Quelles politiques horizontales et verticales pour renouer avec la croissance et stimuler l’innovation ?
Intervention de Philippe Aghion, économiste et professeur au Collège de France, à l'INSEAD et à la London School of Economics, lors du colloque "Le défi du redressement économique de la France" du mardi 31 janvier 2023.
Intervention de Philippe Aghion, économiste et professeur au Collège de France, à l’INSEAD et à la London School of Economics, lors du colloque « Le défi du redressement économique de la France » du mardi 31 janvier 2023.
Merci beaucoup.
Je vous remercie de m’avoir invité. C’est pour moi un grand honneur de m’exprimer après Louis Gallois pour qui j’ai une infinie admiration. Nous avons mené des combats communs, notamment au moment du CICE, même si ce combat fut essentiellement mené par Louis Gallois. C’était le tournant vers l’offre du quinquennat Hollande. Ce n’est pas venu sans difficultés.
Beaucoup de ce que je vais dire a déjà été dit beaucoup mieux que je ne pourrais le dire moi-même par Louis Gallois.
La pandémie a sonné comme un douloureux rappel, révélant à quel point la désindustrialisation était dramatique en France.
À la différence de l’Allemagne nous nous étions trouvés en mars 2020 démunis de réactifs, de principes actifs, de composants pharmaceutiques. Comme nous étions démunis d’appareils médicaux – à commencer par les respirateurs – et d’équipements de protection (gants, masques, etc.). Cela nous avait conduits, avec Elie Cohen et quelques autres chercheurs, à regarder ce qui se passait au niveau macroéconomique sur les exportations, importations et production de ces produits. C’était avant le vaccin.
Nous nous sommes rendu compte qu’au début des années 2000 les exportations et les importations françaises et allemandes de ces produits étaient quasiment au même niveau et s’équilibraient, en production, en import et en export. Presque vingt ans plus tard, en 2019, l’Allemagne dégageait sur ces produits (respirateurs, masques, tests) un très fort excédent commercial (20 milliards d’euros) alors que la France était tout juste à l’équilibre avec des déficits significatifs à la fois sur les équipements de protection et sur les appareils médicaux.
Derrière ce contraste entre les évolutions des exportations et importations des produits covid en France et en Allemagne se cache une réalité plus globale : la France a décroché dans la plupart des secteurs industriels, ce désastre venant d’un décrochage en matière d’innovation. Des outils permettent de mesurer l’innovation, notamment les brevets triadiques, homologués à la fois à l’office américain, à l’office japonais et à l’office européen des brevets. Plusieurs métriques d’innovation confirment que nous avions décroché dans la plupart des secteurs industriels depuis les années 1990 et qu’un décrochage en innovation préfigurait un décrochage en matière de parts de marché mondial. Si nous avons cessé d’innover c’est parce que nous avons sous-investi en R&D et que nous avons délocalisé à l’excès nos chaînes de valeur.
Concernant la délocalisation, sur la période 1995-2018, dans le secteur pharmaceutique la production française est restée stable alors que la production allemande a crû fortement. Par contre, tandis que les avoirs et créances des entreprises pharmaceutiques allemandes à l’étranger stagnaient, les avoirs et les créances des entreprises françaises croissaient fortement. Au lieu de développer notre production domestique nous avons augmenté nos avoirs à l’étranger en misant sur la délocalisation alors que les entreprises pharmaceutiques allemandes ont davantage parié sur l’innovation et la production domestique.
Cela ne se limite pas au domaine pharmaceutique. Dans le domaine alimentaire, la balance commerciale ne demeure équilibrée que grâce aux boissons. Notre production domestique de textile a chuté depuis le début des années 2000. Dans l’électronique et les techniques de l’information le déficit commercial a été multiplié par trois depuis le début des années 2000. La production domestique d’automobiles chute depuis 2008. Et j’en passe …
La dégradation relative de nos performances commerciales et de notre production domestique dans les différents secteurs industriels reflète un déficit d’innovation qui se mesure en premier lieu par l’évolution de notre production de brevets.
Nous avons regardé le classement de la France en termes de nombre de brevets triadiques par million d’habitants dans différents secteurs.
Nous avons aussi observé la distance à la frontière technologique mesurée par la différence entre le nombre de brevets triadiques par habitant de la France et le nombre de brevets triadiques des pays dans les domaines où ils sont les meilleurs. Cela nous permet de connaître notre classement global et notre distance par rapport aux meilleurs : en moyenne, sur l’ensemble des domaines technologiques, nous étions devant l’Allemagne en 1995 et nous sommes à présent dépassés par elle. Et notre distance à la frontière technologique s’est considérablement accrue depuis 1995. Quelque chose s’est donc passé au milieu des années 1990 qui a fait que nous avons commencé à décrocher.
Nous avons perdu notre rang en matière d’innovation dans quasiment tous les domaines sauf le nucléaire, l’aéronautique (grâce à Louis Gallois) et le luxe. Une exploration plus fine des données de brevets fait apparaître quelques autres points de spécialisation où nous nous sommes relativement bien maintenus : l’isolation thermique, les machines agricoles, les véhicules autonomes, la transmission de données et les logiciels de conception assistés par ordinateur. Il y a quand même des domaines où nous sommes encore bons.
Voilà où nous en sommes maintenant. Que faire ?
Repenser la politique industrielle
Ce n’est pas par le protectionnisme que nous remédierons à notre perte de compétitivité. L’imposition de barrières douanières entraîne en réplique la fermeture de marchés, ce qui décourage l’innovation et nous fait perdre encore plus de parts de marché mondial. Cela revient à se tirer une balle dans le pied. Mais il faut bien sûr une taxe carbone aux frontières pour empêcher que des pays deviennent des paradis de pollution.
De même, comme le disait Louis Gallois, il n’est pas souhaitable ni réaliste de tout miser sur un rapatriement des productions délocalisées dans des pays émergents dans des secteurs matures comme l’automobile tant pour des raisons de coût, de conquête de nouveaux marchés et de cycle du produit. Ce n’est qu’à l’occasion de la mise en production d’un nouveau produit que le choix d’une localisation en France se pose réellement.
C’est donc par l’innovation et non par le protectionnisme que nous allons régler le problème.
Comment stimuler l’innovation ?
Il faut distinguer les politiques horizontales et les politiques verticales.
Les politiques horizontales ne sont pas ciblées sur un secteur particulier.
Louis Gallois appelait à un meilleur financement de la recherche fondamentale. J’ai rédigé un papier sur la Chine pour Les Échos. Les Chinois rencontrent de nombreux problèmes. Leur régime se ferme … il est heureux pour nous que l’investissement soit compensé par le manque de liberté ! Car ils investissent massivement. Leur crédit impôt-recherche est bien plus efficace que le nôtre. Ils conduisent depuis le début des années 2000 différentes politiques pour stimuler la recherche-développement et l’université en Chine. Tandis que nous devons non seulement résoudre notre problème de financement mais améliorer la gouvernance de la recherche fondamentale. Pour le moment, la Chine, les États-Unis et l’Allemagne font beaucoup mieux que nous en recherche. Non seulement l’équivalent allemand de l’Agence nationale de la recherche (ANR) a un budget plus que deux fois supérieur à celui de l’ANR mais les Allemands ont la VolkswagenStiftung [1]. Beaucoup d’entreprises investissent directement dans la recherche fondamentale. C’est pourquoi les Allemands, comme le disait Louis Gallois, sont loin devant nous.
Je ne veux pas jouer les pleureuses d’Orient ni m’auto-flageller, aussi citerai-je une réussite : celle des LabEx (laboratoires d’excellence). Je dois rendre hommage à Nicolas Sarkozy pour avoir eu l’idée d’un grand emprunt, le Programme d’investissement d’avenir (qui d’ailleurs est au crédit partagé de Michel Rocard et d’Alain Juppé qui ont présidé la commission chargée de définir les contours de ce grand emprunt) dont les LabEx sont les instruments. L’idée était de permettre à des scientifiques constitués en laboratoires d’excellence d’attirer les meilleurs chercheurs et de pouvoir financer les investissements. Une étude récente montre que les LabEx ont eu un impact substantiel sur l’innovation dans des industries à la fois géographiquement et sectoriellement proches de ces LabEx. « Il faut généraliser les LabEx car c’est quelque chose qui a vraiment très bien marché » disais-je à Sylvie Retailleau la semaine dernière. Contrairement aux IDEX (Initiatives d’Excellence) les LabEx ont été un grand succès. Rendons hommage à des choses qui fonctionnent. C’est rare mais ça arrive !
Il y a d’autres politiques horizontales :
L’éducation est un sujet très important. On sait – cela a été vérifié en Finlande – que les enfants dont les parents sont en haut de l’échelle des revenus ont beaucoup plus de chances d’être innovateurs. Ce n’est pas seulement parce que leurs parents financent leurs études mais aussi parce que les parents qui sont mieux rémunérés sont aussi mieux éduqués et, en général, transmettent à leurs enfants à la fois le savoir et les aspirations (l’envie d’innover).
On réduit le nombre des « Einstein perdus », ces enfants très doués nés dans des familles où on ne peut pas les aider, en faisant de bonnes réformes de l’éducation. Cela a été fait en Finlande en 1970 : de très bons curriculum, au niveau national, procurent aux établissements l’autonomie qui leur permet d’avoir des contrats pédagogiques garantissant le suivi des élèves qui sont ensuite évalués (évaluation interne et externe). Au Portugal La même réforme, menée plus récemment par
M. Nuno Crato, a été un grand succès. M. Pap N’Diaye est très sympathique mais au bout de sept mois je n’ai toujours pas compris ce qu’il veut faire. On s’est rendu compte après la réforme de l’éducation en Finlande que beaucoup d’enfants dont les parents n’étaient pas en haut de la distribution des revenus devenaient innovateurs. Une politique éducative qui rend à la fois plus innovant et plus inclusif est exactement ce que nous voulons : plus de croissance par l’innovation et un système plus inclusif. D’où l’importance de l’éducation.
Un écosystème d’innovation du capital-risque, des investissements institutionnels, une fiscalité incitative, réduire les obstacles réglementaires, créer des entreprises et faire croître des entreprises … nous avons encore en France d’énormes marges sur lesquelles nous pouvons jouer en général, que l’on appelle des mesures horizontales parce qu’elles ne ciblent pas un secteur en particulier mais concernent tout le monde. Nous sommes en la matière très en dessous de la frontière d’efficience. Donc, sur tous ces domaines-là, nous avons énormément à faire.
Des politiques verticales ciblent certains secteurs
Le premier argument en faveur de ces politiques verticales est la transition écologique. En effet l’innovation n’est pas spontanément verte. J’ai mené moi-même des études montrant que des entreprises qui ont dans le passé innové dans des technologies polluantes tendent à continuer à innover dans des technologies polluantes. On appelle la « dépendance au sentier » la propension à continuer à faire ce qu’on sait déjà faire. On a donc besoin de l’État pour rediriger l’innovation des entreprises vers les technologies vertes. On le fait un peu avec la taxe carbone mais beaucoup avec la politique industrielle, avec les ARPA-E (Advanced Research Projects Agency-Energy) et autres. Ce sont les deux leviers. Au début Blanchard et Tirole ne voulaient évoquer dans leur rapport (les grands défis économiques)[2], que la taxe carbone. Nicholas Stern et moi avons argué qu’il y a la « jambe » taxe carbone mais aussi la « jambe » investissement et politique industrielle verte. La dépendance au sentier est un argument en faveur des politiques verticales.
Une autre raison est la nécessité de la coordination. On l’a vu avec les vaccins. La technologie de l’ARN messager venait de la recherche fondamentale. Il fallait en un an transformer cette découverte scientifique en production de masse de vaccins basés sur l’ARN messager, ce qui nécessite de coordonner des acteurs et des moyens, d’où la nécessité de la politique industrielle. La BARDA (Agence américaine pour la recherche et le développement biomédical avancé) a réussi cet exploit. C’est grâce à la BARDA que nous sommes tous ici. Mais avant la BARDA il y avait eu la DARPA (Agence pour les projets de recherche avancée de défense) dans les années 1950. Ces agences sont toujours chargées de missions après que la recherche de base est faite : mettre un homme dans l’espace en un an parce que les Russes ont mis Gagarine … produire tel armement en un ou deux ans pour surpasser l’Union soviétique. La mission est claire mais il faut coordonner les ressources et les moyens pour pouvoir passer très vite de la recherche fondamentale aux applications dans des domaines particuliers. Pour ce faire la DARPA a été inventée aux États-Unis : l’argent vient des ministères (top-down), on nomme pour trois ans des chefs d’équipes qui ont toute latitude de susciter des projets concurrents. On l’a vu avec la BARDA : de nombreux laboratoires sont arrivés avec des vaccins. Cette manière de faire de la politique industrielle a le double intérêt de concilier le haut en bas (top-down) et le bas en haut (bottom- up) et d’être compatible avec la concurrence. C’est plus moderne que notre vieux colbertisme. J’aime bien le colbertisme – c’est mon côté rétro – mais il faut que nous sortions de la vieille politique colbertiste et que nous nous « DARPAisions » un peu plus. Donc non seulement il faut une gouvernance de la politique industrielle mais il faut la rendre plus favorable à la concurrence et à l’entrée de nouveaux acteurs. Nous avons de très bonnes entreprises existantes mais la réindustrialisation exige l’entrée de nouvelles entreprises et une politique industrielle qui n’aille pas contre la concurrence. Nous avons besoin d’une politique industrielle qui encourage l’entrée de nouveaux acteurs.
Comment sélectionner les secteurs ?
Les priorités sont d’abord économiques et sociales : la lutte contre le réchauffement climatique, la santé, la défense, le digital, tous domaines où il est évident qu’il va falloir bouger. Nous ne pouvons pas laisser agir les Chinois et les Américains et nous contenter d’être les vaches qui regardons passer les trains.
Il y a ensuite des domaines à fort potentiel de croissance où nous avons déjà des compétences : l’aéronautique, le nucléaire, les véhicules autonomes, la transmission de données, les logiciels de conception. Il faut donner la priorité aux secteurs où nous sommes déjà très bons. Les secteurs où nous n’avons aucune compétence ne sont pas forcément ceux que je privilégierais.
« France 2030 » [3], plan d’investissement décidé par le Président de la République emprunte beaucoup aux travaux qui ont été faits. La sélection de secteurs me satisfait donc. Les retours sur « France 2030 » sont positifs mais on reproche à ce programme une certaine lenteur. La sélection des projets est si minutieuse qu’elle prend trop de temps.
Nous avons tendance à être un peu bureaucratiques ex ante mais il n’y a pas vraiment de procédures d’évaluation ex post qui soient très satisfaisantes. Il y a encore du travail à faire dans la gouvernance de « France 2030 » pour la rendre plus dynamique. Peut-être les préconisations de Louis Gallois concernant les relations CEA / EDF seraient-elles de nature à dynamiser « France 2030 ». Nicolas Dufourcq, directeur général de Bpifrance, est quelqu’un de dynamique mais les autres le sont peut-être un peu moins.
Dans les politiques verticales il ne faut donc pas seulement investir plus mais adopter une nouvelle gouvernance, acquérir la culture de l’évaluation et mener une politique industrielle compatible avec l’entrée de nouveaux acteurs et la concurrence.
Ce plan poursuit la stratégie du Gouvernement en faveur de l’investissement, de l’innovation et de la ré-industrialisation.
L’Europe est apparue comme un empêcheur de tourner en rond.
Il y eut d’abord Maastricht et la fameuse règle des 3 % (pas question que le déficit excède 3 % du PIB !) dont Guy Abeille, chargé de mission à la Direction du Budget du ministère des Finances en 1981, serait à l’origine.
Rénover l’école, l’hôpital, réindustrialiser par l’innovation, faire la transition énergétique … nous avons d’énormes investissements à faire. Or nous sommes déjà très endettés. Comment faire ? Mario Draghi, lorsqu’il était président de la BCE, nous a beaucoup aidés. Nous nous souvenons tous de son « whatever it takes » (quoi qu’il en coûte). Selon Draghi un État doit donner des gages qu’il réduit ses dépenses récurrentes dans des domaines où il le peut, qu’il engage une réforme de l’État, qu’il augmente le taux d’emploi. Ayant donné ces gages macroéconomiques il acquiert une crédibilité supplémentaire qui lui permet d’investir dans l’éducation, dans la politique industrielle, etc. Les dépenses récurrentes, par exemple pour financer le déficit des retraites, ne doivent pas être mises sur le même plan que les dépenses d’investissement, par exemple dans l’École. Ne pas mettre toutes les dépenses sur le même plan est un progrès par rapport à Maastricht. De plus la gouvernance et l’évaluation des performances de ces dépenses d’investissement doivent être évaluées. C’est beaucoup plus exigeant que ne l’était le Maastricht initial puisque les dépenses d’investissements sont soumises à un critère de gouvernance et de performance.
Le fait que l’Allemagne elle-même, dont les infrastructures tombent en ruines, doit investir peut nous aider. J’ai un jour pris le train de Zurich à Munich. De Zurich à Lindau le voyage était très agréable mais de Lindau à Munich je n’ai fait que tousser à cause de la propulsion au diésel (il n’y a pas de voies électrifiées). Les Allemands n’ont pas modernisé leurs infrastructures. Ils ont vraiment besoin d’investir dans la défense, ils doivent électrifier la ligne Lindau-Munich … ils doivent faire de nombreux investissements. Donc, heureusement pour nous, l’Allemagne elle-même doit investir. Il lui sera donc difficile de s’opposer à nos propres investissements. Mais nous devons montrer que nous avons cette crédibilité dont je parlais.
Nous avons une marge nouvelle : non pas supprimer mais réinterpréter Maastricht.
Outre Maastricht la politique de concurrence, trop dogmatique, nous gênait. Seules les parts de marché étaient examinées et on ne se préoccupait pas de savoir
si une fusion-acquisition menaçait l’entrée de nouveaux acteurs et l’innovation. Par exemple, si j’approuve la plupart des décisions de la Commission européenne je n’ai pas compris l’affaire Siemens-Alstom. On nous a expliqué qu’il ne pouvait pas y avoir de fusion entre Alstom et Siemens parce que les pays européens n’achetaient des trains à grande vitesse que chez l’un ou chez l’autre. Mais c’est un marché contestable ! N’importe qui peut aller acheter des trains chinois qui sont d’ailleurs excellents. Même quand on dispose d’une part de marché entière on sait qu’une augmentation excessive des prix risque de favoriser le concurrent potentiel. C’est un marché contestable … à moins qu’on m’explique qu’il ne l’est pas (mais ça on ne me l’a pas expliqué). Ce critère de part de marché m’a toujours semblé insuffisant et incomplet. Je privilégierais un critère dynamique (cette fusion-acquisition va-t-elle empêcher l’entrée future, l’innovation future ?). C’est beaucoup plus intelligent.
« Pas d’aides sectorielles d’État ! », exigeaient aussi, a priori, les autorités de la concurrence. Mais pourquoi ne pas maintenir les aides sectorielles de l’État et juger ex post si la concurrence en a été affectée ou non ? Cela permettrait de réconcilier politique de concurrence et politique industrielle. Quand j’allais à Bruxelles, les experts de la politique industrielle et leurs homologues de la politique de concurrence n’échangeaient jamais entre eux. C’est absurde ! La politique de concurrence et la politique industrielle devraient être réconciliées grâce à une politique industrielle beaucoup plus DARPAisée, beaucoup plus compatible avec la concurrence d’une part et, de l’autre, grâce à une politique de concurrence beaucoup moins dogmatique, beaucoup moins intraitable a priori sur les aides sectorielles d’État mais plus empirique, plus pragmatique.
Pour répondre à l’IRA, je crois beaucoup dans des DARPA européennes. Nous avons des embryons de DARPA dans différents domaines, notamment dans le domaine de l’électricité. Commençons par créer nos propres DARPA puis voyons dans quelle mesure nous pouvons aussi faire des coopérations – qui apparaissent plutôt comme une Coalition of the willing (coalition des volontaires axée sur la réalisation d’un objectif) – avec d’autres pays européens. Il y a certes l’Allemagne mais les Anglais sont très bons également dans les domaines de la défense, de la santé et de l’énergie. Je pense nous pouvons essayer de créer nos DARPA puis de les articuler avec les DARPA de ces pays (en dépassant le Brexit), créant ainsi dans ces différents domaines des DARPA européens qui puissent concurrencer d’un côté la Chine et de l’autre côté les États-Unis. Ce serait là une véritable politique, une véritable stratégie.
Quant à la réforme des retraites, il fallait la faire. Pour deux raisons. Il fallait d’abord équilibrer le système à l’horizon 2030. Il fallait aussi la faire pour une raison macroéconomique : la réforme des retraites a pour but de montrer d’une manière crédible que nous travaillons à augmenter notre taux d’activité et notre taux d’emploi. On peut discuter des détails tactiques, de la manière dont elle a été menée. Mais une réforme comme celle des retraites, indispensable pour nous donner la crédibilité nécessaire pour être ensuite en mesure de faire les investissements dont je parlais, fait partie de l’approche Draghi. Voilà comment je vois les choses. Merci beaucoup.
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[1] Fondation de droit privé qui promeut la science et la technologie dans la recherche et l’enseignement.
[2] Rapport demandé par le Président de la République début 2020 à une commission d’économistes conduits par les professeurs Olivier Blanchard et Jean Tirole, portant sur les aspects économiques du réchauffement climatique, de la lutte contre les inégalités et des retraites en France. Il a été remis en juin 2021.
[3] Ce plan d’investissement de 54 milliards d’euros s’inscrit dans la lignée du plan France Relance. Il doit permettre de rattraper le retard de la France dans certains secteurs historiques. Il vise aussi la création de nouvelles filières industrielles et technologiques. Ce plan poursuit la stratégie du Gouvernement en faveur de l’investissement, de l’innovation et de la ré-industrialisation.
Le cahier imprimé du colloque « Le défi du redressement économique de la France » est disponible à la vente dans la boutique en ligne de la Fondation.
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