richesse augmentent-elles ?

Je vous remercie de m’avoir invité à cette soirée.

L’Observatoire des inégalités, pour ceux qui ne le connaîtraient pas, est une association « loi de 1901 », totalement indépendante, qui n’est liée à aucun parti politique, aucun syndicat ni aucune administration publique ou entreprise. Le siège est basé à Tours, ce qui permet un certain recul par rapport à ce qui agite le microcosme parisien.

Il m’a été demandé de vous présenter la répartition des revenus primaires.

Le thème des inégalités connaît un regain d’intérêt depuis l’éclatement de la crise financière et la récession économique. L’OCDE (1) et le Président de la République (2) se sont même découvert une vocation de hérauts de la lutte contre les inégalités. La fréquentation du site internet de l’Observatoire inegalites.fr est aussi un bon indicateur de l’intérêt du public pour ce sujet : +120% entre 2008 et 2006.

Après vous avoir brossé un tableau des grandes tendances des inégalités de revenu je discuterai les différentes causes avancées à leur récente recrudescence.

1- Après une forte décrue des inégalités en France sur un siècle, une légère augmentation se fait jour ces dernières années.

Je reprendrai les travaux de Piketty et Saez (3). Sur la longue période, la réduction des inégalités de revenu est très nette en France.

Par exemple, la part du revenu national perçue par le 1% les plus riches a été réduite de plus de moitié entre 1919 et 2005 en France. La tendance est identique dans tous les pays riches jusque dans les années soixante-dix.

C’est que la crise de 1929 et la Seconde guerre mondiale avaient détruit du patrimoine, avant que l’État providence ne procédât à la redistribution.

Cependant, depuis fin des années quatre-vingt, on constate partout un regain des inégalités (la concentration des revenus), y compris en France ou en Suède. Mais si ce reflux est léger dans ces deux pays, les États-Unis reviennent 100 ans en arrière.

Les inégalités en France sont globalement stables. Mais en s’équipant d’une loupe, on s’aperçoit sur la dernière décennie d’une légère remontée des inégalités (cf. doc INSEE). A première vue les données de l’Insee montrent une stabilité du rapport entre niveau de vie 10% les plus aisés et les 10% les plus pauvres, aux alentours de un pour trois. Toutefois, l’indice de Gini qui prend en compte tout l’éventail des revenus jusqu’aux extrêmes (contrairement au ratio interdécile) montre une légère dégradation de la distribution des revenus.

2- Pourquoi cette légère remontée des inégalités en France ?

Quatre explications sont avancées.

Le partage de la valeur ajoutée en défaveur du travail ?
Il n’y pas eu de modification profonde de la distribution comme le rappelle rapport Cotis (1/3 – 2/3) sauf pendant les années soixante-dix où les salaires ont reçu 75% de la valeur ajoutée (sans doute à cause de la crise, qui a réduit la profitabilité des entreprises sans qu’elles puissent licencier). En revanche, le salaire net par tête a diminué du fait des hausses de cotisations sociales et des retenues à la source (CSG, CRDS).

Les réponses d’ordre socio-démographique ?
– la taille des ménages baisse (familles monoparentales, personnes âgées seules), ce qui interdit les économies d’échelle et diminue du pouvoir d’achat : le loyer n’est plus partagé.
– le travail féminin progresse fortement depuis les années cinquante, ce qui, apportant deux revenus par foyer, a permis de justifier les baisses des salaires individuels (leur revenu est inférieur de 20% à celui des hommes) et d’imposer des emplois à temps partiels (occupés à 80% par des femmes).

Des politiques fiscales et sociales anti-redistributives ?
Oui sans aucun doute mais dans une certaine mesure. La médiatisation à outrance de la baisse des impôts a mis en avant les intérêts individuels aveugles à l’intérêt collectif. La création de la Sécurité sociale en France s’est faite contre l’opinion publique, ce qui n’est pas sans évoquer l’actuel débat américain sur le système de sécurité sociale élargi.

On pense par exemple au bouclier fiscal, aux baisses du barème de l’impôt sur le revenu, aux niches fiscales qui ont servi à miter les deux impôts les plus redistributifs que sont l’impôt sur le revenu et l’ISF. Il faut aussi ajouter à cette liste déjà longue les exonérations de cotisations patronales au niveau du SMIC, la quasi suppression des droits de succession (qui favorise l’inégalité des chances), ou les exonérations d’impôts des cadres supérieurs étrangers (loi LME).

Mais il ne faut pas se leurrer, le taux de prélèvement obligatoire n’a pas diminué, ce qui est donné d’une main aux plus riches est repris de l’autre aux plus modestes en remplaçant ces prélèvements par des taxes et impôts moins redistributifs (CSG, TVA prétendument « sociale » alors qu’elle est régressive, Tipp désormais écologique).

Mais ces facteurs ne sont pas les plus importants en matière de hausse des inégalités, ces évolutions jouent principalement sur les mentalités, mais, associées à l’affaiblissement des organisations syndicales et à la montée du chômage, elles cachent une réalité plus cruelle : l’augmentation ahurissante des très hauts revenus.

L’affaiblissement syndical et le chômage ont permis des baisses de revenus pour les moins qualifiés. Mais il y a un plancher à la baisse : le SMIC ou zéro, tandis que les arbres montent jusqu’au ciel.
Les travaux de Camille Landais sur l’augmentation des revenus des plus riches montrent que 0,01% des foyers les plus riches ont vu leur revenu réel croître de 43 % sur la période1998-2005, contre 4.6 % pour les 90% des foyers les moins riches. Cela est principalement dû aux revenus du patrimoine dont la répartition est bien plus inégalitaire que les salaires (4). Ce constat a été confirmé par rapport de J.P. Cotis, Directeur général de l’Insee, sur les seuls salaires.
Ce ne sont donc pas seulement les salaires qui expliquent l’augmentation des inégalités, ce sont aussi et surtout les fortes inégalités dans la répartition du patrimoine.

Quel lien avec la mondialisation ?
La mondialisation a changé les étalons de comparaison internationaux ou l’échelle de perroquet des très hauts revenus.

Par exemple, les revenus du show biz sont tirés à la hausse : Thierry Henry avec 17,7 M€ (1300 ans de SMIC) en 2008 est jaloux de David Beckham 38 M€. De même Gérard Depardieu, avec 3,5 M€ se sent ridicule face à Johnny Depp qui gagne 55 M€. (voir sur www.inegalites.fr.

Le développement de la Chine et d’autres puissances économiques inégalitaires qui entrent en concurrence avec nos Etats providence est une compétition déloyale favorisant le dumping social pour l’emploi peu qualifié. En revanche, leur retard technologique et leur manque de main-d’œuvre qualifiée tire à la hausse les hauts revenus. Ils sont prêts à payer très cher l’accès à des gens très qualifiés.

En conclusion, il ressort de ce tour d’horizon que les inégalités de revenu en France connaissent une légère augmentation ces dernières années. Mais il n’est pas nécessaire de dramatiser cette situation car la France reste un pays peu inégalitaire. Toutefois, les politiques fiscales actuelles tendent vers un accroissement des inégalités.

Le sentiment de progression des inégalités trouve plus probablement sa source dans la réduction de la mobilité sociale qui fige des situations en fonction du hasard des héritages alors qu’on essaie de nous faire croire que l’on a ce que l’on mérite.

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1) Rapport Growing unequal ?, OCDE, octobre 2008
2) «La moyenne c’est une façon de ne jamais parler des inégalités. » Discours à la Sorbonne pour la remise du rapport Stiglitz-Sen. « Les inégalités sociales, au fond, englobent toutes les autres. » Discours à l’Ecole Polytechnique sur l’égalité des chances et la diversité.
3) Saez est un économiste français basé aux États-Unis ; Il vient de recevoir la médaille la médaille John Bates Clark 2009 par l’American Economic Association (AEA), l’équivalent de la médaille Fields en mathématiques. Cette distinction est remise tous les deux ans depuis 1947 « à l’économiste américain âgé de moins de 40 ans qui a le plus contribué à la pensée et à la connaissance économiques ».
4) Les 10% plus pauvres ont en moyenne 350 euros de patrimoine, médiane à 116 000 euros et les 10% plus riches 755 000 euros.

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