L’Algérie, le Maghreb et l’approvisionnement énergétique de l’Europe

par Mohamed Mazari Boufares, directeur « stratégie et prospective » à la Sonatrach (Algérie)

Intervention prononcée lors du colloque du 14 décembre 2004 Approvisionnement énergétique de l’Europe et politique de grand voisinage

Important : Il convient de préciser qu’il s’agit d’un commentaire accompagnant les transparents mais non du texte de la communication

L’Algérie est un pays traditionnellement fournisseur de gaz naturel à l’Europe depuis 1964, d’abord en Angleterre, puis en France, à travers les flux de GNL. Je crois que vous avez bien fait de nous inviter, et je vous en remercie, à présenter notre point de vue sur la question des approvisionnements gaziers de l’Europe. Bien que ce soit un souci purement européen, nous sommes interpellés puisque nos échanges sont anciens. La mondialisation, la globalisation, les besoins mutuels des uns et des autres et la coopération que nous souhaitons davantage développer, non seulement avec la France mais avec les pays de l’Union Européenne, nous appellent à renforcer cette coopération. Je voudrais rappeler que la Sonatrach est une compagnie nationale à l’instar de Gasprom, à moindre échelle bien sûr en terme de réserves.
Néanmoins, elle joue un rôle important dans l’économie algérienne, comme chacun le sait. Il convient de noter que la Sonatrach procure plus de 95% des recettes d’exportation du pays et qu’elle assure plus de 51 % des recettes budgétaires. Elle joue un rôle structurant sur le plan industriel. La part du secteur de l’énergie, des hydrocarbures notamment, est de l’ordre de 41 % dans le produit intérieur brut. La Sonatrach est classée comme étant la treizième compagnie pétrolière mondiale, deuxième exportateur en GNL et GPL, troisième en gaz naturel et premier exportateur de condensât. Elle dispose d’un grand nombre d’atouts, notamment une base de réserve, même si elle est moins importante que celle de l’Iran ou de la Russie, de bassins sédimentaires à très fort potentiel mais encore sous-explorés. 40 % à peine du territoire du domaine minier ont fait l’objet d’exploration et encore cette dernière n’est pas assez intensive puisque nous comptons à peine une dizaine de puits pour 10.000 km2 alors que la moyenne mondiale est de l’ordre de 100. Nous disposons d’une expérience de trente années, notamment dans les activités gazières, et nous disposons aussi d’un avantage comparatif qui est celui de la position géographique à proximité du marché. Je rappellerai les objectifs stratégiques de Sonatrach. Le premier c’est l’expansion de ces réserves en hydrocarbures, à travers deux axes essentiels : les nouvelles découvertes et la réévaluation des réserves. Ces dernières années, dans le volume de découvertes 30 % étaient réalisées dans le cadre des découvertes nouvelles, et 70 % dans le cadre des réévaluations. Nous envisageons d’augmenter la récupération à travers l’amélioration du taux de récupération primaire pour augmenter le volume des réserves prouvées récupérables (j’essaye d’utiliser un langage non technique). Nous avons fixé des objectifs en terme de production et d’exportation étant donné que Sonatrach exerce, entre autres, un rôle tourné vers l’extérieur. Le premier objectif vise une production de 1,5 millions de barils/jour vers l’an 2005, c’est-à-dire l’année prochaine, et 2 millions de barils/jour en 2010, un volume de gaz naturel à exporter de 85 milliards de mètres cube vers 2010. Je rappelle qu’actuellement nous exportons 60 milliards de mètres cubes à destination essentiellement de l’Europe qui est notre marché naturel –le mot naturel est bien souligné- une autre partie est destinée, sous forme de GNL, à la Turquie que je n’ai pas mentionnée et aux Etats-Unis. Donc ce sont deux grands objectifs que nous avons fixés dans le domaine des exportations.

Les réserves prouvées récupérables au 1er janvier 2002, sont de l’ordre de 38 milliards de barils équivalent pétrole avec une part de 56 % pour le gaz naturel. Le pétrole brut ne fait que 29 % du total des réserves. Déjà, on observe la nouvelle dimension gazière de l’Algérie. Et cette dimension gazière s’est traduite tout au long des années passées, et se traduira probablement, dans le futur, par le changement de la structure de la production et donc des exportations au profit du gaz.
En 1973, presque 85 % de la production était constituée de pétrole brut. La part de pétrole brut représente actuellement à peine 25 % des exportations, le reste étant réalisé par le gaz naturel sous forme GNL, c’est-à-dire liquéfié, ou par gazoduc, le GPL, le condensât et les produits raffinés. En termes de perspectives, notre plan de développement traduit la croissance continue du groupe Sonatrach : les investissements attendus entre 2004 et 2008 sont de l’ordre de 24 Milliards de dollars, dont plus de 76 % dans l’amont, c’est-à-dire l’exploration production et la recherche. Maintenir l’effort dans ce domaine constitue une priorité.

La chaîne gaz, si on raisonne par chaîne, prend 50 %, et la chaîne pétrole seulement 38 %. En 2003 nous avons assuré une production brute de gaz naturel de 85 Milliards, y compris la consommation nationale ; en 2010 le volume des exportations sera de 85 Milliards de mètre cube et comme il y a des besoins de gaz en réinjection et en consommation locale, il y aura donc une production de 117 milliards de mètres cubes et en 2020 de 172 milliards de mètres cubes. Le marché européen, comme je l’ai indiqué tout à l’heure, est un marché naturel pour Sonatrach. Donc nous sommes un fournisseur traditionnel, avec un certain nombre de pays tels que la Russie et la Norvège (bien que la Norvège relève du commerce intra-européen). En termes de géopolitique ou de sécurité d’approvisionnement il faudrait, à mon avis, nuancer la question. Peut-être y reviendra-t-on tout à l’heure. Le commerce international du gaz en Europe, en 2003, était de l’ordre de 208 milliards de mètres cubes, la part de l’Algérie était de 25 % dans ce marché à côté de la Norvège, 32 %, de la Russie, 37 %, du Nigéria et d’autres petits pays tels que le Qatar qui commence à alimenter le marché spot. L’Algérie, comme je l’ai dit, a exporté la majorité de son gaz, soit un volume de 53 milliards de mètres cubes vers l’Europe en 2003, essentiellement vers l’Espagne, 26%, l’Italie, 45 %, et la France 17 %, et il y a bien sûr les autres pays tels que la Belgique, le Portugal, la Grèce, sans parler aussi de la Turquie, de la Slovénie, de la Tunisie et des Etats-Unis d’Amérique. Pour atteindre les objectifs d’exportation que nous avons fixés, soient de 85 milliards de mètres cube en 2010 et de 100 à 120 milliards en 2020, bien entendu nous envisageons de mener à bien des projets dont certains sont très avancés en termes d’étude ou de réalisation. Dans ce cadre, l’Algérie dispose de deux grands gazoducs, le GME, le Gazoduc Maghreb-Europe et le gazoduc Transmed qui va vers l’Italie. Ces deux gazoducs passent respectivement par le Maroc et par la Tunisie. Ces deux gazoducs peuvent déjà voir augmenter leurs capacités et nous envisageons de construire deux autres gazoducs sous-marins, l’un qui s’appelle Medgaz qui va aller directement en Espagne et qui pourrait aller en Europe, notamment en France à travers les Pyrénées. L’autre gazoduc qui lui va passer par la Sardaigne, éventuellement avec des bretelles vers le continent, l’Italie du Centre, la Corse et éventuellement l’Europe continentale. A ces deux nouveaux gazoducs, deux autres unités de GNL sont prévues dans le plan de développement de Sonatrach, l’une à Skikda et l’autre à Arzew dans le cadre d’un projet intégré qui va être réalisé avec deux partenaires européens, Gas Natural et Repsol qui ont réussi à avoir le contrat. Ce projet va de la production jusqu’à la commercialisation finale sur le marché. Ce sont des partenaires à part entière. Donc on disposera d’une capacité totale qui dépassera les 85 (mais l’objectif arrêté est de 85 milliards) et de nouvelles routes. Deux gazoducs sous-marins directement vers l’Europe, les deux anciens gazoducs dont les capacités peuvent être augmentées, et deux autres unités de GNL. Ceci va se traduire par ce que l’on appelle la flexibilité GN-GNL, c’est-à-dire entre le gaz transporté par méthaniers ou le gaz transporté par gazoduc. Grosso modo l’Algérie possède cette flexibilité, de presque cinquante/cinquante. Cette flexibilité permet à Sonatrach d’assurer des approvisionnements de pointe, d’aller vers des marchés de GNL et de profiter de ce qu’on appelle l’arbitrage lorsqu’il existe un différentiel de prix entre deux ou plusieurs marchés comme entre l’Europe et l’Amérique du Nord .
Comme on le sait, les trois grands marchés du gaz ne sont pas tout à fait interconnectés entre eux. Cette flexibilité permettra d’essayer d’aller vers un marché unique bien que cela soit très utopique pour le moment. Mais dans le futur, je pense qu’avec les nouveaux projets, tels que ceux qui se développeront en Russie, en Asie et en Europe, et même si la Russie vendra du GNL plus tard, cette notion de marché unique se développera. Je ne parle pas du marché unique européen qui est une autre question.

Maintenant, je vais donner quelques détails sur le Medgaz, sur les partenaires du projet, qui va vers l’Espagne, et sur le projet Galsi. Pour le Medgaz les études de faisabilité technique et économique sont terminées. C’est aussi une perfection technologique en termes de profondeur sous-marine. Le projet est classé en première priorité par l’Union européenne. Il reste donc à concrétiser le projet dont les travaux devraient commencer normalement en 2005. Le Galsi est au stade des études ; bien que la première phase soit terminée, on pense qu’il sera prêt plutôt vers la fin de cette décennie.
J’aurais voulu aussi parler d’un autre projet, un projet africain, qu’on appelle Transafrican gas pipeline, l’ex-projet Nigal, qui va du Nigéria, via l’Algérie rejoindre probablement le grand gisement de Hassi Rmel pour aller vers l’Europe. Ce gazoduc qui a des effets économiques structurants, va essayer d’alimenter les pays voisins tels le Mali, le Niger, avec des bretelles, bien que dans ces pays la consommation soit encore faible. Actuellement, nous sommes au stade des études et nous pensons que le projet a de forts atouts à faire valoir. Ce gaz est issu des gaz torchés au Nigéria, et va donc permettre de réduire le torchage et contribuer à la protection de l’environnement. Le volume se situe entre 15 et 20 Milliards de mètres cubes. Ce sont des gaz lointains puisque leur parcours sera de 4.000 à 5.000 kilomètres, comme le gaz russe qui va venir de régions lointaines pour la satisfaction de la demande gazière de l’Europe.

Sonatrach, je voulais le dire, s’inscrit dans le cadre des réformes économiques, en Algérie, dans le cadre imposé de la globalisation, de la recherche de la compétitivité. Si, dans le passé, nous avions des discussions, des contacts ou des contrats entre groupes, monopoles, tels que Gaz de France/Sonatrach, ENI/Sonatrach, les données ont changé : Privatisations, dérégulation dans les pays consommateurs. Mais dans les pays producteurs nous sommes obligés de réformer notre système. Nous sommes obligés de parler de compétitivité. Nous sommes obligés de parler de concurrence. Le domaine s’ouvre, tout le monde peut venir en Algérie.
Tout le monde peut produire, transporter ou vendre son gaz et son pétrole. Donc il y a eu des changements structurels, institutionnels ; toutes les entreprises intéressées peuvent intervenir en Algérie dans un cadre partenarial pour partager les risques, mais, aussi, partager les gains.
Dans le cadre de son externalisation, le Groupe Sonatrach a développé des activités à l’international. Nous sommes présents au Pérou dans les gisements et le transport. La production a déjà commencé et cette année nous récolterons les premiers revenus de ces projets. Nous sommes en Espagne où nous avons pris des participations dans une unité de regazéification à Ferrol, en Galice et dans des unités de cogénération électrique. Nous souhaitons intervenir en France mais il faudrait que les portes s’ouvrent. Nous avons d’autres projets dans le domaine de l’amont, dans la prise de participation essentiellement en Afrique, au Soudan, au Mali, au Nigéria, au Niger et dans bien d’autres pays où les discussions sont très avancées. Nous avons, pour atteindre nos objectifs en terme d’exportations, acquis de nouveaux méthaniers. Nous comptons aujourd’hui huit méthaniers et l’année prochaine nous en aurons encore deux supplémentaires. Nous disposerons donc de dix méthaniers qui nous permettront justement de profiter de cette flexibilité nécessaire pour satisfaire la demande du marché du gaz dans le monde de manière générale et en Europe de manière particulière.

Je vous remercie.

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