L’économie israélienne. Les dimensions économiques d’un accord entre Israël et la Palestine

Intervention de Gilbert Benhayoun, Professeur d’Université d’Aix-Marseille III, Président du Groupe d’Aix, au colloque du 16 juin 2008, Où va la société israélienne ?

Je vous remercie, Monsieur le Président, de m’avoir convié à cette soirée.
Je voudrais d’abord rappeler à mon collègue, Monsieur Moïsi, que le titre du livre de Friedmann « Fin du peuple juif ?» comportait un point d’interrogation révélant ses propres incertitudes.
On ne peut comprendre la situation de l’économie israélienne que si l’on remonte à la période qui a précédé la création de l’Etat. C’est ce que je ferai dans un premier temps avant de vous présenter une initiative que j’ai prise en 2002, qui a consisté à réunir, dans une période où les attentats étaient quasiment hebdomadaires, un groupe de travail, le « Groupe d’Aix » .

Je commencerai par quelques mots sur l’économie israélienne.
En 1920, au congrès sioniste de Londres, l’universitaire Brandeis déclarait : « Si on veut créer un Etat juif, il faut qu’il soit capitaliste », la libre entreprise était selon lui indispensable pour attirer les capitaux. C’était la tendance américaine. Les Européens, en particulier Weizmann, prétendaient au contraire qu’il fallait commencer par construire une société agricole, qu’il fallait s’occuper de la terre, d’abord dans le but de créer une société égalitaire, en faisant sortir les Juifs du monde de l’artisanat pour leur faire travailler la terre mais aussi pour des raisons géopolitiques, pour occuper le territoire. Ce choix a marqué fortement la société israélienne.

Deuxième remarque concernant cette période : on compare souvent – un peu trop rapidement – la colonisation israélienne à la colonisation de l’Algérie, des Etats-Unis, de l’Australie ou de l’Afrique en général, alors que l’expérience juive en Palestine, est dans ses aspects essentiels, différente de celle des autres colonisations.

La première grande différence, c’est que les terres n’ont pas été prises de force mais achetées à la population locale, certes dans des conditions très particulières, mais l’essentiel est qu’il n’y a pas eu, du moins dans cette période qui a précédé la création de l’Etat d’Israël, de dépossession par la violence.
La deuxième grande différence, c’est que généralement les colonisateurs ont fait travailler la population autochtone sur ces terres, ce qui n’a pas été le cas en Israël, seule la population juive a travaillé. Ceci a beaucoup marqué la société israélienne, fortement égalitaire.

A la création de l’Etat, les structures socio-économiques, indispensables au fonctionnement efficient de l’économie, existent, la Histadrout (syndicat ouvrier et en même temps important employeur) avait été créée en 1920-1922, de même que l’Agence Juive (future administration étatique), aussi en 1948, lorsque l’Etat fut créé, les institutions étaient prêtes à fonctionner.

On a évoqué le dynamisme de la société, la croissance économique remarquable mais il faut noter une très forte instabilité. A chaque guerre et lors des Intifadas, le taux de croissance de l’économie a chuté.
Un renversement se produit en 1977 avec l’arrivée du Likoud au pouvoir. Après des années de gestion socialiste, il s’engage vers une gestion beaucoup plus libérale qui va se ressentir au niveau des inégalités dans l’économie.

Quelques données concrètes :
• Depuis quelques années la croissance est de 5%. Or chacun se plait à répéter que la paix est indispensable au développement économique. Si, comme on peut l’espérer, la paix s’installe, on peut donc attendre une croissance très supérieure à 5% !
• Les réformes de libéralisation de l’économie entreprises dès 1985 : la maîtrise de l’inflation (2,8%), le faible déficit public (1% du PNB) ont permis la diminution du chômage, actuellement à 7%. La balance commerciale est excédentaire (+ 4 milliards de dollars en 2007) ainsi que la balance des paiements (+ 5 milliards de dollars).
• Les investissements étrangers en Israël sont plus importants que la somme des investissements étrangers en France et en Allemagne.
• Il vient d’être décidé que la monnaie sera convertible, or il n’y a que dix-sept monnaies dans le club – très fermé – des devises convertibles, c’est dire la confiance que l’on a dans le Shekel israélien. Celui-ci s’est d’ailleurs réévalué de 30% par rapport au dollar et de 6% par rapport à l’euro en deux ans, ce qui pose des problèmes à l’économie israélienne sans empêcher pourtant la balance d’être excédentaire.
• -L’entrée d’Israël dans l’OCDE, club très fermé de pays développés, constitue aussi un indicateur important.

The Economist a publié en avril dernier un dossier complet sur les soixante ans d’Israël. Concernant l’économie, ce journal parle de « miracle », ajoutant « et mirages », car, disent-ils, s’il est vrai qu’Israël innove (les dépenses de Recherche et développement, par rapport au PNB sont les plus élevées au monde : près de 4,8% contre 2,1% en France), Israël ne sait pas retenir les entreprises innovantes. Elles innovent, ensuite elles vendent, car le marché intérieur étant trop exigu, les entreprises émigrent. (notons qu’une grande entreprise fait exception, Intel, qui a choisi de développer des unités de production en Israël même). The Economist le reconnaît mais pense que cette entreprise devra reconsidérer son implantation dans le pays. La présentation du journal révèle le contraste entre le côté miraculeux et l’envers du décor, plus compliqué. Il reste qu’en France on se contenterait d’un déficit public à 1% et d’un taux de chômage à 7%, surtout si l’on tient compte de l’environnement extérieur d’Israël extrêmement hostile.

En contrepoint des aspects positifs de l’économie israélienne, il convient de relever également les points négatifs.

En premier, on observe que la société israélienne est dualisée, en ce sens que les inégalités ont fortement augmenté alors que le pays a été habitué à une société fortement égalitaire. Aujourd’hui, le taux de pauvreté est de plus de 20%, (plus de 30% pour les enfants), et à Jérusalem il atteint 36%.
Une des causes importantes de cette situation est le faible taux d’activité des hommes adultes. Il est, en particulier, le fait de deux catégories de personnes : les Arabes israéliens et les juifs ultra orthodoxes.

La deuxième cause est la médiocre qualité de l’Education nationale. En France, nous sommes habitués à un système scolaire uniforme. En Israël cohabitent plusieurs systèmes scolaires. Les ultra-orthodoxes, les orthodoxes, les laïcs, les arabes ont leur propre système scolaire, et aujourd’hui, les Russes demandent à avoir leur propre système ! La qualité de l’enseignement commence à se dégrader.

Il y a aussi un problème d’infrastructures et de qualité du service public dont tout le monde se plaint en Israël. D’une manière générale, autant le secteur privé est dynamique, autant la gouvernance publique est défaillante, y compris la classe politique. Les Israéliens ne sont pas satisfaits de leur classe politique, aussi ils se demandent par qui ils vont remplacer les hommes en place. Ceci contraste avec la vigueur du débat public. Nulle part, pas même en France, le débat public n’est aussi ouvert, aussi critique. Cette ouverture a des aspects positifs mais crée une société très contestataire.

On ne peut ignorer le problème des minorités. Outre la population arabe israélienne, les Bédouins posent un grave problème à la société israélienne. Il y a aussi le problème des Juifs éthiopiens, arrivés il y a quelques années, qui s’intègrent plus ou moins bien. Des sortes de ‘tribus’ coexistent ainsi en Israël et l’avantage du système parlementaire, c’est que chaque tribu est représentée au Parlement, donc le débat est possible.

Je voudrais maintenant, si vous le permettez, Monsieur le Président, vous faire part de l’existence du « Groupe d’Aix » et vous dire le travail qui a déjà été accompli par ce groupe et ce qu’il projette d’effectuer dans les prochains mois.

Le Groupe d’Aix
Le Groupe d’Aix est un groupe de travail unique qui produit et diffuse des documents de recherche (“position papers”) qui tendent à identifier des scénarios économiques et à suggérer des recommandations économiques, dans le but de promouvoir des solutions « gagnant-gagnant » pour les Palestiniens et les Israéliens. Le groupe comprend des économistes palestiniens, israéliens et internationaux, des universitaires, des experts et des politiques (« policy makers »), aussi bien que des officiels, qui y participent en tant qu’observateurs.

Formé en France il y a six ans sous les auspices de l’Université Paul Cézanne-Aix-Marseille III, et en coordination avec le Centre Peres pour la paix en Israël et DATA (Centre d’études et de recherches) en Palestine, le Groupe d’Aix est dirigé par le Professeur Gilbert Benhayoun, de l’Université Paul Cézanne d’Aix-Marseille III. Les responsables du Groupe sont, du côté israélien, le Professeur Arie Arnon de l’Université Ben Gurion du Negev, et du côté palestinien, Monsieur Saeb Bamya, conseiller économique de la Fédération Palestinienne des Industries, et ancien Ministre adjoint à l’Economie Nationale.

Première étape de la recherche : la Feuille de Route Economique (FRE) (2004)
Considérant que le contexte économique est essentiel pour construire une paix durable entre les Palestiniens et les Israéliens, le Groupe d’Aix publie son premier document de recherche (“position paper”), issu de la collaboration entre Palestiniens, Israéliens et internationaux, en janvier 2004. Il est intitulé « Feuille de Route Economique » (FRE). Ce document examine les différentes options permettant d’établir les relations économiques de long terme entre Palestiniens et Israéliens, et il est rédigé avec à l’esprit l’étape III (accords définissant le statut permanent – « permanent status arrangements ») de la feuille de route politique (“Road Map”). Cette étude analyse les futures options dans les domaines monétaire, fiscal, du commerce, du travail, et de l’investissement.

Deuxième étape de la recherche : Israël et la Palestine : entre le Désengagement et la Feuille de Route Economique (2005)
En mai 2005, le Groupe d’Aix publie son second document intitulé « Israël et la Palestine : entre le Désengagement et la Feuille de Route Economique ». Il analyse les risques et les bénéfices du plan de désengagement unilatéral de Gaza et de la Cisjordanie, mis en œuvre par Israël durant l’été 2005. Les résultats potentiels qui découlent du désengagement sont examinés, de même que ses effets sur la survie de l’économie palestinienne. De plus, ce document recense les conditions nécessaires pour lier plan de désengagement et solutions optimales pour les relations économiques de long terme entre les deux pays, telles qu’elles étaient présentées dans la Feuille de Route Economique.

Troisième étape de la recherche : Les dimensions économiques d’un accord entre Israël et la Palestine (2006-2007)
En novembre 2005, le Groupe d’Aix débute sa troisième étape. Fort de son expérience et des résultats obtenus, le Groupe identifie quatre questions d’importance économique majeure qui constituent le contenu de cet ouvrage : (1) La coopération économique à Jérusalem selon différents scénarios ; (2) Les aspects économiques de la solution à la question des réfugiés palestiniens ; (3) La coopération dans le domaine des infrastructures ; et (4) l’examen des problèmes économiques actuels (“Fast Track Group”) tels que le travail palestinien en Israël, les accords commerciaux transitoires et le développement de la Vallée du Jourdain.

Les résultats mettent en évidence l’importance des questions économiques dans le conflit et dans sa résolution. Ils permettent également d’offrir aux décideurs régionaux et internationaux une base solide à partir de laquelle des engagements sur le statut final peuvent être adoptés. L’information présentée dans ce livre prend en compte les perspectives palestiniennes, israéliennes et internationales, ce qui assure une recherche et une analyse aussi impartiales que possible.

Pour plus d’informations sur le Groupe d’Aix et pour télécharger les publications précédentes, veuillez, s’il vous plaît, visiter le site du Groupe d’Aix : www.aixgroup.org.

Jean-Pierre Chevènement :
Merci, Monsieur le Professeur, d’avoir posé le problème économique, rarement abordé.
A l’évidence, si Israël est une éclatante réussite du point de vue de la construction d’un Etat, créé dans toute sa diversité en partant de rien, le même problème se pose pour les Palestiniens. La création d’un Etat palestinien suppose un plan de réinstallation des réfugiés, elle impose que la séparation négociée dont vous avez parlé débouche sur des formules économiques viables et que les revenus des Palestiniens ne proviennent pas exclusivement des activités exercées en Israël, dans les entreprises israéliennes.

A cet égard, vous avez mis le doigt sur un problème essentiel, celui des accords définitifs pour l’une et l’autre partie. En effet, la faiblesse du processus d’Oslo a été son gradualisme, ce choix de régler provisoirement certaines questions en remettant à plus tard les plus difficiles. Ce processus pouvait conduire au meilleur ou au pire. A certains égards, le rapport de forces déséquilibré qu’il comportait a conduit à l’enlisement. On peut se demander si la volonté politique d’arriver à des accords définitifs pour les Palestiniens comme pour les Israéliens existe dans la société israélienne, compte tenu de la faiblesse de la gouvernance dont vous-même et Monsieur Moïsi avez parlé.

Nous avons un Etat dont l’autorité fait problème. Face à une société extrêmement vivante, il évoque beaucoup notre IVe République (Monsieur Moïsi a parlé d’ « italianisation »). Cette faiblesse pose directement le problème de la colonisation et celui des tendances profondes à l’œuvre dans la société israélienne : Quel Israël veut-on construire ? Est-ce un Etat juif ? Pour tous les Juifs ? Pour ceux qui le souhaitent ? Jusqu’où ?

Je vais laisser Jean-Yves Camus le soin de nous proposer ses vues sur ces questions difficiles.

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