Débat

Interventions prononcées lors du colloque du 12 juin 2006 L’avenir du dollar

Yvonne Bollman

J’ai deux questions :
D’abord, à propos d’Euronext, la bourse allemande réagit très mal à la décision qui vient d’être prise d’une union entre Euronext et la bourse de New York. Je lis dans la presse allemande que, contrairement à ce que je croyais, les jeux ne sont pas faits et qu’il se passe beaucoup de choses en coulisses. Cette attitude de la bourse allemande ne peut-elle pas se comparer à la politique allemande qui, en 1971, dans sa rivalité avec les Etats-Unis, a mené à la fin de Bretton Woods ?
D’autre part, j’aimerais évoquer un autre scénario :
Personne ne tient compte du Non de la France le 29 mai 2005, ni nos dirigeants (de la majorité et de l’opposition), ni les dirigeants de Berlin, ni ceux de Bruxelles. Il faudrait que le Non de la France soit respecté. Selon Monsieur Aglietta, on ne peut pas sortir de l’euro à cause d’un effet de réseau. Ne peut-on envisager, pour trancher le nœud gordien, que la France sorte de l’Union européenne ? Monsieur Aglietta a dit aussi qu’une accumulation importante de problèmes (et la sortie de la France constituerait évidemment un problème) pourrait tout faire basculer. Comment voyez-vous un tel scénario ?

Jean Peyrelevade

Il y a trois bourses principales sur le continent européen. Euronext, c’est-à-dire Paris, Amsterdam, Francfort et Londres. Il y a deux bourses principales aux Etats-Unis, le New York stock exchange et le Nasdaq. J’adore le lyrisme sous toutes ses formes mais je rappelle, pour fixer l’ordre de grandeur, que la moitié du capital financier mondial est détenu par les Etats-Unis et que le rapport de puissance entre les bourses est à peu près du même ordre. Les trois bourses européennes sont donc des nains par rapport aux deux bourses américaines, en termes de volume de transaction comme en termes de niveau d’activité.
Les trois bourses européennes essayent depuis des années de se mettre d’accord entre elles, voire de fusionner. Je dois dire, d’une manière que je crois objective, que la seule bourse qui ait réussi à fédérer autour d’elle d’autres bourses européennes – et qui continue avec Milan qui va probablement la rejoindre – c’est la bourse française, c’est Euronext qui a ramené dans son giron Amsterdam, Lisbonne, Bruxelles… Il y a eu, aussi bien de la part de la Deutsche Börse que d’Euronext, des tentatives de négociations avec le London stock exchange qui ont échoué parce que, selon une tradition bien britannique, les actionnaires britanniques du London stock exchange trouvaient qu’on ne leur offrait pas assez d’argent. Il y a eu des tentatives de rapprochement à de multiples reprises entre la Deutsche Börse et Euronext (on avait déjà essayé à l’époque où la bourse française était uniquement française), elles ont toujours échoué parce que les Allemands ont considéré de manière plus impérialiste que les Français que le siège, les états-majors, les systèmes informatiques devaient être allemands et que, d’une certaine manière, en ces matières, nous ressemblions à un « pays du Club Méditerranée » (l’expression « pays du Club Méditerranée », qui ne s’applique pas seulement à la France, est une invention allemande). Ces accords n’ont jamais pu déboucher pour des raisons que je comprends parfaitement d’un point de vue français. Un événement nouveau, fondamental, est survenu : à force de voir les trois bourses européennes ne pas bouger et à force, en particulier, de voir le London stock exchange refuser successivement les avances de la Deutsche Börse et d’Euronext, sur le thème : « Vous ne me payez pas assez », le Nasdaq, c’est-à-dire le challenger, le plus petit des deux aux Etats-Unis, est rentré d’autorité dans le London stock exchange, créant un lien transatlantique dans un métier où, je le répète, la moitié de la matière première est aux Etats-Unis. Donc, tout à fait naturellement, Euronext, dans l’incapacité d’arriver à un accord avec les Allemands, décide que l’urgence est de créer à son tour un lien transatlantique avec la deuxième bourse américaine (qui se trouve être la première en volume et en puissance), le New York stock exchange. S’il y arrive, je ne donne pas cher de l’avenir de la Deutsche Börse. On me dit aujourd’hui que ça serait mieux qu’on s’accorde entre européens, je réponds : certes !… mais (comme j’ai quelques vagues références historiques) j’ajoute immédiatement : c’aurait été mieux si, au XVe siècle, les Armagnac et les Bourguignons ne s’étaient pas battus les uns contre les autres… Mais ils se sont battus les uns contre les autres et je crois même qu’ils se sont assassinés réciproquement.

Jean-Pierre Chevènement

On a quand même fait la France avec les Armagnac et avec les Bourguignons…

Jean Peyrelevade

… avec quelques assassinats On peut essayer d’assassiner la Deutsche Börse !

Jean-Pierre Chevènement

Je n’y connais absolument rien mais j’ai été passionné par ce que vient de dire Jean Peyrelevade.
Néanmoins, du point de vue des transactions financières, du financement de nos économies, que signifie le fait qu’Euronext tombe dans l’orbite du New York stock exchange ? N’est-ce pas la consécration de l’inanité de la zone euro et de tout ce qu’elle représente ?

Jean Peyrelevade

Non. Le capital est fluide, mobile. De toute façon le lien transatlantique aurait été créé un jour ou l’autre parce que le marché du capital est un marché mondial dans lequel il n’y a plus de frontières du tout. Il aurait probablement mieux valu fusionner avec la Deutsche Börse avant de se rapprocher des Américains. Ca se passe dans l’ordre inverse compte tenu de notre propre maladresse mais, honnêtement, je ne pense pas que ça changera quoi que ce soit aux conditions de financement de l’économie européenne.

Jean-Pierre Chevènement

Et votre anticipation, c’est que le Deutsche Börse finira par passer sous la table…

Jean Peyrelevade

Bien entendu ! … Quelles que soient les déclarations politiques du très grand Président de la République que nous avons. Il préfère la Deutsche Börse… mais sauf si les Allemands changeaient brusquement et radicalement de position et devenaient particulièrement raisonnables en négociations, aujourd’hui, sur le papier, ils ont perdu. Si demain ils sont seuls, ils vont peu à peu s’étioler parce que le fait qu’on offre aux intervenants une capacité technique mondiale est un facteur extraordinairement important pour attirer les clients. Ils vont s’étioler et finiront un jour par rallier le peloton.

Jean-Pierre Chevènement

Je vous remercie. Je ne vais pas demander à Madame Bollman si elle pense que les Allemands peuvent changer parce que je crois, pour la connaître un peu, que la réponse est acquise.

S’agissant du 29 mai, je suis beaucoup moins pessimiste que vous. J’ai eu un débat avec Monsieur Balladur, j’ai lu son livre sur l’Europe, j’ai lu aussi le projet du Parti socialiste. II y est question de géométrie variable, de cercles concentriques, de coopérations renforcées, d’actions concrètes, de gouvernement économique de la zone euro, de serpent fiscal et social… Ils ne regardent pas forcément dans le sens que j’aurais souhaité, néanmoins, j’observe que l’effet de choc du 29 mai, notamment sur nos élites a déclenché une prise de conscience de la nécessité de se tenir plus près des réalités et de se mettre à l’écoute des citoyens. Je crois que cet impact du « non »est sous-estimé aujourd’hui parce qu’il est couvert par le vacarme des récriminations, de l’immense mécontentement qui a saisi ceux qui monopolisent le pouvoir et la parole, mais un travail souterrain se fait. C’est l’impression que m’inspire la lecture d’un certain nombre de documents. Il serait suicidaire de vouloir soumettre à nouveau une constitution aux peuples français, néerlandais ou à la plupart des autres… Or personne n’a de goût pour le suicide. On peut peut-être aller vers un « petit traité institutionnel » et, surtout, si on veut se saisir des véritables priorités, vers une réforme du gouvernement économique de la zone euro. Ce ne sera peut-être pas facile. Les économistes et les banquiers qui m’entourent le savent mieux que moi mais c’est là qu’est la demande réelle, la demande sociale.

Roland Hureaux

Je voudrais vous interroger sur le lien entre l’avenir du dollar et le facteur militaire.
J’ai été très frappé par ce qui a été dit sur la question du pétrole, qui est, en effet, fondamentale. Je me demande s’il ne faut pas aller plus loin et se demander jusqu’à quel point l’avenir de l’euro n’est pas lié à la puissance militaire des Etats-Unis, cela pour deux raisons :
La première est que, les hommes étant ce qu’ils sont, ils sont peut-être aussi sensibles au prestige de la force militaire qu’à celui de la force économique ou à l’importance des réseaux bancaires. Cela peut expliquer assez largement la suprématie du dollar au cours des cinquante dernières années.
La deuxième raison est le rôle joué par la Péninsule arabique. Paul Fabra expliquait qu’on ne pouvait pas comprendre la position du dollar si on n’intégrait pas que la Péninsule arabique était le cinquante et unième Etat des Etats-Unis. Or, pour qu’elle le reste, il faut évidemment une forte présence militaire américaine au Proche Orient, d’autant plus forte que la situation y est instable. Il faut se souvenir que la première crise du dollar au début des années 1970 était un peu liée à l’enlisement des Etats-Unis au Vietnam. Je me demande si l’avenir du dollar n’est pas tout simplement lié au devenir de la puissance militaire américaine.

Jean-Michel Quatrepoint

Vaste question ! Je pense que les Etats-Unis sont aujourd’hui l’hyperpuissance militaire, que le complexe militaro-industriel est une réalité – c’est le dernier secteur industriel qui subsiste aux Etats-Unis – et que les Américains ne lâcheront pas là-dessus. Effectivement, le pétrole et la défense sont pour eux deux domaines essentiels. Il est vrai qu’ils veulent contrôler les ressources de la Péninsule arabique, ce que dit Paul Fabra est tout à fait juste. Je pense que c’est dans le domaine militaire que peuvent se produire des frictions avec les Chinois qui ont de vraies ambitions.
Les Européens ont-ils la capacité de conserver à la fois une monnaie qui soit une alternative au dollar et une industrie de défense qui soit une alternative à l’industrie de défense américaine ? Je ne sais pas. Les dirigeants d’EADS, ceux de Thalès, de Finmécanica en ont-ils la volonté ? Je n’en suis pas convaincu, d’autant que leur intérêt est, à un moment donné de « dealer » avec les Américains. Les Américains sont très forts pour faire payer les études par les autres, je pense notamment au JSF, l’avion de combat du futur : les pays qui l’avaient choisi commencent à déchanter. Je ne sais pas si nos populations auront envie de continuer à consacrer des sommes importantes aux budgets de la défense. Il m’a semblé lire dans le programme du Parti socialiste et même dans les propos de François Hollande qu’il faudrait diminuer le budget de la défense et que nous n’avons pas besoin d’un second porte-avion et comme on sait qu’un seul porte-avions ne sert à rien, on peut aussi bien passer celui-là à la trappe… C’est une question de volonté politique.

Jean Peyrelevade

Je peux proposer une réponse un peu paradoxale.
Je pense que vous avez raison : bien entendu, la puissance militaire est un facteur de soutien et de force du dollar. La sécurité est une des raisons de la détention de dollars par un certain nombre de gouvernements ou de banques centrales dans le monde. Cela n’empêche pas que le mauvais usage du dollar en termes économiques et financiers soit un facteur d’affaiblissement. L’excédent de déficit extérieur, comme l’excédent de déficit budgétaire vont dans le sens de l’affaiblissement et la valeur du dollar résulte de l’ensemble de ces éléments.
J’ai tendance à penser, paradoxalement, que ce sont les gouvernements conservateurs américains qui, probablement parce qu’ils ont surestimé la puissance des Etats-Unis, ont mis le dollar dans une situation de faiblesse, plus que les démocrates.

Jean-Pierre Chevènement

Monsieur Reagan avait quand même mis le dollar dans une situation très avantageuse.

Jean Peyrelevade

Ce n’est pas lui, c’est la FED, c’est Monsieur Volker, contre Monsieur Reagan.

Jean-Pierre Chevènement

Je voudrais ajouter une chose, sur le plan militaire. Il y a un bon usage de la force militaire car celle-ci a une limite. Les Etats-Unis ont, bien sûr, un budget de plus de 400 milliards de dollars, à comparer avec leur déficit extérieur qui est de 700 milliards de dollars. Chaque année, ils dépensent précisément 430 milliards de dollars pour leur défense, arrosent leurs industries de pointe, leurs laboratoires et cela sans parler des frais d’occupation de l’Irak… Au regard, l’Europe doit dépenser – l’essentiel étant le fait de la France, de la Grande-Bretagne et de l’Allemagne – environ 100 à 120 milliards de dollars, ce qui représente le quart de la dépense militaire des Etats-Unis. Mais, à quoi sert d’avoir les moyens de foudroyer l’univers ? A quoi servent les frappes à haute précision ? On a vu ce qu’ont donné la première et la seconde guerre du Golfe. Il arrive un moment où on ne peut plus occuper le terrain, où on ne maîtrise plus les choses au sol. Dans l’affaire iranienne, s’il est vrai que les Etats-Unis peuvent détruire le potentiel nucléaire de l’Iran avec quelques milliers de frappes conventionnelles mais les Iraniens ont des moyens de riposte considérables, en Irak, notamment, mais aussi dans le Golfe d’Ormuz et au Proche-Orient et cela se traduirait par des phénomènes tout à fait incontrôlables, par une nouvelle augmentation du prix du pétrole et surtout par une nouvelle déstabilisation majeure au Moyen Orient.
Il y a donc une limite de la force militaire.
Je crois plus à l’avenir de l’Europe comme grande puissance utile ou pacifique. Je ne dis pas pacifiste parce que je reste partisan de la dissuasion [à laquelle nous allons consacrer un prochain colloque] car nous avons besoin d’une dissuasion adaptée et, plus généralement, de pouvoir maîtriser un certain nombre d’équilibres sur le continent ou sur ses approches. Cela passe plus par la diplomatie que par la force militaire. Cela passe, en particulier, par de bonnes relations avec la Russie. Le problème de l’Afrique n’est pas d’abord un problème militaire.
Bien sûr, la puissance militaire est très importante. Les émirats du Golfe, l’Arabie saoudite sont clairement dans la main des Américains pour des raisons militaires. Mais jusqu’où cette protection militaire est-elle suffisante ? Il y a aussi des facteurs internes qu’on ne peut pas contrôler. La puissance militaire américaine permet la maîtrise des airs, de la mer mais pas la maîtrise de la terre. Or le problème stratégique des Etats-Unis, c’est la maîtrise de ce qu’ils appellent l’Eurasie, l’Heartland, c’est-à-dire l’Eurasie, l’énorme bloc continental au cœur duquel ils ont voulu s’implanter. Mais c’est très difficile et, quand on y réfléchit bien, si on peut gagner des guerres aériennes, spatiales, on peut infliger des dommages considérables à l’adversaire, on ne peut pas durablement occuper son territoire contre la volonté de sa population.
N’oublions pas enfin les crises à venir, liées à la prolifération qu’on peut ralentir mais sans doute pas empêcher. L’attitude américaine en Irak était aussi un encouragement à la prolifération et il n’est pas certain que celle-ci sera définitivement enrayée.

Gabriel Robin

Nous avons entendus, me semble-t-il, des exposés très convergents :
D’une part la situation monétaire internationale n’est pas soutenable. D’autre part, si elle doit cesser, ce sera dans une crise et, finalement ce système est peut-être à l’avantage des Américains qui l’ont monté, des Chinois qui s’en font les complices, sûrement pas à l’avantage des Européens qui perdent apparemment sur tous les tableaux : ils perdent leur industrie et ils ne gagnent pas sur le plan purement monétaire.
Quelle stratégie monétaire proposons-nous pour faire face à ces dangers ?
Peut-on espérer ou attendre de l’Europe qu’elle conçoive une telle stratégie ? (ce dont je doute.)
L’idée même de stratégie monétaire a-t-elle un sens ? Autrement dit, y a-t-il un pilote dans l’avion ou n’est-ce pas une gigantesque série de hasards qui se bousculent ?

Jean-Pierre Chevènement

Merci, Monsieur l’ambassadeur.
Jean, je me tourne vers toi : Y a-t-il un pilote dans l’avion ?

Jean Peyrelevade

Non, pas aujourd’hui… ou, en tout cas, ses moyens de commande sont très limités. Je pense que monsieur Aglietta répondra mieux que moi à cette question mais je voudrais juste dire un mot :
La seule chose dont je sois à peu près convaincu, c’est que je ne crois pas aux vertus positives d’une politique monétaire mondiale prédéterminée par un cénacle de décideurs. En revanche, je crois que laisser le type de déséquilibres qui naissent aujourd’hui se développer est une faute parce que tous les déséquilibres trop importants appellent un jour où l’autre leur résorption et, si celle-ci n’est pas organisée, elle se passe de manière douloureuse, brutale. Pour aller jusqu’au bout de ma pensée, je ne comprends pas que la communauté internationale, le G7, le FMI n’intervienne pas beaucoup plus vigoureusement sur la volonté ou le désir de résorption du déficit américain d’un côté et des excédents chinois et japonais de l’autre.

Michel Aglietta

Je pense, comme on en a fait la suggestion, que la solution n’est pas aux Etats-Unis qui ont plutôt intérêt à ce que la situation persiste. L’évolution viendra du changement de point de vue des pays qui, aujourd’hui, prêtent aux Américains, dès lors que l’inconvénient de leur type de croissance délibérément tournée vers l’exportation crée de profonds déséquilibres à l’intérieur des pays, notamment en Chine. Le 11ème plan chinois 2006-2010 a affirmé l’objectif d’un redéploiement du régime de croissance sur la demande intérieure. Du point de vue territorial, le redéploiement de la croissance vers le centre et vers l’ouest du pays constitue un changement de priorités significatif. Dès lors ce pays aura besoin de modifier le système des prix pour pouvoir stimuler sa consommation intérieure. L’appréciation du change deviendra un moyen efficace puisqu’elle leur permettra d’importer à meilleur marché. D’autre part, le gouvernement chinois aura besoin de réguler la demande intérieure, d’orienter la politique monétaire vers des objectifs internes. Donc de rendre le taux de change plus flexible. Il y aura donc des conséquences en termes de pilotage du taux de change. Il me semble que c’est l’élément crucial.
Quelles pourraient en être les effets internationaux? La Chine aurait intérêt à rendre sa devise convertible (si les Chinois continuent à recevoir des investissements directs, ils auront intérêt à ce qu’ils soient dans leur propre monnaie). Si la croissance chinoise se maintient au rythme actuel, la rentabilité y sera forte et, dès lors qu’elle aura développé des institutions suffisamment fiables pour émettre des actions et des obligations en yuans, l’attirance de la Chine pour les investisseurs étrangers augmentera les avoirs étrangers en yuans et en fera donc une monnaie internationale. Les leviers d’un changement profond du système monétaire international sont donc en Asie.

Il faut aussi voir le long terme. Il ne faut pas oublier que la Chine était la première économie mondiale en 1820. Elle représentait 25% du PIB mondial, d’après les travaux de long terme qui ont été faits à l’OCDE par Maddison qui a passé sa vie à essayer de construire des données quantitatives sur très longues périodes. Elle est ensuite passée à côté de la révolution industrielle et a atteint son point bas en 1949, avec seulement 5% du PIB mondial. Aujourd’hui se produit une remontée systématique de la croissance chinoise qui la mène, au rythme actuel de 8% par an vers la place de première puissance mondiale en 2025.
Tous les problèmes seront alors modifiés, notamment les questions militaires… car tout dépend de la puissance économique qui supporte la stratégie militaire. Voyez la Russie qui a essayé de tenir un équilibre stratégique et militaire avec les Etats-Unis, avec une économie qui n’en était pas capable. Elle s’est totalement épuisée et s’est effondrée. Dès lors qu’un pays a la puissance économique et émerge comme tel, il est clair que les rapports politiques internationaux sont transformés.
Au plan monétaire, on peut éventuellement revenir à des blocs régionaux avec des monnaies dominantes dans chaque zone du monde comme on en a connu à certaines périodes.
Ces blocs seront-ils alors conflictuels ou coopératifs ?
Pour qu’ils soient coopératifs, il faut quelque chose comme une concertation internationale, un éventuel système de gouvernance internationale. Il faudrait, dans ce cas, repenser le rôle du Fonds monétaire comme un lieu de concertation. Car un système de monnaies d’importances voisines, en ce qui concerne les espaces économiques dans lesquels elles sont émises, doit absolument être géré au niveau multilatéral sous peine de très forte instabilité.
C’est comme cela, me semble-t-il, qu’il faut penser l’avenir à long terme, à l’échéance de vingt ans, compte tenu du problème de la croissance chinoise.

Jean-Pierre Chevènement

Un mot pour répondre à Monsieur l’ambassadeur Gabriel Robin.
Je ne crois pas qu’il y ait, à quelque niveau que ce soit, une stratégie destinée à pousser l’euro comme monnaie de réserve, ni au niveau de la Banque centrale, ni au niveau des autorités politiques (gouvernements, Conseil européen…).Je n’ai jamais vu un texte émanant des autorités européennes préconisant que l’euro prenne une place plus grande dans les réserves monétaires. J’ai entendu des déclarations en sens contraire comme si l’Europe pouvait s’en tenir elle aussi au «benign neglect », mais rien de cela. Si je me trompe, vous me corrigerez.
Toutefois, ça se réalise quand même tout doucement, comme l’ont montré les tableaux produits par Michel Aglietta.

Dominique Garabiol

Je voudrais revenir sur les possibilités de crise à court terme. J’ai été surpris que vous n’évoquiez pas la politique récente de la FED qui paraît plus agressive que la précédente et mène les taux d’intérêt et surtout de change à des niveaux qui taquinent ceux que vous avez évoqués. J’aimerais avoir votre éclairage là-dessus. Cela ne signifie-t-il pas que la FED veuille tester les Chinois ou les autres pour savoir si le scénario que Jean Peyrelevade envisageait à court terme n’est pas en train de se préparer ? N’anticipe-t-elle pas la crise pour garder la main plutôt que d’être à la remorque d’un mouvement de panique ?
Ceci m’amène à ma deuxième question sur l’ajustement à plus long terme, le changement de régime de croissance. Pour moi, le véritable problème, c’est l’armée de réserve de la main d’œuvre. Les Chinois en revendiquent près de trois cent millions, les Indiens aussi. Comment voyez-vous un changement de régime de croissance possible, même à moyen terme, avec six cent millions de ruraux prêts à venir travailler en ville pour des clopinettes ?

Michel Aglietta

La FED est actuellement dans une situation difficile mais pour des raisons de politique interne. N’oublions pas qu’aux Etats-Unis, la Réserve fédérale n’a aucun pouvoir sur le change qui dépend du Trésor. Le change n’est pas la variable qui les intéresse. Ce qui les intéresse, en revanche, c’est d’essayer d’éviter les effets internes de l’instabilité financière. Greenspan a fait du « risk management ».
Comme toutes les autres, la Banque centrale américaine veut éviter une inflation qui inquiète les agents privés mais d’une manière beaucoup plus souple qu’en Europe. La priorité des Etats-Unis, du point de vue monétaire, c’est maintenir le plein emploi. C’est l’alpha et l’omega de la politique américaine. Si on veut comprendre le rôle de la FED, c’est de poursuivre cet objectif. Une économie libérale à l’américaine ne fonctionne que si le marché du travail est au voisinage du plein emploi, ce qui permet aux employeurs et aux salariés de contracter avec des forces égales : au voisinage du plein emploi, même au niveau individuel, les salariés ont un pouvoir d’arbitrage entre les entreprises qui s’arrachent l’emploi. Le maintien du plein emploi est le cœur de la cohésion de l’économie américaine.
Si les Américains ne peuvent éviter toutes les récessions, généralement celles-ci sont extrêmement courtes. A l’heure actuelle les dirigeants de la banque centrale essaient de piloter les taux d’intérêt de sorte que le déficit américain se réduise de la seule manière possible : un ralentissement de la demande maîtrisé par le mouvement des taux d’intérêt. Ils cherchent le taux neutre, le taux d’intérêt qui permettrait, aujourd’hui, d’éviter l’emballement de la croissance (tel qu’il s’est produit à partir de 2004).
La croissance est toujours à 3% ou 4% et le taux de chômage est extrêmement bas, ils sont donc en suremploi. Ils tentent de maintenir l’économie au voisinage du plein emploi en évitant la crise du dollar qui serait la conséquence d’un excès de croissance. La variable essentielle est donc bien le taux d’intérêt et non le cours de change.
Ce problème est assez difficile à gérer aujourd’hui du fait de la conjonction des risques dont j’ai parlé. Ils commencent à s’apercevoir que l’histoire du « benign neglect » n’est plus vraie. La globalisation financière fait que leur taux d’intérêt ne dépend plus seulement d’eux. Le taux court dépend d’eux mais, comme on l’a vu, pendant les deux dernières années où ils ont monté le taux court, le taux long ne bougeait pas à cause du recyclage massif des réserves par les banques centrales étrangères. Ils s’aperçoivent qu’il devient très difficile de gérer la politique monétaire. Or, ils en ont besoin pour cet objectif de plein emploi, d’où le tâtonnement actuel de la Réserve fédérale qui est vraiment lié à des raisons strictement intérieures.

Vous avez tout à fait raison : si on considère l’économie mondiale comme un tout – et il faut maintenant commencer, au niveau macroéconomique, à la penser comme un tout – on vit dans une économie de sous-emploi, mondialement.
Dans une économie de sous-emploi il existe une force majeure qui évite le dérapage inflationniste. L’indice des prix à la consommation dit « sous-jacent », l’indice obtenu en enlevant les prix des matières premières, du pétrole et les prix agricoles, et l’indice des prix à la production, étaient étroitement corrélés jusque vers le début des années 2000. La mesure de l’inflation pouvait donc être donnée par n’importe quel indice. Depuis 2002, les différentes mesures de l’inflation divergent. Aujourd’hui, il y a une certaine inflation non négligeable, si on introduit le prix du pétrole, ceux des matières premières et des produits agricoles, sur les prix à la consommation. Si on introduit, au contraire, ce qu’on appelle l’inflation sous-jacente, mais aussi le déflateur du PIB, c’est-à-dire l’inflation qui est produite à l’intérieur de l’économie nationale, elle est en dessous de 2%. C’est une difficulté pour la Banque centrale : Quel type de mesure de l’inflation doit-elle prendre en compte pour mener sa politique monétaire ?
Cela indique que dans les produits manufacturés, dans l’industrie, une pression déflationniste permanente découle du fait que les salaires directeurs dans l’économie mondiale sont fixés dans les pays émergents et non plus chez nous. D’autre part, les entreprises n’ont plus de pouvoir sur la formation des prix dans toute l’industrie, elles font donc pression sur la productivité pour maintenir les profits et la conséquence de tout cela est qu’il n’y a pas de force inflationniste prépondérante… et ça va durer !
Cela dit, le processus sur le long terme, c’est que, à 10% par an, on absorbe pas mal de main d’œuvre. La Chine a besoin à tout prix, non pas d’orienter le flux de main d’œuvre vers les villes de l’Est – poursuivant ce développement déséquilibré – mais de la fixer dans des pôles de développement au centre de la Chine, Chongqing par exemple. Cette stratégie renvoie à ce que j’ai dit tout à l’heure : la nécessité de redéployer le dynamisme de la croissance vers l’intérieur, c’est quasiment vital pour la société chinoise.
Sur une longue période, probablement deux décennies, nous vivrons dans un monde où des pressions très fortes s’opposeront à la hausse des prix.

Jean Peyrelevade

Je vais ajouter deux très brèves observations à ce qui vient d’être dit, avec quoi je suis entièrement d’accord.
Je ne sais pas quelle est la position de fond du nouveau président de la Réserve fédérale mais je peux vous dire que les derniers discours d’Alan Greenspan, avant son départ, insistaient tous sur le caractère insoutenable des déficits américains. D’une certaine manière, il rejoignait notre point de vue.
Deuxième observation, en m’excusant de la faire de manière un peu provocatrice :
S’il y a du sous-emploi au niveau mondial, je ne vois pas pourquoi on y réagit autrement qu’on ne le ferait à l’intérieur de nos frontières. Il n’ y a qu’une façon de régler le problème, c’est de réduire le sous-emploi. Et quand le sous-emploi se réduit en Chine et en Inde, on devrait, à terme, s’en féliciter et non pas s’en lamenter.

Edouard Husson

Je voudrais poser une question que m’inspirent naturellement vos propos.
Vous imaginez des scénarios de moyen et de long terme. Nous évitons tous de penser à un scénario sur le court terme.
Quand on lit la presse économique, quand on écoute les déclarations, on apprend qu’on s’efforce, au niveau international, de manière concertée, d’accompagner la baisse du dollar sans qu’il y ait trop de contrecoups… mais l’histoire nous apprend que ces choses-là peuvent déraper très vite.
Je rejoins ce que disait Roland Hureaux : nous sommes peut-être arrivés à un tournant qui serait la crise iranienne :
Soit les Etats-Unis basculent dans la fuite en avant, on ne peut pas l’exclure totalement ; soit ils doivent révéler au monde que malgré leur énorme arsenal militaire, ils ne sont pas si puissants que ça dans tous les secteurs. On peut avoir l’impression que « le roi est nu ». Dès lors se pose la question du prestige du dollar qui conditionne aussi sa valeur.
Je vous pose donc la question d’un scénario catastrophe.
Je suis convaincu, à observer les dirigeants américains, que ce n’est pas forcément le scénario où les Etats-Unis se trouveraient dans la plus mauvaise position. Monsieur Quatrepoint a donné trois exemples qui démontrent de manière flagrante qu’ils ont la volonté de réaction qui semble manquer aux Européens.

L’enjeu entre les Etats-Unis et l’Europe ne serait-il pas la désignation de celui qui un jour forcera les Chinois à développer leur marché intérieur ?
Ce pourrait être pour les Etats-Unis, une manière de sortir de la crise, surtout dans un scénario catastrophe. D’une certaine manière, ils « tiennent » les Chinois : 850 milliards de dollars de réserve, si le dollar s’effondre, c’est du papier…
Au-delà du scénario catastrophe, l’enjeu n’est-il pas l’ouverture, à moyen terme, du marché chinois, aux produits importés ? Les Chinois auront besoin de développer leur marché pour un certain nombre de raisons, les Etats-Unis ne seront-ils pas alors, malheureusement, beaucoup mieux placés que l’Europe ?

Jean-Michel Quatrepoint

Je ne crois pas à l’ouverture de la Chine aux produits occidentaux s’il s’agit de produits de consommation, ni même, à terme, de produits d’équipement.
Pourquoi ?
Les Chinois expliquent eux-mêmes qu’ils ont vocation à tout produire, y compris les produits agricoles et même le vin. Ils se mettent à produire du vin qui va être d’excellente qualité. Ils acquièrent aujourd’hui des savoir-faire ; les marchandises qu’ils importent sont des machines-outils, essentiellement des biens d’équipement, d’où les excédents considérables de l’Allemagne et du Japon, d’où les déficits du reste du monde. Nous, Français, avons abandonné la machine-outil, nous n’exportons donc pas vers la Chine. Ils vont donc progressivement, sinon copier, du moins récupérer le savoir-faire sur les biens d’équipement. Ils produisent déjà tous les produits de consommation : le textile, les chaussures… Je ne vois pas ce qu’ils pourront importer Ils importent du luxe mais ils se mettront aussi, progressivement, à produire du semi luxe. L’Oréal qui est implantée en Chine, commence à produire pour le marché chinois. Il ne faut pas se leurrer sur les exportations que nous pourrions réaliser dans les cinq ou dix ans qui viennent vers la Chine.

Edouard Husson

En est-il de même pour les Américains ?

Jean-Michel Quatrepoint

C’est encore pis pour les Américains car ils n’ont plus d’industrie. De plus, ils ne sont pas compétitifs. Ils peuvent exporter des Boeing, mais les Chinois, on le voit pour Airbus et pour Boeing, veulent récupérer progressivement le savoir-faire. Dans dix ans, ils produiront des avions et seront nos concurrents.
Je ne vois pas très bien quelles gammes de produits existant aujourd’hui pourraient être exportées par les occidentaux vers la Chine.

Sylvie Rachet

Ma question s’adresse à Monsieur Junca.
Nous avons vu l’influence du dollar sur une entreprise. J’aurais voulu savoir quelle puissance peuvent avoir les multinationales à l’époque de la mondialisation sur les monnaies. On parle toujours de rivalité entre puissance des multinationales et puissance des Etats. A l’inverse, les entreprises peuvent-elles avoir un certain pouvoir, peut-être pas sur les monnaies, mais sur les politiques ?

François Junca

Je n’ai pas d’éléments de réponse à vos questions relatives au poids des multinationales sur les monnaies et au poids des entreprises sur les politiques. Je peux dire qu’en tant qu’industriel, à la tête d’une entreprise de près de 4000 salariés répartis dans le monde, je n’ai aucune action sur la pérennité des monnaies. Je subis l’impact du dollar faible et depuis quelques instants je suis plus triste qu’à mon arrivée dans cette salle parce que je n’ai pas entendu d’autre scénario, que celui d’une crise du dollar qui se traduit par la prévision d’une glissade continue de cette monnaie.
A l’issue de ce colloque, je vais m’interroger sur l’éventualité de produire encore plus que prévu dans les pays à coût bas pour faire face à la situation que cette parité euro-dollar nous impose dans le secteur aéronautique.

Pierre Hillard

Le 23 mars 2006, l’indice M3 a cessé d’être publié. J’aimerais connaître les raisons qui ont poussé les autorités américaines à cesser de le rendre public et les conséquences.

Michel Aglietta

Ils ont bien fait de ne plus le publier parce qu’ils ne s’en servaient plus depuis très longtemps. Les Américains ont compris très tôt, à la fin des années 1980, que le développement du marché de capitaux provoquait des arbitrages, c’est-à-dire des transactions massives entre les titres, les bons du Trésor, les obligations… et les dépôts (ce qui fait la monnaie), de telle manière qu’il n’y avait plus aucun rapport entre la monnaie et la croissance, et encore moins de rapports entre la monnaie et l’inflation. Or, pendant la période de la grande inflation, dans les années 1970, s’était développé le monétarisme, parce qu’à cette époque on voyait un lien entre la quantité de monnaie et l’inflation. A partir du moment où les sources de création monétaire privées sont devenues énormes et où les détenteurs de monnaie l’acquièrent en grande partie pour des raisons purement financières, il n’y a plus de relations entre l’économie et la monnaie (en termes de quantité, non en termes de prix de la monnaie).
Puisqu’ils ne s’en servaient plus depuis quinze ans, ils ont décidé d’arrêter de le publier. Ce fut l’acte de décès, a posteriori, du monétarisme. [Le monétarisme est le fait de fixer la quantité de monnaie pour piloter l’inflation future]. On ne le fait plus du tout parce que ça ne sert à rien.

Amir Lafarge

Ma question s’adresse à Monsieur Chevènement. Elle concerne le monopole du dollar sur le marché du pétrole. Pour avoir des dollars, il faut vendre des marchandises, si on n’a pas de dollars, on emprunte à la Banque mondiale… Avec ce système, les Américains ont mis la main sur le marché mondial. Pour acheter un Boeing, il faut payer en dollars et, sans dollars, pas de pétrole.
Il y a une volonté, au Moyen Orient, de casser ce monopole. A l’époque de Saddam Hussein, déjà, l’Irak avait déclaré vouloir substituer l’euro au dollar. Au-delà de la nature du régime, il y avait une volonté de casser ce monopole américain. On en a vu la conséquence : l’Irak a été brisé.
L’Iran, aujourd’hui, pour des raisons analogues, est la cible des Américains.
Il y a une volonté européenne, il y a une volonté de l’Inde, de la Chine, de casser ce monopole américain mais ces volontés sont entravées par la puissance militaire américaine.
Juste après la chute de Bagdad, dans un article du 7 avril 2003, intitulé : « Un nouveau monde va naître », vous aviez prévu un enlisement américain en Irak, que nous voyons aujourd’hui.
Cela peut-il être le début d’un nouveau monde avec la défaite américaine et un dollar supplanté par d’autres monnaies ?
Il paraît que l’Iran a l’intention de rompre avec le dollar.

Jean-Pierre Chevènement

Effectivement, j’ai lu quelque part que l’Iran avait manifesté l’intention d’utiliser l’euro pour la facturation du pétrole. Je pense que c’est sans doute beaucoup plus complexe parce que l’Iran vend une grande partie de son pétrole à la Chine et au Japon.
Il y a des négociations entre l’Iran et les Etats-Unis. Elles sont un peu souterraines et à un niveau encore relativement subalterne, elles sont menées par l’ambassadeur américain à Bagdad, Monsieur Khalilzad. Le désir du gouvernement iranien, exprimé à plusieurs reprises, a été de nouer un dialogue direct avec les Etats-Unis. Je ne sais pas s’ils y parviendront. Je ne sais pas si les Etats-Unis souhaitent ce dialogue. J’ai l’impression qu’ils « ferment les portes ». Je ne veux pas m’avancer, ne sachant pas ce que les Etats-Unis vont faire vis-à-vis de l’Iran.

Les Etats-Unis sont dans une très mauvaise situation parce qu’il n’y a plus de bonne solution pour eux en Irak. S’ils continuent dans la voie de l’escalade militaire, leur situation sera encore plus mauvaise qu’elle ne l’est aujourd’hui. La voie dans laquelle ils se sont engagés leur fait connaître ce qu’un historien américain, Paul Kennedy, avait appelé « le problème de la surextension impériale » Peut-être certains d’entre vous ont-ils lu cet ouvrage d’histoire : « Montée et déclin des grandes puissances » où Paul Kennedy montre que toujours, dans la vie des empires, il y a un moment où l’ambition excède ce que permet la base matérielle. Pour moi, le problème que nous examinons ce soir, est lié à ce « problème de la surextension impériale ».
Il va falloir amener les Etats-Unis à être ce qu’ils sont, c’est-à-dire, incontestablement, une très grande nation mais probablement pas un empire à l’échelle mondiale. Il faudra aller vers des systèmes de régulation y compris dans l’ordre monétaire.
Je reprends ce que disait Gabriel Robin tout à l’heure : je regrette qu’il n’y ait pas un pilote dans l’avion, pas de volonté de faire de la zone euro quelque chose qui tienne la route et qui soit, en effet un élément de rééquilibrage au plan monétaire, comme il est nécessaire de conduire d’autres rééquilibrages. Le rééquilibrage ne se fera pas seulement à partir de l’Europe mais aussi à partir de l’Inde, de la Chine, dont je ne suis pas sûr qu’aujourd’hui elles aient décidé de rompre à court ou moyen terme avec l’hégémonie du dollar. On peut le regretter. Il y a eu un rapprochement de l’Inde et des Etats-Unis et le deal américano-chinois est encore loin d’être rompu.

Malheureusement, l’histoire a son rythme. Je comprends la souffrance du peuple irakien. Je pense que ce qui se passe au cœur du Moyen Orient est, en effet, un facteur décisif de transformation du monde et de passage d’un état à un autre. Nous ne sommes plus du tout dans la situation du début des années 2000. La puissance américaine est profondément enlisée. Ce qui se passe en Afghanistan est un échec total pour le gouvernement Karzaï et pour les Américains. Il y a là quelque chose qui nous oblige à repenser complètement le problème de la relation avec le monde musulman, avec les différents courants qui s’y expriment. La politique américaine menée à l’égard du monde musulman m’a toujours paru une profonde aberration. Elle a conduit le monde à une situation extrêmement grave pour des raisons pétrolières, géostratégiques et a mené au développement des courants les plus obscurantistes dans le monde musulman. Nous en sommes là pour le moment.

S’il n’y a plus d’autres demandes d’interventions, nous pouvons considérer, non pas que nous avons fait le tour du sujet mais que nous nous sommes interrogés sur une problématique extrêmement complexe. Je crois qu’il y a un accord général pour dire que nous ne parviendrons pas à aller plus loin aujourd’hui dans l’exploration de la complexité.

Je veux remercier très sincèrement nos intervenants dont les exposés de grande qualité nous ont permis de reculer les frontières de l’obscurité.

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