Politique sociale du logement et politique foncière
Intervention prononcée lors du colloque du 14 janvier 2008, Territoires et classes sociales en France dans la mondialisation.
Merci, Monsieur le Président.
Quand on parle de territoires et classes sociales en France dans la mondialisation, la situation francilienne est incontournable. Il ne s’agit pas là de tropisme jacobin ou de parisiano-centrisme mais d’une réalité qui vient d’être décrite fort brillamment. A mon tour, je veux souligner certains aspects de cette réalité et esquisser des réponses fortes à partir de mon expérience d’élu.
La métropole francilienne est l’une des rares villes-monde européennes, et la situation francilienne a des traits très différents de ceux des autres villes françaises. Bien que certaines évolutions soient communes, la région Ile-de-France est directement connectée à la globalisation et sa puissante dynamique inégalitaire. Par bien des aspects, l’Ile-de-France est gagnante.
« Région capitale » économique avec ses bureaux, « Région carrefour » avec les réseaux de communications ferroviaires et aéroportuaires, Région musée avec le tourisme qui n’est pas la moindre des activités économiques. L’Ile-de-France est au cœur de la globalisation. Mais pour utiliser une image parlante, celle que les médias internationaux ont précieusement mise de côté pour décrire l’autre réalité française durant les émeutes de 2005, ce que sur CNN on appelait les « Paris Riots », l’Ile-de-France est aussi à l’avant-garde de la crise urbaine. La turbo-ville peuplée de « turbo-Gédéon » (selon l’expression de Gilles Chatelet) côtoie une autre réalité. Celle que je connais bien comme maire d’une ville de 25000 habitants au bord du périphérique et vice-président du conseil régional en charge du logement, de l’action foncière et du renouvellement urbain.
Depuis la fin des années soixante-dix, l’Ile-de-France est confrontée à un triple mouvement de gentrification des quartiers de centres-villes autrefois populaires, de relégation de quartiers dont les populations ont décroché et expérimentent au quotidien le poids des « discriminations négatives » (expression empruntée à Robert Castel) et de périurbanisation. Gentrification, relégation et périurbanisation sont désormais les trois temps de la ville. Ces trois phénomènes ne sont pas le résultat d’une volonté politique unique ou d’un grand plan. Ce sont des évolutions économiques et sociales qui ne sont pas propres à l’Ile-de-France et qu’ont connues de nombreuses grandes villes occidentales. Toutefois, la politique n’a pas été absente de ces évolutions :
• Lorsque la France giscardienne a fait le choix de renverser la politique du logement des aides à la pierre vers les aides à la personne et à lancer la fuite en avant dans le pavillonnaire et le lotissement.
• La politique n’est pas absente des quartiers de relégation qui font l’objet d’une grande attention publique constante dans le discours, fluctuante dans les moyens et les voies proposés à travers ce qu’on appelle la politique de la ville.
• La politique n’a pas non plus été étrangère à l’éviction des classes populaires des centres-villes qui est le point de départ de la gentrification.
Cette triple évolution est venue s’inscrire en Ile-de-France sur un terrain initial différent de celui des autres villes françaises : dans notre région le poids des couches supérieures, en raison de la centralisation politique, administrative et économique, est historiquement beaucoup plus fort que dans les autres villes françaises. Les classes moyennes et supérieures représentaient déjà 40% de la population active au recensement de 1982, elles représentent plus de 50% au recensement de 1999, marquant bien l’exceptionnalité de la situation francilienne alors que dans le reste du pays les classes intermédiaires et populaires sont majoritaires.
Cette situation, qui semble plus confortable et plus aisée, produit de plus forts contrastes, une fracture sociale et territoriale que les évolutions économiques et sociales récentes ont renforcée avec le recul de la mixité sociale.
Les deux Ile-de-France ont continué à se séparer mais pas sur le modèle centre-périphérie. L’agglomération unipolaire du milieu du siècle dernier n’existe plus et l’Ile-de-France a bien évolué sous l’impulsion de l’Etat et de Paul Delouvrier vers un modèle polycentrique. Paris intra-muros, avec son Ouest traditionnel, son Centre muséifié et son Est gentrifié, n’est pas le seul pôle de richesse de notre région:
• La Défense à l’Ouest
• Le pôle aéroportuaire de Roissy au nord
• Les cinq villes nouvelles, dont le bilan est certes contrasté mais qui en termes d’emplois et de dynamique économique constituent un succès.
• De Saint Quentin à Evry, un pôle sud n’est pas encore stabilisé.
La richesse ni la pauvreté ne sont distribuées selon le modèle centre-périphérie. Les zones de relégation constituent des intervalles plus ou moins larges que l’on trouve du fond de la Seine-et-Marne et du Val d’Oise jusqu’au centre de Paris où il reste quelques poches de pauvreté. On voit une tout autre Ile-de-France où prospèrent le désespoir et ses multiples manifestations, les stratégies de survie dans leurs multiples variantes, plus ou moins légales.
Cette dynamique inégalitaire ne peut laisser indifférents les politiques, élus nationaux et locaux. La logique de séparation ne se combat pas par le simple slogan de la « mixité sociale », fort sympathique mais dont personne ne veut vraiment et souvent seulement chez les autres. Quel est l’enjeu ? Il s’agit de construire des villes équilibrées qui ne correspondent pas à une logique de spécialisation et qui doivent se penser dans le territoire d’un bassin de proximité articulant ensemble emploi, logement, transport. Nous avons pour cela un outil, c’est le logement social. Un outil bien imparfait mais irremplaçable.
Le logement social n’est pas le logement des pauvres et ne doit pas le devenir. C’est une assurance collective contre les aléas de la vie, mais aussi le moyen de la mixité sociale dès lors qu’on s’attache à diversifier les couches sociales : couches modestes et très modestes et classes moyennes ou intermédiaires. Au regard du pouvoir d’achat, dans un contexte de flambée des prix, il faut mesurer que d’une part le poste logement dans le budget des ménages est au premier rang des dépenses et atteint en moyenne environ 25% et d’autre part près de 70% des ménages ont accès au logement social. La crise francilienne du logement appelle une réponse en termes d’accès au logement locatif qu’il soit social ou privé plutôt que l’accès à la propriété qui est loin d’être sécurisé.
Le logement social souffre d’un mal profond : l’absence de pilote. Aujourd’hui personne n’est responsable. Beaucoup agissent avec des niveaux d’intervention plus ou moins élevés mais personne n’est responsable. C’est un mouvement qui s’est continuellement aggravé depuis la réforme de 1977. Il suffit de regarder la part que représente logement dans le budget de l’Etat, elle a fondu comme neige au soleil en intégrant les aides à la pierre et en les agglomérant avec les aides à la personne. Il suffit d’avoir en tête la montée des autres acteurs du logement, qui n’ont pour cela aucune compétence : régions, départements, communes. Il n’y a que l’intercommunalité dont la capacité ait été reconnue depuis la loi de 1999 sur les EPCI dont chacun connaît l’auteur (Jean-Pierre Chevènement).
Le droit opposable au logement semble renouer avec le principe de responsabilité mais, selon moi, à travers une responsabilité nationale et non étatique. La justice sera rendue au nom du peuple français, le bon droit des demandeurs sera donc reconnu par la nation mais pour la mise en œuvre effective les préfets retrouveront leur rôle d’animateur d’un réseau d’acteurs (collectivités locales, bailleurs, 1%…) sans responsabilité explicite. Accélérant la judiciarisation de la vie sociale, le droit au logement opposable ne règle pas la question de la responsabilité.
L’exécutif régional auquel je participe a demandé pour l’Ile-de-France, la délégation des aides à la pierre en matière de logement. Le gouvernement a dans un premier temps été sensible à nos arguments avant de changer de pied. Les régions ont été les grandes perdantes de l’acte 2 de la décentralisation, le logement en est malheureusement une preuve éclatante alors que c’est un des fondamentaux de l’aménagement.
Il y a quelques jours, le président Huchon disait lors de ses vœux : « Nous sommes tous les enfants de Paul Delouvrier ». Je ne peux qu’être sensible à l’hommage rendu à la planification et à la vision stratégique de Paul Delouvrier. Mais, je sais aussi qu’il existe en matière d’héritage une loi trop souvent vérifiée : la première génération constitue le capital, la deuxième le gère, la troisième le dilapide. J’ai bien peur qu’en l’état actuel nous soyons dans une phase de gestion qui n’est pas porteuse de la dynamique et du volontarisme nécessaires pour relever le défi de la cohésion sociale. On pourrait par exemple imaginer en Ile-de-France la création d’une autorité organisatrice du logement sur le modèle du Syndicat des Transports Franciliens. Ce serait une bonne façon de sortir de cette phase gestionnaire.
Sans assurance de reconnaissance de son action, le conseil régional a engagé une politique sociale du logement et pas seulement une politique du logement social. En six ans, notre volonté est d’aider la construction de 120 000 logements sociaux et d’en réhabiliter 120 000 autres. La construction doit répondre aux besoins soit à l’échelle régionale 82% de logements sociaux ou très sociaux et 18% pour le PLS (logement social haut de gamme). L’Etat de son côté finance plus de 35% de PLS ! Les opérations doivent être mixtes 1 PLS pour 3 PLUS et/ou PLAI si la commune a moins de 20% de logements sociaux, 1 PLS pour 1 PLAI et 1 PLUS si la commune a entre 20% et 40% de logements sociaux.
Le logement social est un outil de cohésion et de diversité mais aussi un outil d’aménagement, le dernier outil qui permet une planification en matière d’habitat. Nous ne pouvons compter ni sur des investisseurs institutionnels qui se désengagent et qui déconventionnent, ni sur la myriade d’opérateurs privés qui bénéficient de la manne d’argent public déversé sans aucune orientation stratégique de l’Etat en matière d’investissement locatif privé. Le logement social est désormais le seul outil disponible pour une politique volontariste.
Construire partout du logement social diversifié permet de réduire les logiques de spécialisation territoriale. Mais on ne le fera pleinement qu’à condition de garder le parc social ouvert au plus grand nombre. C’est là un autre danger du droit au logement opposable qui est porteur de la spécialisation du logement social vers les situations les plus difficiles et l’urgence. Le DALO conduira à aggraver également les inégalités territoriales puisque les attributions auront lieu dans les communes déjà pourvues de logements sociaux. En Ile-de-France, la moitié du logement social est dans 10% des communes et la moitié des communes n’ont pas de logements sociaux !
Le DALO est un anti-SRU alors qu’il faudrait dans un premier temps faire respecter la loi SRU sur tout le territoire et dépasser la logique des sanctions financières qui n’est qu’un droit de péage, d’ailleurs trop faible, pour rester entre soi. La puissance publique doit retrouver son sens et se substituer. La simple menace crédible de la substitution de la puissance publique permettrait de trouver bien souvent des solutions. Aussi, sur toute la France, 750 communes doivent se mettre en conformité et atteindre 20% de logements sociaux dont 186 villes en IDF. Sur ces communes, on peut constater qu’un tiers respecte, qu’un tiers fait des efforts mais ne rattrape pas le retard et un tiers ne fait rien ou presque. Il faut que cette loi qui mérite d’être renforcée soit déjà appliquée dans sa clause de substitution de la puissance publique. Mais l’application de la loi SRU ne suffit pas.
Car aujourd’hui, l’Ile-de-France a besoin d’un effort de construction massif et si l’on veut pouvoir échapper au triptyque gentrification-relégation-périurbanisation, il faut garder un outil logement pour tous. En Ile-de-France, on sent une volonté publique forte chez la plupart des acteurs locaux.
Si nous n’avons pas obtenu la délégation des aides à la pierre, nous avons par contre connu un demi-succès avec la création d’un établissement public foncier qui couvre 5 des 8 départements franciliens. Est-il utile de vous préciser les trois récalcitrants : les Hauts-de-Seine, les Yvelines et le Val-d’Oise. Peut-on faire plus caricatural en matière d’égoïsmes locaux et de soustraction à la solidarité régionale ? Même partiel, notre EPF agit et a connu dès sa première année des résultats très satisfaisants pour activer le foncier, lutter contre la spéculation et accompagner les maires bâtisseurs : Les acquisitions foncières en cours sur les cinq départements permettront déjà la construction de 9000 logements dont environ 30% de logements sociaux. Les logements sont articulés avec l’emploi, puisque environ 400 000 m² de locaux pour le développement économique sont également prévus.
Il n’y pas de politique du logement sans politique foncière. Et avec l’EPF nous avons l’outil pour cela. Le foncier exploitable n’est pas rare, il est cher. La volonté de lutte contre l’étalement urbain nous oblige à travailler plutôt dans les zones denses que ce soit en première ou en grande couronne. Cela renchérit d’autant le coût du foncier et l’intervention publique est indispensable pour lever la contrainte financière. C’est une note positive qu’il est important de relever.
Il faut aussi nous atteler au renouvellement urbain, aux quartiers ou territoires en relégation sur lesquels on intervient cahin-caha depuis le début des années quatre-vingt. Une intervention forte est nécessaire pour requalifier ces quartiers, y mettre de l’emploi et permettre l’accès à l’emploi, faciliter les déplacements par des transports en commun qui faisaient souvent défaut et créer un habitat de qualité et diversifié. Les interventions de l’ANRU y contribuent (la Région Ile-de-France s’est engagée dans un partenariat avec l’ANRU qui s’élève à un milliard d’euros) et en veillant à la qualité des projets, à la participation des habitants et au « un pour un ». Et en Ile-de-France, à côté de cette intervention, l’action de l’EPF est souvent complémentaire à proximité de ces quartiers comme Bondy, Bobigny ou Alfortville.
2008 nous promet un débat post-électoral important sur la gouvernance francilienne. Je vais en dire deux mots pour conclure. Depuis le district parisien jusqu’au mille-feuilles actuel, nous pouvons tirer des leçons utiles de l’histoire. Si nous ne voulons pas aggraver la fracture entre les deux Ile-de-France, la solidarité territoriale doit jouer pleinement. C’est évidemment vrai à travers le logement, ça l’est aussi en matière de ressources fiscales. D’une manière générale, le modèle de la communauté urbaine me semble complètement inadapté à la réalité francilienne qui est depuis longtemps polycentrique et qui a vocation à l’être encore plus à l’avenir avec l’émergence de Plaine Commune ou de la Vallée de la Bièvre. En regard de cette réalité, une communauté urbaine relèverait de l’erreur médicale lourde. Diagnostic erroné, traitement contre-productif. Mais, il n’y a qu’un seul point à retenir de la communauté urbaine c’est la solidarité fiscale indispensable à la cohérence de notre territoire.
Voilà, Mesdames, Messieurs, l’esquisse de réponses dont je voulais vous parler, qui mériteraient d’être développées. Elles montrent finalement qu’il y a un chemin lorsque la volonté existe d’agir pour une politique républicaine de l’égalité sociale et territoriale.
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