Intervention prononcée lors du colloque Où va l’Afrique du 30 octobre 2006.
Je voudrais dire tout le plaisir, et en même temps le grand honneur qui est le mien, de participer à ce vingtième colloque de la Fondation Res Publica sur le thème : « Où va l’Afrique ? »
Je souhaite avant tout remercier Monsieur le Président Jean-Pierre Chevènement pour son invitation et féliciter le conseil scientifique de la Fondation Res Publica d’avoir eu l’initiative d’organiser un tel colloque.
Monsieur Chevènement, avec sa rigueur habituelle et beaucoup d’à propos, a posé les questions essentielles qui sont, chacun en convient, d’ordre politique, économique et institutionnel.
Engager une réflexion sur ces questions, qui reflètent, au demeurant, les défis auxquels l’Afrique est confrontée, n’est-ce pas tenter d’examiner comment il serait souhaitable d’y apporter des réponses adéquates ? Telle sera donc la perspective de cette réflexion à haute voix qui, si vous le permettez, s’articulera sur une conviction et quelques pistes de réflexion.
D’abord, la conviction. C’est pour souligner qu’une autre Afrique est possible, une Afrique nouvelle, consciente de ses atouts et de ses faiblesses et déterminée à s’extraire du carcan du sous-développement et de la marginalisation pour s’engager résolument dans la voie de la croissance et du développement durable. Participent de cette dynamique la création de l’Union africaine (1), l’adoption d’un Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (Nepad) et la mise en place d’un mécanisme africain d’évaluation par les pairs (MAEP). Ces initiatives m’apparaissent essentielles. Les perspectives positives qui en résultent ainsi que le fort potentiel de progrès durable s’appuyant sur l’initiative et la responsabilité propre des pays africains sont, en effet, encourageants et méritent, à mes yeux, d’être pleinement soutenus, contribuant ainsi à permettre à l’Afrique de prendre la place qui lui revient au sein de la communauté internationale.
Mais alors, que faire ?
Je crois qu’il faut, d’abord, comme l’a souligné tout à l’heure le Président Chevènement, s’intéresser davantage à l’Afrique. Et pas seulement à cause de ses ressources qui sont considérables, cela a été rappelé tout à l’heure : 10% des ressources minérales du monde, de l’or, du diamant, du fer, de l’aluminium, du cobalt et j’en passe. C’est aussi un tiers du capital hydroélectrique du monde. C’est également 10% des réserves mondiales de pétrole et de gaz naturel [je rappelle au passage que l’Angola a fourni en 2004 près de 10% des importations de pétrole des Etats-Unis]. Mais il y a aussi la population africaine dont le rythme de croissance est impressionnant, le Président Chevènement l’a rappelé : nous serons à peu près 1 milliard 500 millions en 2050 lorsqu’en Europe vous ne serez que 600 millions. On peut, en effet, se demander si, dans ce cas, l’Afrique se déverserait sur l’Europe ? Et pourquoi faudrait-il que ce fût sur l’Europe plutôt que sur le Moyen Orient ou l’Amérique ? J’ajouterais, pour ma part que se désintéresser de l’Afrique serait aussi une faute politique majeure pour l’Europe dont les pays pourraient alors en subir les effets boomerang, notamment en matière de santé, d’immigration (l’actualité brûlante nous renvoie régulièrement en écho les clichés de Ceuta et Melilla) ou sécuritaire avec la propagation de l’intégrisme islamiste (notamment à travers la bande sahélo-saharienne dont une bonne partie de mon pays, le Mali, pourrait constituer le ventre mou et occasionner ainsi le déferlement sur un certain nombre de pays jusques et y compris l’Europe !).
Mais, s’intéresser à l’Afrique, c’est aussi un devoir pour l’Occident qui, me semble-t-il, n’a jamais pris la mesure complète du tort causé à l’Afrique du fait de l’esclavage et du colonialisme…
Répondre à la question « où va l’Afrique ? », c’est, ensuite, fondamentalement, repenser la problématique du développement du continent.
Cette exigence repose sur l’idée que l’Afrique ne saurait, sans grand danger, rester isolée dans sa misère et que son décollage constitue, dès lors, une nécessité mondiale. S’il est vrai que, des décennies durant, les volumes de l’aide – tant publique que privée – ont été importants, il reste que la question se pose de savoir si les objectifs donnés à cette aide, les formes qu’elle a prises et les procédures qui l’ont régie jusqu’ici ont été ou non pertinents. On pourrait, à cet égard, se réjouir de l’adoption de la Déclaration dite de Paris sur la réforme et l’efficacité de l’aide aux termes de laquelle il apparaît clairement, comme l’a remarqué un observateur averti de ces questions, que, mieux orientée qu’elle ne l’est actuellement, l’aide peut jouer un rôle décisif par le desserrement de certains freins et l’encouragement d’axes de développement plus porteurs. Autrement dit, il doit aujourd’hui être acquis que la responsabilité première du développement de l’Afrique incombe aux Africains eux-mêmes et que, subséquemment, l’aide ne doit être qu’un appoint aux politiques locales, à la bonne gouvernance et aux efforts des populations concernées. C’est de la sorte, me semble t-il, que l’on pourra donner une impulsion nouvelle à la lutte contre la pauvreté et pour une croissance économique durable en Afrique.
Permettez-moi, à cet égard, et comme m’y a invité du reste le Président Chevènement, de me référer à l’exemple de mon pays, le Mali, qui, comme vous le savez, est un pays sahélien confronté à des handicaps sérieux. Cependant, depuis quelques années, notre pays enregistre des progrès importants au triple plan politique, économique et social.
Au plan politique, le Mali consolide chaque jour davantage son modèle démocratique unanimement salué en Afrique et dans le monde. La stabilité économique et sociale ainsi que les avancées démocratiques ont favorisé le retour d’un climat de confiance et la mise en oeuvre de politiques de lutte contre la pauvreté. Le Mali s’est doté, à cet égard, d’un cadre stratégique de lutte contre la pauvreté (CSLP) qui fixe les orientations prioritaires de notre développement, notamment dans les secteurs sociaux – sécurité alimentaire, santé, assainissement – pour satisfaire au mieux les besoins fondamentaux de nos populations, et ce à travers la création d’un environnement propice à une croissance soutenue, le renforcement de la démocratie participative, la bonne gouvernance et l’Etat de droit. Au regard des résultats obtenus, le gouvernement malien achève d’élaborer, avec le concours de ses partenaires, un nouveau cadre stratégique dit de deuxième génération qui, outre les secteurs sociaux, prendra en compte les secteurs productifs que sont l’agriculture, l’industrie et le commerce. Dans le même ordre d’idées a été récemment adoptée une loi d’orientation agricole qui fait de l’agriculture le moteur de l’économie nationale afin de garantir l’autosuffisance alimentaire et assurer le bien-être des populations.
Prolongeant les efforts des pays africains, la communauté internationale, les Nations unies et les partenaires au développement, notamment l’Union européenne et le G8, devront engager plus de ressources en vue de la réalisation en Afrique des objectifs de développement pour le millénaire, notamment dans la lutte contre le VIH/sida, le paludisme et la tuberculose qui menacent le développement et la stabilité de nombreux Etats.
Dans le même ordre d’idées, devront aussi, me semble-t-il, être encouragés et soutenus la promotion des échanges et les investissements ainsi que l’ouverture des marchés, favorisant ainsi les perspectives d’un développement économique autocentré dans les pays d’Afrique.
C’est dire, Mesdames, Messieurs, qu’aujourd’hui plus que jamais, il importe de consolider la coopération internationale et le partenariat avec l’Afrique aux plans bilatéral et multilatéral.
Si une autre Afrique est possible, qui est en marche au demeurant, il faut, je le souligne avec force, pour y promouvoir le développement, œuvrer à préserver la sécurité. Pourtant, cette évidence ne paraît pas toujours être bien comprise par des partenaires bilatéraux et multilatéraux de l’Afrique dont les instruments de fourniture d’aide – que ce soit sous la forme de subventions, de prêts (y compris à des taux concessionnels), de dons, de facilités douanières ou fiscales – ont tous été conçus, semble-t-il, pour des opérations civiles et des temps de paix. Surviennent les crises et les conflits, et ces opérations s’arrêtent. Et l’on passe ainsi de la coopération au traitement des crises. Des initiatives comme la Facilité pour la paix de l’Union européenne contribuent à remédier à cette situation, et méritent de ce fait d’être amplifiées.
Comment ne pas rappeler aussi que la multiplicité et la persistance des conflits occasionnent l’instabilité politique, réduisent la croissance économique, détruisent les infrastructures, aggravant ainsi la pauvreté et la misère en Afrique ? Il est impératif, à cet égard, d’accorder un ordre de priorité élevé au renforcement de la gestion des conflits. C’est qu’en effet, l’objectif des pays africains de bâtir à l’intérieur comme à l’extérieur de chacun d’eux un cadre politique et économique viable fondé sur l’édification et la consolidation de l’Etat de droit, la promotion d’une véritable politique d’éducation et de santé, la lutte contre la pauvreté, bref l’objectif d’une bonne gouvernance, mérite d’être pleinement appuyé par la communauté internationale et les Nations unies.
Dans cette perspective, le renforcement des capacités locales de prévention des conflits me semble d’une ardente nécessité, notamment en fournissant l’appui nécessaire à des Organisations régionales comme la Cedeao (2) à travers la mise en œuvre de son mécanisme de prévention, de gestion et de règlement des conflits.
Il est tout aussi essentiel d’accompagner les efforts de développement des pays africains et d’appuyer le processus d’intégration. Le Mali a constamment plaidé pour cette approche durant son mandat au Conseil de sécurité, en particulier durant sa présidence de ce Conseil en décembre 2001 en soulignant, s’agissant en l’occurrence de l’Afrique de l’ouest, qu’une plus grande intégration sous-régionale doit demeurer un objectif clef pour les Nations Unies dans la recherche de solutions durables aux conflits de cette sous-région et aux souffrances qui en découlent pour ses populations. De même, il paraît utile de rationaliser les actions du Conseil de sécurité et des autres organes intergouvernementaux du système des Nations unies, notamment par l’établissement de mécanismes conjoints pour veiller à ce que l’action et les décisions de ces organes et du Conseil de sécurité soient complémentaires de celles des Organisations régionales et se renforcent mutuellement tout en respectant pleinement la portée de leurs mandats respectifs.
Je voudrais ici rendre un hommage mérité à Monsieur l’ambassadeur Alain Dejammet qui, durant sa présence parmi nous au Conseil et à sa suite, a permis d’apporter l’appui important de la France à cette approche.
Une autre urgence, pour l’avènement d’une Afrique nouvelle au diapason du monde moderne, c’est la question de l’éducation et de la formation. On le sait, la pénurie de ressources humaines compétentes est une menace bien plus grave que celle des ressources matérielles et financières. C’est pourquoi l’Afrique doit gagner le pari de l’éducation avec des politiques et des systèmes éducatifs adaptés aux réalités et aux besoins spécifiques de chaque pays. Avec des efforts renouvelés et une volonté politique soutenue accompagnée par une solidarité internationale effective, l’Afrique peut tendre vers la scolarisation primaire universelle en 2015, comme le préconise, du reste, l’un des objectifs de développement pour le millénaire.
L’Afrique devra aussi, en cette ère de mondialisation, accorder une importance toute particulière à la science et aux nouvelles technologies de l’information.
Mesdames, Messieurs, terminant comme j’ai commencé, je voudrais réitérer ma foi en l’Afrique, et dire ma confiance en la jeunesse africaine dont la vitalité, la créativité et l’engagement ont constitué, au demeurant, le thème de la 23ème Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement d’Afrique et de France qui s’est tenue au Mali en décembre 2005.
Je le répète : une autre Afrique est possible, qui est déjà en marche avec le nombre sans cesse croissant de pays africains engagés dans des processus démocratiques. Vous le savez, des élections régulières, libres et transparentes se multiplient sur le continent, la bonne gouvernance politique et économique, la promotion de l’Etat de droit et le respect des droits de l’homme sont aujourd’hui une réalité tangible dans de nombreux pays d’Afrique. C’est heureux, et il faut amplifier le mouvement.
Il ne me reste plus, Monsieur le Président, qu’à formuler un souhait : celui d’un vif succès du présent colloque afin que de nos débats se dégagent, pour l’Afrique, des raisons d’espérer et que, comme le proclame l’hymne national du Mali, « les cœurs vibrent de confiance ». Ce faisant, la Fondation Res Publica, là aussi, aura contribué à montrer la voie.
Je vous remercie de votre attention.
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1) Union africaine (African Union, AU). Siège : Addis Abeba (Éthiopie). Création : 26-5-2001 après ratification par 2/3 de ses 53 membres de la dissolution, le 25 mai 2001, de l’Organisation de l’Unité Africaine. Origine : 25 mai 1963 Conférence d’Addis Abeba, 32 chefs d’État africains signent la charte créant l’OUA. 53 des 54 États africains en sont membres Le Maroc s’est retiré en 1985 car l’OUA avait admis en 1982 le Sahara occidental. 1999 : sommet extraordinaire de l’OUA, création de l’Union africaine, proclamée au sommet de Lusaka, juillet 2001 et lancée au sommet de Durban (Afr. du S), juillet 2002. Adoption de la Nouvelle initiative africaine (Nia) qui deviendra plus tard le Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (Nepad), issu de la fusion entre le Partenariat du millénaire pour le programme de redressement en Afrique (Millenium Partnership for the African Recovery Programme, MAP) et le plan Oméga. Programme d’action permettant d’atteindre rapidement et efficacement les objectifs majeurs de l’Union africaine. 1er et 2 mars 2001 sommet de Syrte (Libye) les chefs d’État créent l’Union africaine. But : unifier les 53 États m. politiquement, socialement et économiquement en prenant modèle sur l’Union européenne. Mars 2004 constitution d’un parlement panafricain consultatif (siège deux fois par an). Création prévue d’une communauté économique, d’une banque centrale et d’une cour de justice
2)Cedeao (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest). Création : 28 mai 1975 entrée en vigueur du traité : mars 1977. Siège : Abuja (Nigeria). Membres : Bénin, Burkina Faso, Cap-Vert, Côte d’Ivoire, Gambie, Ghana, Guinée, Guinée-Bissau, Libéria, Mali, Niger, Nigeria, Sénégal, Sierra Leone, Togo. Fonds de coopération, de compensation et de développement.
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