Approvisionnement énergétique de l’Europe et politique de grand voisinage : conclusions de Jean-Pierre Chevènement

Intervention prononcée lors du colloque du 14 décembre 2004 Approvisionnement énergétique de l’Europe et politique de grand voisinage

Il serait bien prétentieux de ma part de vouloir apporter une conclusion à un débat aussi passionnant et que « Res Publica » n’a initié que pour lui permettre de toucher un nombre toujours croissant d’acteurs, pour élever le niveau de conscience sur ces sujets trop peu connus.

J’ai été très impressionné par les développements de Nicolas Sarkis consacrés au « peak oil », d’ores et déjà atteint par de nombreux pays, et non des moindres, et par sa réflexion en forme d’aphorisme : « Le successeur du pétrole sera … le pétrole, mais beaucoup plus cher ». Il me semble que ce renchérissement prévisible des coûts à long terme doit entraîner dès maintenant quelques choix politiques simples.

A. Renforcement de notre relative autonomie énergétique.
La dépendance croissante de l’économie européenne pour ses approvisionnements énergétiques et le renchérissement prévisible du coût des énergies fossiles doivent nous inciter à prendre toutes les mesures nécessaires au renforcement de notre très relative autonomie énergétique dans le long terme.

1. Il en va ainsi pour le renouvellement de notre parc électro-nucléaire engagé avec le lancement bienvenu du prototype de l’EPR. La tentation de la « sortie du nucléaire » intériorisée au niveau communautaire doit être plus résolument combattue.

2. Pour cela, notre politique de recherche doit être renforcée considérablement sur le traitement des déchets ultimes et sur les réacteurs de quatrième génération. De même la France et l’Europe doivent-elles davantage investir sur les énergies du futur (fusion (projet ITER) – économie de l’hydrogène – pile à combustible). Il est très préoccupant de voir l’Europe largement distanciée en matière de recherche sur l’énergie par les Etats-Unis et le Japon qui y consacrent chacun 1,2 Milliards de dollars par an, tandis que le premier pays européen, l’Allemagne, n’investit dans ce secteur que 230 Millions de dollars. Si les Etats-Unis ne se préoccupent pas assez d’économiser l’énergie, l’Europe, quant à elle, n’investit pas assez dans les énergies du futur. L’adoption d’une loi d’orientation et de programmation pour la recherche pourrait être l’occasion d’une réflexion dans ce sens.

3. Parallèlement doit être poursuivie la politique d’incitation aux économies d’énergie dans le cadre de la mise en œuvre du protocole de Kyoto. Un vaste domaine de coopération en matière d’efficacité énergétique s’ouvre à cet égard avec la Russie.

B. En matière pétrolière, la stabilisation du Moyen-Orient et la normalisation des relations entre l’Europe et l’Iran engagée avec la mission des trois ministres français, allemand et britannique des Affaires Etrangères revêtent un intérêt prioritaire. La création d’un Etat palestinien viable et le retrait des troupes américaines d’Irak doivent contribuer à assécher le terreau sur lequel se développent l’intégrisme et le terrorisme. L’Iran a un rôle stabilisateur à jouer pour permettre le dégagement américain d’Irak dans des conditions qui préservent l’unité de ce pays. La France et l’Europe peuvent peser efficacement pour permettre la désescalade. Parallèlement il est nécessaire de poursuivre une politique de diversification de nos approvisionnements.

C. C’est dans le secteur du gaz que des choix politiques doivent être faits en raison même de la rigidité des structures d’approvisionnement par gazoducs ou par méthaniers, rigidité en elle-même favorable à l’établissement de rapports pacifiques de longue durée.

1. Le renforcement des capacités de transport par gazoducs en provenance de Russie, du Maghreb et peut-être d’Iran via la Turquie peut permettre une véritable interconnexion à l’échelle d’une grande Europe élargie à la fois vers l’Est et vers le Sud.

2. Libéralisation du marché de l’énergie en Europe et concentration dans les pays producteurs. La libéralisation du marché de l’énergie dans l’Union européenne entre inévitablement en contradiction avec la conclusion de contrats d’approvisionnement à long terme. Le développement de marchés « spot » à partir du gaz fourni par méthaniers et l’interconnexion croissante des marchés demeurés jusqu’à présent régionaux introduisent des dimensions nouvelles à prendre en compte. Certes, on observe que la libéralisation en Allemagne a conduit à un renforcement de la cartellisation à travers l’absorption par l’électricien E.on du gazier Ruhrgas et le rachat par celui-ci de réseaux de transport et de distribution en Europe centrale. Reste qu’un certain équilibre devra être maintenu afin de favoriser des rapports stables dans la longue durée.

3. En France même, le renforcement des capacités des ports gaziers de Fos sur Mer et de Montoir de Bretagne s’impose. La chaîne GNL ne manquera pas de se développer et créera les conditions d’un véritable marché mondial du gaz entre les producteurs (Moyen-Orient, Afrique, Russie) et les grandes zones de consommation (Europe, Etats-Unis, Chine, Japon).

4. Pour favoriser des relations à long terme, une certaine intégration est sans doute inévitable : prise de participations des pays consommateurs dans les gisements de gaz et association des pays consommateurs aux bénéfices de la commercialisation.

5. Au plan industriel il est important que la France et l’Europe conservent des entreprises capables de fabriquer des méthaniers, des usines de liquéfaction et de regazéification, des compresseurs, du matériel de forage et de pompage, etc. Le secteur parapétrolier revêt une importance stratégique essentielle. Il est important d’y promouvoir la recherche en vue d’une constante amélioration des technologies. Le secteur parapétrolier peut fournir la base d’une coopération technologique avec les pays producteurs : Algérie, Iran et Russie (chaînes GNL – méthaniers).

6. En l’absence de politique énergétique européenne à long terme que la libéralisation du secteur de l’énergie ne saurait remplacer, il est important de faire travailler ensemble, au niveau franco-allemand, les principaux acteurs gaziers pour favoriser, à l’Est comme au Sud, les projets d’intérêt commun. Un groupe de travail franco-allemand pourrait être mis en place dans le cadre de la coopération bilatérale entre les deux pays.

D. Au niveau politique, une réflexion géostratégique s’impose pour concilier le partenariat privilégié avec la Russie et le partenariat euro méditerranéen.

1. Les pays de transit en Europe centrale doivent bénéficier de la croissance des flux et des bénéfices associés (péages). La réalisation de nouvelles infrastructures implique le renforcement du partenariat entre la Russie et l’Union européenne. Pour prendre deux exemples : l’extension de l’OTAN à l’Ukraine doit être fermement écartée ; de même le resserrement de nos relations avec la Turquie, quelle qu’en soit la forme, doit ménager, particulièrement dans la zone sensible du Caucase, le partenariat stratégique avec la Russie.

2. Le souci de stabiliser la relation avec la Russie dans le long terme peut aussi se traduire par la participation de l’Union européenne aux programmes d’économies d’énergie (réseaux de chauffage urbain) et à l’exploitation et au financement des infrastructures pétrolières et gazières sur le territoire russe, y compris en direction de la Chine et du Japon. Il faut penser la dimension eurasiatique dans le long terme. La Chine et le Japon doivent aussi pouvoir diversifier leurs approvisionnements. La Russie et le Moyen-Orient sont les deux plaques tournantes de l’équilibre énergétique global de l’Eurasie.

3. La dimension euro méditerranéenne et eurafricaine mérite elle aussi une réflexion spécifique. Comme la France, l’Italie, l’Espagne mais aussi l’Allemagne ont intérêt à une certaine diversification de leurs approvisionnements. L’interconnexion des réseaux mérite d’être renforcée. L’Afrique est un problème dont l’Europe ne peut se désintéresser. Elle doit aussi veiller à lui offrir des débouchés et des ressources, non pas seulement à travers le pétrole et le gaz mais aussi par l’exploitation des gigantesques possibilités de l’énergie hydraulique en Afrique Centrale, ce qui implique des financements à taux zéro de la part du FMI (et pourquoi pas l’émission de DTS additionnels ?).

Conclusion

L’absence d’une vision européenne commune a pu être palliée jusqu’à maintenant par une certaine complémentarité naturelle entre les politiques d’approvisionnement de l’Allemagne d’une part et celles de la France et de l’Europe méditerranéenne d’autre part. Mais l’acuité croissante des problèmes d’approvisionnement énergétique oblige aujourd’hui à une prise de conscience politique à long terme et à un renforcement de nos liens de coopération avec les pays producteurs. La création d’un groupe de travail franco-allemand préparerait utilement une réflexion plus large et pourrait nourrir des initiatives concrètes.

Qu’on le veuille ou non, les problèmes de l’énergie seront au cœur du partenariat euro méditerranéen comme du partenariat stratégique avec la Russie. L’Europe ne peut pas non plus laisser les Etats-Unis faire du Moyen-Orient leur chasse gardée. Ce n’est ni son intérêt ni l’intérêt des peuples de la région. Les problèmes de l’énergie doivent être résolus dans la perspective d’un monde pacifique, multipolaire et rééquilibré.

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