L’éducation civique dans les IUFM

Intervention prononcée lors du colloque du 10 janvier 2005 Une éducation civique républicaine au XXIe siècle

La situation de l’éducation civique, dans les IUFM, est pour le moins précaire.

Quel contenu donner à l’éducation civique dans la formation des maîtres ?

Actuellement, l’Etat ne sait pas ou n’ose pas affirmer une doctrine en matière d’éducation civique.
Il faut, me semble-t-il, dire que l’éducation civique n’est pas une simple socialisation de l’enfant, dont la forme la plus élaborée serait le « vivre –ensemble » à l’école, réduction la plus fréquente. L’éducation civique a d’abord pour objectif, comme le rappelle le Professeur Nicolet, de préparer au « métier de citoyen », à la dignité de citoyen, dans ses rapports avec le pouvoir politique.
L’éducation civique nécessite donc chez les maîtres la possession d’une culture, une culture de la citoyenneté et de la République, qui fait défaut aux étudiants et à beaucoup d’enseignants.

Cette culture s’entend aux deux sens du terme :

• Un ensemble de connaissances, un véritable contenu sur les institutions, les lois, mais aussi la philosophie politique.
• La mise en œuvre de pratiques issues des idéaux républicains – une articulation entre des valeurs, des règles ou des lois – et cela dans la vie scolaire et sociale.
Cette conception centrale de la citoyenneté nécessite que, dans les IUFM, le nouvel enseignement sur le fait religieux et la laïcité ne soit pas séparé de l’étude de l’idée républicaine.

Pour que la construction de cette éducation à la liberté concerne la globalité de la Cité, il faut aussi éviter, chez les formateurs comme chez les enseignants, une série de dérives courantes :
• L’utilitarisme et l’individualisme, à travers une réduction à l’éducation à l’environnement, à la consommation ou à la sécurité routière.
• Le moralisme sans recul, à travers un recentrage trop exclusif sur la civilité, sur la personne aussi, par la valorisation des différences, le particulier l’emportant alors sur l’universel.
• L’humanitarisme enfin, réduction à une éducation aux droits de l’homme et aux droits de l’enfant, traitée selon les modes médiatiques et coupée des droits du citoyen et du rôle de l’Etat républicain.

Face à ces dérives, il y a nécessité dans les IUFM de concevoir une formation qui
• d’une part, réhabilite une éducation morale, une morale civique construite à partir d’une réflexion sur les valeurs et le sens de la règle.
• d’autre part, réhabilite la politique et le sentiment d’appartenance des jeunes professeurs à une République et à une Nation qui ont encore un destin.

L’éducation civique est une formation à la politique. Il faut l’assumer et les maîtres ne doivent pas renoncer à enseigner la République. Enseigner la République dans un esprit laïque, c’est à dire en se fondant sur la maîtrise de connaissances spécifiques, présentées comme distinctes des opinions sur la vie politique.
Les nouvelles orientations officielles multiplient les démarches de débat, et cela dès l’école primaire. Certains pédagogues font comme si les élèves pouvaient débattre sur de multiples sujets, avant même de les connaître !

L’état des lieux dans les IUFM nous éloigne donc d’une véritable culture républicaine.

Pour le professeur-formateur se pose d’abord la question de l’existence d’une discipline scolaire spécifique.

Dans le primaire :
Les instructions officielles de septembre 2002 prônent une éducation civique interdisciplinaire – une demi-heure de débat hebdomadaire et une heure à prélever sur les autres disciplines, dans le style des activités d’éveil des années 1970 –
Il y a là un recul par rapport aux instructions officielles de 1985 et de 1995.

En outre, cette discipline n’a pas de présence à l’université.
Pour me spécialiser dans cet enseignement depuis 1986, j’ai dû emprunter à la philosophie politique et morale, au droit, aux sciences politiques bien sûr, mais aussi à l’histoire-géographie et quelque peu à la sociologie et à l’économie.
Il y a aujourd’hui un grand déficit de formation et de recherche dans ce domaine, ce qui constitue une entrave majeure.

Dans le secondaire :
Ce sont les professeurs d’histoire et géographie qui enseignent l’éducation civique au collège. Au lycée, ils se répartissent cet enseignement avec les professeurs de sciences économiques et sociales et de philosophie.

Ces professeurs, en particulier les professeurs d’histoire et géographie, ne reçoivent aucun enseignement spécifique, ni en préparant leur licence, ni à l’IUFM. Ceci n’encourage pas ces professeurs à une stricte application des programmes.
Jusqu’en 2002, les professeurs, toutes disciplines confondues, ont bénéficié dans de nombreux IUFM de conférences de trois heures sur l’éducation à la citoyenneté. Lors de l’application du rapport Debray elles ont été remplacées par des interventions de trois heures consacrées au fait religieux et à la laïcité – qui elles-mêmes sont dispensées en fonction de la bonne ou mauvaise volonté des formateurs.

En ce qui concerne la formation des professeurs des écoles polyvalents, des « acquis » avaient été obtenus grâce au plan de formation des Ecoles normales de 1985, ils avaient été maintenus et renouvelés lors de la création des IUFM en 1990, en dépit de disparités selon les centres.
Il existait assez souvent des modules « éducation civique » ou « éducation civique, éthique et politique » en seconde année de formation professionnelle.
Ainsi, l’IUFM de l’Académie d’Amiens programmait un module de quarante heures (quinze heures de cours magistraux et vingt-cinq heures de travaux dirigés).

Tout cela a beaucoup régressé. Pourquoi ?
• Les instructions officielles du primaire de septembre 2002 – l’éducation civique devenant une matière interdisciplinaire – ont fait éclater la formation entre les différentes disciplines et, en fait, l’on fait disparaître dans de nombreuses classes.
• Le plan Lang de formation des IUFM, préparé par Philippe Meirieu, a supprimé tout module spécifique, pour faire la place à un module de douze heures consacré au fait religieux et à la laïcité. Il reste une timide allusion dans l’épreuve d’histoire-géographie optionnelle du concours, mais sans programme : aucun sujet oral n’a, à ma connaissance, été donné depuis trois ans.
En menant une bataille acharnée dans mon IUFM, j’ai pu garder neuf heures annuelles de formation civique pour toute une carrière de professeur des écoles. Mais c’est une quasi exception car, dans la plupart des IUFM, les professeurs des écoles ne reçoivent plus aucune formation spécifique, puisqu’ils sont censés la recevoir dans toutes les disciplines – « toutes » se traduisant par « nulle part ».

Quelles propositions faire pour sortir de ce gouffre ?

Je propose trois orientations :

1. Afficher et affirmer l’existence d’une discipline scolaire à part entière. L’éducation civique « à part entière » signifie :
• Présence dans les instructions officielles de programmes au contenu très précis.
• Un horaire spécifique de l’école primaire au lycée et, pourquoi pas, à l’université.
• Une spécificité dans les plans de formation des IUFM en formation initiale et continue.

2. Introduire une épreuve d’éducation civique dans les concours d’entrée
• du professorat des écoles.
• du CAPES d’histoire et géographie.

3. Créer une formation adaptée dans la seconde année professionnelle des professeurs-stagiaires en IUFM, en particulier pour les professeurs d’histoire et géographie et pour les professeurs des écoles dans le cadre de la polyvalence afin de combattre l’ignorance – qui est grande – et les blocages exprimés ou inavoués – qui sont de nature politique ou idéologique, comme l’a rappelé Philippe Barret.
Il me semble qu’il faut envisager un module global « Education civique, République et laïcité », qui comporterait :
• Un volet théorique : « L’idée de République et les institutions », la nation et la démocratie françaises et leurs rapports à l’Europe et au monde.
• Un volet « Laïcité, fait religieux » en liaison avec le « vouloir vivre ensemble » dans la nation et dans l’institution scolaire.
• Un volet didactique et pédagogique relatif à la pratique de la discipline scolaire, centré sur les programmes et la construction de la citoyenneté.
Un tel module, pour être consistant, doit bénéficier de 30 à 50 heures.

Pour conclure, je veux dire que l’éducation civique, pour s’ancrer réellement dans les pratiques après son retour grâce aux instructions officielles Chevènement de 1985, doit être affirmée comme discipline autonome, ce qui ne veut pas dire refuser l’interdisciplinarité, mais c’est la seule manière d’éviter le zapping pédagogique et un choix réduit des contenus à partir de projets étroitement sélectifs et partiels par de nombreux enseignants.
L’éducation à la civilité, aux règles de la vie en société a sa place mais elle doit être mise en perspective avec une formation du citoyen, acteur politique libre et responsable d’une République qu’il faut connaître pour, peut-être, l’aimer quelque peu.
Ce qui manque aujourd’hui, c’est très largement la conviction. Sans conviction partagée, à tous les niveaux, il est difficile de surmonter les échecs, les dérives ou le silence.
Il n’y aura pas de République vivante et forte sans créer dès l’école la conscience de la citoyenneté.

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