L’OTAN, l’OSCE, le Pacte de sécurité
Intervention d’Alain Dejammet, Ambassadeur de France au colloque du 30 mars 2009, Sécurité européenne : OTAN, OSCE, Pacte de Sécurité
Avant d’être secrétaire général de l’OSCE, Marc Perrin de Brichambaut fut le directeur de la délégation aux Affaires stratégiques au ministère de la Défense. Il fut aussi ambassadeur chargé du désarmement.
Quant à Youri Roubinski, il est le seul capable de nous dire ce que pense vraiment Moscou.
« Sécurité européenne, OTAN, OSCE, Pacte de sécurité ».
Peut-être certains s’étonneront-ils que ce titre ne mentionne pas l’Union européenne. Mais nous sommes réalistes : l’OTAN et l’OSCE se préoccupent de questions de sécurité et de défense ; le Pacte ou Traité de sécurité est une proposition faite en juin 2008 par la Russie (il serait intéressant de voir comment il s’articule avec les organisations déjà existantes). Certes, l’Union européenne est active dans les questions de maintien de la sécurité, de maintien de la paix, elle assume des opérations, délègue des militaires, des gendarmes, parfois des experts, et, indéniablement, contribue par ses activités à maintenir la paix dans certaines régions d’Europe ou au-delà. Mais pour la défense, c’est une autre affaire. Si l’on évoque une politique de défense commune, il n’y a pas encore aujourd’hui de défense commune propre à l’Union européenne.
La question de la sécurité européenne comporte deux sujets : la sécurité, proprement dite, et la défense.
La sécurité dans l’Europe signifie qu’au sein de l’Europe soient évités les incidents et les différends entre Etats et tout comportement quelque peu anarchique par lequel un pays créerait des risques pour les pays voisins.
Mais la question de la défense de l’Europe, de la sécurité de l’Europe vis-à-vis d’une menace extérieure suscite évidemment des réflexions sur l’étendue de cette Europe. Sera-t-elle l’Europe de l’Union européenne ? Sera-t-elle l’Europe de l’OTAN (plus large que l’UE) ? Sera-t-elle l’Eurasie ?
Ces deux questions : sécurité dans l’Europe, sécurité de l’Europe, étaient tranchées du temps où se confrontaient, s’affrontaient parfois, deux systèmes : l’Alliance atlantique et le Pacte de Varsovie. Les choses étaient très claires. Chaque système faisait régner à l’intérieur de sa sphère géographique en Europe une certaine forme d’ordre, un ordre que nous appelons volontiers démocratique à l’intérieur de l’alliance atlantique, un ordre quelque peu brutal et non démocratique à l’intérieur du Pacte de Varsovie. Mais il y avait, entre les deux systèmes, une sorte de stabilité. Des accords étaient passés : les accords de limitation d’armements nucléaires entre l’Union soviétique et les États-Unis et des accords de réduction des armements conventionnels. Tant bien que mal, ce système reposait entre les blocs sur l’équilibre de la terreur et, à l’intérieur de ceux-ci, sur des principes que l’on peut discuter mais qui maintenaient une sorte de stabilité.
Et puis ce monde-là s’est effondré avec le mur de Berlin et la fin du monde soviétique et du Pacte de Varsovie, dans les années 1989-1990.
Ce fut spectaculaire. En décembre 1991, des ministres ou des vice-ministres de l’ancien Pacte de Varsovie étaient invités à une réunion des ministres de l’Alliance atlantique à l’occasion d’une offre de l’OTAN de créer un partenariat pour la paix. A la veille de Noël, un texte était sur le point d’être signé, qui parlait de choses nobles et généreuses lorsque le représentant russe, après avoir téléphoné à Moscou, déclara : « Je suis désolé, je ne peux pas signer ce texte qui mentionne l’URSS, car l’URSS n’existe plus ». La fin de l’URSS était donc actée au siège même de l’Alliance atlantique à Bruxelles ! C’était une victoire extraordinaire, spectaculaire, pour les membres de l’Alliance atlantique.
De nombreuses questions se posaient :
Qu’allaient devenir les pays membres du Pacte de Varsovie ? Dans quel monde décideraient-ils d’entrer ? Allaient-ils rechercher une nouvelle protection ?
Qu’allait faire l’OTAN ?
Immédiatement, une sorte de frénésie s’empara des diplomates à l’ouest. Le grand thème à la mode en ces années 1990-1991, qui succédaient à l’effondrement du monde que nous avions connu jusqu’alors, caractérisé par l’équilibre entre l’Est et l’Ouest, devint la recherche d’un nouveau système, une « architecture de sécurité ».
Le président français, François Mitterrand, pensait à une confédération européenne qui réunirait tous les pays de l’Europe, y compris la Russie, au sein de laquelle on discuterait, notamment, des problèmes de sécurité. Cela restait très vague, bien qu’un diplomate fût chargé de ce dossier par la Présidence de la République, mais cela rappelait un thème lancé quelques années auparavant par M. Gorbatchev, secrétaire général du Parti communiste russe. Toutefois le fait que cette « maison européenne » excluait les États-Unis scella la mort de l’idée car plusieurs pays européens ne concevaient pas de faire quoi que ce soit sans les États-Unis ; ceux-ci, d’autre part, manifestèrent leur mauvaise humeur. Cette idée de confédération européenne ne fut donc jamais véritablement formulée ni débattue.
Alors, dans leur souci de trouver une « architecture », les diplomates cherchèrent une clef de voûte. Celle-ci aurait pu être la CSCE (Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe) qui comportait trois corbeilles, trois volets : économie, culture et droits de l’homme, sécurité, et qui avait fait un excellent travail (sa corbeille « culture, droits de l’homme » avait fini par ébranler les assises de l’Union soviétique). La CSCE était une conférence qui avait réussi. Elle était en train de s’organiser, un sommet avait été tenu à Paris, fin 89, pour envisager le futur, pour réaffirmer les engagements pris par les pays membres et on pensait pouvoir créer une organisation qui réunirait environ cinquante-six pays : tous les pays européens mais également les États-Unis et le Canada, et des pays situés à la frontière de l’Asie. Cette organisation serait chargée des questions de sécurité et de défense de ce vaste continent eurasiatique. Pour le cas où une opération de rétablissement de la paix serait nécessaire, cette conférence de la sécurité et de la coopération en Europe chercherait, faute de disposer de moyens militaires propres, à déléguer les tâches, à trouver les instruments pour agir concrètement sur le terrain. Nous pensions tout naturellement que ce pourrait être, en l’absence de bras armé de la CSCE, soit l’Union de l’Europe occidentale (UEO), cette première organisation de défense à laquelle la France et quelques pays européens voulaient redonner un peu de vigueur, soit, pourquoi pas l’OTAN. Il reviendrait à l’OSCE d’arbitrer en fonction de la situation. L’architecture était donc la suivante : au sommet la CSCE et ensuite, éventuellement, délégation de tâches concrètes, matérielles, militaires, sécuritaires, sur le terrain, soit à l’UEO soit à l’OTAN.
Cette idée, qui circulait dans les années 1991-92-93, aboutit à un échec dû à deux mouvements irrésistibles :
Le premier était l’absence d’adhésion à l’UEO. Il n’y avait guère que les Français et, par instants, les Belges qui s’intéressaient à cette ébauche de défense européenne. Après le Traité de Bruxelles (1), d’ailleurs très contraignant, l’idée avait été relancée du temps de Michel Jobert mais nos partenaires européens ne nous avaient pas suivis parce qu’ils ne croyaient pas, à cette époque, à la possibilité d’une vraie défense européenne, sous un commandement qu’ils envisageaient mal – peut-être français peut-être allemand – et en l’absence des États-Unis d’Amérique. En septembre1991, alors que les Balkans commençaient à prendre feu, nous Français, timidement mais de manière fort raisonnable, proposâmes à nos partenaires européens que l’Union de l’Europe occidentale cherchât, en s’interposant entre les différentes parties au conflit, à maintenir un peu de paix et de stabilité en ex-Yougoslavie. Nos amis européens nous regardèrent avec des yeux ronds et la proposition fut enterrée. L’OTAN, sous l’administration Bush père, ne voulait alors rien faire. Nous avons dû faire appel aux Nations Unies.
Le deuxième mouvement fut la montée en puissance de l’OTAN. Au bout de quelques temps, les Américains ont compris qu’il y avait quelque chose à faire. Ils disposaient de capacités en Europe, ils y avaient développé des idées, ils étaient attachés à un certain style de vie, à une certaine forme de civilisation qu’ils pouvaient diffuser à la totalité de l’Union européenne en se servant de l’OTAN.
Sous l’administration Bush père, en mai 1992, un ministre français des Affaires étrangères en visite à Washington interrogea son homologue James Baker : « Maintenant que la menace soviétique a disparu, à quoi sert l’OTAN ? », sa question fut accueillie par le regard bleu, glacial, d’un interlocuteur qui prit conscience du danger. M. Baker, avant son départ, a dû laisser quelques mémos à ses successeurs de l’administration Clinton car, très rapidement, M. Holbrooke et Mme Albright ont décidé de prendre les choses en main, c’est-à-dire de se saisir de la merveilleuse capacité d’attraction de l’OTAN pour en faire la structure de sécurité et de défense de toute la « bonne » Europe, laissant de côté les Russes qu’on essayait de gagner par des moyens économiques tout en les tenant un peu à l’écart. Ce fut ce formidable mouvement que les Américains ont appelé l’Outreach : on essayait de faire tomber dans l’escarcelle otanienne les pays de l’Union européenne, mais aussi les anciens pays socialistes, attirés par l’Union européenne d’abord pour des raisons économiques mais qui allaient céder au vertige de l’adhésion à un système militaire, solide, structuré, celui de l’OTAN. Cette politique a très bien marché. Quand nous passions dans les capitales européennes pour parler de l’Union européenne et de l’UEO, les dirigeants répondaient Union européenne et OTAN. Tous ces pays se sont rués vers l’Union européenne pour les avantages économiques mais vers l’OTAN pour les aspects militaires.
Pendant longtemps, face à cette course folle vers l’OTAN, les Russes ont laissé faire, jusqu’au moment où ils ont commencé à s’inquiéter de voir à leur périphérie des pays se regrouper dans une alliance qui manifestait sa défiance à leur égard (avec, plus récemment, l’idée américaine d’un système de défense contre les missiles). Après des années d’atonie, les dirigeants russes, avec l’arrivée de Poutine, comprirent que, si on laissait aller l’OTAN, celle-ci pourrait aller très loin, faisant fi du droit international, comme elle le fit en 1999, en intervenant pour régler le problème du Kosovo, à sa guise et sans autorisation du Conseil de sécurité, en flagrante infraction de la légalité internationale.
C’est alors que la Russie fit connaître très nettement son opposition à ce phénomène d’extension de l’OTAN, ce qui, incontestablement, intimida les pays voisins. C’était trop tard pour les Pays baltes mais pas pour l’Ukraine et la Géorgie. La Russie manifesta clairement son opposition à leur adhésion à l’Alliance atlantique. Elle a d’ailleurs saisi récemment l’occasion, à propos de la Géorgie, de marquer un coup d’arrêt à ce mouvement, dans des conditions qui rappellent singulièrement ce qui s’était passé pour le Kosovo (intervention de l’OTAN suivie d’une acceptation de la sécession, de l’indépendance du Kosovo, en dépit des dispositions qui figurent dans la charte des Nations unies et dans la charte de l’OSCE). Et voilà la Russie qui propose à partir du mois de juin (elle reprendra cette proposition en juillet puis en novembre) un pacte de sécurité – sorte de réplique au phénomène d’extension de l’OTAN – qui appelle à une réflexion sur ce que pourrait être non pas une architecture européenne de sécurité et de défense mais un nouvel arrangement de sécurité et de défense à l’échelle de l’Europe.
Voici en quelques mots les grandes lignes de l’évolution et les questions qui se posent, auxquelles vont répondre les intervenants.
L’OTAN peut-elle faire place à un autre élément – qui ne figurait pas dans l’intitulé de cette réunion – : la défense européenne ? On peut avoir des doutes : le traité de Lisbonne, reprenant le traité constitutionnel, indique en effet que les Etats de l’Union européenne, membres de l’Alliance atlantique, continuent de considérer l’OTAN comme le fondement de leur défense collective et « l’instrument de sa mise en œuvre », ce qui signifie théoriquement qu’il n’y a place, comme instrument de mise en œuvre de la défense collective, que pour l’OTAN et non pas pour le pôle européen de défense.
L’OTAN est-elle capable d’envisager comme un élément de la sécurité européenne le « pilier européen de la défense » que beaucoup ont eu à l’esprit ? C’est une des questions que Benoît d’Aboville évoquera probablement.
Marc Perrin de Brichambaut reviendra sur l’OSCE et nous dira si cette « conférence » devenue « organisation », avec un secrétaire général, a les moyens d’arbitrer les conflits. Elle en débat ; un comité se réunit chaque semaine, un peu comme le conseil de sécurité des Nations unies. A-t-elle véritablement les moyens de proposer des solutions et d’indiquer les instruments qui pourraient mettre en œuvre ces solutions ? On dit souvent à propos de l’OSCE qu’elle est paralysée par la règle de l’unanimité mais c’est vrai pour l’OTAN également : théoriquement tout fonctionne sur le consensus à l’OTAN, comme à la CSCE (devenue OSCE à partir du sommet de Budapest de 1994).
Mentionnons que si le consensus est la règle à la CSCE, il existe une possibilité de consensus « moins un » qui donne un peu de souplesse en cas de crise, lorsqu’on observe dans un pays une violation des obligations qui figurent dans l’OSCE. Cette organisation offre-t-elle des possibilités ? Nous n’avons, pour répondre à cette question, pas de meilleur connaisseur de l’OSCE que Marc de Brichambaut.
Enfin nous écouterons Youri Roubinski qui, dûment lesté de ce qu’on lui a dit au M.I.D., nous dira ce qu’il y a d’original dans les propositions assez vagues de Monsieur Medvedev.
On comprend qu’on veut transformer des engagements politiques sur l’OSCE en traité mais qu’y a-t-il de plus ?
Quelle est l’attitude actuelle de la Russie vis-à-vis de cette OSCE qui a pu, pour certains, constituer une réponse aux questions posées par l’intitulé de ce colloque : « Sécurité européenne, OTAN ? OSCE ? Pacte de sécurité ? »
Jean-Pierre Chevènement
Merci, Monsieur l’ambassadeur. Je me tourne vers Monsieur d’Aboville qui va répondre à la question : A quoi peut servir l’OTAN dans la perspective de la sécurité européenne ? Peut-elle être un outil de la sécurité européenne ?
Je vous laisse la parole.
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1) Traité de collaboration en matière économique, sociale et culturelle et de légitime défense collective, signé à Bruxelles le 17 mars 1948 (puis amendé et complété par un Protocole signé à Paris le 23 octobre 1954) par la Belgique, la France, le Luxembourg, les Pays-Bas et le Royaume-Uni
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