Les Balkans en 2008 : état des lieux et perspectives

Intervention de Michel Foucher, géographe et diplomate, professeur à l’Ecole normale supérieure de Paris-Ulm et membre du Conseil des affaires étrangères, ancien ambassadeur, au colloque du 24 novembre 2008, L’Avenir des Balkans.

Je vais m’en tenir à la situation actuelle, en 2008 et à quelques perspectives sur 2009.
Auparavant, un mot sur le point précédent. On note deux attitudes en Europe sur les configurations territoriales. En 1919 les vainqueurs ont déplacé et créé des frontières, créé des fédérations, les vaincus ont été dépecés. Une politique à la Wilson mâtinée de Realpolitik. Les seuls déplacements de population importants furent ceux du Traité de Lausanne de 1923 (que Bertrand Dutheil de la Rochère a signalés à juste titre). En 1945 à l’inverse, on modifia très peu de frontières, sauf celles de la Pologne. Les révisionnistes croates, slovaques, hongrois furent ramenés dans leurs frontières des traités de l’après-Première guerre mondiale de 1919 à 1922, notamment le traité du Trianon. Là aussi les populations des Etats vaincus furent déplacées, notamment les Allemands.

Nous sommes donc toujours face au même problème. En 1991 mais aussi au Kosovo en 2008, des limites administratives ont été sacralisées en frontières internationales, ce qu’elles n’étaient pas. Il aurait été possible de négocier des modifications de manière civilisée. La position allemande de reconnaissance rapide des premières indépendances et de refus de modifications était d’autant plus étonnante que l’unification allemande avait annulé une frontière internationalement reconnue (la frontière interallemande). Sur l’affaire du Kosovo d’autres voies étaient possibles ; du reste, le plus probable est que le nord échappera de facto – c’est déjà le cas – au contrôle de Pristina.

Pour prolonger ce que disait Bertrand Dutheil de la Rochère, en 2008, nous sommes de nouveau face à une géographie non stabilisée (au sens où la géographie décrit la terre et nomme les lieux, politiquement).

Les Balkans occidentaux, c’est l’ex-République fédérale yougoslave sauf la Slovénie (les Slovènes regardent les Balkans dans le rétroviseur) plus l’Albanie, soit sept Etats. Les Croates ont une stratégie de communication très habile (et efficace), depuis très longtemps, utilisant les services de cabinets spécialisés britanniques, pour se débalkaniser et se présenter comme un pays méditerranéen. Les enjeux sont le tourisme et l’image politique, avec succès.

Un autre concept me semble très important, celui d’Europe du sud-est : Balkans occidentaux et orientaux plus la Turquie, pas seulement pour des raisons historiques mais aussi parce qu’Istanbul est la plus grande métropole de la région.

Sur la carte il faut observer les capitales commerciales, les zones de chalandise, les endroits où on se fait soigner, où on fait ses courses, où on achète en gros, où on prend l’avion. Entre Belgrade et Zagreb, il n’y a pas de ligne directe, on passe par Vienne, comme pour aller de Belgrade à Sofia ou à Bucarest. Aujourd’hui encore, il n’y a pas d’intégration régionale. Les capitales régionales qui comptent sont extérieures : Istanbul, Athènes et Thessalonique (notamment pour le tourisme et le marché de gros), Rome (notamment pour les soins), Vienne, Munich et, d’une certaine façon Zurich, capitale économique du Kosovo et d’une partie de l’Albanie en raison de la diaspora.

On ne sait toujours pas comment s’appelle l’Etat de Macédoine, officiellement ARYM (FYROM en anglais). Les Grecs ont bloqué l’adhésion de la Macédoine à l’OTAN à cause du problème de toponymie. Il est interdit d’utiliser le nom « Macédoine » dans les réunions officielles. Un médiateur de l’ONU a proposé une solution médiane: « République de Macédoine du Nord ».

Le mot « Kosovo » pose un problème d’emploi. Au Quai d’Orsay, le terme officiel est « Kosovo sous résolution 1244 », formule inscrite par les Etats membres dans la décision du Conseil européen autorisant la Commission à négocier en vue d’une communauté balkanique des transports. La France a jugé que cette formulation ne créait pas de précédent et restait spécifique au mandat de transport (les diplomates ont horreur des précédents, même s’ils passent leur temps à les produire).

Alain Dejammet
Il faut préciser que la résolution 1244 rappelle elle-même l’attachement des Etats membres à l’intégrité territoriale et à l’indépendance politique de la République fédérale de Yougoslavie.

Michel Foucher
Le dirigeant bosniaque Haris Siladzic dit que la Bosnie Herzégovine n’existe pas. Il parle de trois mini-Etats, pas seulement la Republika Srpska et la Fédération Croato musulmane, mais aussi l’entité autonome croate actuellement revendiquée par le HDZ. Un certain flou subsiste, lié aux incertitudes bien décrites précédemment. Une certitude toutefois : ces régions sont importantes pour la réorganisation territoriale du continent européen. En témoignent les villes, les axes, les populations (25 millions d’habitants), le niveau de vie (4000 euros en moyenne), des corridors très importants (Morava-Vardar) et surtout des isthmes (Adriatique-Mer Noire, Mer Egée-Mer Adriatique). Toutes choses que nos amis russes ont très bien intégrées, séduits, non seulement par le charme des côtes du Monténégro, mais aussi par les réseaux de gazoducs et d’oléoducs. A cause des crises, les flux ont été détournés par Istanbul, la Bulgarie, la Hongrie mais l’axe traditionnel passait plutôt par Salonique, la vallée de Morava-Vardar, Zagreb etc.

L’histoire est évidemment responsable de cette sous-utilisation du potentiel de localisation géographique de ces territoires. L’autre conséquence est qu’on ne peut pas travailler chacun pour soi, illustration de la formule célèbre de Churchill, correspondant de guerre sur le front d’Italie pendant la Première guerre mondiale : « Les Balkans ont une fâcheuse tendance à produire plus d’histoire qu’ils ne peuvent en consommer ». Je ne pense pas, cher Bertrand de Largentaye, qu’on soit, dans les Balkans, dans une situation « postmoderne » car les problèmes à gérer sont terriblement classiques, d’une banalité qui nous dépasse.

Un deuxième point est caractéristique de l’année 2008, c’est le déplacement des tensions et des contentieux sur le terrain juridique, plus digne que celui du recours à la force.

Bertrand de Largentaye a parlé tout à l’heure de la décision prise le 8 octobre par l’Assemblée générale des Nations Unies d’autoriser une saisine serbe de la Cour internationale de justice à propos de la légalité de la déclaration unilatérale d’indépendance par le Kosovo en février. J’ai interrogé le président Tadic à ce sujet il y a deux mois. Son intention, m’a-t-il dit, était de se débarrasser de ce problème sur le plan intérieur en le transférant sur le plan du droit international pour pouvoir passer à autre chose sur le plan interne. Vingt-deux pays membres de l’Union européenne se sont abstenus (dont la France), cinq ont voté pour la demande serbe, l’Espagne, la Roumanie, la Slovaquie, la Grèce et Chypre, qui ne reconnaissent pas cette déclaration unilatérale d’indépendance par le Kosovo.

Cette décision n’est pas contraignante. La Cour internationale de justice, si j’en juge par ses décisions en matière de frontières, est très conservatrice ; elle identifiera l’instantané de la décision primaire, soit la résolution 1244. Mais elle va devoir faire un droit aux concepts de droit des peuples à disposer de soi et de droit de se protéger, ligne de défense des autorités kosovares et de leurs avocats.

La Macédoine a engagé le 17 novembre contre la Grèce un recours à propos du blocage grec sur l’adhésion à l’OTAN à cause du problème de toponymie.

Le 18 novembre, la Croatie a décidé de poursuivre la Serbie devant la Cour internationale de justice pour génocide. Le 19, les Serbes ont répliqué, accusant la Croatie à l’encontre des Serbes de certaines régions bosniaques et surtout de Croatie.

Les Slovènes ont bloqué il y a quelques jours l’ouverture de quatre chapitres de négociations de la Croatie avec l’Union européenne à cause d’un différend frontalier terrestre et maritime entre les deux pays. Ceci reporte l’adhésion de la Croatie au plus tôt en 2011. Les Islandais qui découvrent brusquement les charmes de l’Union européenne (un euro stable, le côté « coffre-fort », la Banque de Bruxelles, l’épargne) auxquels s’ajoute la question de l’Arctique, poussée par les États-Unis (1), pourraient adhérer à l’Union européenne avant la Croatie parce qu’ils ont déjà un accord avec l’Espace économique européen (EEE).

Je poursuis ma chronique :
Les Néerlandais continuent de bloquer le rapprochement entre l’Union européenne et la Serbie tant que Mladic n’est pas à La Haye, devant le Tribunal pénal international. Le président Tadic, à qui je rappelais que l’arrestation de Mladic était une condition incontournable, m’a répondu que c’était « compliqué ».

La Macédoine et le Monténégro viennent de reconnaître le Kosovo. C’est, là aussi, un peu compliqué pour la Serbie.

Enfin le Premier ministre macédonien, Nikola Gruevski, vient de demander à la Grèce de promouvoir les droits de la minorité macédonienne en Grèce et refuse le compromis de dénomination proposé par l’ONU (Matthew Nimetz suggérait de nommer la Macédoine : « République de Macédoine du Nord »). La reconnaissance du Kosovo par le Monténégro et la Macédoine, rompant un accord tacite passé avec Belgrade, a été obtenue sous pression des ambassades américaine et britannique.
Bref, comme le regrette Olli Rehn, Commissaire à l’élargissement, le processus d’adhésion de ces pays est pris en otage par des questions bilatérales.

La situation politique interne connaît des évolutions contrastées.
La question de la viabilité du Kosovo se pose à l’évidence. L’UE a déjà distribué 1,2 milliard d’euros d’aides pour financer des projets dans l’énergie, les routes, l’informatisation. Je résumerai le problème de façon peu diplomatique : avant d’être un Etat membre, il faut être un Etat. Cet Etat n’est pas viable tout seul.

La Bosnie Herzégovine n’est pas viable pour des raisons politiques et économiques.
Ce qui me semble inapproprié dans l’approche actuelle de l’Union européenne et dans la stratégie des différents Etats ou entités (deux sont des protectorats) est le refus d’une approche régionale. Il ne s’agit pas ici de reconstituer une Yougoslavie autour de la Serbie mais de rechercher la viabilisation de ces micro-Etats en mettant l’accent sur un projet de reconstruction économique régional et pas simplement sur une démarche nationale de réforme interne et en quelque sorte individuelle. L’électricité consommée au Kosovo vient de Serbie. Il y a encore des Albanais qui se font soigner dans des hôpitaux de Belgrade. Il existe donc des liens et nous avons une approche trop individuelle, une « diplomatie de la régate » alors qu’il faudrait une approche collective, notamment parce qu’on a encore des problèmes de State building.

Il y a quelques semaines, en Bosnie Herzégovine, les partis nationalistes ont remporté les élections. Le débat permanent qui oppose Haris Siladzic et Milorad Dodik (qui dirige la Republika Srpska) porte en fait sur le choix entre centralisation et autonomie. Tout le monde se rend compte que les accords de Dayton ne marchent plus, pour des raisons indiquées. Le prix pour maintenir la cohésion de la Bosnie Herzégovine et pour arrêter les conflits armés a été de transformer la ligne de front militaire en ligne de cessez-le-feu. Il faut dépasser Dayton, cette constitution qui organise un système de cantons extrêmement complexe, avec pas moins de sept gouvernements !

Concernant le devenir de la Republika Srpska, plusieurs options se présentent : le précédent du Kosovo lui inspire des velléités d’indépendance. Mais cette indépendance, qui ne serait reconnue par personne, ne le serait pas non plus par le président Tadic à Belgrade qui n’a cure d’endosser ce fardeau. La Serbie n’aurait pas les moyens financiers de soutenir cette entité. La situation actuelle de quasi-indépendance économique (autorisant d’ailleurs pas mal de trafics) est plutôt favorable aux intérêts des dirigeants de Republika Srpska.

De fait, dans la situation actuelle, la région se compose d’un protectorat et de trois mini-Etats, sans retour des réfugiés et des personnes déplacées. Dans les cantons, les politiques menées sont purement ethniques, sans caractère civique. Comme l’a dit récemment Haris Siladzic, l’éventuelle décision de Milorad Dodik de rattacher Republika Srpska (à Banja Luka, au nord et à l’est) à la Serbie déclencherait une guerre.

Quelles sont les solutions ?
Il est nécessaire de changer la Constitution ; la régionalisation économique est souhaitable ; les actuels des systèmes ethnocratiques devront être remplacés progressivement par des pratiques démocratiques. Telle est la réalité, d’autant plus que le HDZ, le parti croate réclame une troisième entité. Les diplomates russes, avec leur lucidité coutumière, constatent que la coexistence ne fonctionne pas et qu’on est dans une situation de protectorat.

La Serbie a connu, me semble-t-il, une évolution plutôt positive depuis les élections présidentielles de février suivies des législatives du mois de mai. Après cinq mois de vacance, elle a un gouvernement de coalition en état de fonctionnement autour du DS (parti démocrate serbe du président Tadic), du SPS (les socialistes de l’ancien parti de Milosevic convertis à l’orientation européenne) et du G17. La part faite à la question du Kosovo est le problème de ce gouvernement qui essaie de gérer des programmes de reconstruction et une croissance assez rapide fondée principalement sur l’appel aux investissements étrangers. Les membres du gouvernement Tadic (et ses conseillers) sont relativement divisés sur cette question. Le président Tadic souhaite que la reconnaissance du Kosovo par la Serbie ne soit pas une condition d’entrée dans l’Union européenne. C’est l’enjeu central. Or je ne connais pas la position des vingt-sept, notamment celle de nos amis néerlandais dont la position, très dure sur tous les sujets, est à la mesure de la honte que leur inspire ce qui s’est passé sous leurs yeux à Srebrenica.

Pour déconnecter la relation Serbie–Kosovo de la question européenne, la formule suggérée par Wolfgang Ischinger de reprise du modèle inter-allemand (négocier entre deux entités qui ne reconnaissaient pas : Bonn n’osait pas utiliser le vocable de RDA et pour Berlin-Est, la RFA se réduisait au Sénat de Berlin-Ouest mais il y avait un point d’accord sur la nécessité d’instaurer des laissez-passer) est intéressante. Un dialogue entre Pristina et Belgrade doit être établi, qui prenne en compte à la fois la situation sur le terrain et l’existence d’intérêts serbes dans la région de Mitrovica, au Nord de la vallée de l’Ibar, dans les monastères et un certain nombre de sites religieux dans les enclaves.

J’évoquerai rapidement les éléments de progrès.
Une croissance économique assez forte a été observée jusqu’à maintenant (mais c’est en train de changer). La déclaration unilatérale d’indépendance du Kosovo n’a pas mis la région à feu et à sang. Un nouveau Conseil de coopération régionale, sis à Sarajevo, remplace le Pacte régional de stabilité. Sali Berisha, le Premier ministre Albanais, commence à arrêter quelques mafieux (trois membres de la famille Berisha sont actuellement en prison en Albanie), c’est un progrès.

Les transferts migratoires jouent un rôle fondamental. Un des résultats de la crise, en dehors des victimes, des morts et de la tragédie, c’est que les gens sont partis : les Kosovars sont à Zurich, les Croates sont chauffeurs de taxis à Münich et en Bavière, les Bosniaques travaillent en Allemagne, en Autriche, en Hongrie. La Bosnie vit essentiellement des transferts migratoires (en dehors de l’aide internationale) qui représentent 18% du PNB bosniaque. Seule la Moldavie connaît une situation comparable (c’est la situation des Philippines). Mais c’est un élément de progrès.

La chance de ces régions, en dépit de la mauvaise qualité de leurs partis et de certains de leurs politiciens, est la richesse de la société civile et la place des nouvelles générations. Notre gouvernement devrait investir dans la formation de gens de vingt ans qui seront capables de rompre avec la mémoire des pères. La guerre civile yougoslave de 1991-1995 venait « purger » ce qui ne s’était pas fait en 1945 en matière de mémoire. Sans soutenir les lois mémorielles, reconnaissons que Tito a « remis le couvercle » sur cette histoire sans que jamais fût ouvert le moindre débat. C’est pourquoi, en 1991, ceux qui se qualifiaient d’Oustachis et de Tchetniks – ou plutôt les fils des uns et des autres – ont rouvert une page de l’histoire de ce vieux conflit. Donc jouons les nouvelles générations, suscitons une Movida à la Felipe Gonzales.

Je dirai quelques mots des opinions.
Quelques sondages récents révèlent qu’en Serbie 70% des gens ne s’intéressent pas au Kosovo. Mais l’Union européenne est encore mal connue, notamment à cause d’une politique de visas extrêmement restrictive. Lorsqu’on a voulu donner un signe positif avant les législatives du mois de mai, l’Union européenne a donné des visas plus généreusement, notamment pour les gens qui venaient étudier.
Au Kosovo et en Albanie, on note un intérêt pour les questions européennes. Comme l’écrit Vetton Surroi, grand journaliste du Kosovo, c’est « une naïveté nécessaire » que d’être optimiste à l’égard de l’Union européenne au Kosovo. Mais en Croatie, moins d’un tiers de la population est favorable à l’Union européenne. Les Croates, comme il est classique dans un nouvel Etat indépendant, ne sont pas prêts à s’engager dans des partages de souveraineté, revendiquant leur fierté nationale et leur attachement au pays.

Sur la question du Tribunal pénal international, les opinions sont différentes selon qu’on est albanais, kosovar ou bien serbe, croate ou macédonien. 23% des Serbes pensent que Karadzic est coupable, 47% qu’il est innocent. Mais 53% pensent que son arrestation était bonne pour les aspirations européennes de la Serbie et 45% que c’est positif pour l’avenir de leur pays.
C’est pourquoi j’insiste sur le rôle central des nouvelles générations et du rajeunissement lié aux élections politiques successives. Mais les logiques de réforme et de réconciliation restent absentes. De même les stratégies de coopération régionale, même si ces pays en reconstruction recevant une aide internationale considérable sont de vrais marchés où se précipitent les Italiens, les Allemands, les Autrichiens, les Russes (premiers fournisseurs de la Serbie actuellement), les Grecs, les Français (qui n’arrivent pas à dépasser la barre fatidique des 3,5% de part de marché), les Chinois, très actifs et les Américains, relativement distants.

Sur l’élargissement, il existe des documents très intéressants, notamment le « Document stratégique sur l’élargissement » de la Commission (5 novembre 2008) dont Bertrand de Largentaye a parlé. On note des critiques assez sévères de la part d’Olli Rehn, y compris sur la Croatie. Sur la Macédoine, Olli Rehn ne recommande pas l’ouverture des négociations en raison des violences politiques de juin. Il est possible – mais non certain -que la Serbie dépose sa candidature au début de l’année prochaine. La Commission utilise un vocabulaire étonnant à propos du Kosovo qui « doit concrétiser son engagement dans une société démocratique et multiethnique » mais on lui imposera une étude de faisabilité en automne 2009 sur les modalités de progrès vers l’Union européenne. Le Monténégro déposera sa candidature fin décembre malgré les réticences de l’Union européenne à cause des problèmes de justice et de corruption. Enfin, les difficultés liées à l’adhésion prématurée de la Roumanie et la Bulgarie sont désormais reconnues (annulation de versements financiers par la Commission du fait de malversations avérées)

Ceci incite à la prudence. De plus, le président de la République française, président du conseil de l’Union européenne en exercice, fait pression pour la ratification du traité de Lisbonne en disant à la CDU allemande qu’il n’est pas possible d’inclure même la Croatie tant que ce traité n’aura pas été ratifié. Donc, la phase actuelle est au ralentissement, à quoi s’ajoute la situation économique.

Pour conclure, l’Union européenne est bien un levier de transformation (Javier Solana est le principal usager de la « perspective européenne » en raison de son action stabilisatrice) mais elle n’a jamais été confrontée à ce type de situation dans les Balkans occidentaux où il faut faire du State building et du Nation building. L’UE peut-elle inciter à passer de la nation ethnique à la nation civique et politique ? Si l’Union sait intégrer des Etats consistants, elle se trouve là dans une situation plus compliquée qui devrait nous amener à affiner notre approche au cas par cas et à construire une offre institutionnelle comportant une dimension régionale explicite et dire aux uns et aux autres : « Vous entrerez ensemble, quand vous aurez fait des réformes à l’intérieur, quand vous aurez réorganisé des réseaux de toutes sortes et quand vous aurez épuisé vos contentieux par la voie judiciaire (Cour internationale de justice) ». En effet, ces Etats ne sont viables qu’ensemble. Mais l’approche de l’Union européenne se fait souvent de façon dispersée en raison des concurrences extrêmement fortes entre les Etats. Tous ces Etats balkaniques ont des protecteurs. Bref, une approche beaucoup plus régionale est, dans leur intérêt et dans celui de l’Union européenne, absolument nécessaire. Je terminerai sur ce vœu de géographe.

Jean-Pierre Chevènement
Merci, Monsieur Foucher, de cet exposé très intéressant. Cette approche a le mérite d’être très constructive.

Je voudrais hasarder une idée. Dans les Balkans se sont souvent rencontrées l’influence russe et l’influence austro-allemande puis occidentale. On ne peut pas parler des Balkans uniquement du point de vue des Balkans. On doit essayer de penser les Balkans en termes géopolitiques, à l’échelle de la grande Europe, c’est-à-dire des relations entre la Russie et l’Europe.
C’est pourquoi un regard russe nous a paru absolument indispensable.

Il est extrêmement difficile de dire comment tout cela va se terminer, la situation est très instable, très provisoire. Que dureront ces protectorats brinquebalants qui coûtent beaucoup d’argent ? Il faudra bien trouver des équilibres. N’est-ce pas dans le cadre d’un équilibre géopolitique plus vaste, d’un partenariat entre l’Europe et la Russie qu’on peut peut-être penser aussi le problème du futur des Balkans, tout en prenant appui sur cette approche régionale que vient de développer Michel Foucher ?

Sur le Kosovo des points de vue très différents ont traversé la plupart des pays de l’Union européenne. D’autre part la Russie s’en est tenue à une interprétation stricte de la résolution 1244. Je donne la parole à Monsieur Youri Roubinski qui va nous apporter son point de vue.

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1) L’UE n’était pas conviée à la Conférence de l’Océan Arctique qui a réuni à Iliusat en mai 2008 le Danemark la Norvège, le Canada, la Russie et les États-Unis.

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