Une éducation civique républicaine au XXIe siècle

Intervention prononcée lors du colloque du 10 janvier 2005 Une éducation civique républicaine au XXIe siècle

Merci, Monsieur le ministre et cher ami, pour ce cadeau difficile et un peu empoisonné que vous me faites. Après tout ce que je viens d’écouter de si excellent, de si instructif, depuis les expériences du terrain jusqu’à des exposés de prospective comme celui de Jean-Yves Autexier et d’autres réflexions allant au fond des choses, je me demande sincèrement ce qui me reste à dire.

Plutôt que de me répéter par rapport à ce que j’ai, en effet, dit trop souvent, imprimé maintes fois (mais dans des livres qui jamais n’ont eu accès à la grande médiatisation), plutôt que d’essayer d’épuiser le sujet dont on a traité tant d’aspects, je voudrais me limiter à deux ou trois réflexions et propositions, un peu dans le désordre, mais qui toutes ont trait à notre problème.

Nous sommes une république, mais pas seulement dans les textes, pas seulement formellement, parce que nous avons une constitution… Les constitutions sont, comme le disaient les meilleurs républicains français, « des habits de papier ». Les constitutions n’ont pas beaucoup de valeur en soi. On les viole souvent en France, tous les vingt ans on en fait une autre. Le problème n’est pas de savoir au fond ce que disent les constitutions mais comment on les habite.
Une constitution républicaine, pour fonctionner, a surtout besoin de républicains.
Elle a besoin de gens qui, consciemment ou inconsciemment, se conforment à des textes de la loi collective : de grands esprits qui ont réfléchi aux choses ou simplement des personnes qui ont un instinct raisonnable…
Une constitution, des institutions sont toujours mouvantes, elles se modifient, non seulement formellement mais dans la pratique même qu’on en fait. Qui pourrait dire qu’à l’heure actuelle, la Cinquième République telle qu’elle est pratiquée ressemble à ce que son fondateur avait voulu ? Ressemble-t-elle à ce que les successeurs du fondateur, en particulier celui qui, le premier, a pratiqué l’alternance, en a fait, en voulait ? Depuis lors, bien des choses ont changé encore.

Tout cela doit nous amener, quand nous parlons d’éducation civique, à rappeler deux choses :
Premièrement, que c’est absolument indispensable.
C’est d’autant plus indispensable pour les Français que la France a choisi, qu’on le veuille ou non, dans ses imperfections, dans ses errements historiques, de ne pas avoir d’autre recours que cette loi commune qu’elle cherche douloureusement, qu’elle se donne de temps en temps, qu’elle applique très mal mais sans laquelle les Français ne peuvent rien faire.
Je veux dire par là que les Français n’ont pas la chance d’avoir ce « pompeux décor » dont parlait Bagehot, le grand spécialiste au XIXe siècle de la constitution anglaise : la monarchie britannique, un pompeux décor qui, dès les années 1860, ne correspondait plus à aucune réalité politique, mais qu’on gardait. On le gardait comme on gardait les règles du criquet… Puisqu’il faut une règle, prenons celle-là. On gardait précieusement la Veuve, Victoria, qui – Disraeli le savait bien – était à peu près idiote… et ses héritiers…. parce qu’ils constituaient un symbole.

D’autres avaient une transcendance, une religion.
Les Français, depuis deux siècles, ont renoncé à trouver une transcendance qui les aide à vivre, à se définir autrement et ailleurs que dans cette loi commune qu’ils se donnent qui est d’imaginer, de rechercher le meilleur gouvernement possible, qu’on appelle République.
Meilleur gouvernement possible en fonction d’un certain nombre de principes fondamentaux :
Je voudrais montrer comment des institutions théoriques d’une République – avec lesquelles nos institutions pratiques ne coïncident jamais – elles s’en rapprochent parfois, puis s’en écartent : c’est le flux de l’Histoire – découlent un certain nombre de principes de nature axiomatique. J’emprunte volontairement ce terme aux mathématiques auxquelles, naturellement, je ne comprends rien, pas plus qu’à Dieu.
« Axiomatique » qualifie une chose qu’on ne peut pas démontrer mais dont on peut prouver que si on ne l’applique pas, si on ne la tient pas pour vraie, des conséquences désastreuses pour le raisonnement, pour la politique, la morale s’ensuivront.
Tout ceci, que je semble exposer de manière abstraite, a été magnifiquement dit, malheureusement dans des textes très dispersés, depuis les origines de la République française. Vous m’autoriserez à faire commencer cette Révolution au 14 juillet 1789 qui, certes, maintenait une monarchie qui devenait constitutionnelle, mais les bases en étaient tellement audacieuses qu’on peut dire que notre République date de là. Tout au moins, et c’est beaucoup plus important, la République date du 14 juillet 1790 lorsque précisément on a voulu trouver symboliquement un acte fondateur non pas à la République – on utilisait peu ce terme savant qui désignait la collectivité politique – mais à la Nation française.

Cet acte fondateur fut le serment de la Fête de la Fédération, le 14 juillet 1790. Ce que nous fêtons le 14 juillet, ce n’est pas le massacre de quelques soldats invalides à la Bastille… [Il fallait bien la prendre… mais ça a été une affaire sanglante et par bien des côtés regrettable, voire détestable] mais c’est la Fête de la Fédération du 14 juillet 1790 : un serment unissant toutes les anciennes composantes du Royaume : les Corses, nouvellement conquis par le Roi de France [cet épisode n’a pas été aussi sanglant que Michel Rocard a cru devoir le dire un jour dans Le Monde en parlant de trente mille morts, il y en a eu trois cents], des protestant, des catholiques, des Bretons, des Navarrais, des gens qui venaient des pays d’Etats ayant une représentation juridique, des gens directement administrés… bref, l’abominable chaos juridique de l’Ancien régime.
Ce chaos devait disparaître parce que désormais il n’y aurait plus que des gens qui allaient, volontairement, se déclarer français par un acte consensuel, un contrat affirmé dans un serment solennel : on jurait en présence de Dieu… alors que la plupart des gens n’y croyaient plus.
Or les gens de cette époque – il s’agit des Lumières – ont très bien analysé, très bien expliqué comment la Nation (la République) est née du renoncement à cette diversité. On ne renonçait à cette diversité que dans certaines de ses conséquences, pas dans toutes : on n’empêchait pas les gens de parler provençal ou breton entre eux mais on demandait que lorsque ils allaient s’instruire, ils le fissent dans la langue de la Nation.

Dans aucun autre pays d’Europe – que ce soit en Angleterre avant nous, en Allemagne et en Italie un peu après – je ne connais de fabrication de l’unité nationale qui se soit faite sur des bases idéologiques et philosophiques aussi parfaitement exprimées. Il faut aller lire les textes de cette époque ou les débats parlementaires : tout y apparaissait clairement.
Les Français, à partir de ce moment-là, ont emprunté aux traditions religieuses ou civiles de l’Ancien régime les règles du débat ; celui-ci tournait mal quelquefois ! Puis ils se sont guillotinés entre eux… C’était regrettable.
Quand, dans Le Moniteur, on lit de près les débats parlementaires, on se rend compte qu’à peu près tous les sujets dont nous avons parlé aujourd’hui ont été abordés dès cette époque. En effet, ces gens voulaient fonder quelque chose qui soit justifié logiquement, philosophiquement, idéologiquement. Tout a été dit.
Il a été question tout à l’heure de l’identité des gens d’origine étrangère qui vivent sur notre territoire.
Croyez-vous qu’on ne s’est pas demandé comment on allait définir le terme de Français ?
Cette question venait d’ailleurs de l’Ancien régime :
• Est-ce que c’est la volonté de l’étranger qui va demander à être fait Français qui va être prise en compte ?
• Est-ce que c’est le fait d’être né sur les terres du Roi, dans les Etats du Roi ?
Il y avait différentes possibilités.
On débattait déjà sous l’Ancien régime à propos de ces questions de « naturalité ». On n’a pas attendu la Révolution pour savoir si des étrangers seraient dits loyaux sujets du Roi de France. Le Roi donnait des lettres de naturalité. Droit du sol ou droit du sang ? On débattait déjà de ces questions.
Les vrais républicains, qui avaient lu Montesquieu et Rousseau et qui avaient réfléchi sur les bases de la philosophie des Lumières, répondaient que ni l’une ni l’autre des solutions n’était la bonne.
Rousseau avait éliminé d’un mot le droit du sol, d’après lui un droit féodal selon lequel vous appartenez, que vous le veuillez ou non, au seigneur du lieu où vous êtes né. Que ce seigneur soit le peuple français ou le Roi de France, c’est aussi peu recevable dans un cas que dans l’autre. Quant au droit de la filiation, il n’est pas très recevable non plus : la filiation, c’est l’inégalité biologique. Je suis le fils de mon père… « Que savez-vous de votre filiation, disait Voltaire, êtes-vous si sûr de la vertu de vos grand mères ? »
On va donc fonder le droit sur la seule chose recevable : le contrat librement consenti. Un contrat peut être défini, on peut en préciser et en affiner la définition.
Le droit de naturalité ou de citoyenneté française, la qualité de Français doivent être consensuels, cela a été dit explicitement lors des discussions sur le code civil et avant même, sous la Législative et la Convention.
Ce droit est tellement consensuel qu’on va le sceller par le serment civique : vous ne serez pas français si vous n’acceptez pas la loi commune formellement dans une formule que vous allez dire. Ceci était valable pour les étrangers nouvellement admis comme pour les jeunes Français lorsqu’ils passaient de l’état virtuel de leur nationalité à la citoyenneté effective (un mineur était considéré comme pas encore citoyen, ce qui était d’ailleurs assez sage) en manifestant leur adhésion.
Si quelqu’un ne manifeste pas son adhésion, on ne peut lui demander ensuite de respecter les obligations et de bénéficier des droits qui en résultent. Tout cela a été dit très clairement.
De très bons esprits défendaient le serment civique, tel Mirabeau.
D’autres personnes en voyaient les difficultés parce qu’il rappelait aux Français le billet de confession du temps de Louis XIV, au moment de la lutte contre les protestants et les jansénistes, quand les gens devaient obtenir du curé de la paroisse un billet de confession pour montrer qu’ils étaient de bons catholiques, de bons sujets du Roi. Ceci était soumis à l’arbitraire policier des curés et des Dragons…
Si on demandait un serment civique, on pouvait aussi demander un certificat de civisme. Ces certificats de civisme, pendant la Révolution, avaient laissé un très mauvais souvenir, justifié : c’était de l’inquisition policière des comités révolutionnaires locaux, c’était inadmissible.
On a alors envisagé de réduire ce serment au minimum… Mais, tout de même il figurait dans nos premières constitutions.
On y a renoncé plus tard lorsque la République française s’est construite par diverses étapes, de la Première République à la Troisième, cherchant des substituts à toutes ces constructions juridiques – empruntées ou non à l’Ancien régime – qui pouvaient être d’origine religieuse ou autre et qui ne les satisfaisaient pas suffisamment, cherchant quel pouvait être le recours contre toutes ces dérives, ces dangers. Recours trouvé dans le texte génial de Condorcet, arraché à la mort en 1794 : « Esquisse d’un tableau des progrès de l’esprit humain », c’est à dire de l’histoire des sciences, de l’histoire des idéologies.
Histoire aussi des régimes politiques, toujours plus ou moins liés à une phase de l’état des sciences mais qui, dans la phase dans laquelle on entre grâce à la Révolution française, vont être liés organiquement au progrès des connaissances et des sciences, progrès qui va permettre d’établir – immédiatement ou avec des temps de réponse – le meilleur régime possible. Les Français découvrent donc un recours dans quelque chose qui est du ressort d’une pédagogie, dans ce progrès collectif des Lumières : échange à plusieurs niveaux de compétences entre des gens qui font vraiment progresser les sciences, ceux qui vont diffuser les Lumières, enfin ceux qui vont enseigner les jeune gens qui, à chaque génération, arrivent dans la société, dans la future République à l’état de jeunes barbares.
Ceci concerne tous les enfants, pas seulement les enfants de l’immigration mais aussi, peut-être surtout, les enfants « de bonne souche ».
Tout enfant par définition est un jeune barbare et le rôle de la République est, à partir de ces jeunes barbares, de se former elle-même avec tous les perfectionnements possibles (rien n’est intangible, rien n’est sacré), de se former elle-même en formant ceux qui vont l’habiter, qui vont donner un sens à la République de papier que les professeurs de droit et les hommes politiques, avec une ténacité et une confiance toujours renouvelées, rédigent tous les vingt ans en France. Ces textes sont modifiés, changés dans la pratique ou abolis tous les vingt ou trente ans également.
Tout ça n’a pas beaucoup d’importance s’il y a les républicains, les citoyens républicains. Voilà ce sur quoi repose la République.
D’où ce lien unique en Europe.
Ce n’est pas la même chose qui faisait l’unité nationale italienne.
Quant aux Allemands, c’est leur langue et leur race qui, pendant très longtemps, jusqu’à une époque très récente, constituaient le lien. Le « Volk » : on est allemand de naissance et de langue.
Quand des peuples ne veulent pas devenir allemands, on les réclame au nom de la langue, au nom de l’histoire ou de leur filiation.
Pour les Anglais, c’est le club des gentlemen d’Oxford et Cambridge dans lequel, peu à peu, on accepte les ouvriers qui s’habillent comme des bourgeois.
Chaque pays a eu sa façon à lui d’accéder à l’unité nationale mais je ne connais pas d’autre pays que la France qui se soit bâti sur une construction idéologique à base pédagogique, à base épistémologique : les progrès de l’esprit humain, les sciences et les sciences positives.
Tout est inclus à partir de là, la liberté et l’égalité. C’est facile à démontrer mais il faut insister sur la fraternité pour lui donner le sens réel qu’elle avait à la fin de l’Ancien régime et pour nous Français.
Nous disons préférer le mot solidarité, inventé par Fourier, dit-on, et revendiqué par les radicaux, Léon Bourgeois et quelques autres. Mais la fraternité est beaucoup plus fondamentale parce que c’était une vieille revendication du Tiers-état aux Etats généraux de 1614 : les représentants du Tiers ont dit au Roi : « Nous allons verser notre contribution aux pieds de Votre Majesté – avec la Noblesse qui rechignait, avec le Clergé – parce que nous sommes tous frères et fils de la Patrie ». La fraternité c’est le fait que tous les Français répartis en Ordres, en castes juridiques et biologiques, avant la Révolution, sont désormais frères.
Les membres de la Noblesse sont allés défier les robins du Tiers-état qui venaient de proclamer la fraternité : « Vous êtes nos manants, nos valets, vous n’êtes pas nos frères ».
La Révolution a créé des frères ; c’était aller contre la biologie, c’était renoncer au droit de filiation, comme on y renonçait, d’un autre côté, au profit du contrat et donc du serment et de l’adhésion volontaire à la citoyenneté.
De là se déduisent toutes sortes de conséquences qui ont été perfectionnées au cours de notre histoire républicaine, qui ont trouvé, avec décalage, avec plus ou moins de bonheur, leur expression dans les programmes, dans ce qu’on a tenté d’enseigner, d’abord sous le nom de morale puis à l’école primaire au temps de Jules Ferry, puis sous d’autres noms dans diverses circonstances. Mais cet enseignement tendait toujours plus ou moins vers le même but (avec des reculs ici ou là).
Nous devons à l’heure actuelle le formaliser, le rendre plus expressif, plus conscient peut-être pour nous tous, quel que soit le nom qu’on lui donne [enterrons les vieilles querelles théologiques, c’est à dire pédagogiques], formation civique, instruction civique, éducation civique…
Quand on retourne aux principes fondateurs, ce n’est pas pour le plaisir de faire de l’histoire cuistre, mais pour se rendre compte sur quoi en réalité repose ce qui semble être une particularité française, bonne à mettre au musée – on ne se prive pas de nous le dire -, pour montrer qu’il est indispensable de réaliser que c’est là-dessus que nous avons décidé de fonctionner (en tout cas la minorité active qui a fait sur deux siècles les progrès – ou les reculs parfois – de la vie politique française).
Il est absolument indispensable de l’enseigner.
D’abord parce qu’il y a un analphabétisme civique considérable en France. C’est bien dommage mais sans doute inévitable.
C’est à nous de trouver les moyens de lutter contre l’analphabétisme civique.
Je l’ai constaté encore tout récemment pour l’oral de l’agrégation d’histoire. Il faut voir ce que des agrégatifs d’histoire sont capables de dire quand on les interroge sur les définitions les plus élémentaires : Qu’est-ce que le législatif ? L’exécutif ? Notions, au demeurant très fausses, mais dont il faut savoir comment elles ont été employées, ce qu’elles ont voulu dire à un moment ou à un autre. Ou encore : Quels sont les régimes qui se sont succédés en France depuis 1789 ? Ils n’arrivent pas à identifier la monarchie constitutionnelle, vous entendez : « le Directoire, le Concordat ( !) ».
C’est l’absence complète, chez un agrégatif d’histoire, des moindres notions de base, de vocabulaire, sur les institutions dans lesquelles vivent d’innombrables peuples y compris le nôtre, sur les concepts les plus simples (encore une fois, il ne s’agit pas d’érudition). Cet analphabétisme civique n’est pas tolérable dans une République qui n’a au-dessus d’elle rien d’autre, qui n’a pas d’autre recours que la loi commune qu’elle se donne (dont la plus importante doit être théoriquement la Constitution, tout en sachant que les constitutions ne sont jamais vraiment appliquées, sont souvent dévoyées).
Cet analphabétisme civique inclut l’ignorance des fondements du comportement « civique » (et non pas « citoyen », comme on le dit aujourd’hui. J’ai vu dans un lycée, il y a deux ou trois ans, des élèves tout contents d’avoir fait des travaux pratiques d’éducation civique sur le thème : « Ayons des toilettes citoyennes »).
Cet analphabétisme concerne tout le monde. Je suis plus intéressé par les carences morales des classes dirigeantes que de ceux qu’on nous désigne toujours comme les pauvres gamins qui viennent de milieux défavorisés, maintenus dans des ghettos par la pauvreté ou en cultivant leur identité (ce qui n’est pas forcément un service à leur rendre).
Je suis beaucoup plus frappé par le danger que représente pour une vraie République le comportement compétitif des classes dirigeantes, centré sur la réussite à tout prix. C’est ce qui caractérise les classes dirigeantes françaises, ce sont elles qui auraient fortement besoin d’éducation civique.
(applaudissements)
Il faudrait donc songer à toucher ces « pauvres déshérités » : peut-être dans les classes préparatoires aux grandes écoles puisque ce système subsiste.
Enfin, on en a beaucoup parlé, l’absence de vocation, les difficultés des professeurs, c’est fondamental… mais qu’a-t-on fait pour aider les gens qu’on recrute pour ce métier, un des plus difficiles du monde, bien que passionnant ?
Des enfants de maternelle aux auditoires d’agrégatifs, c’est également difficile. Tous ceux qui envient le traitement des enseignants d’une part et, d’autre part les méprisent parce qu’ils ne gagnent pas assez d’argent (c’est l’attitude de tous les vainqueurs, de tous les gagnants de notre société) devraient être placés un jour face à une classe, une vraie, ils verraient ce qu’est ce métier, le plus beau pour un républicain, mais horriblement difficile.
J’ai participé à beaucoup de réunions de professeurs avec l’inspection générale sur l’instruction civique, dans le cadre de commissions thématiques, interdisciplinaires. Les professeurs disaient rencontrer des problèmes : horaires, moyens insuffisants mais se plaignaient surtout de ce que personne ne leur avait appris.
Les professeurs apprennent leur métier quelque part : dans les écoles normales, remplacées aujourd’hui par les IUFM, ou en situation selon les modes de recrutement.
Dans aucun programme, à ma connaissance, ne figure une formation spécifique sur ces questions. S’ils avaient de bons cours d’histoire (je ne mets pas en cause les professeurs d’histoire mais les programmes) ce serait moins grave parce que un bon programme d’histoire couvrirait la plupart de ces questions et permettrait aux gens, s’ils l’ont bien assimilé, de répondre à ces questions. Mais ce n’est pas le cas.
Je vais critiquer en particulier la formation dans les universités des futurs professeurs, les étudiants de licence. Dans la plupart des universités c’est la Bérézina, c’est un désastre. L’enseignement de la licence est une catastrophe dans toutes les matières : Lettres, Sciences, Histoire – je ne parle pas du droit ni de la médecine que je connais très mal – c’est un archipel de petites connaissances pointues proposées par les professeurs parce que ça les arrange (et parce que les institutions leur ont permis de le faire) au milieu d’un océan d’ignorance abyssale et absolument inconsciente. Nous avons des gens qui savent tout sur tel ou tel objet de cours d’un grand professeur (les parfums à telle ou telle époque…) et qui ne savent rien des choses importantes, essentielles, sur lesquelles il faudrait qu’ils aient des connaissances beaucoup moins pointues mais réelles. On ne les a jamais formés.
Il faut une réforme de l’enseignement de la licence puisque la licence est encore la voie par laquelle la plupart des professeurs des lycées et, de plus en plus, ceux des écoles sont formés. C’est très mauvais pédagogiquement. Je le dis au risque de fâcher mes chers collègues d’université qui ont concocté des programmes d’UER… en général ridicules.
Un mot enfin sur ce dont Monsieur Sabeg a parlé : la discrimination positive. Je ne suis pas de ceux, parmi lesquels des gens que je respecte beaucoup, peut-être Jean-Pierre Chevènement, en tout cas sûrement Badinter, qui prennent feu et flammes lorsqu’ils entendent parler de discrimination positive. Il y a certes des côtés ridicules : telle la parité entre les hommes et les femmes qui aboutit à des absurdités. Mais il en faut un peu et les républicains français n’ont pas à s’en étonner.
Puis-je rappeler toutes les polémiques passées autour de propositions qui nous paraissent innocentes aujourd’hui comme l’impôt progressif sur le revenu ? Tout le monde a accepté ce principe … mais quand Léon Bourgeois, quand Joseph Caillaux, quand Edouard Herriot et d’autres l’ont proposé, quelle levée de boucliers ! C’était épouvantable, contraire au principe d’égalité !
Il y a des moments – et sans doute sommes-nous dans un de ces moments pour notre République – où un peu de discrimination positive n’est pas inutile. Il faut, de temps en temps, secouer un peu le cocotier, avec des précautions….

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