Intervention de Paul-Henry Ravier

Intervention prononcée lors de la table-ronde du 28 novembre 2005 Mondialisation régulée des échanges et préférence européenne

Je risque de beaucoup vous décevoir parce que je n’ai pas de réponse à la question telle que vous la posez ! Par ailleurs, je ferai miens une grande partie des commentaires de Jean-Marie Paugam : si l’OMC travaillait sur des présupposés cohérents, ça se saurait ! Je crois qu’une fois de plus, on tire sur le pianiste : l’OMC n’est qu’un des nombreux reflets d’une société internationale fondamentalement imparfaite et dont la cohérence reste à construire. Par conséquent, chercher une cohérence dans la manière dont l’OMC travaille est une tâche impossible, mais dont l’OMC peut finir par être victime, j’en suis d’accord.

Je vais tenter de répondre à vos questions au fil de quelques remarques que m’inspirent ce qui vient d’être dit.

Tout d’abord, une note de contexte :
Le « big bang » libéral, financier – vous l’avez très bien dit – date des années 1980, le « big bang » commercial date d’un peu après, je n’ai absolument rien à redire là-dessus. Je voudrais simplement y ajouter une notation qui, à mon avis, a toute son importance même si elle n’est pas totalement économique. Il y a eu une concomitance entre ce « big bang » et la fin de la guerre froide, la chute du rideau de fer, des événements certes politiques mais qui ont eu pour conséquence majeure sur le plan économique le discrédit complet dans lequel ont sombré les modèles de développement d’économie planifiée et centralisée.
Ceci a eu une double conséquence :
· L’échec total de ce qu’avaient pu être les économies planifiées, centralisées des pays déjà dotés d’une infrastructure industrielle. On a vu où avaient conduits soixante-dix ans pour l’URSS, trente-cinq ans pour les démocraties populaires, d’économie planifiée.
· Une remise en cause fondamentale des modèles de développement centrés sur les mêmes théories et les mêmes pratiques. On a vu où avaient été menés bon nombre de pays en développement qui avaient suivi les modèles fondés notamment sur la « substitution aux importations ».
Je ne remets pas en cause les conclusions qui ont été émises avant que je prenne la parole, mais je pense qu’il faut les revoir en ayant cela présent à l’esprit. Je trouve l’expression « big bang libéral » tout à fait bonne, mais ce « big bang » n’est pas tombé du ciel, il est arrivé dans le contexte d’une réaction provoquée par le discrédit du système qui avait prévalu pendant de nombreuses années dans de nombreux pays.
J’insiste là dessus, car j’appartiens à la génération de ceux, qui, quand ils étaient étudiants, apprenaient dans les manuels d’économie politique :
· le mécanisme de formation des prix en économie libérale
· le mécanisme de formation des prix en économie centralisée et planifiée, et le reste à l’avenant.
Tous les manuels d’économie étaient bâtis sur cette division. On avait l’impression qu’il y avait deux paradigmes: le paradigme libéral capitaliste et le paradigme centralisé planifié. N’oublions pas cela.

Seconde remarque.
Je ne suis pas un théoricien de l’économie et je m’en remets à ceux qui en savent beaucoup plus que moi. Mais, quand on tire sur l’OMC, on croit tirer en même temps sur la théorie de l’avantage comparatif, donc sur Ricardo son auteur.
Sauf si je n’ai rien compris à ce que je dis depuis vingt-cinq ans, la théorie de l’avantage comparatif est une théorie de la production, du revenu mais à aucun moment elle n’a prétendu être une théorie de la répartition. Par conséquent, mettre sur le dos de la théorie de l’avantage comparatif l’augmentation des inégalités me paraît une incohérence intellectuelle.
Je pense qu’effectivement l’avantage comparatif, avec la spécialisation de la production qui en résulte, aboutit à un creusement des inégalités. Ma seule remarque à ce propos est que ce qui se produit à l’international se passe d’abord à l’échelon des marchés nationaux. N’oubliez pas que le décollage économique passe d’abord par un premier phénomène cité dans tous les livres pertinents en la matière : l’unification des marchés intérieurs. Or, l’unification des marchés intérieurs, que ce soit avec le Zollverein allemand, la construction des canaux et des chemins de fer au Royaume-Uni, la suppression des frontières intérieures dans le Royaume de France et la « guerre des farines » qui en a résulté, signifie, dans ce dernier cas, la mise en concurrence de la Beauce et du Massif Central pour la production de blé : il n’y a pas besoin d’être un grand économiste pour pressentir le résultat du point de vue de l’inégalité entre les deux régions!
Donc l’avantage comparatif s’applique d’abord aux marchés intérieurs et creuse les inégalités entre régions d’un même pays, puis entre pays.
Le fait est que le creusement d’inégalités, aussi bien à l’intérieur des pays qu’entre les pays, est, de nos jours, beaucoup plus mal toléré qu’il pouvait l’être quand nos ancêtres connaissaient les phénomènes d’exode rural et de début de la révolution industrielle. Ceci pose une contrainte majeure à ceux qui aujourd’hui réfléchissent aux problèmes de développement et aux problèmes économiques en général.
N’oublions pas par ailleurs que l’OMC n’est pas fondée sur le principe du libre-échange en tant que tel : elle n’a en effet qu’un seul métier, c’est de mettre en oeuvre le principe de non-discrimination. La non-discrimination dans les échanges – on n’a pas le droit de discriminer entre deux fournisseurs, c’est clause de la nation la plus favorisée, on n’a pas le droit de discriminer entre la production nationale et la production importée aux droits de douane près, c’est le traitement national – ce n’est pas tout à fait la même chose que le libre-échange, même si ça y tend. Ce n’est pas tout à fait la même chose dans la mesure par exemple où ça permet notamment de maintenir dans certains cas des protections élevées. C’est vrai dans le domaine des biens (ça l’est certes de moins en moins puisque les droits de douane baissent tendanciellement) mais c’est encore vrai dans le domaine des services où il est non seulement utile mais nécessaire, parfois recommandé que des secteurs – je pense à la banque – restent solidement réglementés quel que soit leur degré d’ouverture à la concurrence internationale.
Je m’insurge toujours en entendant dire que l’AGCS (Accord général sur les commerces des services) est fait pour déréglementer par exemple le secteur bancaire. C’est complètement absurde, car déréglementer le secteur bancaire, on voit très bien où ça mène ! Vous pouvez lire l’accord sur les services dans tous les sens, vous ne trouverez rien qui oblige à déréglementer le secteur bancaire, ni celui des assurances, ou tout autre secteur, tout au contraire.
Autrement dit les principes qui sous-tendent l’action de l’OMC tendent vers le libre échange mais ils ne sont pas le libre échange.

Une troisième remarque tourne autour de ce que vous dites à propos de la compétitivité salariale.
Ce qui se passe en Chine – et en Inde dans une certaine mesure – a un peu (et de plus en plus) à voir avec l’ouverture aux échanges, avec le libre-échange. Comme il se trouve que j’ai joué un rôle dans l’entrée de la Chine à l’OMC, je ne me renierai pas à cet égard. Mais ça a surtout à voir avec un phénomène beaucoup mieux connu et mesuré qui s’appelle tout bêtement la révolution industrielle. Ce qui se passe en Chine, c’est ce qui s’est passé en Europe entre les années 1830 et 1880, c’est-à-dire le passage d’une économie agraire et villageoise à une économie urbaine et industrielle. Ca ne se passe ni dans la facilité, ni dans la douceur, ni dans la tranquillité …mais ça se passe !
Une des choses qui m’énervent aussi c’est d’entendre dire qu’il faut à tout prix promouvoir l’agriculture de subsistance. Si l’Europe, en 1750, avait fait le choix de l’agriculture de subsistance, je suis à peu près convaincu qu’aucun d’entre nous ne serait présent dans cette salle : à trois cents ou quatre cents ans d’échéance, nous sommes tous des fils de paysans. Si nous étions restés des fils de paysans, aucun d’entre nous ne serait né car tous nos ancêtres seraient morts, « régulés » par la démographie.
Ma conviction est que les événements massifs qui se passent en ce moment en Chine et en Inde ont, certes, des conséquences planétaires, mais si vous regardez les chiffres, (non pas en valeur absolue – ils sont colossaux – mais en valeur relative), des déplacements de population, les données qui concernent l’exode rural de la Chine ou de l’Inde sont, à peu de choses près – si tant est que les statistiques soient valides – du même ordre de grandeur que ce qu’a connu l’Europe nord occidentale entre 1830 et 1880. En 1830, très en gros, 30% de citadins, 70% de ruraux, cinquante ans plus tard, 70% de citadins, 30% de ruraux.
Quand, un beau matin de l’année dernière, la Chine annonce qu’elle connaît la même répartition entre ruraux et citadins que les Etats-Unis en 1910, cela fait sourire ! Quand on connaît les statistiques chinoises, qu’elles portent sur la croissance ou sur autre chose, cette précision était comique d’autant que, par contraste, les statistiques américaines ont toujours été très précises. Mais cela dénotait quand même cette idée que les Chinois ont conscience que ce qui se passe dans leur pays est le passage d’une économie traditionnelle, presque totalement rurale et villageoise, à une économie qui, progressivement, va devenir industrielle et urbaine et que, en Chine comme en Inde, c’est l’industrie qui crée des emplois en quantité énorme, alors que, chez nous, chacun sait que l’industrie, non seulement n’en crée plus, mais en détruit, et ce, depuis trente-cinq ans … puisque nous sommes devenus des économies de services.
Je terminerai sur ce point : la Chine inquiète parce que le phénomène que je viens d’évoquer n’est pas très bien perçu et on ne peut pas comprendre ce qui se passe en Chine sans y ajouter deux choses.
Je ne veux pas faire de la psychologie de bas étage mais il y a dans la conscience collective des Chinois (et je vais souvent en Chine) la conscience aiguë, même si elle n’est pas formalisée, d’une part que la Chine a été le première économie du monde pendant dix-huit des vingt derniers siècles, d’autre part que la Chine vieillit et qu’elle court le risque d’être devenue vieille avant que d’être devenue riche. Les analyses démographiques sont assez précises (on se trompe peu en démographie parce que les inerties sont grandes). Or, la population active de la Chine est en ce moment proche de son maximum, elle va atteindre son maximum maximorum en 2015-2025. Les dirigeants savent que la politique de l’enfant unique finit par porter ses fruits, avec retard certes, mais de façon certaine.
On s’interroge donc sur ces Chinois qui travaillent comme des fous, dont le pays atteint des taux de croissance de 9% par an (15% pour l’industrie). Je lisais ce matin qu’on assiste à une ré accélération de la Chine alors que depuis un an on disait : « on ralentit, on refroidit ». Il y a donc sans doute dans cette frénésie de croissance l’idée qu’il faut aller d’autant plus vite dans le rattrapage, dans le retour au statut de première économie du monde qu’il n’y a pas beaucoup de temps pour effectuer ce rattrapage. Dans quinze ou vingt ans, le rapport entre la population active et la population inactive va commencer à se stabiliser avant de s’inverser. Il faudra bien sûr encore longtemps avant que la Chine rencontre les mêmes déséquilibres entre actifs et inactifs que le Japon ou l’Europe, mais il y a peut-être comme une angoisse de l’avenir dans cette fureur de développement et dans ce côté « éléphant dans un magasin de porcelaine » : la croissance incroyable des exportations, la prise de part de marché qui, par moments, paraît extraordinairement prédatrice.

Face à cela, que faire?
Je suis peut-être sceptique, pessimiste, libéral… mettez-moi dans la case que vous voudrez…
L’idée de rétorsion, de mécanismes compensatoires (des prélèvements comme on le fait en matière agricole en Europe, ou le redressement des écarts de salaires en fonction du dumping social…) pourquoi pas ? … sauf qu’il faudrait au minimum – ce qu’a dit Jean-Marie Paugam – des décisions de type « Conseil de sécurité ». En tout cas, à l’OMC, 4/5ème des membres, les PED, sont évidemment vent debout contre toute idée de remettre en cause l’avantage comparatif en matière salariale. Je ne vois donc pas très bien cela.
Deuxième point : pour ces mesures de type protectionniste, la vraie question concerne la proportion et la durée.
La proportion? On peut faire des calculs de marges, de dumping social et mettre en place des mécanismes correcteurs comme les droits compensateurs.
Mais pour combien de temps ? C’est là tout le débat. Tout ce qui se passe sur le textile et l’agriculture illustre le fait qu’il en est du commerce, comme, hélas, de beaucoup d’autres activités humaines : « Encore un peu de temps, Monsieur le bourreau ! ». On met en place des mesures de protection pour s’adapter et l’adaptation a toujours un métro de retard, parce que la conjoncture est adverse, parce qu’il y a une crise pétrolière, parce qu’il y a une instabilité financière et il faut toujours un an de « rab » !
Le textile en a été une des illustrations les plus stupéfiantes. Je l’ai vécue dans la période où j’étais à l’OMC :
On signe un accord en 1995 qui dit qu’en 2005 le textile rentrera dans le droit commun. Peut-être, sans doute, ne fallait-il pas signer cet accord ! Mais il a été signé par tous les membres de l’OMC, et on est censé respecter les accords. Les pays importateurs (Nord-Américains, UE…) avaient dix ans pour s’adapter, se mettre en conformité.
Quand on a dix ans pour faire quelque chose, en principe, on divise l’espace à parcourir en tranches, en l’occurrence cinq tranches biannuelles, pour baisser les tarifs douaniers, adapter l’industrie en cinq étapes.
Au bout de deux ans : action zéro, au bout de quatre ans : action zéro, au bout de six ans : action zéro, au bout de huit ans : action zéro… Tout le mouvement a été fait dans les deux dernières années. Et quand on est arrivé le 31 décembre de l’an de grâce 2004 où les bénéficiaires de l’accord textile refusaient d’arrêter la pendule et de prolonger le délai au-delà du 1er janvier 2005, les pays développés auraient bien voulu le prolonger encore de deux ans…
Je ne me fais pas le juge des décideurs et des gouvernements qui, pour des raisons multiples, sociales notamment, ont tenu compte du fait que dans certaines régions le textile est le seul employeur. Mais c’est tout de même une illustration frappante de la fantastique candeur, pour ne pas dire de l’hypocrisie ou de l’incompétence de ceux qui, en 1995, ont pris des engagements qu’ils savaient ne pas pouvoir tenir. Ils n’ont pas été contraints de le faire, il s’agit des trois premiers acteurs du commerce du monde ! On peut dire que, de temps en temps, on tord un peu la main de la Zambie ou du Kenya pour qu’ils signent tel ou tel accord. Je n’ai pas entendu dire que les Etats-Unis, l’UE ou le Japon aient jamais eu le bras tordu par qui que ce soit pour signer quelque accord que ce soit. Ils ont donc signé de leur plein gré.
Je ne veux pas faire le procès de la politique agricole commune, il a été fait remarquablement par d’autres que moi. Mais je suis stupéfait de voir que c’est la même chose que pour le textile : l’agriculture des pays développés n’est jamais assez adaptée, jamais assez compétitive et il faut prolonger indéfiniment les régimes de protection et de subventions.
Ce qui m’a le plus choqué dans la période récente en ce qui concerne le débat français, ce n’est pas tellement l’exercice très classique du gouvernement français canardant le Commissaire Européen en prétendant qu’il a dépassé son mandat dans le domaine agricole. Ça arrive régulièrement quel que soit le gouvernement et quel que soit le Commissaire. Non, ce qui m’a le plus choqué, c’est la réaction de type « circulez, il n’y a rien à voir », lorsque la presse a fait allusion aux vrais bénéficiaires de la PAC, c’est-à-dire ceux qui en ont le moins besoin puisqu’ils sont déjà les plus riches. Au Royaume-Uni, tout le monde sait, puisque la presse le répète à l’envi, que les plus gros bénéficiaires des subventions agricoles sont la famille royale ou certains membres de l’aristocratie. Il suffit qu’en France on menace de faire pareil, et une chape de plomb s’abat sur l’information.

Je caricature peut être à l’extrême mais, je tiens à le préciser, je parle ici bien entendu en mon nom strictement personnel. Ce n’est pas parce que je suis fonctionnaire français et que j’ai repris un peu de service pour la République sur les questions OMC que mes propos reflètent la position officielle française sur les points que je viens de mentionner : tout au contraire et je le déplore ! Mais ne vous méprenez pas ! Au total, j’ai le bonheur, n’étant plus à l’OMC, de ne plus parler au nom de l’OMC et j’ai aussi l’avantage, en ce moment, d’être assez indépendant vis à vis du gouvernement français pour ne pas parler non plus ici en tant que fonctionnaire français.

Toujours dans le « Que faire ? », l’autre point en dehors de ces mesures sur lesquelles, personnellement, je suis un peu sceptique :
Jean-Marie Metzger a parlé de la mise en cohérence. Très bon et très légitime débat ! Oui, mettre en cohérence les différentes sources de droit international, c’est-à-dire ne pas retomber dans ces débats permanents consistant à savoir ce qui est le plus légitime : la liberté des échanges ou la protection de l’environnement, la liberté des échanges ou la protection des travailleurs ? C’est tout à fait vrai. La société internationale étant ce qu’elle est, il n’y a pas aujourd’hui d’arbitre qui tranche sur ces questions de légitimité.
Là aussi il y a pas mal d’hypocrisie. Le commerce a une grande vertu, si je puis dire, c’est qu’il « fait mal ». J’entend par là que l’OMC – à la différence de l’OIT par exemple, qui parle mais ne punit pas – a un mécanisme de règlement des différends qui peut exiger qu’un Etat membre se mette en conformité avec les règles des accords et, éventuellement, s’il ne se met pas en conformité, prendre des sanctions à son encontre. C’est une énorme différence qui attire ceux qui, considérant que l’OMC est capable de faire ce dont ils sont incapables, se servent du commerce pour mettre en place des mesures environnementales ou sociales par exemple, parce qu’elles peuvent être sanctionnées à l’OMC alors qu’elles ne peuvent pas l’être dans des organisations censées s’occuper de questions d’environnement ou de protection des travailleurs.
Il y a donc là une forte dose d’hypocrisie qui rend difficile la mise en cohérence.
Chacun sait que les mêmes qui réclament des normes environnementales sont les premiers à dénoncer le « protectionnisme vert » sournois des grandes puissances qui, sous couvert de rajouter des normes contre les pesticides, introduisent du protectionnisme déguisé sous de bons sentiments écologiques, empêchent certains PED dont les normes de production ne sont pas aussi saines, aussi bonnes, aussi belles que les nôtres, d’exporter leurs productions alors qu’il y a cinquante ans, nous faisions les mêmes produits, de la même manière qu’ils les font maintenant. Nous les faisons mieux maintenant, d’une manière moins polluante parce que nous sommes plus riches, nous pouvons nous payer des systèmes, des mécanismes de production beaucoup plus chers, plus performants et moins polluants.
Je suis évidemment totalement pour la mise en cohérence mais j’en vois surtout les très grandes difficultés.

Puisque vous m’avez interrogé à plusieurs reprises, je terminerai sur les perspectives de Hongkong.
Dans un quotidien du 25 novembre, un article évoque les tensions entre les pays émergents d’une part, qui veulent l’ouverture des marchés, l’Europe d’autre part qui veut de la régulation, les pays en voie de développement enfin qui veulent du développement. Ça recouvre assez largement ce qu’a dit Jean-Marie Paugam.
Je pense que l’OMC est actuellement l’objet de tensions sans doute excessives par rapport à ce qu’elle est capable de fournir.
Je n’en dirai pas plus. N’étant pas devin, je ne suis pas en état de vous dire si Hongkong va échouer … un peu, beaucoup, ou réussir ! Selon mon expérience personnelle, même à dix jours, même à trois jours, même au milieu de la conférence, bien malin celui qui peut dire si elle va réussir ou échouer. De vous à moi, trois heures avant la fin de la conférence de Doha, c’est-à-dire à quatre heures du matin, la dernière nuit du dernier jour, on était complètement « dans les choux » … et à huit heures du matin, c’était gagné ! Il n’en faut pas beaucoup pour basculer d’un côté ou de l’autre.
Il est vrai que Pascal Lamy, avec une certaine prudence, a dit : « redescendons les ambitions ! » et quand on descend les ambitions le plus bas possible, on ne risque plus grand-chose. On n’en est peut-être pas là mais il est vrai qu’en « recalibrant » les ambitions – selon le jargon à la mode – on arrivera peut-être à un résultat. Sera-t-il significatif par rapport au texte qui a été négocié à Genève en juillet 2004 et qui était une tentative de relance du cycle de Doha après l’échec de Cancun ? C’est difficile à dire. Ma conviction ultime, et là c’est la position de la France, que je suis chargé de défendre, c’est que rien ne se fait à l’OMC sans « trade off », sans marchandage.
Par conséquent, si on passe son temps à ne parler que de l’agriculture et plus encore d’un sous- sujet agricole, l’accès au marché, on peut y passer dix ans, on n’arrivera jamais à rien.
La seule manière d’arriver à un résultat dans une négociation commerciale, c’est de faire du marchandage entre les différents sujets, donc de respecter un certain équilibre entre ces sujets. Je suis stupéfait de voir l’état d’affaiblissement des autres sujets, qu’il s’agisse de la négociation sur les tarifs industriels, ce qu’on appelle, dans un affreux jargon , le NAMA (la négociation des tarifs sur les marchandises non agricoles), ou de la négociation sur les services dont plus personne ne parle, ce qui est étonnant quand on sait qu’il s’agit du segment le plus dynamique du commerce mondial, qui représente trois quarts du PIB de tous les pays de l’OCDE ! Dans les comptes rendus que je reçois de Genève, d’heure en heure, le mot « services » n’apparaît plus. Il est fantastique de voir que toute la puissance intellectuelle des négociateurs du commerce mondial est concentrée sur des sujets un peu « ringards » qui appartiennent à l’ancienne économie : l’agriculture, les tarifs industriels, alors que personne ne parle des sujets concernant l’avenir des échanges, l’avenir de nos économies et l’avenir de nos emplois.
Enfin, puisque ce cycle s’appelle un « cycle de développement », les sujets de développement, nombreux, difficiles, complexes et d’un grand intérêt pour les pays en développement sont ceux qu’on a énormément de mal à maintenir à un niveau d’exigence et de dialogue cohérent et compatible avec un résultat équilibré.
Faute d’arriver à ce résultat équilibré, on court les plus grands risques quant aux résultats de cette conférence qui s’ouvrira dans quinze jours.
Merci de votre attention.

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