Intervention de François Cœurmont, membre du conseil scientifique de la Fondation Res Publica, au colloque du 20 octobre 2008, Quelle politique européenne de l’énergie ?
Comme le reste du monde, l’Europe doit relever les défis liés à la demande d’énergie. Et cela dans un contexte particulièrement délicat marqué par des tensions durables sur les ressources primaires, le risque climatique et la crise économique.
Les tensions sont durables sur les marchés des ressources et se concrétisent par les prix et peut-être demain par des pénuries. Plusieurs raisons à cela : écart grandissant entre l’offre et la demande, retards dans les investissements, spéculation financière à court terme, …
Si la prise de conscience de sa dépendance par l’UE est faite, des divergences importantes demeurent entre les grands Etats membres sur le nucléaire, le gaz, la solidarité en cas d’interruption de fourniture.
L’UE est devenue la référence mondiale pour la mise en œuvre du protocole de Kyoto et elle entend jouer un rôle majeur dans la négociation qui doit aboutir en 2009 à un nouvel engagement international de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
L’UE ne dispose pas d’une politique de l’énergie, mais elle a mis en place un marché de l’électricité et un marché du gaz, faisant de la concurrence un levier essentiel de son action. Mais l’hétérogénéité persistante entre Etats membres et l’insuffisance des interconnexions obèrent largement les avantages que l’on peut tirer d’un marché unique, notamment en termes d’optimisation des investissements et d’utilisation des ressources.
Défis et perspectives
Dans ce contexte, des risques non négligeables pèsent sur la compétitivité de l’économie. Et les défis apparaissent clairement : assurer la sécurité d’approvisionnement, réduire les émissions de gaz à effet de serre, mettre en place les conditions de la compétitivité de l’économie dans la durée.
Pourtant, les atouts européens ne sont pas minces.
L’UE maîtrise la quasi-totalité des technologies de l’énergie et occupe le premier rang mondial pour nombre d’entre elles, en termes industriels et en termes de R&D ; et les entreprises européennes du secteur sont parmi les premières du monde. Mais une approche trop souvent idéologique limite trop souvent les avantages que l’on peut en retirer, le nucléaire en est encore un bon exemple.
L’UE est au cœur d’un maillage de gazoducs et d’oléoducs. Mais elle ne sait ni parler d’une seule voix à ses fournisseurs, ni mettre en place une démarche concertée des grands Etats importateurs. Si importer n’est pas un problème dans un cadre équilibré donnant visibilité et perspectives à tous les acteurs, cela devient un risque si les relations vendeur-acheteur sont déséquilibrées et empêchent une négociation bénéfique.
On voit ainsi se dessiner quelques pistes pour bâtir une politique énergétique :
• diversification technologique conduisant à une moindre dépendance aux importations et à la réduction des émissions de gaz à effet de serre : d’abord l’efficacité énergétique, ensuite le nucléaire et les énergies renouvelables, enfin les énergies fossiles ;
• diversification géographique pour les énergies fossiles tout en créant les conditions d’une fidélisation des fournisseurs : ce qui conduit à avancer sur la question iranienne, à établir des relations de bon voisinage durable et d’échange profitable à toutes les parties avec la Russie par des projets d’intérêt partagé, à renforcer la politique méditerranéenne et à examiner les modalités de mise en place d’une politique africaine adaptée aux enjeux du siècle ;
• approche pragmatique et réaliste : des politiques publiques à moyen et long termes sont nécessaires pour résoudre les questions d’intérêt général en donnant un cadre stable et la visibilité nécessaire aux acteurs ; ce qui existe chez les Etats membres, ce qui a conduit aux traités CECA et Euratom, peut-on l’étendre ?
Le nucléaire, un atout majeur
Un examen objectif de la situation conduit fort logiquement à penser que si le nucléaire n’est pas LA solution, il n’y a pas de solution sans nucléaire. Les caractéristiques de l’énergie nucléaire lui permettent de répondre pleinement aux attentes. Elle contribue à la sécurité d’approvisionnement (15% de l’énergie primaire et 30% de l’électricité de l’UE). Elle permet de réduire les émissions de carbone (en France et en Suède où presque toute l’électricité est produite par le nucléaire et les renouvelables, les émissions de gaz carbonique par habitant sont inférieures du tiers à ce qu’elles sont au Danemark et en Allemagne où l’électricité est majoritairement d’origine fossile). Enfin, les ressources d’uranium sont abondantes et leur répartition géographique ne conduit pas à des tensions géopolitiques ; de plus, la part de l’uranium dans le coût de l’électricité est inférieure à 10%, alors que pour l’électricité produite à partir d’énergies fossiles, le combustible, soumis aux risques de pénurie physique, aux aléas du marché et aux tensions géopolitiques, représente plus de la moitié du coût de production. Il est donc fort logique que, pour des installations dites « de base » fonctionnant toute l’année, l’électricité d’origine nucléaire soit nettement moins chère que celle d’origine fossile, pour laquelle il faut ajouter encore le prix du CO2.
La « renaissance du nucléaire » dans le monde est une réalité, l’Europe ne doit pas être en retard. Le nucléaire doit donc être reconnu comme une part significative du mix énergétique de demain en Europe ; les décisions britanniques, les déclarations du forum de Bratislava ces derniers mois et celles qui furent entendues à Bruxelles il y a quelques jours à peine ouvrent largement la voie. Encore faut-il pleinement en tirer toutes les orientations pratiques : maintenir les compétences, simplifier les aspects institutionnels par la reconnaissance mutuelle de procédures d’autorisation et par la mise en place d’une Autorité unique quand le moment sera venu, favoriser les débats publics et les enrichir par une information scientifique et technique de qualité, … Le nucléaire offre d’autres avantages qui démontrent la pertinence des choix faits en France, notamment la fermeture du cycle qui permet le recyclage du combustible et la préparation de la prochaine génération à l’horizon 2050.
Et il convient de mentionner la coopération internationale qui peut se renforcer par la mise en place d’usines pour l’enrichissement et le recyclage du combustible.
Les échanges internationaux, de la dépendance à l’interdépendance
Quant à la sécurité de l’approvisionnement gazier, on redécouvre, depuis la hausse du prix du pétrole et surtout depuis les récentes tensions internationales, combien elle est traitée au niveau de chaque Etat et non au niveau européen. Et les importations de gaz et de pétrole sont vécues comme un risque d’autant plus important que les ressources sont détenues par un nombre limité de pays (Russie, Iran, Qatar, Algérie, Nigeria, Norvège pour le gaz ; Proche-Orient et Russie pour le pétrole). La dépendance est d’autant plus forte que l’UE ne parle pas d’une seule voix et que certains de ses membres ont une approche qui peut surprendre quant à la cohérence de leurs choix de politique énergétique (l’exemple le plus frappant étant celui de la production d’électricité à partir du gaz et du charbon qui est fortement émettrice de gaz à effet de serre, et à partir de renouvelables intermittentes nécessitant des centrales à gaz et au charbon pour garantir la fourniture d’électricité). Et cette dépendance devient encore plus forte si l’on s’interdit de conclure des contrats de longue durée.
Pourtant, les investissements massifs nécessaires pour mettre en valeur les réserves d’hydrocarbures devraient conduire logiquement à privilégier le long terme. Les acteurs industriels et les pays disposant de ressources gazières considèrent que ce type de contrat est préférable pour optimiser les investissements, constituer des réserves, et pouvoir agir avec l’anticipation nécessaire. Et les Etats ne sont pas loin de penser de même, pour créer un climat plus propice à la négociation, voire pour enrichir le champ même de cette négociation afin de répondre aux attentes des pays producteurs de gaz en financements et en technologies. Comment se fait-il alors que la Commission continue de donner la priorité à la mise en place d’un marché intérieur concurrentiel alors que cette priorité devrait être de donner de la visibilité à tous les acteurs sur toute la chaîne pour sécuriser les approvisionnements, investir au bon moment, et rétablir l’équilibre entre acheteur et vendeur de gaz ?
Le moment est donc venu de mettre en œuvre un triptyque : maintenir la diversification géographique, donner de la visibilité à long terme, et constituer des stocks stratégiques pour limiter les à-coups aléatoires.
De l’idéologie à l’industrie, le retour d’une politique de l’offre
L’optimisation des investissements à l’échelle du continent doit devenir une ardente obligation, afin de remettre le marché sur ses pieds. Les besoins mondiaux sont considérables (rien que pour l’électricité, on va doubler la puissance mondiale dans le prochain quart de siècle) et offrent des opportunités de développement à l’industrie, et il en est de même en Europe pour relever les défis de la sécurité d’approvisionnement, du climat et de la compétitivité donc de l’emploi.
Quelques conditions sont requises pour tirer partie de cette conjoncture :
• donner de la visibilité par des règles du jeu stables et transparentes : harmonisation des règles entre Etats membres, planification à l’échelle de l’UE, rémunération des investissements
• construire les infrastructures nécessaires en particulier pour le gaz et l’optimisation du système électrique
• valoriser fermement le nucléaire et les renouvelables ainsi que la maîtrise de la demande, en profitant du renouvellement prochain du parc des centrales électriques pour privilégier les technologies offrant la sensibilité la plus faible au coût du combustible
• stabiliser les règles du jeu sur le marché du gaz carbonique en favorisant visibilité à long terme et action vertueuse afin de peser effectivement dans la négociation mondiale
• renforcer la R&D.
Il s’agit bien de mettre en place toutes les composantes d’une politique de l’offre impulsée par la puissance publique et compatible avec le rythme des industries de l’énergie.
Répondre à quelques interrogations de bon sens :
• Une politique unique est-elle possible ? Ne faut-il pas mieux commencer par des politiques communes et par remettre le marché sur ses pieds pour qu’il ne soit pas un obstacle ?
• Les Etats membres et l’UE ont-ils bien identifié les atouts européens ? Comment tirer partie des connaissances et savoir-faire, des efforts de R&D, de la géographie, ainsi que de la puissance des entreprises du secteur et de la taille du marché ?
• Quels sont les leviers politiques, techniques et diplomatiques à mettre en œuvre ?
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