Intervention prononcée lors du colloque Entreprises et territoires du 25 septembre 2006
• L’entreprise va là où est le client
• Elle recherche la compétitivité
• Elle obéit à l’esprit grégaire.
Si la demande, malheureusement, n’est pas en Europe c’est pour des raisons qui tiennent, comme on dit aujourd’hui, à la « gouvernance » du système, et notamment à la politique ou à l’absence de politique de la Banque centrale européenne. Dominique Garabiol et Louis Gallois viennent de rappeler qu’elle n’a pas de politique de change. Par ailleurs, sur le plan interne, nous ne maîtrisons pas non plus la demande. La concurrence est certainement un principe très sain, comme nous l’a rappelé Gabrielle Gauthey, mais qui, peut-être, mérite d’être replacé dans un contexte plus général,dans une vision « systémique ».
Je me pose en effet la question de savoir si, sur la dynamique du système global qu’on appelle « mondialisation », nous sommes allés au fond des choses. Il y a la libération des capitaux, les différences de coût de travail qui sont de 1 à 20, voire davantage, pour des niveaux de technicité qui tendent à se rapprocher. Les investissements directs sont passés de 80 milliards de dollars en 1980 à près de 1000 milliards aujourd’hui. La progression de ces chiffres illustre donc bien une dynamique du système.
Si on se situe dans le court ou le moyen terme, nous pouvons énumérer nos avantages comparatifs : le TGV, le système éducatif et c. … Mais si on raisonne sur un temps plus long, nous observons les mutations du système productif, l’érosion de notre tissu industriel, et enfin la fonte des emplois. En résultent un chômage massif, des processus de fragmentation sociale, d’inégalités croissantes. Il me semble qu’on n’a pas essayé de chiffrer le nombre de pertes d’emplois liées aux délocalisations (les estimations varient de 1 à 20 selon les experts). Si on compte les entreprises qui ferment, c’est très peu. Mais si on prend en compte l’épargne qui s’investit ailleurs et l’obsolescence de notre appareil productif liée à la stagnation de l’investissement industriel, c’est considérable. Dominique Garabiol nous a rappelé que le montant de l’épargne française qui s’investit au dehors est trois fois plus élevé que celui des investissements directs qui viennent en France. Ce chiffre est rarement cité mais il exprime une réalité.
Pour être élu d’une région à dominante automobile – avec Peugeot – je vois comment l’implantation d’une usine en Slovaquie, par exemple, retentit sur la production et entraîne dans la sous-traitance un mouvement d’investissement vers l’étranger provoquant des pertes d’emplois industriels extrêmement fortes dans notre région.
En ce qui concerne Alstom, le problème n’est pas seulement la recherche de bas coûts, même si Alstom produit de plus en plus en Chine et en Pologne. La fusion ABB Alstom a fait qu’aujourd’hui, les turbines à gaz et les alternateurs associés qui étaient fabriqués en France le sont en Suisse ou en Allemagne. Bien sûr les investissements directs étrangers ne se font pas seulement vers les pays à bas coût. Pour de multiples raisons et notamment la croissance de la demande plus forte aux Etats-Unis, ils se font aussi – Dominique Garabiol en a précisé le chiffre – vers d’autres pays où les niveaux de salaire sont relativement élevés, voire plus élevés que chez nous.
Je suis assez d’accord avec le président Gautier Sauvagnac pour la TVA sociale que j’avais déjà préconisée il y a cinq ans. S’agissant de la réglementation : si nous avions des syndicats forts, on pourrait aller vers un espace plus large donné au contrat mais nous avons des syndicats faibles et divisés. Peut-être un système qui permettrait des accords majoritaires créerait-il une dynamique ?
Denis Gautier Sauvagnac
Ils sont majoritaires de fait puisqu’en l’absence d’opposition majoritaire, l’accord s’applique, c’est comme s’ils avaient signé. Les abstentions sont comptées « pour », c’est une sorte de « 49-3 » !
Jean-Pierre Chevènement
En tout cas il nous faut des syndicats forts.
D’autre part nous avons, me semble-t-il, intérêt à contrôler l’amont du secteur industriel. Nous avons laissé partir Arcelor et Péchiney, c’est-à-dire que les centres de décision dans l’industrie des métaux se situent désormais ailleurs qu’en France. Ceci me paraît assez grave : quand les centres de décision et les sièges sociaux s’en vont, la fabrication suit mais la recherche aussi malgré les assurances données en sens contraire (voir Péchiney).
Sur le patriotisme économique, je ne suis pas d’accord avec ce qu’a dit Monsieur Gautier Sauvagnac. Je pense comme – je crois l’avoir compris – Louis Gallois, qu’il y a un certain sens des solidarités, qu’elles soient nationale ou européenne car l’une et l’autre dans une certaine mesure, se superposent. Il me semble que nos élites dirigeantes en France n’ont pas tellement ce réflexe, l’histoire l’a cruellement montré dans le passé.
Le contrôle de l’amont consisterait à renforcer ces actionnaires non financiers dont a parlé Louis Schweitzer par opposition aux actionnaires financiers dont il nous a dit qu’ils se comportaient tous de la même manière, à un certain niveau de la prime de risque. Sur les fonds de pensions je suis plutôt d’accord avec Louis Schweitzer car les fonds de pensions ont des comportements très grégaires, très moutonniers : ils investissent de manière diversifiée aux Etats-Unis, au Japon, en Europe, sans autre préoccupation que la rentabilité. Il faudrait donc, selon moi, renforcer un certain nombre d’intermédiaires publics ou privés, à supposer qu’ils manifestent un certain patriotisme économique. A un moment l’Etat a pris 20% dans Alstom, maintenant c’est Bouygues… Il faut un actionnariat stable, avec un certain sens de l’intérêt national.
L’épargne salariale peut permettre de solidifier des noyaux durs.
Est-ce que cela suffit à assurer le contrôle de l’amont ? Si cela est insuffisant, il est important que la puissance publique intervienne d’une manière ou d’une autre car l’avenir d’un pays comme le nôtre ne peut pas être laissé à la discrétion des marchés financiers. Ce ne sont pas ceux-ci mais les peuples qui sont toujours en dernier ressort les acteurs de l’Histoire.
Après ces quelques réflexions, il m’appartient de donner la parole à la salle.
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