Politique étrangère : priorités

Alain Dejammet
Ne pas dissocier la « politique étrangère » de la « politique » tout court. La « politique » est la gestion courante de la « chose publique », la république dans laquelle nous vivons et, dans un monde qu’il est banal de dire « mondialisé », c’est-à-dire ouvert à tous les vents, affaires extérieures et intérieures se tiennent. Tout projet, tout programme doit donc prendre en considération l’état de nos voisins ou de nos lointains cousins. Evidence moins répandue qu’il n’y paraît. La mondialisation ou plus exactement la juste conscience de la mondialisation consisterait à agir en tenant compte des effets sur autrui de ses actes en prévoyant donc en amont conséquences et réactions de ce qui est encore aujourd’hui l’étranger. Exemple : Il était sage de la part de la France d’imaginer ce qu’une invasion militaire de l’Irak risquait de susciter (terrorisme, guerre civile, hausse des prix de l’énergie, montée en puissance de l’Iran) et de s’éloigner de cette funeste opération.

La priorité apparente d’un gouvernement, c’est de traiter les affaires comme elles viennent, toutes graves, toutes urgentes, les crises. Et bien sûr, il faut le faire. Mais la priorité des priorités est de réfléchir lucidement à l’avenir, d’avoir à vie humaine une vision des chances mais aussi des risques, sur le temps au moins d’une génération, et d’en tirer les leçons.

De ce point de vue, simple mais exigeant, la première priorité est de prévoir les principaux défis qui s’imposeront à notre pays et réfléchir, travailler dès à présent à les relever.

Trois défis, trois conséquences.

Le premier défi est celui de l’empire du marché et de sa conséquence mécanique, compte tenu de la disparité des coûts de production : le passage destructeur et aveugle d’une économie réelle à un économie hypothétique de niches virtuelles et de rentes.

Si la concurrence absolue est laissée libre cours, les écarts de population, de protection sociale et de charges de production sont tels à travers le monde que tout notre système de création de biens réels sera jeté bas. Les ateliers, les services seront délocalisés, mais les rentes, accaparées par quelques fonds, ne reviendront pas longtemps vers ceux que l’on licencie. Et que l’on ne nous dise pas, sur le ton de la suffisance intellectuelle, que la France et d’autres peuvent, à raison de leur extrême sophistication, conserver à l’avenir quelques niches de haute technologie, l’interrupteur en céramique plutôt que l’assiette en porcelaine, la robe du soir époustouflante plutôt que le bleu de travail. Ces « niches » auront un temps, court. Tout ce que nous faisons, de la centrale nucléaire, de l’Airbus, du train magnétique allemand à la nanotechnologie peut être fait à terme (cinq, dix, quinze ans) par un Chinois, un Indien, un Brésilien, un Africain. La réalité des réalités, c’est de ne pas se croire plus malin que les autres.

Conséquence : on peut projeter l’image d’une France, dans trente ou cinquante ans, terre de tourisme, parcourue de retraités et de randonneurs, monde d’hôtels, de logis campagnards, de cafés, de sympathiques plagistes, moniteurs de ski, serveurs de restaurant, gardiens de musée. Tout cela est bel et bon jusqu’au jour où Japonais et Chinois se lasseront des châteaux de la Loire, du Luberon et de l’Ile de Ré, et préfèreront ce qui reste de la banquise arctique et des sables du Sahara.

Soyons donc réalistes : Exaltons comme tout le monde les vertus du marché mais d’un marché qui ne soit pas structurellement inégal, un marché dont les acteurs ont à peu près les mêmes chances, les mêmes changes, les mêmes avantages. Il n’est pas illogique ni immoral que les pays qui ont fait progresser l’humanité en améliorant les conditions de vie des populations s’emploient à généraliser et préserver cet « acquis » (pour parler comme autrefois on parlait dans la Communauté Européenne).

Etre réaliste, c’est ne pas céder à l’économie-fiction, à la fiction tout court. Croit-on vraiment qu’un pays tout entier puisse vivre d’une économie virtuelle, faite de simples échanges d’informations, de communication, ou même de services, financiers, bancaires, assurances ? Le tout, très excitant à décrire devant son écran d’ordinateur, sera, une fois de plus à la merci d’une soudaine et meilleure performance venue par rafales d’Asie, d’Afrique ou d’Amérique latine. Quitte à parler de bien immatériel, constatons que le travail productif, industriel, agricole, est aussi une valeur indissociable encore de notre mode de vie. L’Allemagne, si souvent citée, en est aussi l’exemple. Les contempteurs d’une France laborieuse nous opposent les taux, placements, rendements d’un modèle britannique ou américain. Opposons leur la réalité d’une France qui ne se borne pas à communiquer et à facturer et qui ne renonce pas à manufacturer. De ceci dérive, on le sait, une exigence : celle que l’économie, c’est-à-dire la vie d’un pays, ne soit pas abandonnée aux seuls calculs des gestionnaires de fonds et aux commentaires apitoyés des experts, mais qu’elle soit barrée par des équipages démocratiques, donc élus, volontaristes, bien décidés à remettre de l’ordre dans le désordre des monnaies et à sauver, quand l’équilibre d’une région l’exige, les gisements de ressources et de travail.

Le deuxième défi est celui de l’énergie.
On en parle. On subit soudain les emballements de prix du pétrole. On s’affole. On court à Bruxelles consulter un livre qualifié de « vert » pour faire écolo. Mais on n’y trouve pas, alors que tant célèbrent l’Europe qui a réponse à tout, de « politique énergétique ». Chacun pour soi, le libre faire l’emportant, et de loin, sur les jalons de ce qui serait une authentique et pragmatique « construction européenne ». Etre sérieux en ce domaine, c’est admettre que nous n’avons ni pétrole ni gaz mais qu’heureusement une politique volontaire nous dota à temps d’un fort potentiel nucléaire. Gardons celui-ci, accroissons le, perfectionnons le (en s’attaquant surtout au problème de l’élimination des déchets). Mais restons clairvoyants. La France ne fonctionnera pas de sitôt aux rayons de Phébus, aux bourrasques de vent, aux vapeurs du purin, au jus de tournesol. Charbon, pétrole vont encore longtemps rester nécessaires ; une génération au moins. Où sont-ils ? En Chine qui s’en repaîtra seule ; en Afrique ; au Moyen Orient ; en Europe, c’est-à-dire pour ceux qui veulent l’ignorer, en Russie. De ce constat physique suit une conséquence froide. Il faut garder un accès aux ressources énergétiques de ces régions et pays. On voit assez les effets en matière de politique étrangère. Peu chaut que l’angélisme souffre. Mais l’important sera de combiner des approches appelant au respect et au contrôle du respect des droits de l’homme et l’accès garanti à long terme au pétrole, au gaz russe ou moyen-oriental. Il y va du legs à la génération suivante d’un mode de vie convenable.

Le troisième défi, on le voit bien, est celui de la réflexion sur les paramètres acceptables, à vingt ou trente ans, d’un mode de vie sage, c’est-à-dire de l’équilibre à ménager entre consommation d’énergie et protection de l’environnement.
Relever ce défi exige d’abord un effort technologique national, justiciable, une fois de plus, d’une action volontaire. Qui jugerait encore rentable, si l’Etat n’était pas là, d’élever des parcs d’éoliennes, de poursuivre les travaux sur l’énergie solaire, celle des marées ? Qui, si l’Etat ne se décidait un jour à y mettre obstacle, résisterait à la course stupide à l’embonpoint des voitures, aux prétentions de ces S.U.V. à sillonner Saint-Germain-des-Prés comme à transporter de malheureux marines patrouillant à Bagdad ? Mais la dimension internationale, diplomatique est tout aussi importante puisque les frontières n’arrêtent ni le vent, ni le soleil, ni le CO2. Il y a là beaucoup à faire. Deux certitudes : si nous ne prévenons pas à temps les grands pays émergents du risque d’adopter le modèle de consommation occidental actuel, qui devra impérativement changer, cette planète est perdue. L’Agence des Nations Unies chargée de ces problèmes a-t-elle été efficace, suffisante ? La réponse est évidemment non. C’est marquer la direction des efforts multilatéraux à entreprendre.

Voici donc les trois défis qui portent sur le moyen et long terme mais que nous devons avoir à l’esprit dès aujourd’hui : préserver l’équilibre de la société française et maintenir en particulier sa capacité manufacturière. Ne pas attendre des miracles en matière énergétique et donc compter sur les ressources là où elles se trouvent ainsi – tâche plus difficile – que sur les gouvernements de ces régions. Faire de l’écologie comme Monsieur Jourdain fait de la prose mais en convaincre les derniers arrivants, plutôt goulus, au banquet de la consommation.

* * *

Dans l’immédiat, les mois qui viennent, ce sont cependant les questions du jour qui mobiliseront la réflexion : Europe, Afrique, Moyen-Orient, puissances émergentes, Nations Unies.

Quelle priorité ?

Le sujet quotidien sera bien sûr l’Europe parce que, jour après jour, se présenteront les échéances, le calendrier qu’il faut honorer et qui, vite, glouton, avale tout : réunions innombrables de Bruxelles, du Luxembourg, de Strasbourg, binômes, triangles, dialogues, sommets etc. Le sujet qui presse, c’est bien celui-ci : la vie quotidienne de l’Europe. Vivons la, prosaïquement à la manière de beaucoup des partenaires dits sérieux de l’Europe, les Hollandais, les Luxembourgeois…, sans chaise vide, sans effets de manches et d’annonce. Gardons nous bien, on l’aura compris, de replonger tête baissée dans le potage amer d’une redélibération d’une Constitution qui n’était ni réclamée ni aimée.

Ce Traité n’était pas bon. Il fut l’œuvre d’une élite, sans doute savante, peut-être bien intentionnée mais qui, comme il arrive dans le feu des cuissons, perdit ses bases. Il a été rejeté ! Ne perdons pas notre temps à en recoller les morceaux. L’Europe économique et sociale que l’on imagine ne tient pas dans les chapitres actuels, reflets de la pratique passée, sur les politiques. Mais les titres institutionnels ne sont pas non plus la bonne recette. Ils tendent à guinder l’Europe, à lui placer carcan alors que celle-ci, élargie surtout de nouveaux pays, se forme pragmatiquement, par expériences. Deux exemples : si les règles du Traité avaient prévalu, une majorité aurait contraint, en 2003, l’Allemagne, la Belgique, la France, à suivre l’engouement anglais pour l’invasion de l’Irak, sauf à faire jouer la clause d’intérêt vital. Et l’Europe se serait compromise durablement dans la plus grave erreur politico-militaire de ce début de siècle.
Que l’on ne nous dise pas que le Traité jetait les bases d’une Europe puissance, d’une Europe de la défense. Les chantres du Traité n’ont jamais osé citer in extenso le paragraphe 7 de l’article du Traité relatif à la politique de sécurité et de défense commune qui dit, explicitement, que « l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord reste, pour les Etats qui en sont membres, le fondement de leur défense commune et l’instance de sa mise en œuvre ». Si l’OTAN, avec son commandement militaire américain est reconnue par les Européens, par leur propre Traité, comme « l’instance de la mise en oeuvre de leur défense commune », quelle place, quel rôle reste-t-il pour une politique et une entreprise de défense propres aux Européens ? La supériorité du Traité de l’Atlantique Nord est tout simplement consacrée et scellée dans le projet rejeté de Constitution européenne.

Que l’on ne dise pas non plus qu’il faut à tout le moins sauver la protection des droits de l’Homme et donc la Charte des droits fondamentaux. Avec une petite différence : Certains textes de la Convention, notamment en matière de laïcité, sont plus précis et satisfaisants.

Ne nous hâtons donc pas de remettre l’ouvrage sur l’établi. Concentrons-nous sur les problèmes urgents à régler, sur les projets pratiques à configuration variable, à poursuivre ou forger. Les programmes d’infrastructure, les choix énergétiques, l’avenir à donner à la recherche, à l’éducation s’imposent. Prenons à bras le corps la responsabilité d’une politique de l’euro au lieu de laisser les Etats-Unis achever, à coups de dollar faible, de nous chasser des marchés extérieurs. Soyons d’autant plus concrets, décidés, que nous ne perdrons pas notre temps à sombrer dans la schizophrénie, à baptiser un Ministre des Affaires étrangères alors qu’aucun ministre de l’Union Européenne ne renonce à parler au nom de son pays à New York, aux Nations Unies, alors que Monsieur Solana n’a pas vraiment compté dans le dernier cessez-le-feu arraché par la France, cet été, au Liban.

L’Europe, donc, au quotidien, preuve de notre application, à l’écart des débats et ratiocinations constitutionnelles qui viendront à leur temps quand une volonté commune européenne, une « affectio societatis », comme diront alors les juristes, se sera mieux dégagée.

Mais la réalité du monde, en dehors de cet exercice obligé et permanent, exige, de la France en particulier, un effort exceptionnel, face à deux régions : l’Afrique et le Moyen-Orient.

Plaçons l’Afrique avant le Moyen-Orient, et ceci en dépit de l’insistance médiatique qui braque l’attention sur l’Est méditerranéen et le Golfe.
Plaçons l’Afrique en tête de nos préoccupations et d’un calendrier d’actions.
Parce que l’Afrique, à terme un continent d’espoir (population ouverte croissante, dynamique, richesses évidentes) est aujourd’hui un foyer tragique de tensions et de guerres.
A nos portes, l’Afrique est à notre heure, à la portée aussi, peut-être d’efforts français et européens :
– Pour tenter de régler les conflits qui la déchirent – et qui traînent – de la Sierra Leone, de la Côte d’Ivoire à la Somalie, en passant par la République Centre Africaine, la République Démocratique du Congo, le Tchad, le Soudan… la France est engagée, diplomatiquement, militairement. L’exercice est dangereux, tel qu’il est déjà apparu en Côte d’Ivoire. Il doit être en permanence apprécié, réévalué mais l’enjeu est le retour à une certaine stabilité, c’est-à-dire très simplement l’arrêt des combats meurtriers. Il veut que l’implication française, qui n’est pas contestée, se poursuive à la double condition que tous efforts soient également tentés pour amener à côté de nous, comme en RDC, des forces européennes, et qu’en dehors des accords stricts de défense, la caution des Nations Unies soit donnée pour légitimer, comme en Côte d’Ivoire, RDC, Soudan, le recours à la force.

– Pour ordonner le développement économique de l’Afrique. Les ressources européennes et africaines ne sont pas concurrentes. La perspective d’une relation équilibrée où l’Europe se pourvoit en priorité en Afrique de plusieurs matières premières et produits de base, du pétrole, bois, au coton alors que l’Afrique continue de s’ouvrir à la technologie et aux biens d’équipement ou aux services européens, est raisonnable. Elle supposerait des accords. Elle impliquerait que l’on redonnât vie aux anciens fonds de stabilisation des recettes africaines d’exportation. Elle supposerait donc un écart par rapport aux impératifs les plus intransigeants d’une libération radicale des marchés. Au nom de ce dernier principe, des entreprises chinoises arrachent des marchés de matières premières mais exportent également des systèmes entiers de production (usines et main d’œuvre venues de Chine) qui ruinent les industries locales. Déjà plusieurs pays et régimes regimbent devant les signes d’une nouvelle exploitation de l’homme et du sol africains. Il y a place pour une approche inédite de la France et des Européens qui souhaiteraient s’y associer.

– Pour tenter d’asseoir un nouveau système, plus réaliste, d’institutions politiques et de défense des droits de l’Homme. Chacun sait bien, en Afrique, que la démocratie ne règle pas tout si l’élection porte au pouvoir une équipe qui accaparera les ressources du pays et amènera l’opposition, ainsi rejetée, à recourir aux armes. Il faut donc aider à prôner le partage du pouvoir de sorte que toutes les familles politiques jouent le jeu des élections, sans crainte de tout perdre. Pareillement faut-il encourager toutes formes de défense des droits de l’Homme et donc de justice pour les coupables de violations. Mais l’Europe et la France ne peuvent rester insensibles à la manière, propre aux Africains, dont ils ont réglé ou cherchent encore à régler les situations d’après conflit, en préférant parfois, comme en Afrique du Sud, l’établissement de la vérité puis le pardon à la punition. Etre proche de l’Afrique, c’est aussi l’écouter et ne pas l’astreindre à suivre nos verdicts.

Pour agir ainsi face à l’Afrique, la France et les Européens doivent changer d’approche et de rythme. L’Afrique, ou plutôt telle ou telle crise, ne sont pas un point de l’ordre du jour, coincé entre des thèmes plus médiatiques, lors d’une réunion de Bruxelles. L’Afrique ne doit pas être non plus le parcours sans cesse rebattu de voyages-éclair, mi-politiques, mi-humanitaires où s’encombrent dans les antichambres, les délégations nationales, régionales, départementales, internationales.

Prendre au sérieux l’Afrique n’est pas l’affaire d’un sommet de deux jours avec photo de famille, discours et tapes dans le dos. C’est un engagement qui doit être affirmé par toute une équipe gouvernementale de travailler, par visites, déplacements ou autres moyens d’échange plus modernes, durablement, fréquemment, de faire des bilans réguliers, d’annoncer les résultats de sorte que l’opinion sera consciente et jugera.

L’effort médiatique n’est pas nécessaire pour le Moyen-Orient tant ici, les informations, les commentaires abondent. On en connaît aujourd’hui le ton général : désastreux. Faut-il tourner la page de la malaventure américaine en Irak et regarder ailleurs ?

Pas nécessairement, parce que certaines leçons doivent être méditées si l’on veut à tout prix éviter à l’avenir la répétition d’erreurs très coupables, très coûteuses. Oui, la France avait eu raison à propos de l’Irak, face aux Etats-Unis, au Royaume-Uni et malheureusement aussi à cette poignée de jeunes membres de l’Union européenne qui donnèrent un si mauvais visage à l’élaboration d’une politique étrangère commune. Oui, la France avait eu raison de plaider pour un système de contrôle sans limite de temps qui aurait prévenu l’Irak d’acquérir des armes de destruction massive tout en recommandant une suspension des sanctions, afin de sauver ce qui pouvait être sauvé de l’économie irakienne civile et donc de sa classe moyenne. Oui la France avait eu raison de soupçonner, sans le dire cependant ouvertement, les ambitions pétrolières de certains de nos amis auxquels souriait l’idée de contrôler les gisements irakiens. Oui enfin la France avait eu raison de prévoir l’abominable gâchis qui en est résulté et qui déstabilise aujourd’hui l’ensemble du Moyen et du Proche Orient.

Rappeler ceci n’est pas de la « délectation morose » quand on mesure que le pire est toujours possible et qu’une lamentable erreur de calcul, comme celle faite par l’administration américaine en 2002-2003 pouvait se renouveler à propos d’autres secteurs du Moyen-Orient, l’Iran par exemple. D’où la nécessité d’avoir bonne mémoire et de rester sur ses gardes quitte, de temps à autre, à rafraîchir les souvenirs de nos amis.

Sur le fond, aujourd’hui, quant à l’Irak, aucune solution n’est sûre. Mais une préconisation absolue s’impose, aux fins à tout le moins de désarmer les préventions des populations du Moyen-Orient ; et qui serait l’engagement pris par tous les pays importateurs de pétrole de renoncer à se disputer et acquérir des parts de gisements ou de production du pétrole irakien. James Baker, dans son rapport récent sur la situation en Irak, va dans cette sage direction. Tout dans ce rapport, excessivement axé cependant sur la défense des « intérêts américains », est d’ailleurs raisonnable, y compris et surtout la recommandation faite au pouvoir irakien de partager équitablement les richesses pétrolières entre les régions et de réintégrer dans le système les anciens Baassistes.

S’attaquer au cœur des tensions irakiennes, alors que les communautés se déchirent, dépasse sans doute aujourd’hui les capacités des Occidentaux. Du moins ceux-ci pourraient-ils jouer modestement à la périphérie en évitant des flambées du côté iranien ou syrien.

Le cas de l’Iran est connu. Vieille civilisation, vieil orgueil, vieille aspiration à se doter, comme le Shah le souhaitait lui-même, de la panoplie de la puissance, y compris dans le nucléaire, civil ou militaire. Civil, on ne peut le contester à l’Iran car les textes signés ou votés en font obligation. Malgré le raisonnement de ceux qui plaident pour les vertus apaisantes de l’équilibre nucléaire militaire, à l’instar du calme observé entre Inde et Pakistan, l’accession de Téhéran à l’arme nucléaire qui ne paraît pas cependant immédiate, doit être combattue. Elle susciterait par ricochets les ambitions des pays arabes sunnites, Arabie, Egypte ; elle pourrait réveiller les desseins libyens et donnerait des idées aux Algériens. Quel moyen d’amener l’Iran à renoncer au nucléaire militaire ? L’isolement, entrepris depuis longtemps par les Etats-Unis n’est pas, malgré le caractère inacceptable des déclarations d’Ahmaninejad, la solution. L’homme, qui bénéficie d’un réel soutien dans tout l’arc chiite du Proche Orient, a des appuis en Russie et en Chine et il peut poursuivre des campagnes insidieuses en Irak comme en Syrie et au Liban. Mais il faut bien, tout en se refusant à des contacts gouvernementaux directs, maintenir un dialogue avec l’Iran. Les écarts de Téhéran par rapport aux résolutions votées par le Conseil de sécurité justifient enfin quasi machinalement l’adoption de sanctions qui n’auront peut-être pas grand effet sur le programme nucléaire iranien mais pourraient faire réfléchir les dirigeants moins fanatiques, comme ce fut le cas en Libye.

Ne nous y trompons pas cependant. Le jour où Washington aura renoué avec Téhéran, ce seront les Européens qui devront prier les Etats-Unis de ne pas précipiter le pas.

La même démarche peut s’appliquer à Damas. Il est excellent d’avoir obtenu du Conseil de sécurité en septembre 2004 (mais avec l’abstention des Russes et des Chinois) une résolution (1559) qui a forcé la Syrie à retirer ses troupes du Liban et qui prévoit aussi la dissolution des milices (Hezbollah). Il est juste que nous réclamions que tous les efforts soient faits pour permettre à la justice de juger, si on les identifie, les responsables des assassinats politiques, Rafic Hariri et autres. Mais peut-on asseoir la paix au Liban sans Damas et le Hezbollah ? Peut-on, pour la France, seule d’ailleurs en Europe à préconiser une ligne aussi intransigeante, tourner le dos au fils – qui ne vaut pas le père mais qui est là – d’Hafez El Assad ? La réponse raisonnable est non. On ne peut ignorer l’influence, brutale ou insidieuse, de Damas. Les Européens sont trop heureux sur ce point de se démarquer de nous. Retenons-les sur la pente des retrouvailles faciles et des concessions mais acceptons ensemble de travailler à préserver l’essentiel : une formule permettant, tout en reconnaissant le rôle du Hezbollah et ses bons rapports avec la Syrie et l’Iran, de sauvegarder la souveraineté et l’indépendance du Liban.

La partie sera amère. Voyez l’évolution du Général Aoun, sauvé par la France, à sa prière, de la vindicte syrienne et qui, aujourd’hui, par ambition, peut-être aussi par réalisme, recherche l’alliance du Hezbollah et campe, vêtu d’orange, sur les places de Beyrouth dans la meilleure tradition de ces mouvements de contestation, parrainés de Belgrade à Tbilissi et Kiev par les Américains pour renverser les pouvoirs établis.

Des urgences gravissimes se présenteront peut-être bientôt touchant la Finul. Cette force des Nations Unies, déployée après le cessez-le-feu entre Israël et le Hezbollah, en août 2006 et qui comprend un fort contingent français, n’a pas mission explicite de désarmer la milice chiite, ce qui assurément provoquerait conflit. Mais la résolution, durement négociée par les Américains en contrepartie d’un cessez-le-feu qui stoppait l’offensive blindée israélienne, contient, comme il est de règle dans un compromis, des formules ambiguës. A la demande des forces armées libanaises, la Finul devait aider celles-ci à faire respecter la démilitarisation d’une zone d’exclusion au Nord de la frontière. On peut imaginer que l’armée libanaise ne réclamera pas avec beaucoup d’insistance l’appui de la Finul pour obtenir le désarmement que le Liban tardera à mettre en œuvre. Le risque est évidemment qu’Israël juge alors sous peu que la Finul pas plus que l’armée libanaise n’exécutent leur mandat en ce qui concerne la création-démilitarisation de la « zone d’exclusion ». Prétexte serait alors trouvé pour plaider, au moins devant le gouvernement américain la nécessité d’une opération de Tsahal. La Finul présente deux risques : affronter le Hezbollah, servir par une relative inaction de prétexte à une offensive israélienne à laquelle, logiquement, dans l’exercice général de son mandat (préserver la souveraineté et l’intégrité du Liban) elle devrait s’opposer.

Le dilemme qui peut se présenter bientôt est grave. Il ne pourrait vraiment être éloigné que si les gouvernements libanais, syrien et le Hezbollah convenaient d’une formule d’allègement des milices qui satisferait, au moins en apparence, Israël. Force est de reconnaître que le poids américain réclamé par James Baker, autant sur Israël que sur Beyrouth et Damas serait utile.

La scène s’éclaircirait si progressait le règlement du conflit israélo-palestinien. Les données d’une solution sont connues depuis soixante ans : retrait – reconnaissances réciproques – garanties de sécurité. Faut-il, une fois de plus, attendre un revirement américain et plaider, par habitude, pour une Conférence internationale ? Ne pouvons-nous pas faire un peu plus, avoir le courage de discuter, là encore comme pour l’Afrique, longuement, sérieusement, avec tous les secteurs de l’opinion publique israélienne ? Est-il impossible de faire revivre un courant de pensée proche de celui qui s’affirmait sans embarras au temps du Premier ministre israélien Isaac Rabin, assassiné ? Si Israël, comme il est nécessaire aux termes des résolutions du Conseil de sécurité, se retire de la quasi-totalité des territoires occupés, nous devons, en revanche, être intransigeants sur les contreparties : la reconnaissance juridique de l’Etat d’Israël qui est une condition indispensable à l’instauration d’une situation de non-belligérance et l’établissement de garanties de sécurité. Le mur, s’il est ramené au tracé des frontières, pourrait bien être, malgré le coup porté à l’idéologie très onusienne des relations amicales, une précaution physique acceptable pendant une phase. Le déploiement à la frontière, de part et d’autre, d’une présence armée internationale, englobant des contingents des cinq membres permanents du Conseil de Sécurité, pourrait enfin être compris par Israël. Quant à Jérusalem, cœur ô combien symbolique et disputé du conflit, rien ne s’oppose à ce que la ville soit proclamée capitale de l’un ou l’autre Etat.

Mais la difficulté cruciale sur laquelle butèrent, à l’été 2000, les négociations de Camp David, est le statut des lieux saints des trois religions. Palestiniens comme Israéliens rejetteront toute idée de vivre dans une ville à statut international, mais il n’est pas impossible d’imaginer que les seuls lieux saints (bâtiments – espaces cultuels nombreux mais identifiables) soient placés, tout en restant propriété souveraine des Etats d’Israël et de Palestine, sous la protection juridique d’une instance internationale, garantissant l’accès des fidèles et pèlerins et bannissant toute nuisance ou gêne de voisinage. Ce statut international, non pas de la ville mais des lieux saints, sans préjudice aucun des questions litigieuses de souveraineté, a été parfois évoqué, sans beaucoup d’insistance, par le Saint Siège. La France y fit allusion dès 1949 en imaginant avec justesse confier ce régime de protection aux Nations Unies (Conseil de sécurité aujourd’hui).

* * *

Proche et Moyen-Orient, Afrique, ce sont là les priorités diplomatiques. Elles ne peuvent se confiner au politique et à l’économique et elles doivent, en ce début de XXIe siècle, embrasser la sphère culturelle. Dialogue des cultures ! Combien de structures qui, de part et d’autre de la Méditerranée sont censées s’en préoccuper à grands renforts de colloques, conférences, réunions savantes où chefs d’Etats et ministres passent en courant. Tenons-nous en à un seul souhait : qu’un jour les ministres de tous bords acceptent de passer un ou deux jours entiers à feuilleter (avec traductions) les manuels d’Histoire respectifs de leurs pays, et à comparer. Ils seront édifiés sur l’étendue du fossé et l’urgence d’un retour à la raison.

Hors l’Afrique et le Moyen-Orient, le reste du monde peut directement affecter notre existence économique quotidienne mais il exige moins d’initiative politique.

Ainsi paradoxalement des Etats-Unis : Nous sommes alliés, en rapport excellent compte tenu de l’ancienneté de nos relations, des valeurs communes et de l’aide qui nous lie réciproquement en cas de défense (et sachons à ce sujet, sans jouer les fanfarons, ne pas minimiser les pertes françaises de 1939 à 1945, supérieures en nombre, soldats et civils confondus, à celles de nos libérateurs américains ; sachons calmement remémorer l’aide très précieuse apporté par la Résistance et les services de renseignement français à la préparation du débarquement). Alliance donc naturelle, sans complexe, où chacun, avec ses moyens, joue sa partie. Mais ne faisons pas de l’OTAN plus qu’elle n’était destinée à être, et ne la transformons pas en organisation à vocation mondiale, concurrente de l’ONU. Ne croyons pas non plus indispensable d’équilibrer ou pis racheter quelques vérités saines dites au début de 2003 par des apports disproportionnés pour se « rabibocher » à propos ou sous prétexte de Liban ou de Syrie. Soyons donc présents, jamais très éloignés des Etats-Unis, amicaux, tranquilles, lucides sur la tendance profonde qui portera de plus en plus ceux-ci à traiter avec embarras la Russie, à s’intéresser, en revanche, de plus en plus, à la santé de leur principal créancier : la Chine. Ayons donc, avec les Etats-Unis, loin des cabrioles britanniques, bien mal récompensées, une relation « benoîte ».

La Russie exige davantage de manœuvres, non pour être très proche mais pour gérer une relation « saine ». Terminons-en donc avec cette vague de gloriole et de suffisance qui conduisit tout ce que l’Occident avait d’experts en nouvelle économie, à se répandre sur la Russie de Eltsine comme les Carpetbaggers d’après la Guerre de sécession. Terminons-en avec les années de capitalisme effréné qui ont abouti à créer une caste de « nouveaux riches » dont l’écume se retrouve aujourd’hui, poursuivie par Poutine, de Londres à Monaco. Soyons donc moins arrogants, tâche facile quand il s’agit de comprendre les hantises russes devant ce que Moscou perçoit comme un processus d’encadrement, via l’Otan, et de dépècement sans fin. C’est à la mesure de la distance que nous mettrons vis-à-vis des manœuvres atlantiques en direction des Baltes ou de l’Ukraine que nous devons d’autant mieux rappeler nos exigences en matière de respect des droits de l’Homme. Mieux notre fermeté vis-à-vis de l’élargissement de l’OTAN sera comprise, meilleures seront les chances de faire passer un message de réprobation devant les excès militaires ou policiers à l’intérieur. Reste – c’est une évidence – que les Russes connaîtront notre dépendance future à l’égard de leurs ressources énergétiques. Ils font déjà affaire avec Berlin. Voilà bien un terrain où peut se ranimer l’entente franco-allemande.

Et la Chine, l’Inde, et puis l’Amérique latine, le Brésil ? Soyons francs. La France se fait entendre en Afrique, au Proche et au Moyen-Orient, aux Etats-Unis, en Russie. La France compte moins au Japon, en Chine, où l’Italie la dépasse comme partenaire commercial. Est-ce regrettable sur le plan politique ? Pas nécessairement. La Chine s’absorbe fiévreusement dans son développement économique, faisant flèche de tout bois, qu’il s’agisse de transfert de technologie ou d’investissements et elle accueille Paris aussi bien que Londres ou Berlin.
Mais Pékin ne commence que très lentement à peser sur la scène diplomatique mondiale. Pendant les années de contentieux irakien, la Chine, jusqu’à la crise de 2003, s’est abritée derrière les prises de position françaises, autrement vives et claires. Même prudence vis-à-vis de l’Iran, de Damas, d’Israël. Pékin observe, suit, s’abstient. Il n’est aucun sujet, hors Taiwan, où la Chine prenne l’initiative, recherche notre appui ou s’étonne d’une de nos attitudes. Même indifférence politique à l’égard de l’Afrique, Pékin voulant bien s’entendre avec tous ceux, la très grande majorité aujourd’hui, qui ont rompu avec Taiwan. Mais à couvert de cette politique lisse qui mène la Chine à courtiser du Soudan au Zimbabwe tous les hommes forts quasi dictateurs, Pékin mène en revanche une offensive économique très structurée, visant au contrôle du plus grand nombre de sites d’énergie et de matières premières. Parfois, la Chine franchit les bornes de ce qui est acceptable quand des armées de travailleurs, sans doute repris de justice en quête d’allègement de peine, sont déversés sur un territoire africain dans des conditions qui bafouent toutes les normes d’humanité. Un geste, une indignation ne seraient pas mal venus.

L’Amérique latine séduit parce qu’une vague de dirigeants, pas toujours nouveaux mais se réclamant d’idées de justice sociale, d’égalité, de gauche au sens large, est aujourd’hui aux affaires dans la plupart des pays. Belle revanche sur la période où les Etats-Unis imposaient leur loi et tentaient de tenir à distance les Européens. Ces pays (Venezuela, Bolivie) contestent les Etats-Unis. Se rapprochent-ils de l’Europe ! Bien peu, hors de l’Espagne pour des raisons de culture, car ils n’aiment pas notre politique agricole commune, nos quotas sucriers, bananiers etc. Se rapprochent-ils des autres continents du Sud, Afrique, Asie, pour reconstituer un bloc Sud-Sud, opposé au Nord, souvent évoqué, jamais vraiment consolidé ? Non, car les grandes puissances de l’Amérique latine, Brésil en tête, jouent leur jeu national avec une rare rudesse et se placent en Afrique en concurrents directs de la Chine et de l’Inde. Le monde se dissocie, se complique. Il n’évolue pas vers l’émergence de quelques blocs. Il éclate en unités très distinctes allant de la future puissance ambitieuse, le Brésil au trublion bolivien ou vénézuélien.

Mais raison de plus pour la France si, s’estompant l’héritage culturel, les chaudes sympathies cariocaises, de se retrouver à l’aise face à un mouvement rapide, inégal, changeant. Soyons donc mobiles. Allions-nous ici (Angola – Cameroun) contre la guerre d’Irak, là pour un changement du Conseil de sécurité (Brésil – Inde – Japon). Soyons mobiles, sans fausse modestie mais sans illusion. Ces pays, qui auront leur heure de gloire puis des difficultés et connaîtront peut-être dans dix, vingt ans une perte d’influence, nous sauront au moins gré de les avoir pris au sérieux à temps, de les avoir écoutés, encouragés sans nous être tenus aux stricts canons, politiques ou moraux, de l’Alliance atlantique.

* * *

Mobilité, Le mot est dit. C’est celui qui doit, en fin de compte, rythmer le souffle de notre politique étrangère, notamment sur ce théâtre naturel que sont les Nations Unies.

L’ONU est loin d’être l’arbitre des conflits, l’organisateur d’un développement économique équilibré, le protecteur des droits de l’Homme. Pour une raison simple qui est que dans le monde tel qu’il est, les Etats se déclarent encore avant tout comme des Nations, corps vivants, indépendants, avec passé et avenir et défendent avec acharnement leur droit de disposer d’eux-mêmes, autre facette de ce que la Charte de l’ONU appelle « l’égalité souveraine des Etats ». Mais l’ONU est la scène par excellence où se heurtent, compromettent et peuvent s’accommoder toutes ces volontés. Sur cette scène, par une disposition irréfragable, coulée à jamais dans le marbre de la Charte, la France bénéficie d’un rôle permanent. Il n’y a aucune raison de s’en excuser, d’avoir honte de ce privilège. Certains pays ont du pétrole, du gaz… et en tirent sans vergogne toutes sortes d’avantages. La France est membre permanent du Conseil de sécurité mais elle justifie ce statut en s’acquittant sans relâche de ses responsabilités. Gardons donc ce siège. Il n’est pas un Etat aux Nations Unies pour nous le contester et il est évident que les pays membres de l’Union Européenne sont loin, sur des sujets décisifs (Moyen-Orient : Irak, Proche-Orient, Syrie ou même Israël) de pouvoir dégager rapidement – clef du succès en cas de crise – une position commune, un vote unique. Parlons bien sûr comme tout le monde de la réforme des Nations Unies et d’abord de celle du Conseil de sécurité, mais soyons réalistes et ne pensons pas que celle-ci est pour demain. Voyons les choses en face au lieu de rêver : les pays d’Amérique latine ne s’entendent pas sur le choix du Brésil pour rejoindre le club fermé des cinq permanents, ceux d’Afrique se disputent un ou deux sièges supplémentaires, la Chine, dans un rare geste public et froidement déterminé, a fait savoir qu’elle opposerait son veto à la candidature japonaise.
Voyons plutôt ce qui est du domaine du possible :
– Une augmentation raisonnable, pas plus de dix mais de préférence cinq, du nombre des Etats non permanents qui pourraient cependant être aussitôt reconduits, après leur premier mandat de dix ans, pour un second mandat. A quinze, chiffre actuel, le Conseil de sécurité qui se réunit en fait tous les jours, comme une instance très professionnelle de régulation des crises, débat sérieusement, équitablement. A vingt, le tour de table sérieux est encore possible. A plus de vingt, on glissera vite vers l’aménagement de sous-groupes, d’instances de sous-traitance ou, plus grave, de commandement par les cinq membres permanents. Le Conseil, paradoxalement, deviendrait moins représentatif de la diversité des Nations Unies.
– La mise sur pied d’une commission de consolidation de la paix associant Conseil de sécurité, Conseil Economique et Social, Secrétariat des Nations Unies et institutions spécialisées pour gérer les situations d’après crises. C’est chose faite, et cette nouvelle constitution devrait mieux répartir les responsabilités et mieux sensibiliser l’ensemble des Nations Unies à l’entreprise commune de reconstruction d’un pays.
– La constitution d’un Conseil des Droits de l’Homme, plus actif et plus représentatif que l’ancienne Commission des Droits de l’Homme. C’est chose faite également depuis le sommet de 2005. Mais les Etats restent ce qu’ils sont comme on le voit aujourd’hui avec les réticences des pays africains et surtout musulmans à traiter énergiquement de l’affaire du Darfour. Or on ne peut se défendre du sentiment que nous réagissons aujourd’hui face à cette situation un peu comme les membres des Nations Unies début 1994 avant l’éclatement du génocide au Rwanda, avec distance, hésitations. Qu’en est-il exactement au Darfour où les ONG dites humanitaires se disputent sur les causes et la gravité de pertes humaines ? Au Secrétaire général de prendre au moins ses responsabilités, de passer plusieurs jours sur le terrain et d’en tirer leçon. A l’Union Européenne également d’écouter son envoyé et de dire ce qu’elle juge.
– Le renforcement du rôle du Conseil Economique et Social. Il ne s’agit pas, comme le suggérait Monsieur Camdessus et le Président de la République, de créer un nouveau Conseil compétent en matière économique et sociale, puisque celui-ci a existé depuis 1945 tout en ayant aujourd’hui perdu l’autorité et le prestige dont il disposait quand les ministres de l’Economie et des Finances participaient à Genève à ses discussions. Forçons donc nos ministres à reprendre le chemin du Conseil Economique et Social pour revitaliser son rôle, en rencontrant les pays du Sud au lendemain des réunions des pays du Nord au G8.
– Le renforcement du rôle du Secrétariat général.
C’est déjà chose faite pour le département du maintien de la paix, doté désormais d’effectifs et de compétences notamment militaires. Quant au sommet de l’édifice, le Secrétaire Général, le vrai problème est de garantir son indépendance. L’expérience prouve que Monsieur Koffi Annan fut poussé par les Américains à prendre des décisions administratives contre sa volonté. Le moyen de rendre le Secrétaire Général inaccessible aux intimidations serait de l’élire pour un mandat assez long (sept ans) mais unique, non renouvelable.

Peut-on encore rêver de francophonie ?
Oui, mais à la condition de se concentrer sur le multilinguisme et d’encourager, contrairement aux postures suffisantes des prétendus polyglottes, le travail des interprètes et traducteurs. Question de financement. Une surcharge très légère sur les transactions internationales (comme pour la lutte contre le sida) suffirait à sauver le corps des fonctionnaires interprètes et traducteurs et par là à sauver le recours aux différentes langues de l’organisation, et donc la nôtre.

On le voit, l’ONU offre à la France un terrain de manœuvre sans égal. L’avenir n’est pas à la recomposition du monde en blocs ou en pôles. Il est, paradoxalement, tourné vers un mouvement quasi brownien d’alliance, de rapprochement où une puissance moyenne comme la France, flanquée éventuellement de quelques parlementaires européens, a toutes ses chances de peser. Le monde multilatéral qui s’affirme n’est pas un monde multipolaire. Il nous offre davantage de perspectives d’action.
Sachons rendre celle-ci utile.

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