Conclusion de Jean-Pierre Chevènement

Intervention de Jean-Pierre Chevènement, président de la Fondation Res Publica, au colloque du 30 mars 2009, Sécurité européenne : OTAN, OSCE, Pacte de Sécurité.

Merci, Monsieur Roubinski, pour cet exposé parfaitement informé, documenté. J’ajoute que Monsieur Roubinski, comme d’ailleurs les intervenants précédents, parlait en connaissance de cause. On ne pouvait trouver d’experts mieux qualifiés pour aborder ces sujets infiniment complexes.
Moi-même, je ne veux avancer que quelques brèves idées.

L’idée d’un espace paneuropéen de coopération est une vieille idée. Il y a quarante-trois ans, le Général De Gaulle a parlé de « l’Europe de l’Atlantique à l’Oural ». Plus tard, Monsieur Gorbatchev évoqua la « Maison commune ». Et l’Union européenne veut créer un partenariat stratégique avec la Russie.

Monsieur d’Aboville nous a montré que l’OTAN pouvait être quelque chose de « plastique ». J’espère qu’il a raison.

Monsieur de Brichambaut a rappelé que l’OSCE avait connu trois phases, dont les deux dernières étaient, de 1990 à 1999, marquées par certaines espérances. J’observe que c’était le moment où la Russie était très affaiblie et que la dernière phase, marquée par le retour de la Russie, fut aussi une phase plus difficile au niveau de l’OSCE.
Que se passe-t-il aujourd’hui, en 2009 ?

J’essaie de prendre un peu de recul par rapport au problème d’un espace de coopération économique et humain paneuropéen qu’évoquait encore le Président de la République au sommet d’Evian avec Monsieur Medvedev. Je crois qu’il a montré toutes les raisons tenant à la culture, à l’économie, à l’énergie, à la paix du continent qui militaient pour que nous travaillions ensemble dans ce sens.
Avant que vous ne laissiez à nouveau couler le flot du désamour et du désespoir, je voudrais donner une note optimiste avant de vous donner la parole.

L’OTAN et la réintégration de la France dans la structure militaire intégrée ont un sens par rapport à la vision américaine, au moment où nous sommes. Les Américains se sont aperçus depuis 2003, puis en 2007 et 2008 qu’ils ne peuvent plus dominer seuls le reste du monde. Ils ont besoin d’auxiliaires et espèrent de l’Europe une contribution plus importante pour d’éventuelles expéditions, en tout cas pour une politique que les Etats-Unis continueront, bien entendu, à définir eux-mêmes. Le livre de Monsieur Brzezinski et Monsieur Scowcroft, L’Amérique face au monde. Quelle politique étrangère pour les Etats-Unis ? (1) – que je vous recommande – est tout à fait clair à ce sujet. Les Américains savent que les Européens ne veulent pas payer beaucoup plus ne qu’ils payent aujourd’hui pour leur défense. Ils souhaitent rééquilibrer le partage du fardeau. Ils ne veulent pas d’une défense européenne qui pourrait nuire à leur politique et créer une Europe autonome qu’ils ne souhaitent pas. Ce qu’ils veulent, c’est un premier cercle d’alliés qui leur servent d’auxiliaires.

En ce qui concerne la Russie, les déclarations de Monsieur Lavrov et de Madame Clinton appellent à une nouvelle étape du désarmement, des « Start ». Lors de leur rencontre à Londres, dans quelques jours, le Président Medvedev et le Président Obama aborderont la question du bouclier stratégique. Je ne suis pas sûr que les États-Unis abandonneront cette idée mais les coupes budgétaires que veut faire le Président Obama dans des programmes qui, selon ses propos, « manifestent la prévalence d’un esprit de guerre froide », pourraient concerner ce projet dont Monsieur Brzezinski a dit qu’il n’était pas au point et qu’il avait pour but de contrer une menace qui n’existait pas encore, à la demande de gens qui n’avaient rien demandé (les Européens, en effet, n’ont rien demandé), et qui coûtera des centaines de milliards de dollars !

Quelle va être la politique américaine vis-à-vis de la Russie ?
Les Américains ont à relever deux défis principaux : d’abord l’enlisement de leurs armées au Moyen Orient, en Irak et en Afghanistan, le problème de l’Iran, la normalisation de leurs rapports avec le monde musulman ; puis la montée de la Chine qui ne peut pas manquer de les interroger à tous égards.

La Russie vient-elle en tête des préoccupations américaines ? Certainement pas ! Par conséquent, j’imagine que la nouvelle administration américaine aura une attitude ouverte vis-à-vis de la Russie. Je ne sais pas jusqu’où cela ira. Sans doute y aura-t-il des traités de désarmement, dont le Start III sur les armes stratégiques mais aussi le Traité sur les forces nucléaires intermédiaires (FNI), que la Russie souhaite multilatéraliser, ou encore un traité sur les missiles à courte portée élargi aux missiles à portée intermédiaire comme le proposent la France et l’Union européenne. Des initiatives seront prises dans ce cadre du désarmement avec deux traités dont Madame Clinton a déjà annoncé que l’un, le Traité d’interdiction des essais nucléaires, sera ratifié. La Chine pourra-t-elle ne pas le ratifier à son tour, alors que, comme les États-Unis, elle l’a déjà signé ? Enfin le traité dit Cut off vise à arrêter la production de matières fissiles à usage militaire, c’est-à-dire en définitive à plafonner les stocks de produits fissiles à usage militaire. Ce sont des choses importantes qui déplacent la perspective qui n’est plus celle de la course aux armements mais d’une décrue. Celle-ci permettra-t-elle de traiter des problèmes aussi délicats que l’Iran et l’Afghanistan ? La question afghane sera-t-elle résolue dans le sens qu’a indiqué Monsieur Roubinski ? Il a parlé de neutralité pour l’Afghanistan, mais il en a parlé aussi pour l’Ukraine.

Dans une OTAN conçue comme un outil plus plastique, la France, l’Allemagne, l’Italie, pourraient peser pour qu’il n’y ait pas d’élargissement à des pays comme l’Ukraine et, à plus forte raison, à la Géorgie qui n’est pas en Europe mais au sud du Caucase, c’est-à-dire en Asie.

Je finis sur une note relativement optimiste : nous pouvons peut-être, si nous le voulons, créer l’espace paneuropéen de coopération sur le plan économique et humain que Monsieur Sarkozy appelait de ses vœux au sommet d’Evian. Nous le pouvons peut-être à la faveur d’une conjoncture où, pour les États-Unis, l’ennemi principal n’est plus la Russie. Mais c’est peut-être une supputation optimiste et je n’ai pas tous les éléments qui me permettraient les réponses aussi documentées, aussi informées que celles que vous avez pu avoir précédemment.
Je me tourne vers la salle.

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1) L’Amérique face au monde. Quelle politique étrangère pour les Etats-Unis ?, Zbigniew Brzezinski, Brent Scowcroft. Ed. Pearson Education, 2008.

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