France-Allemagne : le miroir du social

Intervention prononcée lors du colloque du 7 septembre 2005 France-Allemagne : quel partenariat pour quelle Europe ?

L’approche des questions sociales dans nos deux pays est assez différente. Et la connaissance que l’on a du système social de part et d’autre du Rhin est souvent mythique, décalée et fragmentaire. Les deux pays se regardent pourtant, et se réfèrent parfois à ce qu’ils croient être les points forts du pays voisin, et qui souvent ne le sont plus tout à fait. Le miroir du social, entre la France et l’Allemagne, est un miroir déformant.

Je vous propose de caractériser les grandes différences entre les systèmes sociaux, d’abord du point de vue de l’Etat, puis dans l’évolution de la société, ainsi que l’évolution de la crise qu’ils traversent.

Puis je tenterai une analyse plus approfondie de trois domaines dans lesquels s’expriment ces différences, et de leur perception de l’autre côté du Rhin :
· la « Mitbestimmung » et les droits des travailleurs dans l’entreprise ;
· le « Lehrzeit » et la formation professionnelle ;
· la « Ganztagschule », les rythmes scolaires et la politique familiale.

Enfin, je tenterai de mesurer quelle est la réaction de l’un et l’autre pays face à la crise des modèles sociaux qui les traverse.

Tout d’abord, qu’est-ce qui caractérise l’Etat Social en France et en Allemagne ?

La législation relative au travail est apparue en France comme en Allemagne à la fin du 19e siècle. Mais alors que des dispositions proches interdisaient le travail des femmes et des enfants dans certaines activités réputées dangereuses et limitaient la durée du travail pour des raisons liées à la sécurité, c’est en Allemagne qu’est apparue en même temps la sécurité sociale, c’est-à-dire la prise en charge collective des risques de la vie (maladie, invalidité, vieillesse). En France, les assurances sociales ne sont vraiment apparues qu’en 1930 avec le gouvernement Laval et la généralisation de la sécurité sociale ne date que de la Libération, par l’application du programme du CNR. Le droit local d’Alsace et de Moselle en conserve d’ailleurs quelques traces, alors même qu’il ne continue d’appliquer que les dispositions résiduellement plus favorables du droit allemand entrées en vigueur au cours de la période s’écoulant de 1871 à 1919.

Le rôle spécifique de l’Etat n’a pas exactement les mêmes sources. En effet, si les gouvernements de la fin du 19ème siècle en Allemagne et du début du 20e siècle en France agissaient dans des directions proches, les motivations affichées étaient différentes, quoique liées à un même phénomène politique : la montée des idées socialistes. Mais alors que les gouvernements de la 3ème république subissaient plutôt l’influence de ces idées (par exemple, avec la création du ministère du travail en 1906), l’action des gouvernements allemands, à partir de 1880, était davantage guidée par la crainte du progrès de ces idées, encore que le départage entre ces deux motivations ne soit pas toujours commode.

Le consensus fondateur du système social allemand, aujourd’hui remis en cause, reposait sur trois piliers :
· l’Etat providence, mis en place à la fin du 19ème siècle par le chancelier Bismarck, et consolidé par les sociaux démocrates et les chrétiens démocrates jusqu’à la crise de 1929 et à ses suites politiques en 1933 et depuis l’avènement de la République fédérale : il est aujourd’hui largement remis en cause comme une cause de non-compétitivité par le patronat allemand et a fait l’objet de réformes de fond du gouvernement Schröder sous le nom d’Agenda 2010 ;
· l’autonomie collective, qui est un système de négociation au niveau des branches professionnelles mis en place au début du 20ème siècle, et dont l’autonomie est reconnue par l’Etat : elle est en difficulté depuis l’acceptation par les syndicats dans le cadre du pacte pour l’emploi de 1998 d’une politique salariale modérée à moyen terme et avec la baisse relative des salaires réels ;
· la co-détermination (« Mitbestimmung », un mot inexactement traduit en français par le mot de « cogestion »), qui est une concession aux syndicats des gouvernements chrétiens démocrates des années 50, renforcée par les gouvernements sociaux démocrates dans les années 70, sous la forme d’une participation aux décisions stratégiques dans les entreprises : mais le compromis de 2000 tendant à renforcer l’intervention des salariés en contrepartie de la modération salariale et de la réforme du marché du travail s’est perdu dans les sables de la négociation avec l’opposition au Bundesrat..

En France, c’est beaucoup plus simple, parce que l’Etat social, c’est l’Etat tout court. En effet, l’Etat, comme régulateur, a depuis 1945 un rôle central dans la recherche des compromis sociaux. Régulateur des salaires et des prix jusqu’au milieu des années 80, il conserve un rôle important dans l’extension des conventions collectives et des accords salariaux, dans l’organisation et la détermination du degré de couverture de la sécurité sociale (à la hausse et à la baisse), dans l’indemnisation des chômeurs avec l’agrément des accords du régime UNEDIC et le maintien d’un régime de solidarité. Paradoxalement, le ministère français de l’emploi et de la cohésion sociale est moins directement impliqué dans la gestion des régimes sociaux que le « Bundesarbeitsamt » allemand, mais aucune des décisions importantes les concernant n’est prise sans son accord.

Nos systèmes sociaux sont à la fois proches et très différents.

La force très inégale du mouvement syndical constitue aussi une différence particulièrement notable entre nos pays. Mais encore faut-il préciser de quelle période on parle. Les syndicats allemands ont longtemps rassemblé quelque 30% des salariés (je parle des cotisants). Après la réunification, et avec l’intégration des organisations syndicales de l’est dans la DGB, ce sont près de 12 millions d’allemands qui sont syndiqués au début des années 90, même si ce chiffre a sensiblement baissé depuis 15 ans : il est aujourd’hui inférieur à 8 millions. Mais il reste très supérieur aux moins de 6 millions de syndiqués français des années 50 et 60 et aux moins de 3 millions de syndiqués d’aujourd’hui, au demeurant plutôt concentrés dans les entreprises publiques à statut (SNCF, RATP, EDF, La Poste, etc) et quelques administrations à effectif nombreux (éducation nationale, police, impôts, etc), même si les syndicats, qui en sont conscients, développent des stratégies, différentes mais convergentes, de re-syndicalisation. Il n’en reste pas moins que le taux de syndicalisation, qui est de près de 30 % en Allemagne, est sensiblement inférieur à 10 % en France.

Il est inutile d’insister sur une autre différence, qui n’est peut-être pas sans rapport avec l’inégale force des syndicats, c’est leur dispersion en de nombreuses confédérations en France (depuis 10ans, l’ajout de SUD et de l’UNSA aux cinq « grandes » confédérations, sans compter la FSU, fait passer de 5 à 7 le nombre des confédérations de fait, même si la reconnaissance de leur représentativité est encore à venir), alors qu’un mouvement en sens inverse s’est produit en Allemagne (dans les années 90, les syndicats de l’est ont été progressivement intégrés dans la DGB, puis le syndicat des employés, lui-même élargi à l’ensemble des services en devenant Verdi, est devenu l’une des deux plus grosses fédérations de la DGB, avec l’IG Metall).

Le marché du travail y est organisé très différemment, en apparence du moins. La France a mis en place des outils spécifiques au fur et à mesure des besoins : services de la main-d’œuvre étrangère après la libération, UNEDIC et ASSEDIC (associations de droit privé gérées paritairement, pour l’indemnisation des chômeurs) à partir de la fin des années 1950, ANPE (établissement public, pour le placement des demandeurs d’emploi) à partir de la fin des années 1960 : c’est dans une période – faut-il le rappeler – de quasi plein emploi que le marché du travail a été organisé. En Allemagne, la création après guerre des « Arbeitsamte », fédérées dans un « Bundesarbeitsamt », a été structurante : elles se sont vues adjoindre au fur et à mesure du temps différentes fonctions. Par ailleurs, l’importance en France des réseaux de toutes sortes et leur influence sur la circulation de l’information relative aux offres d’emploi, ainsi que la pratique des « petites annonces » rendent le rôle du service public de l’emploi tout à fait subsidiaire. Le marché du travail est en Allemagne davantage lié à l’entreprise, notamment par le rôle d’insertion qu’y joue l’apprentissage.

Le savoir et la compétence n’ont pas la même importance en France et en Allemagne. Il suffit de se trouver dans une réunion de responsables, publics ou privés, comprenant des Français et des Allemands, pour observer une différence très significative : c’est la différence d’âge. Les responsables allemands de même niveau ont entre 5 et 10 ans de plus que les responsables français. Alors qu’en Allemagne, on privilégie l’expérience, et même les expériences successives accomplies dans la même administration ou la même entreprise, c’est davantage le savoir, et plus précisément celui sanctionné par un diplôme, qui est privilégié en France, où il n’est pas rare de confier des responsabilités importantes à des trentenaires. Cela modèle, de façon plus importante qu’on ne le croit, les rapports sociaux.

La politique familiale part de réalités assez différentes, et notamment d’une évolution différenciée de l’emploi féminin. Notons tout d’abord que si l’emploi féminin est traditionnellement plus faible en Allemagne de l’ouest des quarante années de l’après-guerre, ce n’est pas le cas de l’Allemagne de l’est pendant le régime communiste. Mais globalement, l’activité professionnelle des femmes, qui augmente régulièrement sur le moyen terme depuis 30 ans dans les deux pays, est aujourd’hui la même en Allemagne qu’en France. C’est précisément cette constatation qui est, avec quelques autres, à l’origine d’une redéfinition de la politique familiale dans le cadre de l’Agenda 2010.

L’immigration n’a pas la même ancienneté, ni la même origine, ni la même diversité dans nos deux pays. Les différences sont très instructives. Mais il faut tout d’abord tordre le cou à un canard, pourtant maintes fois répété dans la presse, des deux côtés du Rhin d’ailleurs : l’Allemagne n’a pas accueilli davantage d’immigrés que la France ces dernières décennies. Les statistiques qui sont souvent présentées à l’appui de cette thèse confondent le nombre des étrangers et celui des immigrés et font l’impasse sur la différence fondamentale du droit de la nationalité entre nos deux pays jusqu’en 1999, qui se traduisait en Allemagne par une augmentation du nombre des étrangers, alors qu’en France le nombre des naturalisations compensait à peu près celui des nouveaux arrivants. Ce n’est donc pas sur les chiffres globaux de l’immigration que sont les différences. En effet, le flux d’immigration dans chacun de nos deux pays représente bon an mal an de l’ordre de 0,3 % de la population totale de chaque pays et le nombre des immigrés est globalement de près de 10 % de la population de chaque pays.

C’est d’abord sur l’ancienneté du phénomène que nos deux pays diffèrent : la France est un pays d’immigration de puis 1850, alors que l’Allemagne ne l’est véritablement que depuis l’après-guerre. Par ailleurs, la France a toujours connu des vagues successives qui permettent l’équilibre des nationalités d’origine : d’abord belge, puis italienne, puis polonaise, puis de nouveau italienne, puis maghrébine, puis d’Afrique noire, puis turque, puis chinoise. L’Allemagne connaît depuis plusieurs décennies une immigration turque durable et importante, conduisant à plus de 2 millions de ressortissants turcs aujourd’hui (les autres pays d’origine significatifs étant l’Italie, l’ex-Yougoslavie et la Pologne. Mais il ne faut pas oublier que la première nationalité d’immigrants, ou plutôt de rapatriés, est allemande : ce sont les Aussiedler, en application de l’article 116 de la loi fondamentale. Par ailleurs, l’Allemagne a longtemps accueilli majoritairement au titre de l’asile, la France le faisant plutôt au titre du travail ou du regroupement familial. Et c’est enfin sur les politiques d’intégration, et notamment d’accès à la nationalité, qu’elles se différencient. Mais sur ce point, la réforme du droit de la nationalité en Allemagne, se référant notamment à l’expérience française, a beaucoup rapproché nos pratiques et nos perceptions.

Ces réalités font que l’impact de la crise sur ces systèmes sociaux et les politiques mises en œuvre pour les réformer ne sont pas les mêmes.

Une question se pose : celle de la connaissance que nous avons des politiques allemandes et que les Allemands ont de nos politiques sociales.

Il est intéressant de tenter de comprendre comment, à partir d’une connaissance mythique, décalée et fragmentaire des réalités sociales de nos voisins immédiats, le souci de s’y référer et d’en tenir compte est réel.

La participation des travailleurs aux décisions importantes des entreprises est conçue très différemment et mal connue entre nos deux pays. Si les comités d’entreprise mis en place en 1945 en France ont rapidement eu un rôle plus proche de l’accompagnement social que du suivi de la gestion, cette évolution n’était pas écrite à l’avance. Il est probable que la confiance dans le rôle d’orientation économique de l’Etat, la division puis l’affaiblissement syndical, la tradition politique peu encline au réformisme et quelques autres raisons l’expliquent. En Allemagne, la co-détermination ou « Mitbestimmung » s’est mise en place dans un cadre conceptuel qui est devenu rapidement commun aux chrétiens démocrates et aux sociaux-démocrates et qui s’appelle l’économie sociale de marché. Il était de bon ton, en France, dans les années 70 et dans les années 80, de regarder avec commisération cette co-gestion, considérée soit comme inutilement liée aux syndicats à droite, soit comme un mauvais compromis à gauche. Mais il faut bien observer que la tentative, avec les lois Auroux de 1982, de revitaliser le comité d’entreprise et de définir un droit d’expression des travailleurs sur leur lieu de travail, a fait long feu. L’évolution des années 90 a consisté en Allemagne à limiter la portée de la cogestion par les conseils de surveillance bipartites (administrateurs et représentants des salariés) pour s’en tenir aux conseils d’entreprise, qui sont un peu des comités d’entreprise au sens français qui auraient pris au sérieux leurs compétences en matière économique.

Le rôle et l’organisation de la formation professionnelle sont assez différents en France et en Allemagne. Pour dire les choses de façon lapidaire, l’apprentissage ou « Lehrzeit » en Allemagne et l’enseignement technique et professionnel en France sont structurants. Ils agissent l’un et l’autre comme des systèmes globaux que le partenaire admire tout en faisant autre chose. Le Lorrain que je suis a toujours été très étonné d’entendre simultanément les entrepreneurs français exprimer leur fascination pour l’apprentissage allemand et les entrepreneurs allemands exprimer la leur pour l’enseignement professionnel français. C’est, au fond, sans doute parce que l’un et l’autre ne répondent pas exactement à la même question : l’apprentissage allemand fonctionne effectivement bien en ce qu’il rend plus facile l’insertion professionnelle des jeunes, alors que le chômage des jeunes est un point faible de la France ; et l’enseignement professionnel à la française rend les jeunes mieux adaptés à l’évolution des techniques et des besoins dans le courant d’une vie professionnelle, ce à quoi l’Allemagne est de plus en plus confrontée. Et ces deux objectifs sont visés simultanément, ce qui explique l’attraction réciproque et le malentendu. Les deux pays sont aujourd’hui confrontés à l’exigence de la formation « tout au long de la vie », pour reprendre l’expression française, ce qui sans doute les rapproche.

Dans un domaine moins connu, il est utile d’observer la perception réciproque des politiques publiques de socialisation des enfants, aux confins de la politique familiale et des rythmes scolaires. Un effort considérable est fait actuellement en Allemagne pour aboutir à la « Ganztagschule », l’école de toute la journée. C’est difficilement compréhensible pour les Français, qui estiment que le système scolaire allemand a précisément pour qualité de laisser l’après-midi libre pour des activités de découverte, sportives et artistiques. C’est en fait un double choix sur les rythmes scolaires et la politique familiale qui a conduit à cette réforme en Allemagne. S’agissant des rythmes scolaires, les Allemands vivent avec l’idée que leurs enfants ne travaillent pas assez à l’école et que c’est une des causes de la médiocre performance de leur système d’enseignement. S’agissant de la politique familiale, l’augmentation de l’activité professionnelle des femmes conduit à rechercher une continuité de la journée scolaire et une articulation de celle-ci sur les modes de garde des enfants. Mais cette question n’est venue que tardivement dans le débat politique allemand. Une des raisons en est que l’activité professionnelle des femmes était plus développée en Allemagne de l’est qu’en Allemagne de l’ouest. Il est vrai que la question des modes de garde des enfants était déjà un sujet politique en France au début des années 70, où on le retrouve en bonne place aussi bien dans le programme commun de gouvernement de la gauche que dans le « programme de Provins » de la droite en 1973, qui fixait l’objectif de la construction de 10.000 crèches. Et, au fond, avec l’objectif de l’école de toute la journée, l’Allemagne cherche à répondre à un double défi, celui de la qualité de son enseignement et celui de la garde de ses enfants, c’est-à-dire de sa démographie.

Sur ces trois exemples (Mitbestimmung, Lehrzeit et Ganztagschule), on voit bien que la connaissance réciproque des systèmes sociaux est à la fois mythique, décalée et fragmentaire. Les deux pays se regardent et se réfèrent à ce qu’ils croient être les points forts du voisin. Mais cette perception est déformée.

Elle est souvent mythique, à partir de l’image de politiques sociales immuables. La cogestion à l’allemande connaît, comme on l’a vu, une évolution qui, partant des concessions de l’après-guerre avec l’économiste Ludwig Erharg, ministre des finances puis chancelier, a connu un progrès avec les gouvernements sociaux démocrates des années 70, avant d’être remise en cause avec la crise dans les années 90. Et pourtant, elle est regardée comme une réalité structurante de l’Allemagne par les Français.

La perception est souvent décalée en ce que l’un des deux partenaires croit connaître les réalités de l’autre, mais il se réfère souvent à des réalités très datées. Le même discours approbateur sans nuances de l’apprentissage à l’allemande existe à l’intérieur du patronat français, alors même que les Allemands, tout en le conservant, cherchent actuellement à en dépasser les limites.

Elle est aussi fragmentaire en ce que des champs entiers du social font l’objet d’une véritable méconnaissance réciproque. Le système de garde des enfants, qui fonctionne plutôt bien en France (à l’exception de la région parisienne), trouve sa source dans des décisions prises il y a plus de trois décennies. Or, si la situation démographique des deux pays n’est pas la même, il faut bien reconnaître que les questions relatives à la politique familiale font l’objet d’une commune méconnaissance.

Comment nos deux pays font-ils face à ce qu’il faut bien appeler une crise de leurs modèles sociaux ?

Les stratégies ne sont paradoxalement pas si différentes, même si elles portent la marque d’une tradition nationale. Le point commun est l’analyse, peu remise en cause dans les couches dominantes, selon laquelle le système social est devenu trop coûteux et qu’il faut donc en réduire les prestations. Il est curieux de voir que le poids de la variable monétaire dans les comparaisons de coût du travail dans une économie en partie mondialisée n’est quasiment jamais évoqué.

De même, la mise en concurrence des systèmes sociaux par la mondialisation et la financiarisation de l’économie ne fait l’objet de débats dans nos deux pays que quand les chiffres du chômage, les délocalisations d’activités ou le dumping commercial en rappellent la dure réalité. Le discours public sur ces questions est d’ailleurs sensiblement différent, ce qui ne signifie pas que les politiques menées le soient dans la même proportion. La réponse française évoque volontiers la protection des activités tandis que la réponse allemande insiste sur la recherche d’une nouvelle compétitivité. Mais les politiques publiques semblent davantage axées sur la diminution du coût du travail.

L’Allemagne procède par l’affichage à moyen terme d’un « Agenda 2010 », dans lequel s’inscrivent plusieurs réformes :
· la réforme du marché du travail : ce sont les fameuses lois Hartz, du nom de l’ancien directeur des ressources humaines de Volkswagen qui en est l’inspirateur,
· une nouvelle politique de l’immigration, combinant une attraction de salariés formés et une intégration plus volontaire des immigrés présents sur le sol allemand,
· une réforme des retraites : c’est la « Riesterrente », retraite complémentaire par capitalisation encouragée par l’Etat, qui s’ajoute à l’assurance vieillesse, elle-même financée par l’éco-taxe et par des cotisations, avec depuis janvier 2003, une garantie de base, sorte de minimum vieillesse,
· la réforme de la santé publique, qui n’est pas sans ressemblances avec la réforme de l’assurance maladie adoptée en même temps en France,
· une nouvelle politique de la famille, qui élargit son champ à la compatibilité entre vie professionnelle et familiale, à la garde des enfants d’âge scolaire et à l’aide aux familles monoparentales, et se traduit notamment par une augmentation sensible du « montant non imposable » pour les enfants, version allemande forfaitaire du quotient familial.

La France a fait le choix de scinder les différents sujets, en autant de réformes différentes se concluant généralement au mois d’août, comme pour en atténuer l’effet, même si on retrouve en partie les mêmes ingrédients, avec :
· la loi sur les retraites du 21 août 2003 ;
· la loi sur l’assurance maladie du 13 août 2004 ;
· les ordonnances portant mesures d’urgence pour l’emploi du 2 août 2005.

Mais globalement, la limite des deux processus de réforme est un peu la même. Ils ne posent pas correctement la question du coût du travail. J’ai déjà eu l’occasion de montrer qu’en l’absence de débat sur les politiques monétaires et les politiques commerciales, cet exercice trouvait vite ses limites. La mise en œuvre de réformes de l’équilibre interne des prélèvements obligatoires est en outre peu explicitée.

Curieusement, c’est la campagne électorale allemande qui est venue renouveler l’intérêt de ce débat, par une proposition dont on ne sait pas exactement jusqu’où elle engage la candidate chrétienne démocrate à la chancellerie : il s’agit de celle qui consiste à faire passer des points de cotisations sociales liées au travail en points de TVA. Il sera intéressant de suivre l’évolution de ce projet.

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