L’éducation civique au collège et au lycée

Intervention prononcée lors du colloque du 10 janvier 2005 Une éducation civique républicaine au XXIe siècle

L’APHG et l’Education Civique :

Depuis toujours, l’APHG (Association des professeurs d’historie et géographie) s’est montrée attachée à l’Education Civique, défendue régulièrement par ses présidents successifs. L’association s’est dotée d’une « Commission Civisme », chargée de réfléchir sur tous les thèmes liés à cette discipline. Nous avons ainsi coordonné un dossier « Education au civisme », paru il y plusieurs années dans la revue « Historiens et Géographes » (numéros 359 et 362). Il comprenait des articles de fond, des tables rondes, des entretiens, ainsi qu’un « Abécédaire de nos pratiques », reflet assez fidèle de ce nous pouvions faire comme travail avec nos élèves à partir d’un certain nombre de notions. La commission invite régulièrement des intervenants, car nous travaillons sur la violence, la laïcité, le communautarisme, le racisme et l’antisémitisme en milieu scolaire. A titre d’exemple, nous avons reçu Hanifa Chérifi, des collègues d’un établissement de Seine-Saint-Denis très marqué par les affaires de voile islamique, le philosophe Charles Coutel, un chef d’établissement d’un collège de Sarcelles, Barbara Lefebvre (co-auteur de l’ouvrage « Les territoires perdus de la République »), Alain Seksig et Marie Lazaridis, Gaye Petek (de l’association ELELE-Migrations et cultures de Turquie) et très récemment Gilles Manceron, de la Ligue des droits de l’Homme.

Depuis 1986, l’Education Civique est redevenue grâce à Jean-Pierre , à qui il faut rendre ici hommage, une discipline à part entière au collège, avec un programme spécifique (revu entièrement en 1995 et qui perdure aujourd’hui), un horaire particulier, des manuels, un crédit spécifique budgétaire. Après des tergiversations dans les années 80, l’Education Civique est confiée presque toujours au professeur d’histoire-géographie. Une formation spécifique est désormais assurée dans les IUFM pour les Professeurs de lycée et collège stagiaires d’histoire-géographie. Ceci étant, il faudrait s’assurer que chaque IUFM la dispense. Si la formation en Education Civique est aussi développée dans certains IUFM que l’est l’apprentissage de la lecture, on peut prévoir des lendemains difficiles ! Les deux sont bien plus liés qu’on ne le pense. Pour exercer correctement ses droits et devoirs de citoyen, il faut pouvoir penser, ce qui n’est possible qu’en sachant lire et écrire convenablement.

L’Education Civique au collège :

Le collège a connu une période difficile. Mais le travail y est fait.
En 1994, la réforme Bayrou prévoyait que l’Education Civique en classe de 6ème était désormais l’ « affaire de tous ». Il y eut dès le départ une erreur de perception entre son enseignement disciplinaire et son apprentissage, lequel relevait évidemment de tous les membres adultes de la collectivité scolaire. L’horaire d’Education Civique fut coupé en deux : une demi-heure attribuée au prof d’histoire-géographie et une autre demi-heure répartie entre 3 autres disciplines (dont le Professeur principal). Cette demi-heure n’est de fait pratiquement pas assurée. Le résultat ne se fit pas attendre : les élèves, au début de leur scolarité dans le secondaire, dans ce monde nouveau pour eux qu’est le collège, là où la discipline est peut-être la plus nécessaire, ont un horaire amputé de moitié.
L’APHG a mené une lutte constante pour voir rétablie l’heure d’Education Civique avec des interventions auprès des différents ministères, quelle que soit leur coloration politique, auprès des élus nationaux, sans résultat.
L’heure de vie de classe (en moyenne 1 heure par mois) est désormais institutionnalisée, ce qui permet au Professeur Principal de traiter des points relevant de la classe, de fait bien séparés dorénavant de l’Education Civique. Un autre travers, fréquent là aussi, était d’amalgamer ce qui relevait de la « socialisation » et l’Education Civique.
Pour les 3 autres niveaux (5è, 4è et 3è), il y a 1 heure réglementaire par semaine. L’APHG s’est là encore constamment prononcée pour que cette heure soit effectivement faite, sans être amputée au profit de l’histoire-géographie. Car nos disciplines ont perdu très souvent une demi-heure dans le cycle central, pour se retrouver aux horaires « plancher ». Or, il est incohérent, de la part des différents ministres, de réduire sans cesse ces horaires. Cela n’est nullement une question de corporatisme, comme on peut le lire ici ou là !
Le Ministère, en tant qu’institution, demande aux enseignants d’histoire-géographie, toujours en première ligne pour l’explication de la compréhension du monde (il n’est que de se référer au tsunami en Asie), toujours plus d’investissement, alors que le temps dont nous pouvons en fait disposer est de plus en plus réduit ! Sécurité routière, éducation à l’environnement… un empilement qui ne cesse d’augmenter alors que l’horaire diminue !
En dépit des difficultés, nous savons, grâce à des enquêtes menées par les régionales de l’association, que l’horaire d’Education civique est effectivement assuré par les professeurs et que les jeunes collègues entrant dans le métier s’y consacrent avec beaucoup de sérieux.

Même si, à l’APHG,, nous sommes dans une optique « militante » de défense de nos disciplines, nous ne saurions exiger le monopole de l’Education Civique ! Nous revendiquons plutôt un rôle de maître d’œuvre.

Au collège, la demande essentielle reste donc la « récupération » d’une heure à part entière en 6ème, l’EC faisant naturellement partie du socle des fondamentaux à établir. Il est bon de se rappeler que, pour Jules Ferry, c’était la première des disciplines, puisque constitutive de la vie républicaine et démocratique, fondement de l’Instruction Publique.
Nous sommes donc très attachés au fait que l’Education Civique fasse partie des fondamentaux que doit mettre en place la future loi d’orientation sur l’école.

L’Education Civique au lycée : l’ECJS

Depuis quelques années, les lycéens ont comme matière l’ECJS (Education civique juridique et sociale), avec un programme de seconde, première et terminale ayant comme fil conducteur la citoyenneté. Cette matière, introduite par la « réforme Allègre », n’est pas évaluée au baccalauréat mais est présente sur le bulletin trimestriel. L’enseignant peut ou non noter le travail des élèves. Il y a généralement une appréciation qualitative, même s’il n’y a pas de note, car le travail est assez différent de celui réalisé en collège. Les cours ont lieu en demi-classe, à raison d’une heure de quinzaine par groupe.

Dans la pratique, tout dépend de l’établissement : dans la plupart des cas, l’ECJS est confiée au professeur d’histoire-géographie de la classe. Mais il arrive que cet enseignement soit dévolu à un autre enseignant (économie-droit, Sciences médico-sociales…). J’ai connu les deux situations. L’an dernier, ma classe de seconde avait ECJS avec une collègue de SMS et les élèves n’attachaient pas à cette matière toute l’importance nécessaire. Il est certain que lorsque le professeur d’histoire-géographie enseigne aussi l’ECJS à la classe, le lien est beaucoup plus fort.
Je trouve assez déplorable qu’un chef d’établissement donne à un stagiaire ou un professeur ayant un complément d’heures dans l’établissement uniquement des heures d’ECJS. Ce genre de dérive n’est pas propice à un bon déroulement des cours.

La méthode de travail voulue par le Ministère est celle du débat. Or travailler sur ces thèmes implique pour les élèves la recherche d’un savoir précis et l’appropriation de ces connaissances. On ne saurait débattre « à propos de », en accumulant les a priori, les clichés, les idées préconçues. Aussi, il est inévitable que notre liberté pédagogique permette une certaine souplesse dans l’organisation du travail.
Ceci étant, le débat peut-être enrichissant, dans la mesure où un groupe d’élèves peut échanger des points de vue : cela permet de faire le point sur l’état des connaissances et de « recadrer » certains propos. Le but est de montrer à l’élève qu’on ne saurait parler, ni juger sans « savoir ». Le cours doit enrichir le savoir, non se transformer en « café du commerce ».

Les thèmes de travail sont assez variés et j’avoue personnellement me lancer dans ceux qui motivent le plus les élèves. Il peut nous arriver d’opter en première pour un thème du programme de seconde qui n’aurait pas été choisi l’année précédente et qui peut être réclamé par les élèves. Mais je ne pense pas qu’il faille considérer les questions proposées comme « fermées », tout sujet lié à la citoyenneté étant susceptible d’intéresser la classe. A titre indicatif, je fournis ici quelques exemples de questions du programme.

En seconde, les thèmes sont :

• Civilité et incivilité
• L’évolution des liens familiaux
• L’intégration
• Le droit du travail
• La nationalité
• Les droits civils, politiques,
• Les droits sociaux, économiques

Les thèmes du programme de première sont les suivants :

• Exercice de la citoyenneté, représentation et légitimité du pouvoir politique
• Exercice de la citoyenneté, participation politique et action collective
• Exercice de la citoyenneté, république et particularismes
• Exercice de la citoyenneté et devoirs du citoyen

Le thème 3 permet d’approfondir tout ce qui relève de la laïcité, en liaison avec le programme d’histoire (étude de la Troisième République), l’année ayant été celle de la mise en application de la nouvelle loi relative au port des signes religieux dans les établissements scolaires. Les questions des élèves à propos du fonctionnement des religions dans notre Etat laïque sont fréquentes, tout comme celles liées au fondamentalisme religieux. A partir de documentaires, d’articles, nous avons pu travailler sur la notion de fondamentalisme religieux en prenant l’exemple protestant évangélique américain, puis celui du fondamentalisme musulman.
Ces questions sont très étroitement liées à celle des droits des femmes. Nous avons beaucoup travaillé avec un des groupes sur la loi Veil.
La question des particularismes intéresse beaucoup les élèves.

Il va de soi que ces thèmes interrogent parfois les élèves sur leur vécu quotidien, dans certains établissements plus que dans d’autres. Ils sont en prise directe avec l’actualité, quelquefois la plus brûlante : racisme, antisémitisme, problème du port du voile, problème du repli identitaire dans certains quartiers, problème du sort réservé aux filles et aux femmes, licenciements, revendications des homosexuels…

Le cours est aussi là pour rappeler la loi et montrer que celle-ci n’est pas négociable en fonction de la religion, de l’origine ethnique, des particularités sexuelles des individus. Et que l’explication de la loi est mieux perçue quand les élèves sentent qu’il y a une véritable connaissance de certains particularismes.
Nous sommes aussi là pour faire comprendre aux élèves que dans nos valeurs républicaines, l’école essaie de mettre en avant ce qui rassemble les élèves et non ce qui les divise. Que les particularismes sont secondaires par rapport au principe d’égalité. Il y a tout de même des dérives inquiétantes dans certains établissements. Je me permets de livrer ces quelques exemples choquants que je tiens de discussions avec des collègues :

• Dans telle classe, les élèves sont rangés par origine : un rang de Noirs, un rang de « Gaulois » et un rang d’élèves d’origine maghrébine…
• Dans telle autre classe où se trouvent le frère et la sœur, lorsque la sonnerie retentit, le frère se lève, se dirige vers le couloir, sans attendre sa sœur qui, déjà chargée de son propre sac, récupère au passage celui de son frère…
• Les filles viennent habillées comme des « sacs », sans aucune marque apparente de féminité. Dans le cas contraire, cela signifie qu’elles sont « disponibles ». Le voile, déjà un élément intolérable, l’est encore plus quand, non content de se limiter à signifier l’infériorité des filles, il stigmatise celles qui ne le portent pas ! La fille qui porte le voile est donc la bonne musulmane, une fille « bien ». Celle qui ne le porte pas est au contraire la « pute », celle qui attend les garçons et envers laquelle toutes les transgressions sont permises. Nous sommes dans des situations où de nombreux garçons ont une éducation sexuelle exclusivement à base de films et revues pornographiques, avec peu de considération pour les filles. Au risque de choquer, je rappelle que dans leur esprit, la fille perçue dans les films est une « chienne qui dit toujours oui », un produit, un « morceau de viande » disponible pour leur bon plaisir.

La situation des filles est donc un sujet particulièrement grave. On accepte que des quartiers soient mis en coupe réglée par des fondamentalistes ! L’école a un rôle à jouer en mettant les filles au courant de leurs droits et en les confortant dans leur volonté de faire respecter ceux-ci.

Des politiques, des journalistes, des sociologues ont des responsabilités dans la mesure où tous participent à des glissements sémantiques dangereux mettant justement en exergue tout ce qui sépare ! Avant on disait “les élèves issus de l’immigration”, ou “les jeunes d’origine maghrébine”. A présent, tous sont devenus « les jeunes musulmans » ! On plaque une religion arbitrairement sans tenir compte des aspirations des élèves, sans faire de différence entre ceux qui sont très croyants, ceux qui sont simplement attachés à des valeurs culturelles, et ceux qui sont athées !

Des discours expliquant qu’en France tout est nuisible, ringard, dépassé ne sont pas bons pour les élèves issus de familles étrangères. Comment pourraient-ils être fiers de ce pays où ils sont nés en voyant que des Français très médiatiques en ont honte et l’affichent ?

L’Education civique doit avoir un contenu fort : nous ne sommes pas là pour délivrer la leçon de morale, ni faire de la socialisation des élèves ! Mais dans certains cas, surtout au collège, il arrive que nous ayons en face de nous des enfants qui n’ont pas reçu les bases élémentaires du savoir-vivre en société. Tout le temps passé à cette socialisation est au détriment de l’apprentissage du savoir. Pour terminer, je voudrais souligner à quel point la crédibilité du professeur dépend très étroitement du comportement de la classe politique. Dans un Etat, l’exemple doit venir d’en haut. Il y a quelques années, j’avais demandé à une classe de collège, à laquelle je venais d’expliquer le fonctionnement du conseil général, d’apporter des journaux pour le cours suivant. Ce jour-là, la presse se faisait largement l’écho des aventures judiciaires d’un président de conseil général de la région, épinglé pour avoir fait ses courses avec l’argent des contribuables. Je vous laisse imaginer l’effet désastreux produit sur des élèves, qui avaient du mal à réaliser les sommes en jeu. Dans la classe, les parents de certains élèves avaient des revenus très modestes. Sans parler de ceux dont les parents étaient au chômage.
Dans ce cas, une partie de la classe pense automatiquement que les élus sont « pourris », corrompus, malhonnêtes… Il est alors plus difficile pour nous d’expliquer l’importance de la loi, le rôle des élus qui sont chargés d’élaborer cette loi pour les autres. Un élève me dit alors : « Ils font la loi mais ils ne la respectent pas ».
Il ne faudrait pas imaginer naïvement que les élèves sont incapables de penser, malgré leur jeune âge. On leur demande d’exercer leur esprit critique… ils le font, avec des propos un peu imagés, mais qui traduisent leur état d’esprit.

Pour conclure, il est certes important d’accorder à l’Education Civique toute la place qu’elle mérite, mais à la condition que les actions de l’Etat ne soient pas en contradiction avec les savoirs et valeurs que nous tentons, avec la meilleure volonté, d’inculquer à nos élèves. Et que les professeurs voient leur travail reconnu à sa juste valeur, au lieu d’être sans cesse stigmatisés ou jetés en pâture à l’opinion publique. L’école est le reflet de tous les problèmes de la société : elle n’a pas pour rôle de les résoudre mais d’instruire les enfants et de les élever intellectuellement.

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