Intervention prononcée lors du colloque du 14 décembre 2004 Approvisionnement énergétique de l’Europe et politique de grand voisinage

Monsieur le Ministre, Monsieur l’Ambassadeur de France, Mesdames et Messieurs, je vais vous brosser, en m’efforçant d’être bref, un panorama actuel de la question énergétique. Je m’appuierai pour cela sur des données et des sources que les spécialistes reconnaîtront et auxquelles les non-spécialistes pourront aisément se reporter : les Nations Unies, le Conseil mondial de l’énergie, l’Agence internationale de l’énergie, et l’Agence américaine d’information sur l’énergie pour quelques informations concernant les Etats-Unis ; et, bien entendu, ce qui nous intéresse au premier chef, le Livre vert de l’Union européenne sur la sécurité de l’approvisionnement en énergie de l’Europe.

Je vais donc vous présenter quelques données concernant les paramètres de la demande énergétique, dire un mot des réserves et, sachant qu’il est structurellement impossible à l’Europe d’être indépendante en matière d’énergie quels que soient les efforts faits – par exemple par la France en matière de nucléaire, plus généralement par l’Europe en matière de recherche et développement -, poser quelques questions sur l’approvisionnement énergétique de l’Europe dans les vingt prochaines années (les données sont maintenant bien connues des spécialistes) et à plus long terme, car cette problématique va certainement perdurer au-delà de 2020.

Pour anticiper sur la demande d’énergie, on se réfère en général à quatre facteurs :

• L’évolution démographique
• La croissance économique
• Le contenu énergétique de la croissance
• Le prix des énergies

En ce qui concerne l’évolution démographique, à l’horizon 2020, ce que disent les Nations Unies est assez clair : environ huit milliards d’habitants sur Terre.
Pour 2050, la fourchette est beaucoup plus large : entre neuf et treize milliards selon différentes hypothèses qui ont pu être faites, avec la répartition suivante : une population à peu près stable ou en légère croissance dans les pays de l’OCDE et une très forte croissance (plus qu’un doublement par rapport à 1990) dans les pays en développement.
Nous prévoyons – ce qui n’est pas rien pour la gestion de réseaux ou la concentration de l’approvisionnement en énergie comme en puissance – que plus de dix villes auront plus de vingt millions d’habitants à l’horizon 2020. (Source : ONU)

En ce qui concerne la croissance économique, les experts du secteur de l’énergie envisagent une croissance annuelle moyenne de 2% d’ici 2020 pour les pays de l’OCDE, une reprise dans les économies en transition et une croissance annuelle supérieure à 4% dans les pays en développement. Une augmentation de la demande d’énergie peut en être déduite. Et il convient de noter le développement accéléré des transports, ce qui pose la question de l’approvisionnement en pétrole.

L’efficacité énergétique reste une incertitude majeure:
Nous avons vu diminuer quelque peu, après le premier choc pétrolier, l’intensité énergétique, c’est-à-dire la consommation d’énergie par unité de PIB, dans les pays touchés par ce choc, notamment les pays de l’OCDE.
Qu’en sera-t-il demain dans les pays en développement dont certains connaissent aujourd’hui une croissance extrêmement rapide accompagnée d’une forte demande d’énergie ?

Je dois par ailleurs signaler la demande d’électricité dans les pays en développement, qui va atteindre dans une quinzaine d’années le niveau des pays développés. Certes, des disparités demeureront, mais la production d’énergie électrique consommera environ 40% des énergies primaires avec une utilisation très importante du gaz et le recours aux ressources domestiques pour les grands pays qui en disposent, je pense notamment à la Chine et à la Russie.

Au total, on constate une augmentation significative des besoins énergétiques dans les pays d’Amérique du Nord et une augmentation plus faible en Europe occidentale, et une très forte augmentation de la demande en Asie : Asie continentale, Asie du Sud, Asie du Sud-est, en raison de la très forte croissance en Chine, en Inde, et dans l’ensemble de la région. Il en résulte globalement une forte augmentation de la demande d’énergie dans le monde. Et, sur un bilan mondial d’environ treize mille millions de tep (tonnes équivalent pétrole) en 2020, la très forte utilisation du charbon, du pétrole et du gaz dans la zone Pacifique représentera le tiers de la demande d’énergie dans le monde (3500 millions de tep). (Source : Conseil mondial de l’Energie ; Conseil mondial de l’Energie)

Prenons deux exemples significatifs :

Voici le bilan énergétique 2001 des Etats-Unis :
• part du gaz : 22%
• part du pétrole, 40%
• part du charbon, 23%
Une augmentation forte et constante de la demande liée au mode de vie et au développement économique se traduit par un écart croissant entre la production domestique et la consommation.

En Chine : en 2001, la consommation est de 1150 millions de tep, avec une part très importante du charbon, un appel au pétrole non négligeable et une part encore relativement faible du gaz. Par contre, d’ici 2020 et, plus encore, 2030, on voit que la demande d’énergie en Chine va atteindre les 6000 millions de tep avec une très forte croissance de la demande en gaz, en pétrole, et, bien entendu, l’exploitation des ressources nationales, principalement le charbon.

Globalement, on peut parler d’une forte hausse de la demande dans des pays dont les ressources diminuent ou ne sont pas adaptées aux besoins et aux usages, et d’une exploitation massive des ressources domestiques. Voilà qui conduit à poser la question de l’accès aux ressources et, en conséquence, de la compétition qui pourrait en résulter entre pays consommateurs vis-à-vis des pays producteurs.

Prenons là aussi deux exemples significatifs, deux secteurs particulièrement importants :

On prévoit une croissance très forte du secteur des transports, internationaux comme nationaux, qui se traduit par une forte demande de pétrole ; les Etats-Unis et la Chine, vont tirer cette demande dans les deux prochaines décennies.

Pour la production d’électricité, la part du pétrole a plutôt tendance à diminuer, au profit du gaz du fait du haut rendement des centrales à cycle combiné, du développement de la cogénération et de la moindre pollution engendrée par la combustion du gaz ; les deux tiers de la demande supplémentaire de gaz devraient ainsi être absorbés par l’Amérique du Nord, la Chine et la Russie.

Si on fait un point rapide du bilan énergétique mondial et de son évolution de 1990 à 2020, on voit que le pétrole va rester dominant : on va continuer à se déplacer en voiture et à transporter des marchandises en camion ; les échanges vont croître et la demande de déplacement augmenter avec le niveau de vie. Or la production augmente relativement peu, d’où ces questions : avons-nous ou non passé le « peak oil » ? A quel coût seront exploitées les nouvelles ressources, les nouvelles réserves qui seront découvertes ou celles déjà identifiées et qui seront mises en exploitation ? Y aura-t-il ou non des tensions sur le marché pétrolier ?

Il en est de même pour le gaz naturel, avec une demande qui augmente très fortement.

La localisation des ressources (Moyen-Orient, Russie, Asie du sud, …) par rapport aux pays consommateurs entraîne d’importants besoins d’investissements en infrastructures ; je ne reviens pas sur ce qu’évoquait Jean-Pierre Chevènement dans son introduction : gazoducs, chaînes de liquéfaction et de regazéification représentent des investissements considérables.

La part du charbon diminue mais faiblement, résultat de tendances contradictoires : l’exploitation de réserves considérables qui confère à ceux qui en disposent un potentiel de croissance économique et de moindre dépendance aux importations d’énergies primaires, la volonté de préserver ces ressources pour l’avenir, la protection de l’environnement.

Le nucléaire, vu d’aujourd’hui, diminue légèrement dans le bilan énergétique mondial.

Quant à l’hydroélectricité, là aussi se pose le problème du financement des investissements et, si son usage s’accroît fortement, on est loin de voir l’ensemble des sites qui pourraient être aménagés l’être.

Pour faire un point à ce moment de mon exposé, quelques questions fondamentales émergent :

• Comment envisager la sécurité de l’approvisionnement énergétique dans ces conditions ? Production domestique ou importation ?
• Quel accès aux ressources primaires ? Où sont ces ressources primaires et en quelle quantité ?
• Quels sont les efforts de recherche et développement à consentir à un horizon qui va sans doute au-delà de l’année 2020, horizon que nous nous sommes fixés dans un premier temps ce soir ?
• Quelles capacités d’investissement ? Qui finance ? Avec quels moyens ? Avec quelles collaborations – ou quelles compétitions – entre les différents acteurs ?

Je ne m’étendrai pas longtemps sur les réserves énergétiques. Le débat sans fin et si riche d’incertitudes qui concerne le pétrole ne doit pas masquer que l’on s’interroge à juste titre pour savoir si le « pic » a été dépassé ou non, et sur le coût de mise en exploitation des réserves aujourd’hui identifiées ou celles qui seront découvertes dans les prochaines années. Ces réserves sont réputées être bien connues et les difficultés de mise en exploitation sont censées être croissantes en raison de la profondeur de ces gisements, de leur emplacement ou de la qualité des pétroles.
Je passe rapidement sur le charbon : les réserves de charbon se trouvent principalement aux Etats-Unis, en Russie et en Chine. J’attire votre attention sur l’histogramme ci-dessous qui montre que, même en Chine, la consommation est supérieure à la production ; elle est légèrement inférieure à la production aux Etats-Unis ; le Japon, sans ressources charbonnières, est structurellement importateur. Si l’on excepte l’Australie, il est assez difficile d’envisager des exportations massives de charbon dans l’état actuel des réserves (Source : Agence Internationale de l’Energie).

Tous les intervenants reviendront, dans leurs exposés, sur les hydrocarbures.
Pour le pétrole comme pour le gaz, le Proche Orient est l’un des principaux détenteurs de réserves, suivi de l’Europe avec la Russie, puis de l’Amérique du Sud où les réserves de gaz sont loin d’être négligeables.
En ce qui concerne les réserves prouvées, la Russie, l’Iran, l’Irak et les Emirats Arabes Unis ainsi que l’Arabie Saoudite sont les principaux détenteurs de réserves et les principaux producteurs. En ce qui concerne la production et la consommation, là encore, on voit que beaucoup de pays sont dans une situation de dépendance structurelle.
On estime que les réserves, mis à part le Proche-Orient, sont d’environ une cinquantaine d’années. La moyenne pondérée de toutes ces réserves nous laisse envisager, avec la croissance de la demande, soixante à soixante-dix ans de consommation, dans l’état actuel des connaissances rassemblées par l’Agence internationale de l’énergie ou le Conseil mondial de l’énergie. (Source : Agence Internationale de l’Energie)

Un mot sur l’uranium : les réserves exploitables au coût actuel sont relativement importantes. Encore faut-il que le nucléaire soit une part importante de la réponse à la croissance des besoins. Or tel n’est pas le cas.

En ce qui concerne l’hydraulique, juste un mot pour comparer ce qui est aménageable au coût actuel avec ce qui est aujourd’hui effectivement aménagé et mis en exploitation. On est loin du compte. Mais les problèmes de financement sont extrêmement importants.

Je terminerai ce panorama d’ensemble en signalant le défi de l’environnement, très important tant en ce qui concerne l’environnement local que mondial.
La carte ci-dessous donne les teneurs en oxyde de soufre dues à l’utilisation du charbon avec les techniques actuelles en Chine ; je rappelle qu’en résultent des risques de pluies acides et de détérioration des terres comme de l’atmosphère.

Cette semaine, se termine la dixième Conférence des parties sur le changement climatique – problématique posée en 1992 concernant le risque de changement climatique et qui a conduit à la signature du protocole de Kyoto en 1997 -. D’après les dernières informations dont on dispose, il n’est pas certain que l’on arrive à un accord sur la façon de traiter la période « post Kyoto », au-delà de 2008-2012. Les émissions de gaz carbonique – principal gaz à effet de serre – par habitant vont très peu augmenter dans les pays de l’OCDE, sans doute légèrement diminuer ou se stabiliser dans les économies en transition, mais augmenter très fortement dans les pays en développement où se trouvent les 5/6èmes de la population. Comment gérer cela au plan politique ? (Source : Conseil Mondial de l’Energie)

En ce qui concerne l’Europe, et je m’appuierai là sur les données du Livre vert sur la sécurité de l’approvisionnement en énergie ; trois constatations :
• Une dépendance structurelle qui va passer de 50% aujourd’hui à 65%, 70%, voire 75% à un horizon extrêmement proche
• Le risque géopolitique qui se renforce
• Vraisemblablement, un risque de mise en concurrence des acheteurs par les vendeurs.
(Source : Agence Internationale de l’Energie)

Comment pallier ces difficultés et relever ces défis ?

L’Union européenne a tracé ces perspectives avec la grande ambition d’une UE à 30, regroupant la totalité des Etats du continent. (Source : Livre vert sur la Sécurité d’approvisionnement en énergie de l’Europe)

La faible diminution ou, au mieux, la stabilisation de la production domestique, ne permet pas de répondre à l’augmentation de la demande. Ainsi, la croissance relativement lente mais constante de la consommation conduit à une augmentation très nette des importations. A côté d’une production domestique à base de nucléaire, d’hydraulique et de charbon, les importations de pétrole et, surtout, de gaz vont augmenter. (Source : Le livre vert sur la sécurité d’approvisionnement en énergie de l’Europe)

A l’horizon 2020 la dépendance en gaz naturel augmente très fortement, passant à près de 70%. Les courbes des importations et de consommation de gaz naturel sont quasi parallèles. Les origines géographiques sont, dans l’ordre : la Russie, l’Algérie et la Norvège et, pour très peu, d’autres pays. (Source : Le livre vert sur la sécurité d’approvisionnement en énergie de l’Europe)

La dépendance s’accroît aussi très fortement en ce qui concerne les combustibles solides (le charbon).

Après une légère diminution au début des années 2000, une tendance se dessine vers la croissance à nouveau très forte des importations de pétrole. Ce pétrole provient essentiellement aujourd’hui des pays de l’OPEP (notamment l’Iran, le Nigeria, l’Algérie et les Pays du Proche Orient), de Norvège – mais on se demande si les réserves norvégiennes n’ont pas atteint leur pic, et s’il n’est pas préférable de les conserver dans un souci de réserves à plus long terme – et des pays de l’ex-URSS.

Ainsi, la France, pour les années récentes, a dépensé environ 25 milliards d’euros par an pour importer les énergies primaires dont elle a besoin. Sur ces 25 milliards, les 4/5èmes concernent le pétrole. Il est vraisemblable que ces importations de pétrole sont incompressibles dans la mesure où elles sont principalement utilisées pour la pétrochimie et les transports. Sur la base des 275 millions de tep consommés en France en 2004, la part du pétrole et celle du gaz vont, dans les prochaines années, rester stables ou augmenter, notamment du fait des besoins du secteur des transports.

Et, pour être complet, je mentionne sans développer la baisse de la part du nucléaire en Europe.

C’est dire que la problématique des relations avec l’autre rive de la Méditerranée et avec la Russie est extrêmement importante pour l’UE comme pour la France. C’est l’un des axes sur lesquels il faut aujourd’hui accentuer travaux et coopérations.

Revenons aux hydrocarbures.

L’exploitation des gisements comme le transport des hydrocarbures nécessitent des investissements très importants C’est particulièrement le cas pour le gaz naturel (chaînes de liquéfaction et de gazéification, gazoducs). (Source : Agence Internationale de l’Energie)

Un gazoduc est un investissement considérable : il faut doubler certains de ces tuyaux, en construire de nouveaux pour mettre en relation les réserves russes et celles de la rive sud de la Méditerranée avec l’UE.

A partir de là se posent un certain nombre de questions, de défis à relever :
• Peut-on préciser un niveau d’indépendance cible ? Sinon que faire ?
• Comment arbitrer entre production domestique et importation ? S’agit-il d’un simple problème économique ? S’agit-il d’un problème de géopolitique ?

Sans doute la question géopolitique va-t-elle nécessiter des solutions novatrices, avec un objectif gagnant/gagnant entre les pays producteurs et les pays importateurs.

• Quels sont les risques de tension sur lesquels il va falloir porter l’attention et comment gérer ces risques de tensions ? Comment les limiter ?
• Comment répondre aux contraintes financières et financer les investissements?

Financer les investissements nécessite une visibilité à moyen et long terme. Ce sont des équipements d’infrastructures lourdes, coûteux : oléoducs, gazoducs, chaînes de liquéfaction et de regazéification, méthaniers. Pour ce qui concerne l’approvisionnement en gaz, de nombreux acteurs co-existent et il est évident que ces acteurs ont des logiques tout à fait différentes, qu’il faut faire converger :

• la logique de la sécurité d’approvisionnement, c’est le rôle des pouvoirs publics de poser cette question et d’y apporter des réponses
• la logique du marché des énergies, aussi bien du côté de l’offre que du côté des acheteurs
• la vision des acteurs eux-mêmes, c’est-à-dire les opérateurs qui doivent assurer leur propre santé financière, donc avoir une assurance et une garantie sur la bonne rentabilisation de leurs investissements.

D’où toute une série de défis à relever de façon pratique :

• Comment jouer gagnant/gagnant avec ces différents paramètres ?
• Quel horizon faut-il se donner ?
• Quels moyens mobiliser pour résoudre ces contradictions et comment gérer les tensions géopolitiques auxquelles je faisais allusion tout à l’heure ?

Enfin, à plus long terme, quel effort de recherche et développement ? On parle du réacteur nucléaire de quatrième génération mais on ne le voit pas en service avant 2050 voire au-delà. On parle de l’utilisation des énergies nouvelles, renouvelables, sans doute des ressources beaucoup plus limitées qu’on l’avait un moment espéré (regardons la vitesse de pénétration de ces énergies nouvelles dans les différents pays de l’UE). La chaîne de l’hydrogène pose d’autres problèmes : il y a autant de défis techniques à relever qu’il y a d’espoirs mis dans cette chaîne. La pile à combustible offre également un certain nombre de perspectives. Qu’en est-il en réalité ? Quelle en sera la pénétration et à quel coût ?

Pour conclure, on voit que l’on retrouve cette nécessité de faire en sorte que les différents acteurs soient tous gagnants dans un partenariat bien construit. Que ce soit pour la recherche à moyen et long terme, ou pour la réponse aux besoins du prochain quart de siècle, partenariat et visibilité sont indispensables : ce partenariat concerne aussi bien les acteurs industriels, les acteurs énergéticiens et les pouvoirs publics, que les pays producteurs et les pays consommateurs d’énergies primaires. Tension ou coopération, la question est posée. Je vous remercie.

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