La Recherche de défense dans la mondialisation

par Edwige Avice, PDG de la Financière de Brienne, expert européen, membre de la Chambre professionnelle européenne

Intervention prononcée lors du colloque Recherche et mondialisation du 20 septembre 2004

Je veux évoquer la structuration de la recherche de défense dans la mondialisation.

Pour entrer dans le débat sur la mondialisation, il est utile de considérer deux aspects :

• les causes qui intéressent toute la planète : la sécurité, l’environnement, la santé, …

• ce qui vise à renforcer la compétitivité au profit d’un pays ou d’une région : c’est la recherche d’innovations technologiques de rupture, dans une vision à moyen et long termes.

La Défense recouvre ces deux dimensions : c’est un sujet mondial évident et un enjeu économique international à travers ses industries, ses exportations et ses coopérations.

Le sujet étant considérable, nous nous limiterons à deux approches assez simples pour engager le débat.

Deux points principaux :

• les USA sont le principal acteur mondial de la recherche et de la recherche de défense, non seulement par leur budget, mais par leurs méthodes de travail et leur rapidité d’intervention.

• En Europe, des structurations se cherchent, à l’initiative des industriels, mais elles ne doivent pas faire oublier les niveaux nationaux.

Les USA, principal acteur mondial de la recherche et de la recherche de défense – budget, empirisme, rapidité sont la base de leur structuration.

Le budget militaire des USA influe sur toute la recherche mondiale : une analyse a été faite par la Mission pour la Science et la Technologie de l’Ambassade de France aux USA (Serge Hagege, décembre 2003).

– Budget fédéral de R & D : 127 milliards de $ pour 2004, en augmentation de 8 %. La Défense représente 66 milliards de $, en augmentation de 13%. Elle atteint 56 % de l’ensemble. Il est à remarquer qu’elle est surtout organisée vers le développement et assez peu vers la recherche de base. Le budget de la homeland security, a, quant à lui, doublé.

Quand on compare avec le budget civil, on voit que celui-ci perd du terrain, à l’exception des nanotechnologies, des mathématiques, de la santé et du revenu des étudiants qui passe de 27 500 $ à 30 000 $ par an. Dans le domaine de l’énergie, l’augmentation concerne essentiellement l’énergie nucléaire. Quant à la NASA, elle plafonne.

Dans la répartition mondiale de R & D, les Etats Unis représentent 40 % et l’Union Européenne 26 %. Mais le ratio de dépenses militaires est très inférieur en Europe. On considère généralement que l’Europe dépense quatre fois moins que les Etats Unis. Les chiffres français et les évolutions de 1990 à 2000, sont intéressants à observer : il y a eu une réduction relative de la R & D de défense de 65 % à 56 % aux Etats Unis par rapport à l’ensemble de la dépense publique. Dans le même temps, le chiffre français passait de 40 % à 22 %.

Des méthodes de travail d’une grande efficacité : cinq aspects précis constituent une force de frappe :

• La sélection des priorités : exemple, la missile defense et le JSF dans le budget R & D. On met le focus sur un très grand programme dont la réalisation sera parfois aléatoire, mais la recherche, elle, sera accomplie.
• Les retombées civiles à travers la DARPA : exemple, les autoroutes de l’information, les récepteurs GPS miniatures, les capteurs infrarouges non refroidis, les bio-puces, …
• Le rôle des industriels, y compris les PME qui sont intéressées par l’intermédiaire de Small Business Acts : SBAC et SBIR. Les entreprises font l’essentiel de la recherche et embauchent des ingénieurs et des chercheurs.
• La veille systématique et, notamment, sur l’Europe qui permet de repérer les PME intéressantes. Certains pays, comme la Suède et la Hollande, sont déjà largement intégrés dans la recherche américaine. La veille concerne aussi le repérage des compétences : autour du JSF, Lockheed Martin a déjà bâti une International Team de 500 ingénieurs et chercheurs par semaine. Même attitude de Northrop Gruman, qui sillonne l’Europe
• L’utilisation de financements publics-privés, notamment par le jeu du capital risque, afin d’accompagner les entreprises émergentes.

– Une rapidité d’action et de réaction : quatre exemples peuvent être donnés :

• La reconfiguration budgétaire après le 11 septembre. Les augmentations ont été de l’ordre de 50 milliards de $ par an, essentiellement pour l’armée de l’air, qui a également bénéficié de la R&D la plus conséquente.
• La reconfiguration des priorités de la DARPA pour répondre à la lutte contre le terrorisme, avec systèmes de détection et d’observation, drones, systèmes cognitifs, recherche biologique.
• La pugnacité pour attirer au JSF les pays européens, pour les détourner éventuellement de projets lancés par l’Europe, et la pugnacité dans le débat sur Galileo.
• les acquisitions ultra rapides en Europe d’entreprises ayant nécessité des années de R&D. Dernier exemple, l’acquisition à 80% par un fonds de pension américain, Capital Strategy, de la société Synodys, basée à Lamanon dans le Vaucluse, PME de 400 salariés, qui est le numéro 1 mondial en dosimétrie et en systèmes de surveillance des rayonnements, de contrôle de contamination nucléaire, bactériologique et chimique.

Devant cette réalité, la première réaction est de pousser à une meilleure organisation européenne. Mais les questions de structurations ne sont pas faciles à régler et il faut se garder d’oublier les niveaux nationaux. La réflexion en effet n’est pas seulement budgétaire, elle est aussi méthodologique et elle a des conséquences politiques.

La structuration européenne commence, mais elle sera sans doute lente. Elle ne doit pas faire oublier les niveaux nationaux d’organisation.

Alors que le sujet était tabou en Europe, il commence de faire son chemin à travers de nombreuses contradictions politiques et budgétaires. Il entre, d’une part, dans le cadre de la réflexion générale sur la Défense, avec l’élaboration d’un catalogue des capacités et des lacunes (processus ECAP), d’autre part, dans la réflexion sur la compétitivité européenne et le redressement de l’effort de recherche à 3 % du PIB.

La structuration européenne est faite par les industriels.

La structuration à 25 Etats sera difficile, car elle n’était déjà pas très facile à quinze :

• En 2003, plus de 90 % de la R & DT de la Défense et de la sécurité en Europe sont faits par le Royaume Uni, la France et l’Allemagne. Avec l’Espagne, cela représente 97 %. Dans certains pays la question est taboue, c’est notamment le cas de l’Autriche et de l’Irlande. Dans les pays de l’élargissement, les budgets de défense représentent, au total, à peine le budget du Portugal.
• Le débat sur la PESC a fait apparaître une ligne de clivage entre ceux qui sont pour une force d’intervention de type militaire, et ceux qui privilégient les missions humanitaires ou ceux que l’on appelle le bas des missions de Petersberg.
• La structuration s’est faite à quelques pays autour de programmes : exemples, Frégate Horizon, A 400 M, et les réflexions prospectives du type LOI, qui intègrent la recherche, ou les constructions d’organisation du type OCCAR,

Les industriels appellent de leurs vœux une démarche plus intégrée –

• La démarche a commencé dans l’aéronautique civile avec le Groupe Star 21, qui a proposé, en relation avec le PCRD , le projet ACARE pour restructurer, à 20 ans, l’aéronautique civile.
• A l’initiative d’EADS, des travaux ont été menés par des organisations professionnelles européennes, EDIG et AECMA. Ils ont proposé, au moment de la Convention, la création d’une agence dite ESDRA (European Security and Defense Agency) dans laquelle il y aurait une partie agence de recherche avec un tiroir intergouvernemental défense, et un tiroir sécurité contrôlé par la Commission Européenne. L’objectif poursuivi est de créer, en Europe, une base industrielle des technologies de défense (BITD).

L’action des industriels a inspiré les démarches les plus récentes de l’Union Européenne – Elles ont une vocation communautaire –

Il s’agit réellement de l’actualité la plus brûlante et elle concerne deux actions et une proposition d’action :

• La création, cette année, d’une Agence Européenne de Défense, placée sous l’autorité du Conseil et agissant dans le domaine des capacités de défense, la recherche et les politiques d’acquisition et d’armement. Elle est actuellement pilotée par un Britannique, Monsieur Nick Whitney. Elle commence à être une instance de coordination, avec des mécanismes existants du type LOI et OCCAR, et devrait stimuler la recherche de défense comme l’harmonisation des procédures d’acquisition et permettre une meilleure utilisation des procédures européennes. Reste à régler l’importante question du financement et du budget et de l’articulation entre des dotations nationales spécifiques et une dotation européenne.
• Une action préparatoire dans le domaine de la recherche de sécurité. Lancée avec l’accord du Parlement Européen, avec un budget initial de 13M€, elle s’adresse à des thèmes de recherche, tels que la reconnaissance des situations, la protection des réseaux, la gestion des crises et la lutte contre le bio-terrorisme. La sélection des projets en partenariat (de 9 à 12) a lieu aujourd’hui même. Le succès a été considérable : 400 partenaires réunis autour de 175 projets, 28 pays répondant, avec des grands groupes, des laboratoires, des universités et surtout des PME. 200 M€ ont été demandés. On voit le décalage avec la proposition, qui ne devrait pas dépasser 65 M€ sur trois ans.
• En fonction de ce qui précède, la Commission vient de faire, le 7 septembre 2004, une communication au Conseil et au Parlement sur les prochaines étapes : on envisage (information confirmée par Monsieur Van Der Bergh du Cabinet du nouveau Commissaire, Monsieur Potocnik), une sorte de PCRD de la sécurité, qui pourrait avoir, à partir de 2007, un milliard € par an. On l’intitulerait programme de recherche européen sur la sécurité, PRES, et il pourrait s’intégrer dans le 7ème PCRD, à condition que soient dégagés des financements complémentaires, ce qui pose toute la question de la hauteur des fonds structurels et de leur utilisation future.

Ne pas oublier les niveaux nationaux d’organisation.

Il n’est pas si facile de se projeter au niveau européen sans répondre d’abord, au niveau national, à deux questions : pourquoi on fait de la recherche de défense et comment on procède ?
Le pourquoi :

• C’est, tout d’abord, une recherche d’indépendance et une optimisation des compétences. Il en découle des perspectives à moyen et à long terme, et des technologies de rupture.
• C’est l’affirmation d’un certain nombre de domaines clés et de priorités : déjà, dans cette optique, il y a des visions dispersées, en France. Pour donner un exemple, la DGA a sélectionné une trentaine de priorités technologiques et l’OST également, mais elles ne sont pas les mêmes, le ministère de l’Industrie a 119 technologies clés. De son côté, l’ANVAR a 15 domaines cibles d’intervention et les RRIT 16. Si l’analyse était poussée au niveau européen, on aurait certainement un éventail encore plus large. Il faut réconcilier de grands axes de travail, et le nécessaire encouragement à l’innovation qui n’est pas si facile à encadrer. Ce qu’on peut souhaiter, c’est une plus grande visibilité quant aux objectifs.
• C’est la présence d’un pays dans un horizon régional et international, sa capacité à peser sur les choix politiques et économiques, et à développer sa compétitivité.
Le comment –

• La question des méthodes et des moyens est clairement posée.
• La France n’est pas le plus petit financier de la Défense en Europe, mais, elle a diminué de moitié, en 10 ans, son effort dans la recherche de défense. Une nouvelle logique budgétaire devrait conduire à redresser la contribution et surtout, à relancer les études amont avec le concours des universités et des laboratoires. La Délégation Générale pour l’Armement réalise actuellement une prospective, dirigée par l’Ingénieur Général Bongrand : il s’agit, en fonction des programmes lancés ou prévus, de définir les principaux secteurs d’intervention en matière de recherche et de concentrer sur eux les financements.
• L’inconvénient du système budgétaire français, à la différence de ce qui se passe en Grande Bretagne, c’est qu’il n’est pas pluriannuel. Une réflexion est en cours pour éviter les coups d’arrêt et de manière à avoir une vision à 3 ou 5 ans, sur les domaines prioritaires.
• La France manque d’une approche intégrée qui permettrait de diriger un faisceau d’interventions et d’accompagnements sur les sujets et les entreprises stratégiques : il s’agit de la construction d’une veille sur le tissu technologique, de la recherche amont, et de l’accompagnement durable du développement en s’appuyant sur l’ANVAR, le système BDPME et les entreprises. Il faut noter, que plus généralement, la recherche et l’innovation donnent lieu, même au niveau européen, à une réflexion sur la continuité de l’effort et le regroupement des interventions sur la même cible. Dans une rencontre, le 16 septembre 2004, à la Chambre Professionnelle Européenne, la Commission a annoncé qu’elle allait refondre tout son dispositif en faveur de l’innovation, notamment dans les PME, pour le rendre plus simple et plus continu, et mieux coordonné avec le PCRD.
• Il est nécessaire de construire une recherche duale, pour obtenir des économies d’échelle et de la diversité d’application. Depuis longtemps, des analyses existent en France, sous la plume d’Henri Guillaume, de Bernard Majoie ou de Messieurs Serfati et Carpentier. On a remarqué que 120 firmes, liées à la Défense, bénéficient de 90 % de l’ensemble des crédits publics de recherche. Or, si les grands programmes permettent de progresser dans les technologies avancées, leur structure verticale est cloisonnée, empêche la diffusion de l’innovation et de la connaissance produit. Aux USA, la DARPA, qui bénéficie certes de beaucoup d’argent et d’une politique de brevets judicieuse, a eu un rôle décisif dans l’industrie des logiciels, des mathématiques et une partie de la biologie.

En France, a existé un programme civilo-militaire, SYRECIDE, qui portait sur la microélectronique, le génie logiciel, l’automatique, la robotique, les télécommunications et les sciences de la vie. Il a du être abandonné. Aujourd’hui, la réflexion est relancée : elle porte sur la convergence des normes et des qualifications, la collaboration avec les laboratoires civils, l’intégration de composants civils dans les systèmes militaires et la diversification du militaire vers le civil. Il importe, au niveau de l’Etat, de reconstruire un dialogue positif entre différents ministères, afin d’orienter aussi les coopérations avec l’industrie.

Conclusion : choisir les bons niveaux de structuration.

Il est possible de recommander, pour conclure, une double démarche qui tienne compte des préoccupations exposées. Elle consisterait à croiser les efforts nationaux et européens en vue d’une présence internationale active.

On peut utiliser des efforts nationaux pour une structuration européenne. C’est par exemple le cas de l’ONERA, qui a défini, dans l’aéronautique et l’espace, 7 défis pour l’avenir et qui, à travers le réseau EREA, peut impulser un réseau de laboratoires européens.

Il est également possible d’utiliser des efforts européens pour une structuration nationale. Le PCRD, jusqu’à présent, n’intègre ni la défense, ni la sécurité, sauf d’une manière déguisée. En dépit de son faible montant relatif dans l’effort européen de défense, il a un rôle non négligeable d’orientation, et il crée des collaborations à l’échelle européenne. Dans une nouvelle version comprenant, pour le 7ème PCRD, des plates-formes technologiques et de la recherche de sécurité, des priorités partagées par les Etats pourraient optimiser la recherche nationale dans les secteurs concernés, et par le jeu des plates-formes technologiques des acteurs qui ne se parlent pas pourraient communiquer. Il y aurait un décloisonnement utile.

Enfin, il ne faut pas exclure l’appartenance à des communautés scientifiques internationales (exemples, les mathématiques et les biotechnologies) ainsi que la constitution d’une attractivité nationale, pour des communautés internationales.

La fuite en avant, en Europe, n’est pas une solution si l’on n’a ni solidité, ni organisation, par contre, la dimension européenne donnerait plus de force à une structuration de la recherche, dans une mondialisation où il y a déjà un super acteur.

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