L’échec de la stratégie de Lisbonne

Intervention prononcée par Françoise Bouvier, maître de conférences à l’Université de Franche-Comté, au colloque du 18 février 2008, Quel gouvernement économique de la zone euro ?

Merci, Monsieur le Président.
La stratégie de Lisbonne a été initiée en 2000. Son credo était « …de faire en sorte que l’Europe devienne l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde, capable d’une croissance économique durable, accompagnée d’une amélioration quantitative et qualitative de l’emploi et d’une plus grande cohésion sociale. »
Ces quelques tableaux sommaires montrent les évolutions :

DEPENSES DE R&D EN POURCENTAGE DU PIB

en % 2000 2001 2002 2003 2004 2005 Objectif 2010
UE 1,9 1,9 1,9 1,9 1,84 1,84 3
Allemagne 2,5 2,5 2,5 2,5
France 2,2 2,2 2,2 2,2
EU 2,68
Japon 3,18
Chine 1,34

Entre 2000 et 2005, les dépenses de recherche et développement de l’Union européenne sont passées de 1,9% à 1,84% du PIB alors que l’objectif 2010, fixé par la stratégie de Lisbonne, était de 3%. Il est clair que cet objectif ne sera pas atteint.
Des disparités apparaissent : l’Allemagne était à 2,5% jusqu’en 2003 – alors que la France était à 2,2% – mais la Roumanie est à 0,4% alors que certains pays nordiques sont à plus de 3%. Ceci révèle une réelle hétérogénéité.
Les Etats-Unis en 2004 sont à 2,68%.
Tout cela doit être relativisé car les PIB de la Chine, des Etats-Unis et de l’Union européenne sont très différents : le PIB de la Chine représente un cinquième du PIB des Etats-Unis dont le PIB est légèrement supérieur à celui de l’Union européenne.

PROGRESSION ANNUELLE, EN TERMES REELS, DES DEPENSES EN R&D

2001 à 2004 ou 2005
UE 27 1,5 %
CHINE 18,2 %
FEDERATION DE RUSSIE 8,6 %
EU 2,6 %
JAPON 3% à 3, 2%

Dans l’Union européenne, les dépenses en R&D ont progressé de 1,5%. Ce chiffre est à mettre en rapport avec la progression en Chine (18,2%) qui, même si elle part de beaucoup plus bas, montre une dynamique formidable, comme la Russie et d’autres pays. Les Etats-Unis ont toujours une progression largement supérieure à l’Union européenne, le différentiel recherche & développement avec les Etats-Unis ne cesse donc de se creuser.

DEPENSES DE R&D FINANCEES PAR LE SECTEUR DES ENTREPRISES

2004
UE 27 54,9%
dont FINLANDE 69%
dont SUEDE 65%
dont ALLEMAGNE 66,8%
dont FRANCE 51,7%
EU 64 %
JAPON 75 %
CHINE 66 %

L’objectif de Lisbonne était que les deux tiers des dépenses de recherche & développement fussent financées par le secteur privé, donc par les entreprises. Or, en 2004, dans l’Union européenne, les entreprises ne financent que 54,9% des dépenses. Là aussi s’observent de grandes disparités entre la Finlande (69%), l’Allemagne (66,8%) et la France (51,7%). Ceci explique en partie l’échec des pôles de compétitivité qui avaient justement été créés, dans l’objectif de la stratégie de Lisbonne, pour amener les entreprises à financer la recherche et le développement. Chacun sait que, dans beaucoup de pôles de compétitivité, ce sont en fait les collectivités territoriales et l’Etat qui financent, par différents fonds.
Aux Etats-Unis (64%), au Japon (75%), en Chine (66%), le secteur privé est beaucoup plus investi. On observe, de ce point de vue, une véritable faiblesse de l’Union européenne.

Ces chiffres sur la recherche et le développement sont à corréler avec ceux qui concernent l’éducation :

EDUCATION / LES CHIFFRES DANS L’UE

Indicateurs 2000 2005 2006 Objectif 2010
Pourcentage de la population âgée de 20 à 24 ans atteignant au moins un niveau de secondaire supérieur 76,6% (Allemagne : 74,7% – France : 81,6%) 77,4%(Allemagne : 71,5% – France : 82,6%) 85%
Taux de sortie prématurée du système éducatif des 18-24 ans (ni études ni formation après le 1er cycle du secondaire) 17,6% 15,3% (Allemagne : 13,8% – France : 13,1%) 10%

La stratégie de Lisbonne se dote essentiellement de deux indicateurs :
Le premier indicateur est le pourcentage de la population âgée de 20 à 24 ans atteignant au moins un niveau de secondaire supérieur. En 2000, 76,6% de la population atteignait ce niveau, en 2005, 77,4%. En cinq ans, la progression est infime. De toute évidence, l’objectif de 85% ne sera pas atteint. Observons que l’Allemagne régresse (74,7% en 2000, 71,5% en 2005), alors que la France progresse légèrement.
Le deuxième indicateur est le taux de sortie prématurée du système éducatif des 18-24 ans qui, au-delà du premier cycle du secondaire ne s’engagent ni dans des études, ni dans une formation. L’idée de la stratégie de Lisbonne était d’abaisser le seuil à 10%. Or, en 2000, 17,6% de personnes sortent du système éducatif quasiment sans formation et en 2006, ce taux atteint encore 15,3% : il a très peu baissé et, là non plus, l’objectif ne pourra être atteint.

Il est intéressant de comparer les dépenses pour l’éducation dans la zone euro et aux Etats-Unis :

DEPENSES POUR L’EDUCATION

Dépenses pour l’éducation en pourcentage du PIB en 2003 Dépenses pour
Zone euro 5,4 % France : un peu + de 6 % – Allemagne : un peu + de 5 % -DK, Suède, Norvège : + de 6% 2,5 fois moindres qu’aux EU
EU 7,3 %

[TABLE]

Ces chiffres montrent combien il est difficile en Europe, en particulier dans la zone euro, de former des chercheurs, donc d’être performant dans la recherche et le développement.

Je rappelle que la deuxième partie de la citation était « … capable d’une croissance économique durable, accompagnée d’une amélioration quantitative et qualitative de l’emploi… »

TAUX DE CROISSANCE ECONOMIQUE

Moyenne 2000 2002 à 2005 2006 Objectif 2010
UE 3,9 % (Allemagne : 3,2 % – France : 3,9 %) 1,9 % (Allemagne : 0,6 % – Italie : 0,6 % -France : 1,9 % ) 2,9 % (c/ 2, 7 % zone euro – Allemagne : 2,7 % – Italie : 1,9 % – France : 2 % – Lettonie, Estonie: plus de 11 %) 3 %
EU 3,7% 2,9% 3,3%
Chine Plus de 10%
Japon 2,1%
Inde 6,7%

L’Union européenne avait en 2000 un taux de croissance économique de 3,9% (3,7%pour les Etats-Unis). Après la récession, de 2002 à 2005, l’Union européenne stagne à 1,9% ; l’Allemagne et l’Italie plongent à 0,6%, la France fait un peu moins mal, à 1,9%. En 2006, la croissance de la zone euro est toujours plus faible que la croissance de l’ensemble de l’UE ; l’Allemagne a retrouvé une croissance à 2,7%, l’Italie à 1,9%, la France à 2%. Les nouveaux membres de l’UE tirent leur épingle du jeu mais si la Lettonie et l’Estonie sont à plus de 11%, il faut savoir que ce taux de croissance ne suffit pas à résorber leur taux de chômage très important.
Les taux de croissance en 2006 des Etats-Unis (3,3%) de la Chine (plus de 10%), du Japon (2,1%) et de l’Inde (6,7%) confirment ce que l’on connaît.
L’objectif de 2010 : 3% n’est pas forcément à portée de main surtout si une récession vient des Etats-Unis et de la crise de l’immobilier.

TAUX D’EMPLOI

2000 2005 2006 Objectif 2010
UE 62,2 % 63,4 % 64,3 % (Danemark : 77,4 % – Pays-Bas : 74,3 % – Suède : 73,11 % – France : 63 %) 70%
EU 74,1% 71,5%

Les taux d’emploi progressent très faiblement dans l’UE entre 2000 et 2005 et restent loin de l’objectif 2010 de 70%. Toutefois, certains pays, comme le Danemark, les Pays-Bas, la Suède dépassent largement ce taux tandis qu’en France le taux d’emploi n’atteint que 63%. Les Etats-Unis, quant à eux, voient leur taux d’emploi régresser.

TAUX D’EMPLOI FEMININ

2000 2006 Objectif 2010
UE 53,2% 57,1% (Danemark : 73,4 % – Suède : 70,7 % – Finlande, Pays-Bas : entre 67 et 70 %) 60%

Le taux d’emploi féminin de 60% est peut-être un des seuls objectifs que l’UE atteindra en 2010 puisqu’il a déjà progressé de 53,2% en 2000 à 57,1% en 2006. Le Danemark (73,4%), la Suède (70,7%), la Finlande et les Pays-Bas le dépassent déjà largement tandis que l’Allemagne et la France restent en deçà.

TAUX D’EMPLOI DES TRAVAILLEURS AGES PLUS DE 55 ANS

2000 2005 2006 Objectif 2010
UE 36,9% 42,5% (France : 37,8 %) 43,5% (France : 37,6 %) 50%
EU 60,8%
Japon 63,9%

Le taux d’emploi des travailleurs âgés de plus de 55 ans est très révélateur de ce qu’est une société. Les chiffres ci-dessus montrent qu’il est peu probable que l’Union européenne atteigne l’objectif de 50% fixé pour 2010. Il est intéressant d’observer que la France fait encore moins bien en 2006 (37,6%) qu’en 2005 (37,8%), alors qu’aux Etats-Unis le taux est de 60,8% et au Japon de 63,9%.

Ceci vous donne une idée des objectifs de la stratégie de Lisbonne qui, de toute évidence, ne seront pas atteints.

Dès décembre 2003, le Parlement européen a parlé d’échec ; le Premier ministre néerlandais, Monsieur Wim Koch l’a confirmé dans un rapport de novembre 2004 et, surtout, au printemps 2005, la Commission – qui n’a pas l’habitude de battre sa coulpe – déclare dans une communication sur les lignes directrices pour la croissance et l’emploi en 2005-2008 : «La stagnation de la reprise économique dans l’Union européenne reste préoccupante. L’économie de l’Union européenne est, à divers égards, plus éloignée de son objectif « devenir l’économie la plus compétitive du monde » qu’en mars 2000. »

Pourquoi cet échec ?
Les raisons apparaissent à la lecture de la stratégie de Lisbonne qui comportait plus d’une centaine de lignes directrices : trop d’objectifs, pas de visibilité. De plus les compétences et le choix des moyens incombaient aux Etats, or l’UE n’a pas de moyens de contraindre les Etats ; ceux-ci ne se sont pas appropriés la stratégie de Lisbonne. L’Europe s’est trouvée confrontée à la concurrence de pays comme la Chine ou l’Inde adossés à des marchés intégrés qui disposent d’une main d’oeuvre très bon marché, très qualifiée, des marchés protégés alors que le marché européen est resté très ouvert.
En 2005, l’Union européenne a tenté de relancer la stratégie de Lisbonne en prévoyant un recentrage sur la croissance et l’emploi, avec plusieurs lignes directrices intégrées qui devraient servir de base à des plans d’action nationaux. Ces plans d’action ont été remis par la plupart des Etats européens. Cette stratégie risque de ne pas être plus opératoire que celle de 2001 parce que ses défauts n’ont pas été gommés : pour l’essentiel, l’Union européenne n’a pas la main ; elle propose une intervention dans des domaines qui ne relèvent pas principalement de sa compétence. Les Etats-Unis ne prenant pas le relais, la contrainte de la concurrence mondiale pèse sur le développement de la recherche.
Il faudrait prendre des mesures pour développer la recherche & développement : pour la Commission, l’une des cause de l’échec est le fait que l’intensité d’emploi n’est pas suffisante – il n’y a pas suffisamment d’heures travaillées en Europe – et la baisse constante de la productivité s’explique essentiellement par un déficit d’innovation. C’est donc bien sur la recherche et le développement qu’il faudrait mettre l’accent.
On pourrait imaginer que les dépenses de recherche & développement ne soient plus comptabilisées dans les dépenses prises en compte pour calculer les déficits publics autorisés aux pays européens.

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