Les outils dont dispose l’Etat

Intervention de Patrick Quinqueton, Conseiller d’Etat, Administrateur de la Fondation Res Publica, au colloque du 21 septembre 2009, Mondialisation et inégalités en France.

Pourquoi un colloque sur la mondialisation et les inégalités en France ?

En dépit de travaux de recherche significatifs sur le sujet, celui-ci, curieusement, apparaît peu dans le débat public.

En quelques décennies, nous avons glissé d’un vrai débat sur les inégalités vers un débat sur les discriminations et, aujourd’hui, sur la « diversité », concept délicat à manier, avec l’hypothèse implicite que l’élection de Barack Obama aurait miraculeusement changé le sort de la population noire américaine, matériellement parlant.

A cet égard, sur ces différents concepts, je ne saurais trop vous conseiller le petit livre assez tonique de Walter Benn Michaels : « La diversité contre l’égalité » (1) qui pose assez radicalement le problème.

L’hypothèse selon laquelle la mondialisation financière a creusé les inégalités par la mise en concurrence des systèmes sociaux demande bien sûr à être étayée par une analyse serrée de la réalité sociale de notre pays.
C’est ce que nous allons tenter de faire

Les inégalités sont d’abord à analyser sous l’angle de la fixation des revenus primaires.
A cet égard, le récent « Rapport Cotis » (2), demandé par le Président de la République, met en évidence à la fois un mouvement depuis les salaires vers les profits dans la décennie 80 et dans la première moitié de la décennie quatre-vingt et, depuis, un autre mouvement qui, sans modifier le précédent, aurait plutôt tendance à élargir l’éventail des salaires, creusant des inégalités proprement salariales. Ceci est une analyse très rapide qui sera précisée et approfondie par des gens plus savants que moi.

Une fois posée la question de l’inégalité des revenus primaires, nous avons à nous poser, plus encore en France qu’ailleurs, la question du rôle de l’Etat. En effet, nous partageons l’idée qu’il appartient à l’Etat, à la collectivité, de jouer un rôle correcteur face à d’éventuelles inégalités.

Or, ce rôle correcteur est largement remis en cause :

D’abord la redistribution par le caractère progressif de l’impôt, n’est plus aussi évidente. L’expression même de « bouclier fiscal » montre bien que la conception de l’impôt progressif comme moyen d’action de la collectivité régresse.

Par ailleurs, la Révision générale des politiques publiques (RGPP), même si elle n’est pas toujours inutile, appauvrit tendanciellement les services publics, ce qui a généralement pour effet d’accroître les inégalités.

Enfin l’Ecole publique, spécificité française, est en crise, ce qui, dans l’esprit de nos compatriotes, bloque toute perspective visible d’ascension sociale par l’instruction.

Enfin, un détail doit nous interroger : si la pauvreté, l’exclusion, le chômage sont l’objet de nombreux travaux, on a peu étudié la richesse dans ces trente dernières années. Elle semble échapper au travail d’analyse. Certes quelques uns des experts présents à cette table ont traité la question mais l’impression demeure que, s’il est très important de creuser tous les ressorts de l’exclusion, le sujet de la richesse reste encore largement tabou, même si les travaux récents de Camille Landais (3), précisément situés dans cette perspective, sont extrêmement intéressants.

Après avoir énuméré les raisons qui nous amènent à poser aujourd’hui la question des inégalités, éclairée par la focale de la mondialisation, particulièrement de la mondialisation financière, je vais présenter les questions que nous avons proposées à nos intervenants de déchiffrer.
Rappelons que cette table ronde est aussi un lieu de débat où chacun peut réagir aux propos des autres.

Guillaume Duval, rédacteur en chef d’Alternatives économiques, interviendra sur la question de la déflation salariale, en essayant notamment de construire le lien complexe entre la mondialisation anarchique et la montée des inégalités.

Puis Jacques Rigaudiat, conseiller-maître à la Cour des comptes et ancien conseiller social à Matignon, précisera les conséquences de la mutation du capitalisme sur l’insécurité économique et l’acceptation de la précarisation d’une partie significative de la population active.

Noam Léandri, secrétaire général de l’Observatoire des inégalités, mettra l’accent, à partir des principales caractéristiques des inégalités dans la distribution des revenus primaires, sur le degré d’efficacité des mécanismes correcteurs des inégalités de revenus.

Philippe Barret, Inspecteur général de l’Éducation nationale, auteur de « La République et l’Ecole » apportera son éclairage sur l’impact des politiques éducatives et de leur évolution récente sur l’inégalité des chances ou, en tout cas, sur la perception qu’ont nos contemporains de l’Ecole.

Jacques Fournier, qu’on ne présente plus, a occupé d’éminentes responsabilités mais, pour quelqu’un de ma génération, il reste l’un des auteurs du « Traité du social » où, comme beaucoup d’autres, j’ai étudié les questions sociales. C’est aussi à ce titre que j’ai plaisir à l’entendre ce soir. Sur le fond de ces différentes interventions, il pointera, sur la longue période, les ruptures et les évolutions de la question des inégalités de son point de vue.

Je cède la parole à Guillaume Duval.

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1) Walter Benn Michaels « La diversité contre l’égalité » Edition : « Raison d’agir », février 2009 (traduit de l’anglais par Frédéric Junqua).
2) « Le partage de la valeur ajoutée, partage des profits et écarts des rémunérations en France » Jean-Philippe Cotis, Présidence de la République 14 mai 2009
3) « Les hauts revenus en France (1998-2006): Une explosion des inégalités ? » Etude de Camille Landais, Mimeo, Ecole d’économie de Paris, 2007.
4) « La République et l’Ecole » Philippe Barret, collection L’idée républicaine, Ed. Fayard, 2006
5) « Traité du social » par Jacques Fournier et Nicole Questiaux, Ed. Dalloz (première édition : 1976)

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